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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 3 décembre 2013, n° 09-02694

RENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Rousseau

Défendeur :

Recrea France (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Poumarède

Conseillers :

Mmes André, Gueroult

Avocats :

Mes Bazille, Caron, d'Aboville, Laurand

T. com. Nantes, du 30 mars 2009

30 mars 2009

EXPOSÉ DU LITIGE

La SARL Recrea France au capital de 20 000 euros a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Romans (26) le 13 novembre 2003 pour commercialiser, à compter du 27 octobre 2003, des équipements sportifs et de loisirs (minigolfs - tables de ping pong - aires de jeux,...) destinés à des collectivités publiques et privées. Elle a acquis le fonds de commerce d'une société domiciliée à St André de Corcy, actuellement dissoute, qui était liée par un contrat d'agent commercial avec MM. Ramon, Arnaud et Perroche, ce dernier ayant le 2 janvier 2004 cédé sa carte à M. Rousseau pour le prix de 8 500 euros.

La société Recrea France a conclu le 20 janvier 2004 un contrat d'agent commercial avec M. Rousseau, contrat qu'elle a résilié le 9 décembre 2005 avec effet au 15 février 2006.

Le 23 février 2010, la Cour d'appel de Rennes, statuant sur l'appel interjeté par Monsieur Pascal Rousseau contre un jugement rendu le 30 mars 2009 par le Tribunal de commerce de Nantes, a :

- infirmé le jugement en ce qui concerne la demande en paiement de commissions (exception faite de la somme de 997,50 euros), de dommages-intérêts et d'indemnité de rupture ;

- dit que Monsieur Rousseau avait droit aux commissions sur les ventes réalisées sur son secteur en 2004 et 2005 sans qu'il soit intervenu pour leur réalisation et aux intérêts au taux légal à compter de l'assignation;

- dit que Monsieur Rousseau avait droit aux commissions sur les ventes réalisées grâce à l'intervention de Monsieur Perroche et pour lesquelles ce dernier n'avait pas été commissionné au 1er janvier 2004 et aux intérêts au taux légal à compter de l'assignation ;

- dit que pour les commissions ainsi dues seront déterminées dans leur calcul à partir des ventes matérialisées par les bons de commandes signés par les clients, et en rapport au tarif pratiqué par la société Recrea France sur ces produits et que ne sont pas prises en compte les conditions de ventes convenues entre Recrea France et les "vendeurs sur catalogue", notamment les remises importantes consenties par celle-ci à ceux-là, mais ce, dans la limite des sommes demandées par Monsieur Rousseau ;

- dit que Monsieur Rousseau a droit à une commission sur la vente Sauda,

- condamné la société Recrea France à payer à Monsieur Rousseau la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts,

- déclaré prescrite la demande d'indemnité pour rupture faite par Monsieur Rousseau,

- dit que la communication de pièces sera faite devant l'expert,

- confirmé le jugement qui a débouté Monsieur Rousseau de sa demande d'indemnité sur retour d'échantillon, qui a condamné la société Recrea France à lui payer la somme de 997,05 euros outre les intérêts au taux légal à compter de l'assignation et celle de 1 000 euros au titre de l'indemnité pour frais irrépétibles, qui a débouté la société Recrea France de sa demande de dommages-intérêts,

- ordonné une expertise confiée à M. Marc Dherbey, expert-comptable,

- sursis à statuer sur le montant des commissions restant dues par la société Recrea France à M. Rousseau.

L'expert a déposé son rapport le 19 novembre 2012.

M. Pascal Rousseau demande à la cour :

- de condamner la société Recrea France à lui payer la somme de 11 455,47 euros au titre des commissions pour l'année 2004, la somme de 10 743,57 euros au titre des commissions pour l'année 2005, la somme de 1 170,80 euros au titre du dossier Sauda ;

- de condamner la société Recrea France à lui payer la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts ;

- de condamner la société Recrea France à lui payer la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- de la condamner aux entiers dépens en ce compris les frais d'expertise.

Dans le corps de ses écritures, il demande à la cour avant dire droit de condamner la société Recrea France à produire dans les quinze jours de l'arrêt, sous astreinte :

- les bons de commandes ou tout autre document mentionnant le lieu d'installation des équipements pour les sociétés Mat Loisirs, ABC Loisirs, Patrice Amice, Plisson, Le Chêne Equipement, NGE, Proludic et BL Equipement,

- les comptes auxiliaires afférents de ses clients pour les périodes correspondant aux exercices clos au 30 juin 2004, 30 juin 2005 et jusqu'au 15 février 2006.

La société Recrea France conclut en ces termes :

Complétant l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Rennes le 20 février 2010

- Débouter M. Rousseau de l'intégralité de ses demandes,

A titre reconventionnel,

- Condamner M. Rousseau à verser à la société Recrea France la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts,

- Condamner M. Rousseau à verser à la société Recrea France la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Condamner M. Rousseau aux entiers dépens en ce y compris les frais d'expertise.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour M. Rousseau le 16 juillet 2013 et pour la société Recrea France le 29 juillet 2013.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Sur la demande de communication de pièces

Aux termes de l'article L. 134-6 du Code de commerce, "Pour toute opération commerciale conclue pendant la durée du contrat d'agence, l'agent commercial a droit à la commission définie à l'article L. 134-5 lorsqu'elle a été conclue grâce à son intervention ou lorsque l'opération a été conclue avec un tiers dont il a obtenu antérieurement la clientèle pour des opérations du même genre.

Lorsqu'il est chargé d'un secteur géographique ou d'un groupe de personnes déterminé, l'agent commercial a également droit à la commission pour toute opération conclue pendant la durée du contrat d'agence avec une personne appartenant à ce secteur ou à ce groupe."

Le litige porte sur les commissions indirectes que M. Rousseau revendique en application du second paragraphe de l'article sus-reproduit.

L'annexe 6 du rapport d'expertise relate l'analyse des livres comptables de la société Recrea France par l'expert qui a établi le chiffre d'affaires réalisé par le mandant avec les clients susceptibles de relever du secteur géographique de M. Rousseau pendant la période de validité du contrat d'agent commercial. M. Rousseau estime ces données insuffisantes au motif qu'elles ne reprennent pas les ventes effectuées par les clients revendeurs de la société Recrea France au profit de tiers domiciliés sur le secteur géographique qui lui a été attribué.

Cependant l'article L. 134-6, ainsi que l'a dit pour droit la CJUE le 17 janvier 2008, ne confère pas à l'agent commercial chargé d'un secteur géographique et/ou d'une clientèle déterminés un droit à commission sur toutes les opérations conclues sur son secteur avec une personne relevant de sa clientèle, mais sur les seules opérations commerciales dans la conclusion desquelles le commettant est intervenu, directement ou indirectement. La clause d'exclusivité ne s'applique en effet que dans les rapports entre l'agent commercial et son mandant et n'interdit pas aux tiers, en l'absence de réseau de distribution exclusive, de commercialiser librement les produits qu'ils ont régulièrement acquis de la société Recrea France.

C'est dès lors à tort que M. Rousseau prétend à commissions non seulement sur les ventes conclues sans son intervention, par ou sous le contrôle de la société Recrea France, aux clients domiciliés sur son secteur géographique mais encore aux ventes qui auraient été réalisées par des tiers revendeurs n'intervenant pas au nom et pour le compte de son mandant mais dans leur intérêt personnel.

A cet égard, le fait que ces acquéreurs aient pu donner pour instruction à leur fournisseur de livrer les matériels chez un tiers ne suffit pas à caractériser l'intervention de ce dernier dans l'opération. De manière générale, le lieu de livraison des matériels constitue un critère inopérant de l'ouverture du droit à commission puisqu'il n'est pas assimilable au lieu de réalisation de la transaction ainsi que le rappelle d'ailleurs le contrat d'agent commercial qui accorde, dans l'article 6 in fine, un droit à commission indépendamment du lieu de livraison du bien. Seul doit en effet être pris en compte le lieu dans lequel l'acquéreur du matériel vendu par le commettant ou ses agents commerciaux était domicilié ou, à tout le moins, avait fixé le siège principal de ses activités commerciales.

Or, il résulte des pièces produites et des investigations effectuées par l'expert que les sociétés suivantes n'étaient pas domiciliées sur le ressort géographique attribué à M. Rousseau et n'y avaient pas fixé le siège de leurs activités commerciales :

- Direct Collectivités

- Kgmat

- Semio

- Adequat

- Challenger

- Mat Loisirs

- ABC Loisirs

- Patrice Amice

- Plisson

- Le Chêne Equipement.

La demande de production de pièces concernant Mat Loisirs, ABC Loisirs, Patrice Amice, Plisson, Le Chêne Equipement ne peut donc qu'être rejetée, seules les sociétés NGE, Proludic et BL Equipement étant domiciliées sur le secteur géographique attribué à M. Rousseau.

Les éléments recueillis par l'expert permettent de connaître le chiffre d'affaires réalisés par ces sociétés de sorte que la demande de production des comptes auxiliaires afférents à ces clients n'est pas utile.

La demande de production de pièces sera en conséquence rejetée comme inutile à la solution du litige.

Sur la demande de commission sur l'opération réalisée au profit de M. Sauda

La cour s'est déjà prononcée, dans son précédent arrêt, sur le droit à commission sur cette transaction. M. Rousseau réclame à ce titre la somme de 1 170,80 euros dont le calcul n'est pas discuté. Il sera dès lors fait droit à cette demande.

Sur la demande de commissions au titre de l'année 2004

M. Rousseau réclame au titre de l'année 2004 un total de commissions de 11 455,47 euros selon décompte produit en pièce 112.

Mais y sont incluses des commissions sur les ventes facturées aux sociétés Le Chêne Equipement et Mat Loisirs qui ne sont pas des sociétés domiciliées dans le ressort géographique attribué à l'agent commercial n'ouvrent pas droit à commissions, de sorte que cette demande n'est pas fondée.

Par ailleurs, la société Recrea France conteste le droit de M. Rousseau à commission sur les ventes facturées à la société Proludic, société domiciliée sur le secteur géographique de l'agent, au motif qu'elle serait un fabricant de jeux pour collectivités qui n'entrerait pas dans la liste des clients attribués par le contrat. Elle expose que la société Proludic commercialise, à son nom, à l'exportation une table de ping-pong (modèle R1000) qu'elle lui fournit, ce qui explique que les factures soient dispensées de TVA.

Mais aux termes du contrat d'agent commercial, M. Rousseau exerçait son activité sur le secteur géographique composé des départements 44, 49, 37, 16, 17, 86, 79 et 85 sur la clientèle suivante :

- hôtellerie de plein air publique et privée-campings

- centres de vacances publics et privés

- hôtels et restaurants

- parcs de loisirs et centres de loisirs

- mairies et collectivités publiques

- comités d'entreprises publics et privés

- revendeurs et distributeurs à l'exclusion des sociétés de VPC.

La société Proludic revend le matériel fourni par la société Recrea France peu important qu'elle le fasse ou non sous ses propres références et à l'étranger, distinctions non prévues contractuellement. Elle entre donc, à défaut d'appartenir à la catégorie des sociétés de vente par correspondance seules exclues du champ d'application du contrat, dans la clientèle des revendeurs qui était attribuée à l'agent commercial.

L'argument tiré du taux de remise pratiqué est inopérant, le droit à commission ne pouvant dépendre du bon vouloir du mandant sauf à constituer une clause potestative nulle. D'ailleurs le contrat n'écartait pas le droit à commission pour les ventes pratiquées avec une remise supérieure à 25 % mais prévoyait seulement que la commission serait alors négociée.

Faute d'accord entre les parties sur ce point, il appartient à la cour de fixer le droit à commission au regard de l'économie du contrat faisant la loi des parties. Le taux de commission convenu sur les tables de ping-pong étant inversement proportionnel au taux de remise accordé, par tranches de 5 %, ce barème sera extrapolé pour fixer à 5 % le taux de commission de l'agent commercial sur les ventes conclues avec un taux de remise de 30 %.

L'assiette des commissions était fixée à l'article 6 du contrat d'agent commercial comme étant constitué par le prix de vente au client déduction faite des remises. En conséquence, contrairement à ce que réclame l'agent commercial, la commission sera calculée sur le prix de vente hors taxes facturé à la société Proludic, ce qui représente en 2004 un montant cumulé de 17 026,09 euros, lui donnant droit à une commission de 851,30 euros.

La société Recrea France conteste également le droit à commission sur les trois ventes conclues avec la société NGE figurant sur le décompte produit au motif qu'elles auraient été conclues par l'intermédiaire de M. Ramon avant la signature du contrat avec M. Rousseau. Mais les factures produites font référence pour la première à une commande du 14 avril 2004, pour la seconde à une commande du 5 août 2004 tandis qu'un bon de commande du 31 août 2004 est joint à la troisième. Le moyen soulevé n'est donc pas fondé.

Il résulte de ces trois factures un chiffre d'affaires hors taxes cumulé de 1 620,80 sur laquelle est due une commission dont le taux réclamé n'est pas discuté, soit la somme de 324,16 euros.

Enfin la facture BL Equipement correspond à une commande du 19 novembre 2003 adressée à M. Ramon. Or la cour a précédemment jugé que Monsieur Rousseau avait droit aux commissions sur les ventes réalisées grâce à l'intervention de Monsieur Perroche pour lesquelles ce dernier n'avait pas été commissionné au 1er janvier 2004. La fiche de contact jointe révèle que la dernière diligence réalisée par M. Perroche datait du 5 mars 2003 et avait consisté en l'envoi de catalogues et du tarif 2003. Ceci est insuffisant pour établir que l'opération en question prise en charge par M. Ramon du fait de la défaillance de M. Perroche a été réalisée grâce à l'intervention de ce dernier et qu'il pouvait donc prétendre à commission de ce chef.

Il sera dès lors alloué à M. Rousseau, au titre de l'année 2004, une somme de 1 175,46 euros.

Sur la demande de commissions au titre de l'année 2005

M. Rousseau réclame au titre de l'année 2005 un total de commissions de 10 743,54 euros selon décompte produit en pièce 113, lequel comprend une commission de 997,05 euros déjà accordée par la cour dans son précédent arrêt. Le reliquat en litige porte donc sur la somme de 9 746,49 euros

Les ventes facturées à Mat Loisirs, Amice, ABC Loisirs et Plisson qui ne sont pas des sociétés domiciliées dans le ressort géographique attribué à l'agent commercial n'ouvrent pas droit à commissions.

Les commissions ne sont donc dues que sur le chiffre d'affaires facturé à la société Proludic en 2005, soit la somme de 32 264 euros, ce qui représente un montant total de commissions de 1 613,20 euros.

Sur les demandes réciproques de dommages-intérêts

M. Rousseau a déjà obtenu de la cour, dans sa précédente décision, une indemnité de 5 000 euros. Sa nouvelle demande qui n'est pas justifiée par un comportement et un préjudice distinct de celui déjà indemnisé sera dès lors rejetée.

La demande de la société Recrea France n'est pas davantage fondée dans la mesure où la demande de M. Rousseau a été reconnue au moins en partie fondée, étant rappelé qu'une précédente demande de dommages-intérêts pour des motifs similaires a déjà été définitivement rejetée par les premiers juges.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens

Chacune des parties succombant partiellement dans ses prétentions, l'équité ne justifie pas l'application de l'article 700 du Code de procédure civile devant la cour. Pour le même motif, les dépens et les frais d'expertise seront partagés par moitié.

Par ces motifs : LA COUR, Vu l'arrêt rendu le 23 février 2010 par la Cour d'appel de Rennes ; Condamne la société Recrea France à payer à M. Rousseau une commission de 1 170,80 euros au titre de la vente facturée à M. Sauda ; Condamne la société Recrea France à payer à M. Rousseau à titre des commissions sur les ventes réalisées sans son intervention à la clientèle qui lui était attribuée, une somme totale de 2 788,66 euros ; Déboute les parties de toutes autres demandes contraires ou plus amples ; Dit que les frais d'expertise seront partagés par moitié, chacune des parties conservant pour le surplus la charge définitive des frais et dépens qu'elle a exposés.