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Décisions

Cass. com., 10 décembre 2013, n° 11-19.872

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Lancôme parfums et beauté et compagnie (SNC), GA Modefine (SA), Prestige et collections international (SNC)

Défendeur :

Farque

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Espel

Rapporteur :

Mme Le Bras

Avocat général :

Me Le Mesle

Avocats :

SCP Hémery, Thomas-Raquin, SCP Baraduc, Duhamel

Cass. com. n° 11-19.872

10 décembre 2013

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Farque a été cité par le ministère public devant le tribunal correctionnel pour répondre de faits de détention sans motif légitime, le 1er mai 2006, lors d'une braderie, de flacons de parfums revêtus d'une marque contrefaite et relaxé le 12 mars 2007 au bénéfice du doute ; qu'entre temps, les sociétés Lancôme parfums et beauté et compagnie (la société Lancôme), la société GA Modefine et la société Prestige et collection international, faisant valoir que les produits saisis constituaient des contrefaçons de leurs marques et de leurs droits d'auteur et que M. Farque avait commis des actes de concurrence déloyale, ont assigné ce dernier en paiement de dommages-intérêts ;

Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche, après avis de la première chambre civile : - Attendu que les sociétés Lancôme, GA Modefine et Prestige et collection international font grief à l'arrêt de rejeter leur demande fondée sur la contrefaçon de droits d'auteur, alors, selon le moyen, que l'article L. 112-1 du Code de la propriété intellectuelle protège "toutes les œuvres de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination" ; que la fragrance d'un parfum est ainsi susceptible de constituer une œuvre de l'esprit protégeable au titre du Livre I du Code de la propriété intellectuelle dès lors que, révélant l'apport créatif de son auteur, il est original ; qu'en retenant de façon générale et abstraite que la fragrance d'un parfum procèderait de la mise en œuvre d'un savoir-faire et ne constituerait pas la création d'une forme d'expression pouvant bénéficier de la protection des œuvres de l'esprit par le droit d'auteur, la cour d'appel, qui, sans même s'interroger sur l'originalité du parfum Trésor en litige, a ainsi refusé, par principe, toute protection au titre des droits d'auteur à la fragrance d'un parfum, a violé ensemble les articles L. 112-1 et L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu que le droit d'auteur ne protège les créations dans leur forme sensible, qu'autant que celle-ci est identifiable avec une précision suffisante pour permettre sa communication ; que la fragrance d'un parfum, qui, hors son procédé d'élaboration, lequel n'est pas lui-même une œuvre de l'esprit, ne revêt pas une forme présentant cette caractéristique, ne peut dès lors bénéficier de la protection par le droit d'auteur ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le moyen unique, pris en sa première branche : - Vu le principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, ensemble l'article L. 716-10 du Code de la propriété intellectuelle ; - Attendu que, pour rejeter les demandes, l'arrêt retient que même si les sociétés imputent à M. Farque des actes de commercialisation de produits revêtus de signes imitant leurs marques, il n'en demeure pas moins que la détention de tels produits constitue la base commune nécessaire à l'aboutissement favorable, tant de l'action publique que de l'action civile en contrefaçon de marques et que si la décision du tribunal de grande instance de relaxer M. Farque au bénéfice du doute n'est pas autrement motivée, elle s'impose au juge civil quant à l'absence d'actes de contrefaçon ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que sont susceptibles d'être qualifiés de contrefaçon tant la détention que la commercialisation de marchandises présentées sous une marque contrefaisante, ce dont il résulte que la décision de relaxe du prévenu poursuivi du seul chef de détention de telles marchandises ne s'impose pas au juge saisi, au civil, d'une demande fondée sur la commercialisation de celles-ci, la cour d'appel a violé les principe et texte susvisés ;

Et sur le moyen unique, pris en sa troisième branche : - Vu l'article 1382 du Code civil ; - Attendu que pour rejeter les demandes en dommages-intérêts pour concurrence déloyale, l'arrêt retient que ni les sociétés intimés dans leurs écritures, ni le tribunal dans son jugement, n'ont caractérisé des actes de concurrence déloyale distincts des actes de contrefaçon dénoncés ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que l'action en concurrence déloyale peut être fondée sur les mêmes faits que ceux allégués au soutien d'une action en contrefaçon de marque rejetée pour défaut d'atteinte à un droit privatif, dès lors qu'il est justifié d'un comportement fautif, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief : Casse et annule, sauf en ce qu'il déboute les sociétés Lancôme, GA Modefine et Prestige collection international de leur demande de protection de la fragance d'un parfum fondée sur les dispositions de l'article L. 335-3 du Code la propriété intellectuelle, l'arrêt rendu le 21 avril 2011, entre les parties, par la Cour d'appel de Nancy ; Remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Nancy, autrement composée.