CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 11 décembre 2013, n° 12-05679
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
DL Pack (SAS)
Défendeur :
Isem Srl (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cocchiello
Conseillers :
Mmes Luc, Nicoletis
Avocats :
Mes Fertier, Araiz, Fisselier, Lepek
Par acte sous seing privé en date du 29 octobre 2002, la société de droit italien Isem, spécialisée dans la fabrication d'emballage et plus spécifiquement de boîtes en carton monté, a confié à la société DL Pack, spécialisée dans le négoce de produits d'emballage adaptés aux produits de luxe notamment dans les secteurs de la parfumerie et de la cosmétique, la distribution exclusive, sur le territoire de la France métropolitaine, de l'ensemble de la gamme de produits d'emballage qu'elle fabrique.
Le contrat, conclu pour une durée de 2 ans, expirait le 3 novembre 2004 et prévoyait une tacite reconduction pour une nouvelle période de deux ans, sauf dénonciation notifiée trois mois avant le terme. Le contrat prévoyait également l'application du droit français et donnait compétence juridictionnelle au Tribunal de commerce de Pontoise.
Par contrat du 8 janvier 2003, la société DL Pack a engagé M. Franck Tacquin, en qualité de commercial, activité carton.
Par acte sous seing privé du 15 décembre 2003, les sociétés, DL Pack et Isem ont signé un contrat de prestations de services pour une durée de sept mois à compter du 1er janvier 2004, par lequel la société Isem confiait en exclusivité à la société DL Pack "la mise en place d'une assistance technique pour l'amélioration de la qualité et la production, dans le secteur de la parfumerie et la cosmétique". Ce contrat devait être exécuté par M. Patrick Lavarra.
Par courrier en date du 16 janvier 2006, la société Isem a résilié le contrat de distribution exclusive signé le 29 octobre 2002 à son terme, soit le 3 novembre 2006.
Le 1er février 2006 était créée la société ST Pack France, filiale de la société ST Pack Italie, dont la société Isem est l'un des associés minoritaires.
Lors d'une réunion du 14 juin 2006 les sociétés Isem, ST Pack France et DL Pack ont arrêté une liste portant répartition des clients entre ST Pack France et DL Pack.
Les relations d'affaires se sont poursuivies entre les sociétés Isem et DL Pack. Durant l'été 2008 des négociations se sont engagées en vue du rachat de la société DL Pack par la société Isem.
Par courrier du 8 décembre 2008, M. Daniel Ladislas, directeur général et associé unique de la société DL Pack, a fait connaître qu'il ne pouvait accepter les conditions qui lui étaient finalement proposées et a demandé de "revenir au point de départ de nos discussions".
Par courrier du 16 décembre 2008, la société Isem a refusé de modifier le projet de compromis de cessions d'actions.
Par courrier du 17 décembre 2008, la société Isem a rompu toutes relations commerciales avec la société DL Pack.
Par acte du 5 mars 2010, la société DL Pack a saisi le Tribunal de commerce de Pontoise d'une demande tendant à la condamnation de la société Isem au paiement de dommages et intérêts pour violation de l'obligation d'exclusivité et de la clause de non-concurrence prévues au contrat de distribution du 29 octobre 2002, de la brusque rupture des relations commerciales et du non-respect du préavis, de la concurrence déloyale et de la mauvaise foi de la société Isem.
Par jugement du 9 novembre 2010, le Tribunal de commerce a débouté la société DL Pack de toutes ses demandes.
La société DL Pack a interjeté appel devant la Cour d'appel de Versailles.
Par arrêt du 20 mars 2012, la Cour d'appel de Versailles s'est déclarée incompétente par application des dispositions de l'article D. 442-3 du Code de commerce et a renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'appel de Paris.
Vu les dernières conclusions, signifiées le 30 novembre 2012, par lesquelles la société DL Pack demande à la cour :
- d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
- de condamner la société Isem à lui payer la somme de 1 417 000 euro à titre de dommages et intérêts, tous postes de préjudice confondus,
- de débouter la société Isem de toutes ses prétentions,
- de la condamner à lui payer la somme de 20 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- de la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont le recouvrement sera effectué conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions, notifiées et déposées le 18 février 2013, par lesquelles la société Isem demande à la cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement
- conséquemment, juger la société DL Pack mal fondée en ses demandes,
- l'en débouter,
- condamner la société DL Pack à lui payer, la somme de 15 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société DL Pack aux entiers dépens de première instance et d'appel et accorder le droit prévu à l'article 699 du Code de procédure civile.
Cela étant exposé : LA COUR
I - Sur la violation de la clause d'exclusivité :
Considérant que la société DL Pack soutient que la société Isem, qui devait respecter jusqu'au 3 novembre 2006 la clause d'exclusivité prévue au contrat de distribution signé le 29 octobre 2002, a violé cette clause en créant le 1er février 2006 la société ST Pack France ; que le chiffre d'affaires réalisé par cette dernière pour la seule année 2006 est de 363 000 euro ce qui constitue un préjudice de 75 000 euro pour l'appelante, compte tenu d'un taux de marge de 20,43 % ;
Considérant que le contrat de distribution exclusive prévoyait en son article 1er "Article 1 - Droit de distribution (...)
En conséquence de l'exclusivité territoriale accordée au Distributeur, le Fournisseur s'interdit d'ouvrir un bureau commercial à son nom et d'installer sur le territoire mentionné à l'article 4 (France métropolitaine) un autre Distributeur ou revendeur des produits et services susvisés. Il s'engage à approvisionner le Distributeur de façon exclusive sur cette zone.
Le Fournisseur s'engage à ne pas vendre ou livrer ses produits à d'autres commerçants établis sur le territoire visé à l'article 4 et dont les commandes lui seraient parvenues directement. En ce cas, il transmettra ces commandes pour exécution au Distributeur."
Considérant que le tribunal a exactement retenu que la création de la société ST Pack France, dont le capital était détenu à 100 %, par la société de droit italien ST Pack Italie, dont la société Isem ne détenait que 10 % du capital, ne contrevenait pas à la clause d'exclusivité dès lors que la société ST Pack France, avait fonctionné, pendant la période couverte par la clause d'exclusivité, en qualité de fournisseur de la société DL Pack, laquelle avait confirmé son accord pour répartir la clientèle entre elle et la société Isem dès le début de l'année 2006, en lui accordant expressément des dérogations à la clause d'exclusivité, puis de même avec la société ST Pack à compter du mois de juin 2006 ; que l'appelante ne rapporte pas la preuve que durant la période couverte par la clause d'exclusivité et la clause de non-concurrence la société Isem ou la société ST Pack France aient démarché ses clients ; que le jugement sera confirmé de ce chef ;
II - Sur la violation de la clause de non-concurrence :
Considérant que la société DL Pack expose que le contrat de distribution exclusive prévoyait en ses articles 13.3 et 13.4 une clause de non-concurrence d'une durée de deux années à partir de la cessation de toute relation et ce, réciproquement, l'une sur le territoire français, pour la société Isem, et l'autre sur le territoire italien, pour la société DL Pack ; que la société Isem ayant mis fin au contrat avec effet au 3 novembre 2006, elle était tenue par la clause de non-concurrence jusqu'au 3 novembre 2008 et ce, que ce soit directement ou indirectement par l'intermédiaire de la société ST Pack dont elle était actionnaire ; que dès lors qu'il est établi que la société ST Pack a réalisé en France un chiffre d'affaires de 450 000 euro en 2007 et 550 000 euro en 2008 en commercialisant des produits pour le compte de la société Isem, cette dernière a violé son obligation de non-concurrence et privé la société DL Pack de la réalisation de ce même chiffre d'affaires ;
Considérant que le tribunal a exactement retenu qu'il résulte des correspondances entre les parties versées aux débats que la société DL Pack a donné son accord dès le 27 février 2006 pour que la société Isem puisse "travailler sur le marché du champagne, vins, liqueur, chocolat, art de la table", puis par courriels des 11 et 20 avril 2006 pour étendre cet accord à des grands comptes de la parfumerie, sur le marché français, pour la totalité des produits du catalogue Isem ; que de même un accord est intervenu au mois de juin 2006 avec la société ST Pack ; que le jugement sera confirmé de ce chef ;
III - Sur la brusque rupture :
Considérant que la société DL Pack expose que s'il n'est pas contesté que la société Isem a respecté les modalités convenues pour la dénonciation du contrat de distribution exclusive, toutefois les relations commerciales se sont poursuivies durant deux années après le terme du contrat, dans le cadre d'un "contrat moral" ;
Considérant qu'il est constant que les relations d'affaires existant entre les parties depuis la signature du contrat du 29 octobre 2002 se sont poursuivies après le terme de ce contrat, le 3 novembre 2006, jusqu'à la rupture qui est intervenue à l'initiative de la société Isem, par lettre du 17 décembre 2008 ;
que ce courrier de rupture, qui fait immédiatement suite à la demande de M. Ladislas de reprendre à leurs débuts les négociations de cession de parts, ne prévoit aucun préavis et précise que plus aucune commande ne sera exécutée, seules les commandes déjà en cours étant acceptées ; que cette rupture sans préavis de relations commerciales établies depuis six années, même s'il ne s'agit plus d'une relation entre un fournisseur et son distributeur exclusif, mais d'une simple relation entre un fournisseur et un client, est une rupture brutale qui, en application des dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, ouvre droit à réparation pour la société DL Pack ; que le jugement sera réformé de ce chef ;
Considérant que, eu égard à la durée et à l'importance des relations commerciales existant entre les deux sociétés, il convient de fixer à six mois la durée du préavis raisonnable ; que la société, DL Pack soutient que la rupture brutale lui a causé un préjudice d'un montant de 530 500 euro tenant à la perte d'activité résultant de la rupture de fournitures, ainsi qu'un préjudice lié au débauchage de M. Taquin et au licenciement de trois salariés, qui a représenté un coût de 52 450 euro ;
Considérant que l'appelante justifie, notamment par la production de deux attestations de son expert-comptable, que le courant d'affaires avec la société Isem représentait les sommes de :
* 2 565 500 euro sur 9 374 429 euro, soit plus de 27 % pour l'exercice 2006-2007,
* 3 689 735 euro sur 6 285 672 euro, soit presque 59 % pour l'exercice 2007-2008,
* 1 462 761 euro entre le 1er juillet et le 16 décembre 2008 sur les 2 837 445 euro entre le 1er juillet 2008 et le 30 juin 2009, soit plus de 51 % sur à peine la moitié de l'exercice 2008-2009 ; que le chiffre d'affaires annuel moyen réalisé sur ces exercices grâce à la revente des produits de la société Isem s'élève à la somme de 2 652 345 euro; que le taux de marge moyen sur les trois derniers exercices était de 20,43 % ;
Considérant que le tribunal a justement retenu que si le licenciement des salariés de la société DL Pack est intervenu en février et juin 2009, il n'est pas démontré que ces licenciements ont pour cause la cessation des relations commerciales existant avec la société Isem, alors que la société DL Pack pouvait travailler avec d'autres fournisseurs ;
Considérant que postérieurement à la rupture des relations commerciales, le 17 décembre 2008, la société Isem a continué à exécuter les commandes en cours ; qu'il y a lieu de fixer à 100 000 euro le montant des dommages-intérêts dus par la société Isem à la société DL Pack ;
IV - Sur la concurrence déloyale et la mauvaise foi :
Considérant que la société DL Pack soutient que depuis la fin de la première période contractuelle de deux ans, la société Isem avait pour objectif de capter de façon insidieuse sa clientèle et son savoir-faire ; qu'ainsi au lieu de renouveler le contrat d'assistance technique, la société Isem a confié une mission identique directement à M. Lavarra, qui avait été choisi par la société DL Pack pour exécuter le contrat d'assistance technique, avant de le faire embaucher par la société ST Pack France ; que la société Isem n'a eu de cesse de développer l'activité de la société ST Pack au détriment de la société DL Pack en lui faisant miroiter une "collaboration" à long terme pour lui imposer des exceptions de plus en plus larges à ses obligations d'exclusivité et de non-concurrence ;
que, après l'échec des négociations de rachat de la société DL Pack par la société Isem, celle-ci a souhaité éliminer la concurrente de sa filiale et profiter des compétences de M. Tacquin qu'elle avait déjà tenter d'imposer comme associé à la société DL Pack au cours de l'été 2008, avec lequel ses projets étaient arrêtés de longue date, nonobstant sa qualité de salarié de la société DL Pack ;
que les négociations ont été menées de mauvaise foi par la société Isem ;
Considérant que la société Isem n'est devenue actionnaire de la société ST Pack qu'au mois de mars 2009 ; que le contrat de distribution sélective a pris fin le 3 novembre 2006 ; que dès l'année 2006 des relations commerciales se sont nouées avec la société ST Pack et un partage des clients s'est opéré d'un commun accord entre les sociétés DL Pack, ST Pack et Isem ; qu'aucun détournement de clientèle ou de salarié n'est démontré par la société DL Pack ;
Considérant que si l'évolution des relations commerciales entre la société Isem et DL Pack a permis à la société Isem de vendre ses produits en France, puis de proposer le rachat des actions de la société DL Pack, aucun acte de concurrence déloyale n'est établi à l'encontre de la société intimée ; que les négociations de cession de parts sociales ont été menées durant plus de cinq mois avec les avocats des parties ; que les projets de compromis de cession d'actions et les courriers qui y sont relatifs produits aux débats ne font apparaître aucune mauvaise foi de la part de la société Isem ; que la société DL Pack sera déboutée de ses demandes de ces chefs ;
Par ces motifs : Infirme le jugement ; et statuant de nouveau : Dit que la société Isem Srl a rompu brutalement, sans préavis écrit, la relation commerciale établie avec la SAS DL Pack ; Condamne la société Isem Srl à verser à la SAS DL Pack la somme de 100 000 euro à titre de dommages-intérêts ; Condamne la société Isem Srl à verser à la SAS DL Pack la somme de 5 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute les parties de leurs autres demandes ; Condamne la société Isem Srl aux dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.