CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 12 décembre 2013, n° 12-09164
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Northern Linen BV (Sté)
Défendeur :
Manilon (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mme Michel-Amsellem, M. Douvreleur
Avocats :
Mes Fisselier, Teytaud, Bloch
FAITS ET PROCÉDURE
La société Northern Linen (ci-après, société NL) est une société de droit néerlandais, spécialiste de l'import-export de lin. La société Manilon est spécialisée dans la vente de tissus, et notamment de lin.
De 2003 à juin 2008, la société Manilon a travaillé comme agent commercial de la société NL pour le nord de la France et la région parisienne. Il s'agissait d'une relation informelle, sans contrat écrit, et non exclusive.
A partir de décembre 2007, la société NL a refusé de payer les commissions de la société Manilon.
Le 11 décembre 2007, la société Manilon écrivait à la société NL, par lettre recommandée avec accusé de réception, pour lui indiquer qu'elle prenait acte de la rupture du fait de cette dernière et lui en laissait l'entière responsabilité.
Saisi par la société Manilon, le Tribunal de commerce de Paris a, par jugement du 13 octobre 2009, condamné la société NL à lui payer la somme de 9 350,49 euro au titre des commissions impayées.
Les 15 octobre et 9 novembre 2009, puis le 11 mars 2010, la société Manilon a mis la société NL en demeure de lui payer la somme de 36 841,36 euro à titre d'indemnité de rupture, correspondant à deux années de commissions.
La société NL ne lui ayant pas réglé cette somme, la société Manilon faisait assigner cette dernière devant le Tribunal de commerce de Paris.
Par jugement en date du 8 février 2012, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Paris a :
- dit la demande de la société Manilon recevable et bien fondée,
En conséquence,
- condamné la société NL à payer à la société Manilon la somme de 36 707,44 euro TTC à titre d'indemnité compensatrice au sens de l'article L. 134-12 du Code de commerce, avec intérêts au taux légal à compter du 15 octobre 2009,
- débouté la société NL de ses demandes reconventionnelles,
- débouté la société Manilon de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive,
- condamné la société NL à payer à la société Manilon la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, la déboutant pour le surplus,
- condamné la société NL aux dépens.
Vu l'appel interjeté par la société NL le 18 mai 2012 contre cette décision.
Vu les dernières conclusions signifiées le 14 août 2012 par la société NL, par lesquelles il est demandé à la cour :
"d'anéantir le jugement du Tribunal de commerce daté du 16 novembre 2009 et, statuant à nouveau, de rejeter les demandes de Manilon, également la demande reconventionnelle en appel, à tout le moins de la déclarer irrecevable en la matière et de condamner Manilon aux frais et dépens de la procédure en premier ressort et aux frais de dépens et d'appel".
La société NL reproche au tribunal d'avoir admis à tort que la cessation du contrat était justifiée par des circonstances qui lui étaient imputables, de telle sorte que l'activité de la société Manilon ne pouvait plus être raisonnablement poursuivie.
Elle reproche également au tribunal d'avoir jugé que la société Manilon n'avait commis aucune faute contractuelle et qu'elle avait exécuté son mandat d'agent commercial en bon professionnel.
Elle insiste sur l'obligation de loyauté et sur le devoir réciproque d'information existant entre l'agent commercial et son mandant, et expose que la société Manilon a commis une faute contractuelle en ne réalisant pas l'objectif défini en termes de volumes d'affaires et en ne satisfaisant pas aux obligations qui lui incombaient puisqu'elle n'a plus rien entrepris après juillet 2007.
Elle fait enfin valoir que la réparation prévue à l'article L. 134-12 ne saurait être due, dans la mesure où la cessation du contrat a été provoquée par la société Manilon elle-même.
Vu les dernières conclusions signifiées le 22 octobre 2012 par la société Manilon, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- débouter la société NL de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de Manilon,
- confirmer en sa totalité le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris en date du 8 février 2012,
- condamner la société NL au paiement d'une somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société NL au paiement des entiers dépens de première instance et d'appel.
La société Manilon affirme, en premier lieu, que les conditions d'application de l'article L. 134-12 du Code de commerce, aux termes duquel en cas de cessation de ses relations avec le mandant l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi, sont réunies. Elle expose ensuite que sa créance, d'un montant de 36 707,44 euro, au titre de l'indemnité de rupture du contrat d'agent commercial, est parfaitement fondée, comme cela ressort des pièces versées aux débats.
Elle soutient que l'obligation légale pour la société NL de lui verser cette indemnité constitue une "obligation de résultat fixée par le Code de commerce", que la jurisprudence et les usages professionnels sont clairs et constants et que la société Manilon a parfaitement justifié de ses commissions et fait preuve d'une parfaite bonne foi.
Elle invoque par ailleurs le caractère artificiel et de mauvaise foi des contestations de l'appelante et de son refus de payer le montant dû au titre de l'indemnité de rupture. Elle insiste sur le fait que les allégations de la société NL aux termes desquelles elle aurait "mis un terme à la relation contractuelle avec NL" et "commis des fautes contractuelles" sont fausses et ne sont justifiées par aucune preuve.
Sur la prise d'initiative de la rupture, la concluante expose que sa contradictrice feint de ne pas comprendre les conséquences de son comportement déloyal, et que cette dernière avait entrepris de récupérer son portefeuille de clients pour continuer à vendre ses tissus directement aux clients et économiser ainsi la commission d'agent.
Elle affirme également qu'il ressort des différents courriers produits que la société NL l'avait mise dans l'impossibilité de continuer sa mission d'agent commercial, rompant ainsi de facto leur relation contractuelle, et que par son courrier du 11 décembre 2007, elle n'a fait qu'en prendre acte et notifier également une demande d'indemnisation à la société NL.
L'intimée expose enfin ne pas avoir manqué à ses obligation contractuelles.
LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS
Considérant qu'il n'est pas contesté que la société Manilon a travaillé comme agent commercial de la société NL à compter de 2003, sans qu'aucun contrat formel ne définisse les droits et obligations des parties.
Qu'il est constant également que cette relation a pris fin le 11 juin 2008, après que la société Manilon a écrit à la société NL, par lettre recommandée avec accusé de réception du 11 décembre 2007, que "Nous sommes donc contraints de prendre acte de cette rupture de votre fait. Par correction, nous restons à votre service pendant un préavis de six mois afin de pouvoir terminer les affaires courantes".
Sur l'imputabilité de la rupture
Considérant qu'aux termes de l'article L. 134-12 du Code de commerce, l'agent commercial a droit à une indemnité en réparation du préjudice subi en cas de cessation de ses relations commerciales avec le mandant.
Qu'aux termes de l'article L. 134-13 du même code, cette réparation n'est pas due lorsque la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial, ou lorsqu'elle résulte de l'initiative de l'agent, à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant par suite desquels la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée ;
Qu'en l'espèce, comme l'a justement considéré le tribunal, si la rupture est intervenue à l'initiative de la société Manilon, celle-ci opposait à la société NL différents griefs tenant aux retards et aux problèmes de qualité de ses livraisons, à l'introduction par elle d'un nouvel agent chez Zyga, M. Kamal de la société KD Style, à la réitération de cette pratique avec d'autres clients, et au défaut d'envoi des échantillons indispensables à sa prospection commerciale.
Que la société Manilon reprochait également à la société NL d'avoir entrepris de récupérer son portefeuille de clients pour continuer à vendre ses tissus directement aux clients, et économiser ainsi la commission d'agent.
Qu'il ressort des courriels versés aux débats par la société Manilon que cette dernière imputait à la société NL des problèmes de livraison, l'informant que "la plupart des livraisons de NL ont été livrées avec des problèmes de qualité et de retards" ; que "le client Zyga a rencontré de grands problèmes de livraison" ; qu'elle reprochait également à la société NL de ne pas avoir satisfait à ses obligations à l'égard du client Ufuk, en n'envoyant pas à celui-ci "les coupes de types dans les couleurs demandées" à plusieurs reprises ;
Considérant que la société NL reproche à la société Manilon de n'avoir mis fin aux relations commerciales qu'en vue d'obtenir une indemnisation, de ne pas avoir exécuté son mandat d'agent commercial en bon professionnel, d'avoir mal exécuté ses obligations contractuelles en n'atteignant pas "l'objectif défini en termes de volumes d'affaires", d'avoir manqué à son obligation de loyauté et au devoir réciproque d'information existant entre l'agent commercial et son mandant, et d'avoir refusé de se rendre au salon Texworld 2007 à Paris.
Mais considérant que la société NL ne satisfait pas à la charge de la preuve qui lui incombe, qu'elle ne démontre pas qu'au lieu de se rendre à son stand lors du salon Texworld de 2007, la société Manilon aurait "donné la préférence au stand d'EFT, un concurrent de NL" ;
Considérant que le grief de la société NL selon lequel la société Manilon "n'a plus donné signe de vie" après juillet 2007 est contredit par les courriels versés par la société Manilon en date des 25 septembre 2007, 5 et 8 octobre 2007, 15 octobre 2007 et 22 octobre 2007 (pièces société Manilon n°28, 29-1, 29-2, 31 et 32) ;
Et considérant que le grief de la société NL au terme duquel la société Manilon "n'a traité aucune commande après juillet 2007" est contredit par les commandes et relances passées par l'intermédiaire de la société Manilon pour ses clients Ufuk et Fathers & Sons en septembre, octobre et novembre 2007 (pièces Manilon 40 à 43).
Considérant en outre que la société NL ne rapporte pas la preuve qu'un objectif en termes de volume d'affaires aurait été défini entre les parties et qu'en tout état de cause la baisse du chiffre d'affaires de l'agent commercial ne constitue pas ipso facto une circonstance supprimant le droit à indemnité.
Considérant par ailleurs que la société NL ne rapporte pas la preuve de ce que la rédaction par la société Manilon de la lettre de rupture du contrat du 11 décembre 2007 en français serait constitutif d'une "faute contractuelle très grave", alors qu'aucun écrit n'a été conclu entre les parties, et que la société NL ne rapporte pas la preuve d'un accord de ces dernières sur l'utilisation de la langue anglaise à l'exclusion de toute autre langue.
Considérant que la société Manilon verse aux débats un courrier rédigé par M. Benayoun (société Tryptik) aux termes duquel ce dernier reproche à la société NL de l'avoir livré avec trois semaines de retard, et insiste avoir "rarement rencontré une société autant irresponsable et avec un manque de professionnalisme que NL"; qu'elle verse un autre courrier, de la société Fortuna, au terme duquel cette dernière l'informait n'avoir "jamais reçu l'échantillon conforme" à sa commande et avoir été "obligée (de) commander chez un autre fournisseur" ; qu'il ressort de ces courriers qu'il existait des dysfonctionnements imputables à la société NL.
Considérant que ces éléments établissent que la cessation du contrat était justifiée par des circonstances imputables à la société NL par suite desquelles la poursuite de l'activité de la société Manilon ne pouvait plus être raisonnablement exigée ; qu'en conséquence, la cour dira la société Manilon bien fondée en ses demandes.
Sur le montant de l'indemnité compensatrice
Considérant que la société Manilon était rémunérée par une commission sur les ventes qu'elle effectuait pour le compte de la société NL en tant qu'agent commercial.
Considérant que les circonstances de la rupture justifient que l'indemnité compensatrice soit calculée en référence aux commissions versées durant les deux dernières années entières ;
Considérant qu'en l'espèce, la relation existant entre les parties a pris fin le 11 juin 2008, après expiration du préavis de six mois suite à la rupture du 11 décembre 2007 ; qu'il convient donc de calculer l'indemnité compensatrice en référence aux commissions versées durant les années 2006 et 2007 ;
Considérant qu'il ressort des pièces versées aux débats que la société NL a versé à la société Manilon des commissions pour un montant total de 5 516 euro au titre de l'année 2006, et 21 840,95 euro au titre de l'année 2007; que le Tribunal de commerce de Paris, par jugement rendu le 13 octobre 2007, a condamné la société NL à payer à la société Manilon la somme de 9 350,49 euro au titre de la facture du 2 mai 2008 référencée M-2008 11 pour un montant de 3 195,41 euro et aux sommes de 3 961,63 euro et 3 636,25 dollars au titre de la facture du 4 juin 2008 référencée M-2008 16, soit un montant total de 36 707,44 euro, qui n'est pas contesté par la société NL ;
Considérant qu'il convient donc de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société NL à payer à la société Manilon la somme de 36 707,44 euro TTC à titre d'indemnité compensatrice au sens de l'article L. 134-12 du Code de commerce, avec intérêts au taux légal à compter du 15 octobre 2009, date de première mise en demeure.
Sur les frais irrépétibles
Considérant que l'équité commande d'allouer à la société Manilon la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort: Confirme le juge déféré en toutes ses dispositions, Rejette toute autre demande plus ample ou contraire des parties, Condamne la société Northern Linen à payer la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne la société Northern Linen au paiement des dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.