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Décisions

CA Amiens, 1re ch. civ., 5 décembre 2013, n° 11-02234

AMIENS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Lesire et Roger (SA)

Défendeur :

Fouan (GAEC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boiffin

Conseillers :

Mmes Piet, Lorphelin

Avocats :

Mes Tetelin-Marquet, Dumoulin, Fourgoux, Le Roy, Mathieu

TGI Laon, du 12 avr. 2011

12 avril 2011

Le Gaec Fouan livrait sa production laitière à la société Lesire et Roger, industriel spécialisé dans la fabrication de fromages.

Faisant valoir que cette société avait, "de façon unilatérale et sans préavis", réglé le lait qu'il lui avait livré pour les mois de février et mars 2008 à un prix très inférieur à celui qui était auparavant pratiqué par référence aux recommandations de la Fédération Nationale des Producteurs de Lait et, "en tous cas, très inférieur à l'environnement économique", le Gaec Fouan l'a assignée le 11 juin 2009 devant le Tribunal de grande instance de Laon afin d'obtenir sa condamnation à lui payer la somme de 10 214,29 euro qu'il estimait lui rester due au titre de ces livraisons, outre celle de 15 000 euro à titre de dommages-intérêts.

Par jugement contradictoire en date du 12 avril 2011, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de grande instance de Laon a :

- écarté des débats les pièces et notes produites en cours de délibéré par la société Lesire et Roger,

- condamné la société Lesire et Roger à payer au Gaec Fouan la somme de 10 214,29 euro et celle de 1 500 euro à titre de dommages-intérêts,

- débouté la société Lesire et Roger de sa demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile et l'a condamnée aux dépens ainsi qu'à verser au Gaec Fouan la somme de 800 euro en application de ce même article.

Vu l'appel de ce jugement formé par la société Lesire et Roger et ses dernières conclusions signifiées le 8 février 2012 par lesquelles elle demande à la cour d'annuler le jugement entrepris ou, subsidiairement, de l'infirmer, de dire que la demande du Gaec Fouan "vise à obtenir l'exécution forcée des recommandations tarifaires professionnelles, contraires aux articles L. 420-1 du Code de commerce et 101 du TFUE", de débouter celui-ci de ses prétentions et de le condamner aux dépens ainsi qu'à lui verser la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

Vu les dernières conclusions signifiées le 30 mars 2012 par lesquelles le Gaec Fouan, intimé, demande à la cour de confirmer la décision déférée sauf à condamner la société Lesire et Roger à lui verser la somme de 15 000 euro à titre de dommages-intérêts et celle de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,

MOTIFS DE LA DÉCISION

- Sur la révocation de l'ordonnance de clôture rendue le 7 novembre 2012 :

Considérant que par des conclusions signifiées le 12 septembre 2013, la société Lesire et Roger a sollicité la révocation de l'ordonnance de clôture rendue le 7 novembre 2012 afin de pouvoir produire deux nouvelles pièces, n° 23 et 24, constituées d'une lettre adressée le 24 mai 2013 par la Direction Générale de la Consommation, Concurrence et Répression des Fraudes au Tribunal d'instance de Laon et d'un jugement rendu par cette juridiction le 15 juillet 2013 ;

Mais considérant que la société Lesire et Roger n'établit pas en quoi ces lettre et décision constituent une cause grave de nature à justifier la révocation de la clôture intervenue le 7 novembre 2012, révocation à laquelle s'oppose le Gaec Fouan ;

Qu'il n'y a donc lieu d'ordonner cette révocation ; que les pièces n° 23 et 24 de la société Lesire et Roger, de même que ses "conclusions récapitulatives et en réponse" signifiées le 12 septembre 2013 doivent en conséquence être écartées des débats et déclarées irrecevables ;

- Sur la nullité du jugement entrepris :

Considérant que pour solliciter le prononcé de la nullité du jugement entrepris, la société Lesire et Roger fait valoir que pour s'opposer à la demande de paiement formée à son encontre par le Gaec Fouan, elle a soutenu devant le premier juge que les recommandations de prix diffusées par les fédérations professionnelles laitières sur lesquelles sont fondées cette demande, caractérisaient des accords de prix et des pratiques anticoncurrentielles prohibées par les articles L. 420-1 du Code de commerce et 101 § 1 du TFUE et que le Tribunal de grande instance de Laon ne pouvait se prononcer sur ce moyen de défense qui, conformément à l'article L. 420-7 du Code de commerce, relève de la compétence exclusive de la juridiction spécialisée prévue par cet article ;

Considérant que le Gaec Fouan réplique que par une ordonnance en date du 20 mai 2010, le juge de la mise en état du Tribunal de grande instance de Laon a déjà rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société Lesire et Roger sur ce fondement et que cette décision qui n'a pas été contestée par cette société, étant définitive et revêtue de l'autorité de la chose jugée, l'appelante n'est plus recevable ni fondée en sa demande de nullité du jugement entrepris ;

Mais considérant que par son ordonnance d'incident du 20 mai 2010, le juge de la mise en état du Tribunal de grande instance de Laon n'a pas statué sur la compétence de ce tribunal pour connaître du litige opposant les parties mais a seulement déclaré irrecevable l'exception soulevée par la société Lesire et Roger à défaut pour celle-ci de l'en avoir valablement saisie ;

Considérant que cette décision d'irrecevabilité n'interdit pas à la société Lesire et Roger de soulever devant la cour d'appel son moyen fondé sur l'article L. 420-7 du Code de commerce, alors, en outre, qu'est ici en cause une question non pas de compétence mais de défaut de pouvoir juridictionnel ;

Considérant, de plus, que, contrairement à ce que soutient le Gaec Fouan, la décision rendue le 20 mai 2010 par le juge de la mise en état qui n'a pas mis fin à l'instance, n'a pas, au principal, autorité de la chose jugée ;

Considérant qu'il ressort sans conteste des énonciations du jugement rendu le 12 avril 2011 par le Tribunal de grande instance de Laon que la société Lesire et Roger a invoqué en défense les dispositions des articles L. 420-1 du Code de commerce et 101 du TFUE ;

Que conformément à celles de l'article L. 420-7 du Code de commerce, seules les juridictions déterminées par les articles R. 420-3 à R. 420-5 du même Code sont investies du pouvoir de statuer sur l'application de ces articles et leur éventuelle inobservation ;

Qu'il s'ensuit qu'en s'étant prononcé, pour l'écarter comme non fondé, sur le moyen de défense de la société Lesire et Roger tiré de la violation des articles L. 420-1 et 101 du TFUE, le premier juge a méconnu l'étendue de ses pouvoirs juridictionnels, ainsi que le fait valoir cette société ;

Que le jugement entrepris doit ainsi être annulé ;

Que ne peut davantage s'opérer la dévolution du litige à la cour d'appel de ce siège qui n'est pas la juridiction d'appel des tribunaux spécialisés en cette matière et n'est pas plus investie du pouvoir de statuer sur l'application des articles précités ;

Que la solution du litige commande de condamner le Gaec Fouan aux dépens de première instance et d'appel ;

Qu'il n'y a lieu à allocation d'une somme par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs : Statuant contradictoirement et en dernier ressort : - dit n'y avoir lieu à révocation de l'ordonnance de clôture rendue le 7 novembre 2012 ; - en conséquence, écarte des débats les pièces n° 23 et 24 de la société Lesire et Roger et déclare irrecevables ses conclusions signifiées le 12 septembre 2013 ; - annule le jugement rendu le 12 avril 2011 par le Tribunal de grande instance de Laon ; - dit n'y avoir lieu à dévolution du litige à la cour d'appel de ce siège ; - condamne le Gaec Fouan aux dépens de première instance et d'appel ; - dit n'y avoir lieu à allocation d'une somme par application de l'article 700 du Code de procédure civile.