CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 12 décembre 2013, n° 11-15755
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Ethiopian Airlines Corporation (Sté)
Défendeur :
Globe Air Cargo System (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mme Michel-Amsellem, M. Douvreleur
Avocats :
Mes Morel, Autier, Fisselier, de Beaucourt
FAITS ET PROCÉDURE
La société Globe Air Cargo System (ci-après, Global Air) s'est vu confier aux termes d'un contrat signé le 1er mars 2008 intitulé "Cargo General Sales Agency Agreement" par la société Ethiopian Airlines Enterprise (ci-après Ethiopian Airlines), un mandat d'agent commercial afin de vendre ses prestations transport de marchandises aérien (fret) sur ses lignes aériennes.
Ce contrat remplaçait un précédent contrat du 1er octobre 1985 de même nature mais avec un taux de commissionnement différent, soit 6 %.
Par télécopie en date du 13 juillet 2009, Ethiopian Airlines informait Global Air de sa décision de résilier le contrat d'agence, avec un préavis de 60 jours, invoquant un conflit d'intérêts résultant du fait que Global Air représentait différentes compagnies aériennes concurrentes.
Malgré différents échanges et réunions, les parties n'ont pas réussi à se mettre d'accord et la société Global Air a assigné la société Ethiopian Airlines devant le Tribunal de commerce de Bobigny.
Par jugement en date du 5 juillet 2011, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Bobigny a :
- reçu la société Globe Air dans ses demandes, les a dit partiellement fondées, et y fera droit partiellement
- condamné la société Ethiopian Airlines à payer à la société Globe Air la somme de 230 532 , déboutant cette dernière pour le surplus de sa demande,
- condamné la société Ethiopian Airlines à payer à la société Globe Air la somme de 10 000 au titre de l'article 700
Vu l'appel interjeté par la société Ethiopian Airlines le 26 août 2011 contre cette décision.
Vu les dernières conclusions signifiées par la société Ethiopian Airlines le 16 octobre 2013, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Bobigny du 5 juillet 2011,
- dire et juger que Globe Air, en représentant des compagnies concurrentes à la société Ethiopian Airlines avec qui elle était liée par un contrat d'agent commercial, sans en informer son mandant et sans obtenir son accord, a commis une faute grave, par non-respect des dispositions de l'article L. 134-3 du Code de commerce,
- dire et juger que Globe Air, en n'informant pas la société Ethiopian Airlines que sa maison mère, la société ECS avait pris une participation majoritaire dans la compagnie aérienne concurrente Africa West, a commis une faute pour non-respect des dispositions de l'article L. 134-3 du Code de commerce
- dire et juger qu'elle était fondée à poursuivre cette résiliation sans verser d'indemnité à la société Global Air
- En conséquence condamner la société Global Air à lui rembourser la somme de 242 532 perçue par elle, au titre de l'exécution du jugement du Tribunal de commerce de Bobigny en date du 5 juillet 2011, avec intérêts de droits à compter de la date de paiement de ladite somme.
A titre subsidiaire, pour le cas où la cour ne devait pas faire droit aux demandes d'Ethiopian Airlines :
- dire et juger que les vols charters n'entrent pas dans le champ d'application du contrat d'agent, s'agissant d'opérations d'achat/vente réalisées par Globe Air pour son propre compte.
- en conséquence, condamner Globe Air à lui rembourser la somme de 113 828 .
- condamner la société Globe Air à lui payer la somme de 10 000 en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Ethiopian Airlines soutient avoir résilié le contrat d'agent de Globe Air en se fondant sur une faute grave de son agent, rendant impossible le maintien du lien contractuel.
Elle s'appuie sur la notion de bonne foi dans l'exécution du contrat, sur l'article L. 134-3 du Code de commerce, et sur la jurisprudence pour affirmer qu'il existe pour l'agent commercial une obligation légale de non-concurrence au profit de son mandant, et que la violation de cette obligation justifie la rupture du contrat sans indemnité.
Elle insiste sur le fait que les différentes compagnies représentées par la société Globe Air étaient en situation de concurrence directe avec elle et que la société Globe Air a violé le contrat du 1er octobre 1985 en acceptant de les représenter, et en rachetant la compagnie Africa Ouest via sa société mère ECS sans l'informer.
Vu les dernières conclusions signifiées par la société Global Air le 8 octobre 2013, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- débouter Ethiopian Airlines de son appel du jugement du 5 juillet 2011,
- confirmer ledit jugement en ce qu'il a condamné Ethiopian Airlines à lui payer la somme de 230 532 et celle de 10 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- recevoir Globe Air en son appel incident partiel, et y faisant droit,
- condamner Ethiopian Airlines à lui payer la somme de 18 482 à titre d'indemnité de préavis de résiliation du contrat du 1er mars 2008, ainsi qu'une somme supplémentaire de 15 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile
La société Global Air soutient que l'agent commercial peut accepter sans autorisation la représentation de nouveaux mandants, mais qu'il ne peut accepter la représentation d'une entreprise concurrente de celle de l'un de ses mandants, sans l'accord de ce dernier.
Elle expose qu'à la date de signature du contrat avec la société Ethiopian Airlines, le 1er mars 2008, elle représentait déjà Africa Ouest, et que ce fait était connu et admis, tout comme sa situation vis-à-vis de la société ECS et que, depuis cette date, elle n'a représenté aucune compagnie aérienne autre que celles avec lesquelles elle avait des accords antérieurs.
Elle soutient ensuite qu'il n'existait aucun contrat entre elle et les sociétés Qatar Airways, DHL et Cargo B, et insiste sur le fait que ces sociétés se sont engagées avec une autre société dénommée Aero Cargo.
Elle fait enfin valoir que la situation de concurrence qui a pu être créée ne lui était pas imputable, mais qu'elle est le résultat d'une situation économique en constante évolution dans le domaine aérien.
Elle affirme qu'avec la libéralisation du transport aérien ces dernières années, le nombre de destinations desservies par les compagnies aériennes a considérablement augmenté, mais que l'agent n'est en rien responsable de cette situation.
LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS
Considérant que la société Ethiopian Airlines soutient avoir résilié le contrat d'agent de Globe Air en se fondant sur une faute grave de son agent, rendant impossible le maintien du lien contractuel en ce que son agent devait l'informer de ce qu'il avait directement repris la représentation de compagnies aériennes qui étaient ses concurrentes et que son groupe en représentait d'autres ; qu'il en résultait pour elle un risque financier alors qu'elle investissait dans le fret à destination de l'Afrique à partir de l'Europe et notamment de la France ;
Considérant que la société Global Air conteste ces griefs, faisant valoir, d'une part, que la société Ethiopian Airlines connaissait ses liens avec la société ECS et d'autres compagnies aériennes dont il ne résultait aucune situation concurrentielle, d'autre part, qu'elle n'a engagé aucune nouvelle relation contractuelle avec des sociétés concurrentes après avoir signé le contrat le 1er mars 2008 avec la société Ethiopian Airlines ;
Considérant que la société Ethiopian Airlines reconnait que le contrat conclu le 1er mars 2008 a été établi sur un modèle IATA et ne comportait aucune clause de non-concurrence, estimant néanmoins que la société Global Air a manqué à ses obligations de bonne foi, de loyauté et d'information, aux termes desquelles elle devait informer son mandant du changement intervenu dans sa situation juridique ;
Considérant que la société Global Air fait valoir que tant sa situation vis-à-vis de la société ECS que la représentation par elle de la société Africa West à compter du mois d'octobre 2006 était parfaitement connue de la société Ethiopian Airlines ;
Qu'elle relate que cette représentation s'est déroulée en plusieurs phases, ayant d'abord été désignée comme agent fret pour les lignes aériennes de la société Africa West Airlines reliant les Etats Unis aux villes d'Afrique, puis à la suite de l'acquisition par sa société mère ECS d'une partie du capital de la société Africa West Airlines, étant devenue son agent fret pour la plupart des pays européens dont la France et en janvier 2008 pour le fret aérien aux Pays Bas ; qu'elle fait valoir que cette évolution a été largement diffusée par la presse professionnelle, produisant une revue ACW qui, dans trois publications en 2007 et 2008, comportait des informations concernant l'évolution des deux sociétés.
Considérant, en conséquence, qu'à la date de la signature du contrat le 1er mars 2008, les relations entre la société Global Air et la société Africa West existaient et étaient connues dans le milieu professionnel des compagnies aériennes.
Considérant que la société ECS n'a pas acheté la société Global Air en 2006 mais en mai 1998 ; que des échanges démontrent que la société Ethiopian Airlines connaissait les liens existant entre la société ECS et la société Global Air ; qu'ainsi des échanges de courriels entre les sociétés Ethiopian Airlines et Global Air sont tous adressés en copie à l'adresse courriel de la société ECS, que le responsable vente et marketing de la société ECS a correspondu en cette qualité avec la société Ethiopian Airlines et que le 7 avril 2009 le président de la société ECS a proposé à la société Ethiopian Airlines une réunion de travail sur l'Afrique ;
Que ces éléments démontrent également que la société Ethiopian Airlines connaissait les liens existant entre les société Global Air, ECS et Africa West ;
Considérant que la société Ethiopian Airlines soutient que la résiliation du contrat d'agent commercial sans indemnité était justifiée par la faute de la société Global Air qui aurait commis des actes de concurrence déloyale en représentant des compagnies concurrentes notamment la compagnie Africa West ;
Considérant que la société Global Air expose que, selon une pratique ancienne et reconnue, l'agent de fret doit mutualiser ses coûts en représentant plusieurs compagnies ; qu'à la suite de la libéralisation du transport aérien, le nombre de destinations desservies par les compagnies a considérablement augmenté, de sorte que l'agent peut se trouver en situation de représenter simultanément des compagnies aériennes qui vont desservir des destinations identiques et que, confronté à cette situation, il sera amené à privilégier les principales destinations desservies par ses mandants et tiendra compte de la capacité fret de telle ou telle destination ainsi que du service fourni par son mandant, une compagnie purement cargo offrant un service plus large que celui d'une compagnie passagers, de même qu'un vol sans escale étant considéré différemment de celui avec escale qui nécessite débarquement, manutention et réembarquement ; que, outre la ligne desservie, ces éléments qui caractérisent désormais l'évolution du transport aérien du fret permettent de distinguer les prestations offertes par les mandants quand bien même ceux-ci ont pour activité commune le transport aérien de fret ;
Considérant qu'il ne ne peut y avoir concurrence si les produits offerts présentent des caractéristiques différentes, se prêtent à des utilisations distinctes ou ont un caractère complémentaire quand bien même ils sont similaires, l'agent pouvant alors intervenir pour plusieurs mandants ;
Considérant que la compagnie Africa West est exclusivement cargo et ses avions ont pour vocation de transporter du fret volumineux et dangereux qui ne peut être transporté à bord d'avions passagers et que ses vols sont à partir de l'Europe vers Lomé qui sert de point de transit vers d'autres destinations africaines ;
Que la société Ethiopian Airlines expose qu'elle assure le transport, de passagers et de fret, à partir de Paris vers l'Afrique en utilisant, d'une part, des avions passagers pouvant prendre du fret de tonnes par vol et, d'autre part des avions cargo ; qu'il résulte d'une réunion tenue le 29 mai 2008 entre les représentants de la société Global Air et ceux de la société Ethiopian Airlines et consacrée à la question du fret que la société Ethiopian Airlines a donné la liste des principales destinations pour lesquelles elle avait des capacités fret, mentionnant 10 villes africaines qui ne comprenaient ni Lomé, ni Abidjan, ni Ouagadoudou, ni Malabo, destinations qui étaient desservies par la compagnie Africa West;
Que, si la société Ethiopian Airlines a développé un transport cargo, elle l'a fait sur certaines destinations à savoir Liège vers Adis et Adis vers certaines villes africaines ;
Que la société Global Air fait valoir que le montant des tonnages transportés sur les lignes Ethiopian Airlines est passé de 131 622 kgs en 2006 à 576 940 kgs en 2007 soit quatre fois plus, chiffre qui n'est pas contesté ;
Que, s'il existait deux lignes régulières fret Bamako et Brazzaville communes aux deux compagnies, celles-ci ne représentaient pour la société Ethiopian Airlines que 1,2 % du tonnage total et celui transporté sur Brazzaville était passé de 749 kgs en 2006 à 31 653 kgs en 2007 ;
Considérant que la société Ethiopian Airlines a régulièrement félicité son agent pour ses résultats ;
Considérant qu'il résulte de ces éléments que chacune des deux compagnies présentaient des spécificités de sorte qu'elles n'étaient pas en concurrence et qu'elles pouvaient dès lors être représentées par le même agent ;
Considérant que la société Global Air affirme que depuis la signature du contrat elle n'a représenté aucune compagnie aérienne autre que celles avec lesquelles elle avait des contrats antérieurs et conteste avoir conclu des contrats avec les sociétés Qatar Airways, DL et Cargo B, la société Ethiopian Airlines ne rapportant pas la preuve contraire ;
Que, s'agissant de la compagnie Brussels Airlines, anciennement Sabena, elle relate la représenter depuis 2002, cette compagnie opérant sur des vols vers 14 destinations africaines dont 5 n'étaient pas desservies par la société Ethiopian Airlines et alors que sur les autres, la société Ethiopian Airlines opérait sur des avions B737 qui ne peuvent pas prendre du fret de dimensions supérieures à 80 cm de haut alors que la majeure partie des commandes concernent du fret de dimensions supérieures ;
Que, pour sa part, la société Ethiopian Airlines a ouvert depuis 2008 de nouvelles lignes en Afrique qui sont devenues concurrentes de celles de la compagnie Africa West ;
Considérant que, si une situation concurrentielle a pu être créée du fait de l'extension de son activité par la société Ethiopian Airlines qui ne conteste pas avoir poursuivi une politique d'investissement, cette situation qui résultait de sa seule décision, ne pouvait entrainer un manquement de son agent à ses obligations ; que si elle permettait à la société Ethiopian Airlines de résilier sa relation contractuelle, celle-ci devait assurer un préavis et une indemnité de résiliation à son agent.
Sur le préavis et l'indemnité de résiliation
Considérant que la société Global Air avait droit à un préavis qui, aux termes de l'article L. 134-11 est de 3 mois pour la troisième année du contrat commencé et les années suivantes ;
Considérant que le contrat signé en 2008 n'étant que la poursuite du contrat signé en 1985, la société Global Air devait bénéficier d'un préavis de trois mois qui devait donc se terminer le 31 octobre 2009 ;
Considérant que, dès la rupture, la société Ethiopian Airlines a traité directement avec les clients de sorte que le chiffre d'affaires généré durant ces trois mois a diminué, qu'il n'a été que de 249 850 d'août à octobre 2009 soit une moyenne mensuelle de 83 283 alors que la moyenne mensuelle générée en 2008 s'est élevée à 232 560 ; que le montant des commissions réglées au titre de ces trois mois a été de 9 312 alors que la moyenne mensuelle de sa rémunération est de 9 598 .
Qu'il y a lui de condamner la société Ethiopian Airlines à lui payer la somme de 9 508 X 3 - 9 312 soit 19 482 et de réformer le jugement en ce qu'il n'a pas fait droit à cette demande.
Considérant que la société Global Air est également fondée à réclamer le paiement d'une indemnité de résiliation ;
Considérant que la société Ethiopian Airlines soutient que c'est à tort que les premiers juges ont retenu l'activité charter pour calculer cette indemnité ;
Que la société Global Air justifie que cette activité charter figurait dans les états de ventes présentés mensuellement par elle à son mandant ; que la société Ethiopian Airlines se prévaut du développement de cette activité ; qu'il s'ensuit que celle-ci entrait bien dans le cadre du mandat confié à son agent ; que l'application d'un mode de rémunération différent ne constitue qu'une modalité particulière d'exécution du contrat et ne fait pas échec à sa qualification de contrat d'agence commerciale ; que l'ensemble de l'activité développée par l'agent commercial doit être prise en compte pour le calcul de son indemnité de résiliation ; que la somme de 56 914 perçue à ce titre doit donc être prise en compte pour le calcul de l'indemnité de résiliation ;
Que le montant de l'indemnité de résiliation correspondant à deux années d'activité s'établit donc à la somme de 230 352 ; qu'il y a lieu de réformer le jugement en ce qu'il a fixé celle-ci à la somme de 230 532
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
Considérant que la société Globe Air a dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge, qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile dans la mesure qui sera précisée au dispositif.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, adoptant les motifs non contraires des premiers juges, confirme le jugement déféré sauf à dire que l'indemnité de résiliation est de 230 352 et à y ajouter et statuant à nouveau, condamne la société Ethiopian Airlines à payer à la société Global Air Cargo System la somme de 19 482 au titre du préavis de résiliation, condamne la société Ethiopian Airlines à payer à la société Global Air Cargo System la somme de 8 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, condamne la société Ethiopian Airlines aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.