CA Nîmes, 1re ch. civ., 21 novembre 2013, n° 12-04786
NÎMES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Martin
Défendeur :
Luxxa (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bruzy
Conseillers :
M. Berthet, Mme Jean
Avocats :
Mes Vialette, Jaouen, Boerner, SCP Monceaux Favre ce Thierrens Barnouin Thevenot Vrig Naud
EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES
Suivant contrat d'agent commercial du 15 décembre 2003 conclu entre Mme Gotelet, aux droits de laquelle est venue la SARL Luxxa, et M. Jean-Pierre Martin, ce dernier a été chargé de la vente de collections de lingerie dans un secteur géographique de 26 départements, moyennant une rémunération à la commission de 20 % du montant hors taxe des commandes de son secteur.
Par courrier du 6 mars 2005 la SARL Luxxa a mis un terme à ce contrat.
Par acte du 1er avril 2008, M. Jean-Pierre Martin a fait assigner la SARL Luxxa devant le Tribunal de grande instance de Nîmes en paiement de sommes au titre de l'indemnité de rupture et de dommages et intérêts. Par jugement avant dire droit du 16 février 2010, le tribunal a ordonné une expertise judiciaire et désigné M. Serre en qualité d'expert. L'expert a déposé son rapport au greffe du tribunal le 3 décembre 2010.
M. Jean-Pierre Martin a demandé au tribunal, sur le fondement des articles L. 134-11 et L. 134-12 du Code de commerce, de condamner la SARL Luxxa à lui payer la somme de 25 000 euro à titre d'indemnité de rupture, 5 000 euro à titre de dommages et intérêts et 6 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens, comprenant les frais d'expertise.
Par jugement du 24 septembre 2012, le Tribunal de grande instance de Nîmes a:
Débouté Jean-Pierre Martin de l'ensemble de ses demandes,
Condamné M. Martin à payer la SARL Luxxa la somme de 4 738 euro au titre des dommages et intérêts dus pour non restitutions des collections,
Débouté la SARL Luxxa de ses autres chefs de demandes au titre du préjudice financier et de restitution de l'indu,
Dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire de la décision,
Condamné Jean-Pierre Martin à payer à la SARL Luxxa la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamné M. Martin à supporter les dépens, comprenant le coût de l'expertise,
Débouté les parties de toutes demandes contraires ou complémentaires.
M. Martin a relevé appel de cette décision.
Pour l'exposé du détail des prétentions et moyens des parties devant la cour, il est expressément fait référence à leurs conclusions récapitulatives déposées au greffe le:
- 29 mars 2013 pour M. Martin
- 6 février 2013 pour la SARL Luxxa.
M. Martin forme les demandes suivantes:
Condamner la société Luxxa à payer à Monsieur Martin la somme de 25 000 euro à titre d'indemnité de rupture ;
Condamner la société Luxxa à payer à Monsieur Martin la somme de 5 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive fondée sur des allégations mensongères ;
Condamner la société Luxxa à payer à Monsieur Martin la somme de 6 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamner la société Luxxa aux entiers dépens, en ceux compris les frais d'expertise judiciaire.
La SARL Luxxa conclut à la confirmation de la décision déférée, au débouté des demandes de M. Martin et forme appel incident du chef du débouté de sa demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice financier subi du fait de l'exécution fautive du contrat de mandat et sollicite condamnation de ce chef de M. Martin à lui payer la somme de 5 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile. Elle demande en outre sa condamnation aux dépens.
MOTIFS
SUR LA DEMANDE PRINCIPALE
En application des articles L. 134-12 et L. 134-13 du Code de commerce en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi mais cette réparation n'est pas due dans les cas suivants :
1°) la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial,
2°) la cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l'âge, l'infirmité ou la maladie de l'agent commercial par suite desquels la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée.
La SARL Luxxa se prévaut d'une faute grave de M. Martin caractérisée par l'inactivité sur un secteur de 26 départements dont plus de 14 n'ont jamais été visités et par des actes de concurrence déloyale. M. Martin conteste toute faute et reproche à cette société de minorer son activité d'agent commercial.
Après analyse détaillée des pièces comptables de la société Luxxa, de l'ensemble des factures remises par M. Martin et des pièces des parties, l'expert judiciaire relève dans son rapport complet et précis que:
- entre 2003 et 2005, le chiffre d'affaires de la société Luxxa a été en constante augmentation et son résultat d'exploitation a progressé de plus de 82 %,
- M. Martin s'était vu attribuer un taux de commissionnement de 20 % soit le double du taux accordé à M. et Mme Dubois, autres agents commerciaux de la même société,
- M. Martin bénéficiait d'une exclusivité sur 26 départements alors que les autres agents commerciaux avaient respectivement l'exclusivité sur 9 et 12 départements,
- le chiffre d'affaires de M. Martin pour 2004 a été de 30 946 euro et pour 2005 de 23 118 euro, les écarts avec ceux annoncés par M. Martin se réduisant à 495 euro,
- son chiffre d'affaires moyen, par département, était de 1 168 euro en 2004,
- celui de M. Dubois était à la même période de 6 262 euro et celui de Mme Dubois de 5 652euro soit 4 à 5 fois plus sur 10 départements,
- M. Martin a réalisé son chiffre d'affaires sur 12 départements uniquement.
L'expert judiciaire conclut qu'à défaut de montant minimum de chiffre d'affaires à réaliser prévu au contrat, les résultats de M. Martin étaient "largement insuffisants compte tenu de l'exclusivité du secteur attribué et du taux de commissionnement accordé".
Ces conclusions ont à juste titre été retenues par le tribunal. Le taux de commissionnement de 20 % avait en effet pour nécessaire contrepartie la réalisation par M. Martin d'un chiffre d'affaires conséquent ; or, il a réalisé la première année un chiffre d'affaires deux fois moins élevé que les autres agents commerciaux commissionnés à un taux de 10 % et comme retenu par le tribunal, il n'a pas prospecté sur l'ensemble de son secteur. Son agenda personnel sur quelques semaines, non-corroboré par les autres pièces, ne fait pas preuve de la réalité de la prospection qu'il invoque et qui est démentie par les documents analysés par l'expert judiciaire et par les résultats de M. Martin en comparaison de ceux des autres agents commerciaux de la même société pour le même période. Le chiffre réalisé en début d'année 2005 ne peut être extrapolé à l'ensemble de l'année, les ventes étant fonction des dates de sortie des collections. Contrairement aux affirmations de l'appelant, l'expert précise que le chiffre de 2005 ne correspond en réalité qu'à deux mois de l'année et ne peut permettre une évaluation sur l'année. Pour l'année 2004, le nombre de clients de M. Martin n'était que de 16 et dans plus d'une dizaine de départements de son secteur, il n'avait aucun client. L'absence de prospection sérieuse et l'insuffisance d'activité de l'agent commercial sur le secteur qui lui était attribué sont donc établies.
Le contrat de M. Martin lui laissait la possibilité de commercialiser d'autres marques non directement concurrentes. En réponse à la demande de M. Martin formulée au mois de septembre 2004, la société Luxxa lui a précisé, par courriers des 9 et 24 septembre 2004, qu'en vertu des stipulations contractuelles, il ne pouvait commercialiser les produits de la marque Assia directement concurrente, s'agissant de deux marques de produits haut de gamme sans différence notable de style ainsi que le confirme les pièces produites aux débats. Or, les pièces produites par l'appelant lui-même, établissent qu'il a pris des rendez-vous pour Assia et qu'il était en possession de collections de cette société, dont il produit les photographies. Après le refus opposé par Luxxa, M. Martin s'est donc clairement désinvesti de son activité pour celle-ci au profit d'autres sociétés.
L'ensemble de ces constatations caractérisent des agissements manifestement contraires au mandat d'intérêt commun qui constituent une faute grave à l'encontre de M. Martin. Le rejet de sa demande d'indemnité de rupture sera en conséquence confirmé.
SUR LES DEMANDES RECONVENTIONNELLES
Aux termes du contrat d'agent commercial conclu par M. Martin le 15 décembre 2003, en ses articles 6 et 9, Luxxa devait faire parvenir en fin de mois les doubles des factures acquittées du secteur de JP Martin. Après vérification de la facture d'honoraires, le règlement des commissions devait être effectué dans un délai de huit jours ; JP Martin s'engageait à prendre soin des collections et documents qui lui étaient confiés et en cas de résiliation du contrat à les restituer.
La SARL Luxxa a acquitté des commissions correspondant à des factures réglées par chèques dont certains sont ensuite revenus impayés. Le tribunal a à juste titre écarté la demande en paiement de ce chef, l'agent commercial n'étant pas tenu des erreurs de vérification du mandant qui a versé les commissions au vu des chèques reçus.
La demande de restitution des collections ou de leur valeur est fondée sur le contrat. La société Luxxa démontre avoir remis à M. Martin, qui ne le conteste pas, les articles de présentation des collections hiver 2003 et 2004, été 2004 et 2005. M. Martin ne prouve pas avoir laissé les collections sur place ni les avoir intégralement vendues au bénéfice de Luxxa. La valeur totale de ces collections mentionnée sur les documents remis avec les collections à l'agent commercial et non contredite par une quelconque pièce s'élève à 4 738,50 euro. Toutefois, M. Martin produit devant la cour les doubles des bons de commande non signés par les clients mais corroborés par les factures pro-forma, datées et numérotées, établies au nom de Luxxa à ces clients dont l'identité et l'adresse sont mentionnées, pour un montant total de 2 412,44 euro qui correspondent à des articles mentionnés sur les listes des modèles remis à M. Martin pour présentation. M. Martin doit donc, à défaut de restitution du surplus des collections non vendu, payer à la SARL Luxxa la somme de 2 326,06 euro. La condamnation à paiement prononcée de ce chef contre M. Martin sera réduite à ce montant.
Comme à juste titre retenu par le tribunal, le préjudice financier allégué par la SARL Luxxa n'est pas établi non plus que le lien de causalité avec la faute grave de M. Martin. En effet, ainsi que relevé par le jugement déféré, cette société a fait le choix de ne pas recruter d'autre agent commercial sur le secteur de M. Martin après le départ de celui-ci et a été confrontée au contexte économique de crise.
Le jugement déféré sera donc confirmé à l'exception du seul chef du montant de la condamnation à paiement de M. Martin au titre des collections non restituées.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort, Dit l'appel régulier et recevable en la forme, Confirme le jugement déféré à l'exception du seul chef du montant de la condamnation à paiement de M. Martin au titre de la non restitution des collections qui est ramené à 2 326,06 euro, Condamne l'appelant aux dépens et à payer à la société Luxxa la somme complémentaire de 1 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.