CA Montpellier, 2e ch., 26 novembre 2013, n° 12/06629
MONTPELLIER
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
L'Hippocampe II (SARL)
Défendeur :
Teyran Agri Services (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bachasson
Conseillers :
M. Prouzat, Mme Olive
Avocats :
Mes Hammar, Baboin, Robert
FAITS ET PROCEDURE - MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
La société L'Hippocampe II qui exerce une activité de restauration a conclu avec la société Teyran Agri Services, spécialisée dans le commerce de boissons, des conventions portant sur la fourniture de boissons avec mise à disposition de matériels, ayant pour contrepartie une obligation d'approvisionnement exclusif.
Suite à la cessation d'approvisionnement de la société L'Hippocampe II, la société Teyran Agri Services a adressé à celle-ci une lettre de mise en demeure le 15 juillet 2009 afin qu'elle respecte ses obligations et qu'elle règle l'encours d'un montant de 6 781,77, sous peine de résiliation des contrats.
La société Teyran Agri Services a fait assigner la société L'Hippocampe II devant le Tribunal de commerce de Montpellier par exploit du 8 juillet 2011, afin d'obtenir paiement des pénalités contractuelles et la restitution de l'armoire à "bibs".
Par jugement réputé contradictoire du 26 août 2011, le tribunal a fait droit aux demandes de la société Teyran Agri Services et a condamné la société L'Hippocampe II à restituer l'armoire à "bibs", sous astreinte de 500 euros par jour de retard, à compter de la signification du jugement et à lui payer :
- une pénalité égale à la valeur de 20 % de 7,5 hl de bière ;
- la somme de 3 209,81 euros, au titre du matériel mis à disposition dans le cadre du contrat d'approvisionnement en vin ;
- la somme de 1 600,24 euros, au titre de la clause pénale ;
- la somme de 200 euros au titre du prêt ;
-la somme de 1 785,36 euros, au titre des factures impayées, augmentée des intérêts au taux contractuel de 10 % arrêtés à la somme de 955,13 euros au 24 septembre 2010 ;
-la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société L'Hippocampe II a régulièrement interjeté appel de ce jugement, en vue de son infirmation.
Suite la cessation d'activité de la SCP Jougla, avoué de la société L'Hippocampe II, le conseiller de la mise en état a constaté l'interruption de l'instance par ordonnance du 11 juin 2012.
L'avocat constitué de la société L'Hippocampe II a sollicité la réinscription de l'affaire au rôle de la cour, le 27 août 2012.
Dans des conclusions récapitulatives transmises par voie électronique au greffe de la cour, le 7 novembre 2012, la société L'Hippocampe II a conclu au rejet des demandes de la société Teyran Agri Services et à l'allocation d'une somme de 3 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle soutient que :
-les contrats sont dépourvus de cause dans la mesure où les contreparties concédées par la société Teyran Agri Services sont dérisoires par rapport aux obligations qui ont été mises à sa charge ;
-ainsi le contrat de bière du 2 janvier 2009 prévoit une mise à disposition de 66 fauteuils de terrasse d'une valeur de 3 384,15 euros en contrepartie d'une obligation d'exclusivité portant sur l'achat de 150 hl de bière ; il en est de même en ce qui concerne le contrat du 20 février 2009 qui prévoit un approvisionnement exclusif de 1 500 bouteilles de vin du Languedoc avec pour contrepartie un prêt de 200 euros pour la confection d'une carte des vins et la mise à disposition d'une armoire à "bibs" ;
-le "bulletin de prêt" du 15 janvier 2009 prévoit la mise à disposition d'une tireuse à bière d'une valeur de 3 209,80 euros en contrepartie de la vente des bières des Vignobles et Brasserie Vellas pendant la durée d'utilisation ; ce matériel ayant été restitué, elle a été libérée de l'obligation d'approvisionnement, qui était incompatible avec l'obligation de non-concurrence à laquelle elle était tenue vis-à-vis du brasseur Bitburger ;
-elle n'a pas donné de consentement libre et éclairé, en l'absence des informations précontractuelles prescrites par l'article L. 330-3 du Code de commerce ;
-les prix pratiqués par le distributeur ont été supérieurs aux tarifs présentés lors de la signature des contrats ; son consentement a donc été surpris par les dissimulations de la société Teyran Agri Services sur la réalité des prix effectivement pratiqués ;
-la société Teyran Agri Services a augmenté unilatéralement les prix et a fait preuve de multiples carences dans le cadre de la livraison des boissons commandées, ce qui l'a amenée à cesser de s'approvisionner auprès de cette société et à changer de fournisseur ;
-elle a mis le matériel prêté à la disposition de la société Teyran Agri Services chez son nouveau fournisseur comme le veut l'usage professionnel ; celle-ci n'est jamais venue le récupérer, ce qui conforte sa mauvaise foi ;
-l'intimée ne peut pas réclamer la valeur de rachat du matériel qui ne lui appartient pas ; les propriétaires étant les brasseurs Bitburger et Vellas.
Dans des conclusions récapitulatives transmises par voie électronique au greffe de la cour, le 13 septembre 2013, la société Teyran Agri Services a conclu à la confirmation du jugement et à l'allocation de la somme de 3 000 euros, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle réplique que :
-les documents précontractuels d'information exigés par l'article L. 330-3 du Code de commerce ne concernent pas les contrats d'approvisionnement exclusif de boissons ;
-en sa qualité de professionnelle dans le secteur de la restauration, la société L'Hippocampe II ne peut pas prétendre que son consentement n'a été ni libre ni éclairé puisqu'elle connaît les prix et les pratiques de ce secteur ;
-l'appelante s'est engagée en pleine connaissance de cause ;
-les contrats sont causés en l'état des contreparties convenues en l'occurrence, mise à disposition de matériels et prix pratiqués permettant au débitant de faire une marge commerciale confortable ;
-la société L'Hippocampe II qui s'est engagée pour une durée de 5 ans, ne s'est approvisionnée auprès d'elle que pendant 4 mois ; elle ne saurait imputer la rupture du contrat à une brutale augmentation des prix alors que les tarifs ont été précisés dans les contrats ;
-l'utilisation de la tireuse à bière pendant deux ans, soit au-delà du temps réel d'approvisionnement, doit être indemnisée à hauteur du prix initial de cette machine ;
-la société L'Hippocampe II n'a pas dénoncé les contrats d'approvisionnement et a préféré s'adresser à un autre fournisseur ; l'usage dont elle se prévaut au titre de la remise du matériel au nouveau fournisseur n'existe pas ;
-le non-respect du préavis et de l'obligation de commander 2,5 hl de bière par mois, justifie l'octroi de l'indemnité contractuelle de 20 % de la valeur de 7,5 hl de bière ;
-en ce qui concerne le contrat relatif à l'approvisionnement en bouteilles de vin, l'appelante est également redevable de l'indemnité de 20 % du chiffre d'affaires restant à réaliser sur l'année ;
-il reste dû une somme de 1 785,36 euros au titre de plusieurs factures outre les intérêts et pénalités de retard ;
-les attestations de complaisance émanant du gérant de la société appelante et d'un salarié n'établissent pas les erreurs de livraison alléguées; aucun courrier de réclamation ou de doléances des clients n'est versé aux débats ; la mauvaise foi est patente.
C'est en cet état que la procédure a été clôturée par ordonnance du 1er octobre 2013.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande de nullité des conventions
La société L'Hippocampe II fait valoir que son consentement a été vicié dans la mesure où la société Teyran Agri Services a méconnu l'obligation d'information prévue par l'article L. 330-3 du Code de commerce, ce qui entraînerait la nullité des trois contrats conclus en janvier et février 2009.
En vertu de ce texte, l'obligation d'information s'impose avant la signature de tout contrat conclu dans l'intérêt commun des deux parties, dès lors que celles-ci sont liées par des stipulations contractuelles prévoyant d'une part, la mise à disposition d'une enseigne, d'un nom commercial ou d'une marque et d'autre part, un engagement d'exclusivité pour l'exercice de l'activité concernée.
Les contrats conclus entre la société L'Hippocampe II et la société Teyran Agri Services n'emportent pas la mise à disposition du débitant de boissons des droits incorporels du distributeur, à savoir, nom commercial, marque et enseigne.
Il s'ensuit que les dispositions de l'article L. 330-3 du Code de commerce n'ont pas vocation à s'appliquer aux contrats litigieux.
En application de l'article 1131 du Code civil, une obligation n'est réputée sans cause qu'en l'absence de contrepartie réelle de la part de l'un des cocontractants ; c'est à la date de la formation du contrat qu'il convient d'apprécier l'existence de la cause de l'engagement.
Si la société L'Hippocampe II peut opposer une exception de nullité à la société Teyran Agri Services, distributeur désigné comme étant le bénéficiaire de l'engagement d'approvisionnement exclusif souscrit le 2 janvier 2009 au profit du brasseur, la société Brasserie Bitburger Braugruppe, il n'apparaît pas, au demeurant, que la mise à disposition de 66 fauteuils de terrasse constitue une contrepartie dérisoire à cette exclusivité.
Le contrat du 15 janvier 2009 dénommé "bulletin de prêt" dispose que la société Teyran Agri Services met à disposition de la société l'Hippocampe II, à titre de prêt, une tireuse à bière d'une valeur de 3 209,80 euros en contrepartie de la vente de bières des "Vignobles et brasserie Vellas" "pendant la durée d'utilisation de la machine et de façon suivie". Il n'existe aucun engagement d'exclusivité à ce titre, étant précisé que le contrat de bière du 2 janvier 2009 n'interdit pas au distributeur de conclure avec le débitant de boissons une autre convention de distribution de bière. L'obligation mise à la charge de la société L'Hippocampe II est donc causée.
Dans le contrat du 15 février 2009, la société Teyran Agri Services a mis à disposition une armoire à bibs et a accordé une somme de 200 euros pour l'élaboration d'une nouvelle carte des vins, en contrepartie de l'engagement d'approvisionnement exclusif de 1 500 bouteilles de vins du Languedoc, limité à 1 an. Les avantages ne paraissent pas dérisoires au regard d'une exclusivité souscrite pour une année.
En conséquence, les exceptions de nullité soulevées par l'appelante seront rejetées.
Sur les conséquences de la cessation d'approvisionnement
La société L'Hippocampe II ne conteste pas qu'elle a cessé de s'approvisionner auprès de la société Teyran Agri Services à partir du mois de juin 2009 et s'est adressée à un autre fournisseur.
Elle fait valoir que cette cessation d'approvisionnement résulte d'une mauvaise exécution des livraisons et d'une modification unilatérale des prix initialement convenus.
Les attestations émanant du gérant de la société L'Hippocampe II et d'une salariée du restaurant exploité par celle-ci ne sont pas suffisamment circonstanciées et précises pour établir les griefs allégués. De plus, l'appelante n'a pas cru utile de répondre à la lettre du 15 juillet 2009 adressée par la société Teyran Agri Services qui lui a reproché la cessation d'approvisionnement. Elle n'a émis aucune contestation et n'a pas usé de la faculté de suspendre l'exécution du contrat en adressant au distributeur une lettre en ce sens. La société L'Hippocampe II n'a pas, non plus, eu recours à l'arbitrage prévu conventionnellement en cas de désaccord sur les prix pratiqués (cf. article 6 du contrat de 2 janvier 2009).
Il y a donc lieu de considérer que la société L'Hippocampe II a contrevenu à son obligation d'approvisionnement exclusif au titre des vins du Languedoc et des bières de la marque Bitburger.
Le contrat du 2 janvier 2009 prévoit une mise à disposition des fauteuils de terrasse par la société Brasserie Bitburger Braugruppe. L'article 8 stipule que si le débitant de boissons met fin au contrat de bière le liant à la société Brasserie Bitburger Braugruppe, avant le terme, un préavis de trois mois doit être respecté et la dénonciation doit s'accompagner d'une offre de rachat du matériel ; le brasseur se réservant la faculté d'accepter le prix offert ou de demander la restitution de tout ou partie des objets mis à disposition.
La société Teyran Agri Services, distributeur des boissons, ne saurait donc, dans le cadre de ce contrat, solliciter une indemnité pour non-respect du préavis qui, en tout état de cause, n'aurait pu être réclamée que par le brasseur.
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la société L'Hippocampe II à payer à la société Teyran Agri Services une pénalité égale à 20 % de 7,5 hl de bière.
Du fait de la non-restitution de la tireuse à bière (contrat du 15 janvier 2009) suite à la demande faite le 15 juillet 2009, la société intimée est fondée à réclamer le paiement de la valeur vénale de cette machine égale à 3 209,80 euros. A cet égard, la cour observe que le cocontractant est bien la société Teyran Agri Services.
Suite à la cessation d'approvisionnement en vins du Languedoc et de la rupture du contrat subséquente imputable à la société L'Hippocampe II, l'article 8 stipulant la restitution des avantages consentis et le paiement d'une indemnité contractuelle de rupture égale à 20 % du chiffre d'affaires à réaliser, doit recevoir application.
C'est à juste titre que le premier juge a condamné la société L'Hippocampe II à payer à la société Teyran Agri Services la somme de 200 euros ainsi que l'indemnité contractuelle de 1 600,24 euros TTC et à lui restituer l'armoire à bibs, sauf à fixer une astreinte provisoire de 100 euros par jour de retard commençant à courir à l'expiration d'un délai de 2 mois suivant la signification du présent arrêt.
Si le montant du solde de factures impayé à hauteur de 1 785,36 euros est justifié, il n'en est pas de même en ce qui concerne les intérêts au taux contractuel de 10 %, alloués à tort par le premier juge.
La société L'Hippocampe sera condamnée au paiement de cette somme augmentée des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 15 juillet 2009, en application de l'article 1153 du Code civil.
Le jugement sera réformé, de ces chefs
Sur les autres demandes
Au regard de la solution apportée au règlement du litige, la société L'Hippocampe II sera condamnée à payer à la société Teyran Agri Services la somme de 1 800 euros, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, verra sa propre demande de ce chef rejetée et supportera la charge des dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Infirme le jugement en ses dispositions relatives à : -la condamnation de la société L'Hippocampe II à payer à la société Teyran Agri Services une pénalité égale à la valeur de 20 % de 7,5 hl de bière ; -aux modalités de l'astreinte assortissant la restitution de l'armoire à bibs ; -la condamnation au paiement d'intérêts au taux contractuel de 10 % arrêtés à la somme de 955,13 euros au 24 septembre 2010 ; Et statuant à nouveau de ces chefs ; Déboute la société Teyran Agri Services de sa demande en paiement d'une pénalité égale à 20 % de 7,5 hl de bière ; Dit que la condamnation relative à la restitution de l'armoire à bibs sera assortie d'une astreinte de 100 euros par jour de retard, commençant à courir à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la signification de l'arrêt ; Déboute la société Teyran Agri Services de la demande en paiement d'intérêts au taux contractuel de 10 %, arrêtés à la somme de 955,13 euros au 24 septembre 2010 ; Dit que la condamnation au paiement de la somme de 1 785,36 euros au titre des factures impayées sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 15 juillet 2009 ; Confirme le jugement pour le surplus ; Y ajoutant ; Rejette les exceptions de nullité soulevées par la société L'Hippocampe II en cause d'appel ; Condamne la société L'Hippocampe II à payer à la société Teyran Agri Services la somme de 1 800 euros, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute la société L'Hippocampe II de sa demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société L'Hippocampe II aux dépens d'appel.