CA Orléans, ch. civ., 9 septembre 2013, n° 12-03152
ORLÉANS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Italcucine (SARL)
Défendeur :
Bichard
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Nollet
Conseillers :
Mme Hours, M. Monge
Le 14 mai 2009, sur le site de la Foire Exposition de Tours (37), Denis B. a passé commande auprès de la SARL Italcucine d'une cuisine de marque Aran au prix de 11 400 euro TTC et a, immédiatement, remis un chèque d'acompte de 3 420 euro. Par lettre recommandée du 17 mai 2009, Denis B. s'est plaint des méthodes de vente, jugées agressives, de la SARL Italcucine et a sollicité l'annulation de la vente, faisant dans le même temps opposition au paiement du chèque. La SARL Italcucine n'a pas accédé à cette demande et a, à plusieurs reprises, sollicité le plan de la cuisine ou l'accès à celle-ci pour établir le métré des meubles. Denis B. a répondu qu'il n'entendait pas donner suite à ces demandes. Par ordonnance du 1er avril 2010, le juge des référés du Tribunal de grande instance de Tours a ordonné la mainlevée de l'opposition au paiement du chèque. Suivant acte du 21 mars 2011 , la SARL Italcucine a saisi le Tribunal de grande instance de Tours pour se voir donner acte de ce qu'elle entendait poursuivre l'exécution du contrat, voir, à titre principal, ordonner, sous astreinte, à Denis B. de laisser libre accès à son domicile pour la réalisation des métrés en vue de l'exécution de la commande, puis pour la livraison des meubles, voir, à titre subsidiaire, prononcer la résiliation de la commande aux torts de l'intéressé et voir condamner ce dernier à lui payer la somme de 4 832,99 euro TTC, à titre de dommages et intérêts. Denis B. a sollicité qu'il soit sursis à statuer sur ces demandes jusqu'au résultat de la procédure pénale en cours à l'encontre de la SARL Italcucine et a demandé reconventionnellement que soit prononcée la nullité du contrat pour dol, ainsi que la condamnation de la société à lui rembourser l'acompte reçu et à l'indemniser de son préjudice. Par jugement du 20 septembre 2012, considérant qu'il n'était pas justifié d'une procédure en cours devant la juridiction pénale, que le dol n'était pas caractérisé, mais que la SARL Italcucine n'avait pas respecté l'obligation d'information pesant sur elle en vertu des dispositions de l' article L. 111-1 du Code de la consommation et que Denis B. avait contracté sans avoir été préalablement renseigné sur la faisabilité du projet, le tribunal a rejeté la demande de sursis à statuer, a prononcé la résolution de la vente, a condamné la SARL Italcucine à restituer à Denis B. l'acompte de 3 420 euro et à lui verser la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, a rejeté toutes autres demandes et a condamné la SARL Italcucine aux dépens. Cette dernière a relevé appel du jugement. Suivant conclusions signifiées le 15 mai 2013, elle en sollicite l'infirmation et demande à la cour, statuant à nouveau, de :
- prononcer la résolution du contrat de vente, aux torts exclusifs de Denis B.,
- condamner l'intéressé à lui payer, à titre de dommages et intérêts, la somme de 4 832,99 euro en réparation de sa perte financière et celle de 3 000 euro en réparation de son préjudice moral,
- débouter Denis B. de ses demandes,
- le condamner à lui verser 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- le condamner aux dépens.
La SARL Italcucine allègue que, en sa qualité de vendeur professionnel, elle était tenue, en vertu des dispositions de l' article L. 111-1 du Code de la consommation , d'informer Denis B., avant la conclusion du contrat, sur les caractéristiques essentielles des biens vendus, ce qui n'impliquait pas que soit préalablement réalisé un métré au domicile du client, qu'elle exerce la profession de fournisseur d'éléments de cuisine, mais non celle de concepteur, qu'elle a vendu à l'intimé, à partir des mesures données par lui, des éléments d'une cuisine d'un modèle déterminé, sans la pose, Denis B. s'étant réservé l'installation de la cuisine, qu'elle a fourni, en sus du bon de commande, un devis détaillé et un plan d'implantation, que la clause du contrat prévoyant la possibilité pour le client de changer de modèle, de coloris ou d'implantation jusqu'au contrôle du métreur, ce dans la limite du prix convenu, ne permettait pas de modification substantielle du contrat, celui-ci étant ferme et définitif, que, en établissant un plan d'implantation, à partir des cotes fournies par Denis B., elle a rempli son obligation précontractuelle d'information, que le bon de commande et ses annexes contiennent l'ensemble des caractéristiques essentielles de la cuisine achetée par Denis B., lequel a signé chacun des éléments du contrat de vente, que l'existence d'un dol du vendeur n'est pas démontrée, qu'il n'a été pratiqué sur l'acheteur, ni pressions psychologiques, ni pratiques commerciales agressives, et que son préjudice financier est constitué du manque à gagner résultant de la résiliation de la vente, déduction faite des prestations non réalisées. Suivant conclusions signifiées le 10 avril 2013, Denis B. sollicite le rejet de l'appel interjeté par la SARL Italcucine et, formant appel incident, demande à la cour d'annuler purement et simplement le contrat litigieux. Il sollicite, à titre subsidiaire, la confirmation du jugement entrepris, sauf en ce qu'il a été débouté de sa demande tendant à voir constater qu'il avait été victime d'un dol et demande la condamnation de la SARL Italcucine à lui payer la somme de 5 000 euro à titre de dommages et intérêts sur le fondement des articles 1116 et 1147 du Code civil. Il réclame enfin la somme de 3 000 euro au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel et la condamnation de l'appelante aux dépens. Denis B. allègue qu'il a été retenu pendant près de 5 heures sur le stand de la SARL Italcucine à la Foire Exposition de Tours, qu'il n'a jamais eu l'intention d'installer lui-même la cuisine, mais que cela lui a été imposé par le vendeur selon lequel il ne pouvait en être autrement compte-tenu du petit budget dont il disposait, que c'est en raison de l'engagement verbal du vendeur de s'aligner sur le devis moins élevé d'un concurrent, s'il en était présenté un, qu'il a finalement accepté de signer le bon de commande, que la SARL Italcucine a refusé, par la suite, d'honorer cet engagement, que sa demande d'annulation a été adressée à cette dernière trois jours seulement après la vente, mais que la société a refusé d'y faire droit au motif qu'elle lui aurait d'ores et déjà adressé des plans techniques, ce qui est mensonger. Denis B. fait valoir que de nombreuses personnes dans toute la France ont été victimes des agissements de la SARL Italcucine et qu'une procédure est en cours devant le juge d'instruction de Privas, que la pression, constante et longue, qu'ils ont subi pour les amener à signer est constitutive de dol, qu'ils n'avaient initialement d'autre intention que de se renseigner, et non d'acheter, leur maison n'étant à l'époque pas encore construite et le permis de construire pas même déposé, que la négociation s'est faite au seul vu de plans non définitifs et que la SARL Italcucine a utilisé des arguments fallacieux pour les convaincre, notamment en recourant à des remises successives, rendues possibles par des prix supérieurs de 80 % à ceux du marché. Denis R., qui reproche à la SARL Italcucine de s'être rendue coupable de pratiques commerciales trompeuses et agressives, sollicite, subsidiairement, la résolution de la vente sur le fondement des articles L. 121-1-1 et L. 122-11-1 du Code de la consommation et invoque encore le non-respect des dispositions de l' article L. 111-1 du Code de la consommation , qui fait obligation au vendeur professionnel d'informer le client sur les caractéristiques essentielles du bien, soutenant à cet égard que les pièces contractuelles sont, en l'espèce, insuffisamment précises pour déterminer les conditions du contrat de vente, que, malgré le caractère approximatif des plans fournis, aucune condition suspensive relative à la faisabilité du projet n'a été prévue, que la SARL Italcucine n'a pas satisfait à son devoir précontractuel d'information, qu'il a dû dépenser beaucoup de temps et d'énergie pour tender de récupérer son acompte immobilisé depuis le 14 mai 2009, qu'il est fondé à solliciter l'indemnisation du préjudice subi de ce chef, que la SARL Italcucine, avisée de l'annulation de la commande trois jours seulement après celle-ci, n'a subi aucun préjudice financier et qu'elle ne justifie pas davantage du préjudice moral qu'elle allègue.
SUR CE, LA COUR :
Attendu que le dol ne se présume pas et qu'il incombe à Denis B. qui l'invoque de rapporter la preuve de l'existence de manœuvres dolosives commises par le vendeur, sans lesquelles il n'aurait pas contracté ;
Attendu que l'attestation d'Aline D., qui déclare avoir constaté la présence, le 14 mai 2009, à la foire de Tours, sur un stand de cuisines, des époux B., une première fois entre 10 et 11 h le matin, puis une seconde fois aux environs de 15 h, est insuffisante à établir que les intéressés seraient restés tout ce temps sur place, le témoin, qui ignore ce qui a pu se passer entre ses deux passages devant le stand, ne pouvant affirmer que les époux B. n'auraient pas quitté momentanément les lieux, ne serait-ce que pour aller déjeuner ; Que ladite attestation ne démontre pas davantage l'existence des pressions psychologiques et manœuvres dolosives alléguées par l'intimé ; Que, de même, l'attestation de Patricia F., qui ne fait état d'aucune constatation personnelle, mais rapporte des propos qui lui ont été tenus par les époux B., est inopérante à rapporter la preuve de telles manœuvres ; Que l'engagement verbal prétendument pris par le vendeur de s'aligner sur le devis moins élevé d'un concurrent ne résulte que des allégations de Denis B. et n'est démontré par aucun élément du dossier ; Que les pièces produites par l'intimé sous les numéros 21, 22, 23, 24, 26, 27, 28, 29, 31, si elles permettent de penser que les époux B. ne sont pas les seuls à se plaindre des méthodes de vente employées par la SARL Italcucine, ne suffisent pas à caractériser, de manière précise et circonstanciée, l'emploi de manœuvres dolosives dans le cas présent ; Que c'est à juste titre que le premier juge a considéré que le dol n'était pas démontré et qu'il a débouté Denis B. de ses demandes sur ce fondement ; Attendu, en revanche, que, en vertu des dispositions de l' article L. 111-1 du Code de la consommation , le vendeur professionnel est tenu d'une obligation précontractuelle d'information, visant à faire connaître au consommateur les caractéristiques essentielles du bien vendu ; Que cette obligation impose, notamment, au vendeur de se renseigner sur les besoins de l'acheteur et de l'informer de l'adéquation du matériel proposé à l'utilisation qui en est recherchée ; Qu'il incombe, en l'occurrence, à la SARL Italcucine de rapporter la preuve de ce qu'elle a bien satisfait à cette obligation ; Attendu que la SARL Italcucine, qui a rencontré Denis B. sur son stand à la foire de Tours, lui a fait signer un bon de commande, qui précise les appareils électroménagers destinés à équiper la cuisine (marques, référence, prix), mais ne comporte pas la description des éléments mobiliers vendus, le paragraphe destiné au descriptif mentionnant seulement le nom du modèle choisi, avec quelques indications succinctes relatives notamment à la couleur et au matériau, puis la mention manuscrite : "possibilité de changer de modèle, de coloris ou d'implantation jusqu'au contrôle de métré. Avec même prorata de remise. Accord de monsieur K." ; Qu'un document distinct, portant descriptif sommaire et prix des éléments mobiliers, a été établi et signé par les parties, sans toutefois que le bon de commande en fasse mention et y fasse expressément référence ; Que, seul, un plan sommaire, ne comportant aucune cote et portant la mention "bon pour implantation sous réserve du contrôle technique", a été joint en annexe au bon de commande ; Que les documents contractuels ont ainsi été établis, alors que la SARL Italcucine ne connaissait pas les dimensions exactes de la cuisine à aménager ; Qu'il est constant d'ailleurs que, à la date à laquelle ils l'ont été, la maison d'habitation des époux B. n'était pas encore construite ; Attendu, ainsi, que la commande passée était stipulée ferme et définitive, alors que la faisabilité du projet pouvait se trouver remise en cause, les métrés de contrôle étant susceptibles de révéler l'impossibilité d'implanter les meubles et équipements vendus ; Que la SARL Italcucine n'a pas pris la peine de mettre en garde ses clients à cet égard et de les inciter à inclure à la convention une condition suspensive sur ce point ; Que, par ailleurs, le projet pouvait se trouver profondément transformé par la mise en œuvre de la clause du bon de commande permettant de changer de modèle, de coloris ou d'implantation, ce qui constituait les caractéristiques essentielles de la cuisine vendue; Qu'il en résulte que Denis B. a contracté, de manière irrévocable, sans savoir si les éléments effectivement vendus pourraient être implantés dans sa future cuisine et sans connaître les caractéristiques essentielles de ces éléments, celles-ci étant susceptibles de changer jusqu'au jour du métré ; Qu'il est manifeste que la SARL Italcucine, vendeur professionnel, n'a pas cherché à savoir quels étaient les besoins réels de son client, ni si les biens vendus étaient en adéquation avec ces besoins ; Que, ce faisant, elle a manqué à son devoir d'information, tel qu'il résulte des dispositions précitées de l' article L. 111-1 du Code de la consommation ; Que c'est à bon droit que le premier juge a prononcé à ses torts la résolution de la vente et l'a condamnée à rembourser à Denis B. l'acompte perçu ; Que le jugement sera confirmé ;
Attendu que les manquements commis par la SARL Italcucine à ses obligations contractuelles sont à l'origine d'un préjudice distinct pour Denis R., qui se trouve privé depuis plus de trois ans de la disposition de la somme de 3 420 euro versée à titre d'acompte et qui a dû subir les tracas et aléas d'une procédure judiciaire pour parvenir au recouvrement de cette somme ; Que le jugement sera réformé sur ce point et la SARL Italcucine condamnée à lui payer la somme de 1 500 euro à titre de dommages et intérêts ;
Attendu que l'appelante, qui succombe, sera enfin condamnée aux dépens d'appel et au paiement d'une somme supplémentaire de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile;
Par ces motifs : Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Infirme le jugement entrepris, mais seulement en ce qu'il a débouté Denis B. de sa demande de dommages et intérêts, Statuant à nouveau sur ce seul chef de demande, Condamne la SARL Italcucine à payer à Denis B. la somme de mille cinq cents euro (1 500 euro), à titre de dommages et intérêts, Confirme en toutes ses autres dispositions le jugement entrepris, y Ajoutant, Condamne la SARL Italcucine à payer à Denis B. la somme de deux mille euro (2 000 euro), sur le fondement de l' article 700 du Code de procédure civile , pour les frais irrépétibles exposés en cause d'appel, Rejette le surplus des demandes, Condamne la SARL Italcucine aux dépens et accorde à la SCP L.-L., avocats, le bénéfice des dispositions de l' article 699 du Code de procédure civile .