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Décisions

Cass. crim., 11 décembre 2013, n° 12-86.427

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Louvel

Rapporteur :

M. Soulard

Avocat général :

Me Bonnet

Avocats :

SCP Célice, Blancpain, Soltner, SCP Baraduc, Duhamel

TGI Bobigny, JLD, du 12 mai 2009

12 mai 2009

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par les sociétés X, Y, Z, A, B, contre l'ordonnance du premier président de la Cour d'appel de Paris, en date du 31 août 2012, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 11 janvier 2012, pourvoi n° 10-85.447 à 10-85.452) a prononcé sur la régularité des opérations de visite et de saisie effectuées par l'administration de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation du principe du respect des droits de la défense, des articles 6 § 1 et 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, des articles L. 450-4 et R. 450-2 du Code de commerce, de l'article 7 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, de l'article préliminaire du Code de procédure pénale et des articles 427, 432, 591 et 593 du même Code, ainsi que de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 ;

"en ce que l'ordonnance attaquée a débouté les sociétés demanderesses au pourvoi de leur demande tendant à l'annulation de l'ensemble des opérations de saisie pratiquées le 19 mai 2009, et s'est contentée d'ordonner "la restitution par destruction" de certaines pièces et d'interdire à l'Autorité de la concurrence d'en faire état ;

"aux motifs que les sociétés requérantes soutiennent que certains documents saisis sont des correspondances entre leurs conseils et chacune d'entre elles est protégée en tant que tels et ce même s'il y a eu absence de divulgation de la part de l'Autorité de la concurrence ; que force est de constater, toutefois, qu'en la présente instance l'Autorité de la concurrence n'est pas opposée à la restitution des dits documents listés par les sociétés du groupe C en ce qui concerne les fichiers informatiques et les scellés du Parisien côtes 77 à 82, 83 à 87, 98 à 100 (saisies papier) ; que ne se pose donc pas la question de savoir si les correspondances avocat-client sont ou non insaisissables par leur nature, mais de déterminer si de telles saisies doivent entraîner l'annulation de toutes les opérations de saisie ou simplement la restitution des pièces saisies concernant uniquement les relations clients avocats ; que les sociétés du groupe C soulèvent, du fait de la saisie de documents confidentiels, une inégalité des armes, l'Autorité de la concurrence n'ayant pu que prendre connaissance du contenu des pièces saisies, comme le démontrent d'ailleurs ses écritures ; que le fait que certaines pièces ont été saisies alors qu'elles étaient confidentielles ne remet pas pour autant en cause la validité de la saisie des messageries elle-même à partir du moment d'une part où il a été vérifié préalablement que ces messageries, formant un tout indissociable, contenaient pour partie des éléments en rapport avec l'enquête, ce qui n'est pas sérieusement contesté, d'autre part que l'Autorité de la concurrence ne peut utiliser ces pièces à l'encontre des sociétés requérantes pour quelque raison que ce soit ; qu'il n'y a donc aucune inégalité des armes qui justifierait l'annulation de la totalité des pièces saisies alors que certaines pièces saisies entrant dans le champ de l'enquête ne pouvaient qu'être régulièrement saisies ; que le fait que des mails protégés par le secret aient été saisis ne procède pas d'une recherche délibérée par les rapporteurs de saisir des correspondances étrangères à leur mission mais dépend uniquement du caractère composite du contenu des fichiers de messagerie qui comportent chacun plusieurs centaines de messages et d'autre part de la nécessité de ne pas altérer le contenu des messageries, la copie des messageries en totalité constituant une garantie de fiabilité des opérations ; que la restitution par destruction qui ménage l'ensemble des intérêts en présence constitue la sanction la plus adaptée, les droits des sociétés saisies étant préservés puisque l'Autorité de la concurrence ne peut absolument pas faire état de ces pièces ; que, pour la moralité des débats, il convient d'ajouter que le fait d'admettre un tri sélectif pendant les opérations de saisie entraînerait des opérations de plusieurs jours qui paralyseraient les entreprises et donc auraient un effet fortement néfaste sur leur économie ; que les sociétés saisies ont bénéficié de toutes les garanties auxquelles elles avaient droit, le juge des libertés et de la détention ayant lui-même supervisé l'ensemble des opérations de visite et de saisie afin de s'assurer que le respect du secret des sources n'était pas atteint ; que le juge des libertés et de la détention n'a été à aucun moment saisi d'une quelconque difficulté et ce malgré le fait qu'en présence de contestations, il peut à tout moment suspendre ou arrêter les opérations de visite et de saisie ; qu'il était loisible aux sociétés requérantes de saisir le juge et ce même si ce dernier ne pouvait se trouver en même temps dans l'ensemble des locaux visités, étant rappelé que les opérations de visite, mises à part certaines dispositions, obéissent aux règles du droit civil ; (...) ; que les sociétés requérantes reprochent une sélection massive ; que force est de rappeler que trois ordinateurs ont été fouillés alors que 31 bureaux ont été visités et que plusieurs centaines de fichiers ont été saisis alors qu'ils en contenaient des milliers ; que les saisies informatiques ont été ciblées ; que les saisies informatiques ne sont intervenues que lorsqu'il a été constaté la présence de documents entrant dans le champ de l'autorisation ; qu'il a été procédé à la sélection et à la copie des seuls fichiers qui apparaissaient pour partie utiles à l'enquête ; qu'à ce stade de la procédure, aucune disposition légale n'impose à l'Autorité de la concurrence de dévoiler les mots-clés qui peuvent comporter des renseignements encore confidentiels pour identifier les documents saisis ; que la non-divulgation de ces mots-clés ne saurait porter atteinte aux droits de la défense dès lors que l'entreprise est en mesure de connaître le contenu des données appréhendées ; que l'article L. 450-4 du Code de commerce n'exclut pas, par ailleurs, du champ des documents pouvant faire l'objet d'une saisie ceux qui seraient personnels ; que les parties s'accordent pour que soient restituées par destruction les fichiers et messages listés en annexe 1, les fichiers signalés "personnel" en annexe 2-1 et le fichier signalé "privé" de l'annexe 2-2 ;

"1) alors que la nature particulière du principe de protection de la confidentialité des communications entre les avocats et leur client, dont l'objet consiste à sauvegarder le plein exercice des droits de la défense, s'oppose à la prise de connaissance par l'autorité de poursuite du contenu d'un document confidentiel ; que l'application de ce principe fondamental ne saurait être tenue en échec par la considération que les correspondances du groupe C avec ses avocats se trouvaient stockées dans des fichiers d'ordinateurs ; qu'en s'abstenant de rechercher, comme il y était invité, si, lors de la visite domiciliaire du 19 mai 2009, "toutes les mesures utiles" avaient été prises préalablement à la saisie, en vertu de l'article 56, alinéa 3, "pour assurer le respect du secret professionnel et des droits de la défense" et si, en raison des prétendues difficultés à établir sur place un inventaire du fait de la présence de trois ordinateurs et de centaines de fichiers, il n'y avait pas lieu de réaliser des "scellés fermés provisoires" en application du même texte, alinéas 4 et 5, de façon à placer le support physique de ces données sous le contrôle de la justice jusqu'à la réalisation d'un inventaire permettant de séparer les seules pièces utiles à la manifestation de la vérité et les documents couverts par le secret professionnel, le premier président de la cour de Paris a violé par refus d'application l'ensemble des textes susvisés ;

"2) alors qu'en se contentant de justifier la saisie par les enquêteurs des correspondances avec les avocats par la considération que "les messageries forment un tout indissociable" et que le contenu des fichiers aurait un caractère "composite", le premier président laisse sans réponse les moyens péremptoires des conclusions du groupe C qui faisaient valoir que le caractère prétendument indissociable des fichiers était contredit par l'Autorité de la concurrence, elle-même, qui offrait une restitution sélective des pièces couvertes par le secret de la correspondance avocats-client et par la saisie de documents papiers confidentiels, dissociables par nature ; qu'en statuant comme il l'a fait, le premier président a entaché sa décision d'une insuffisance de motifs flagrante ;

"3) alors que l'article 56 du Code de procédure pénale auquel renvoie l'article L. 450-4 du Code du commerce constitue toutes les autorités qui mènent l'opération débitrices intégrales des mesures de prévention du secret professionnel et des droits de la défense de sorte que viole ce texte le Premier Président qui refuse d'annuler la visite par les motifs entièrement erronés que le fait que les mails protégés par le secret aient été saisis ne procède pas d'une "recherche délibérée" par les rapporteurs et que "le juge des libertés et de la détention n'avait à aucun moment été saisi d'une quelconque difficulté" au cours de la visite par les parties visitées, lesquelles ne sauraient se voir imputer la moindre responsabilité dans la mainmise effectuée par les enquêteurs sur les correspondances avec les avocats.

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation du principe du respect des droits de la défense, des articles 6 § 1 et 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, des articles L. 450-4 et R. 450-2 du Code de commerce, de l'article 7 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, de l'article préliminaire du Code de procédure pénale et des articles 427, 432, 591 et 593 du même Code, ainsi que de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 ;

"aux motifs que les sociétés requérantes soutiennent que certains documents saisis sont des correspondances entre leurs conseils et chacune d'entre elles est protégée en tant que tels et ce même s'il y a eu absence de divulgation de la part de l'Autorité de la concurrence ; que force est de constater, toutefois, qu'en la présente instance l'Autorité de la concurrence n'est pas opposée à la restitution des dits documents listés par les sociétés du groupe C en ce qui concerne les fichiers informatiques et les scellés du Parisien côtes 77 à 82, 83 à 87, 98 à 100 (saisies papier) ; que ne se pose donc pas la question de savoir si les correspondances avocat-client sont ou non insaisissables par leur nature, mais de déterminer si de telles saisies doivent entraîner l'annulation de toutes les opérations de saisie ou simplement la restitution des pièces saisies concernant uniquement les relations clients avocats ; que les sociétés du groupe C soulèvent, du fait de la saisie de documents confidentiels, une inégalité des armes, l'Autorité de la concurrence n'ayant pu que prendre connaissance du contenu des pièces saisies, comme le démontrent d'ailleurs ses écritures ; que le fait que certaines pièces ont été saisies alors qu'elles étaient confidentielles ne remet pas pour autant en cause la validité de la saisie des messageries elle-même à partir du moment d'une part où il a été vérifié préalablement que ces messageries, formant un tout indissociable, contenaient pour partie des éléments en rapport avec l'enquête, ce qui n'est pas sérieusement contesté, d'autre part que l'Autorité de la concurrence ne peut utiliser ces pièces à l'encontre des sociétés requérantes pour quelque raison que ce soit ; qu'il n'y a donc aucune inégalité des armes qui justifierait l'annulation de la totalité des pièces saisies alors que certaines pièces saisies entrant dans le champ de l'enquête ne pouvaient qu'être régulièrement saisies ; que le fait que des mails protégés par le secret aient été saisis ne procède pas d'une recherche délibérée par les rapporteurs de saisir des correspondances étrangères à leur mission mais dépend uniquement du caractère composite du contenu des fichiers de messagerie qui comportent chacun plusieurs centaines de messages et d'autre part de la nécessité de ne pas altérer le contenu des messageries, la copie des messageries en totalité constituant une garantie de fiabilité des opérations ; que la restitution par destruction qui ménage l'ensemble des intérêts en présence constitue la sanction la plus adaptée, les droits des sociétés saisies étant préservés puisque l'Autorité de la concurrence ne peut absolument pas faire état de ces pièces ; que, pour la moralité des débats, il convient d'ajouter que le fait d'admettre un tri sélectif pendant les opérations de saisie entraînerait des opérations de plusieurs jours qui paralyseraient les entreprises et donc auraient un effet fortement néfaste sur leur économie ; que les sociétés saisies ont bénéficié de toutes les garanties auxquelles elles avaient droit, le juge des libertés et de la détention ayant lui-même supervisé l'ensemble des opérations de visite et de saisie afin de s'assurer que le respect du secret des sources n'était pas atteint ; que le juge des libertés et de la détention n'a été à aucun moment saisi d'une quelconque difficulté et ce malgré le fait qu'en présence de contestations, il peut à tout moment suspendre ou arrêter les opérations de visite et de saisie ; qu'il était loisible aux sociétés requérantes de saisir le juge et ce même si ce dernier ne pouvait se trouver en même temps dans l'ensemble des locaux visités, étant rappelé que les opérations de visite, mises à part certaines dispositions, obéissent aux règles du droit civil ; (...) ; que les sociétés requérantes reprochent une sélection massive ; que force est de rappeler que trois ordinateurs ont été fouillés alors que 31 bureaux ont été visités et que plusieurs centaines de fichiers ont été saisis alors qu'ils en contenaient des milliers ; que les saisies informatiques ont été ciblées ; que les saisies informatiques ne sont intervenues que lorsqu'il a été constaté la présence de documents entrant dans le champ de l'autorisation ; qu'il a été procédé à la sélection et à la copie des seuls fichiers qui apparaissaient pour partie utiles à l'enquête ; qu'à ce stade de la procédure, aucune disposition légale n'impose à l'Autorité de la concurrence de dévoiler les mots-clés qui peuvent comporter des renseignements encore confidentiels pour identifier les documents saisis ; que la non-divulgation de ces mots-clés ne saurait porter atteinte aux droits de la défense dès lors que l'entreprise est en mesure de connaître le contenu des données appréhendées ; que l'article L. 450-4 du Code de commerce n'exclut pas, par ailleurs, du champ des documents pouvant faire l'objet d'une saisie ceux qui seraient personnels ; que les parties s'accordent pour que soient restituées par destruction les fichiers et messages listés en annexe 1, les fichiers signalés "personnel" en annexe 2-1 et le fichier signalé "privé" de l'annexe 2-2 ;

"1) alors que la nature particulière du principe de protection de la confidentialité des communications entre les avocats et leur client, dont l'objet consiste à sauvegarder le plein exercice des droits de la défense, s'oppose à la prise de connaissance par l'autorité de poursuite du contenu d'un document confidentiel ; que les sociétés du groupe C avaient fait valoir, sans être contredites, que la saisie avait, notamment, porté sur les correspondances d'avocats qui étaient en lien direct avec les pratiques visées dans l'ordonnance d'autorisation ; que la détention, même provisoire, de tels courriers avait porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense qui ne saurait être ni justifiée par une "sélection massive" de plusieurs centaines de fichiers susceptibles de contenir des éléments en rapport avec l'enquête ni compensée par la mesure de restitution ordonnée, entièrement inopérante du fait de la connaissance acquise pendant la durée de la détention par la partie poursuivante ; qu'en décidant cependant qu'une simple restitution par destruction ménage l'ensemble des intérêts en présence et constituer "la sanction la plus adaptée" puisque l'Autorité de la concurrence ne peut pas faire état de ces pièces, le premier président de la cour de Paris a méconnu la protection due au secret absolu de la correspondance avec les avocats, constitutionnellement garantie ainsi que le principe même du procès équitable, et a violé les textes susvisés ;

"2) alors que la prise de connaissance par l'Autorité de la concurrence des conseils donnés par l'avocat à son client, en violation de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, rompt l'égalité des armes et emporte une atteinte irrémédiable aux droits de la défense, que la partie saisie doit pouvoir exercer, en tout liberté, à l'encontre de l'ensemble de la poursuite ; qu'en se contentant d'interdire à l'Autorité de la concurrence de faire état à l'avenir des pièces dont la destruction a été ordonnée sans s'expliquer sur la circonstance que l'Autorité de la concurrence avait expressément refusé de s'en dessaisir et les avait déjà, au contraire, analysées dans le cadre des auditions ou dans ses propres conclusions, le premier président, qui ne tient aucun compte des actes de l'Autorité poursuivante, a, en refusant d'annuler la visite, entaché sa décision d'une insuffisance caractérisée de motifs au regard tant du texte susvisé que de l'article 6 de la CESDH" ;

Les moyens étant réunis ; - Attendu que, pour rejeter les demandes d'annulation de saisies autres que celles portant sur des documents ou fichiers informatiques couverts par le secret des correspondances entre avocat et client, revêtant un caractère personnel ou manifestement étrangers au champ de l'enquête, l'ordonnance attaquée prononce par les motifs reproduits aux moyens ;

Attendu qu'en statuant ainsi, le premier président, qui a répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont il était saisi, a justifié sa décision ; que, d'une part, la confection de scellés provisoires est une faculté laissée à l'appréciation des enquêteurs, agissant sous le contrôle du juge ; que, d'autre part, la saisie irrégulière de certains fichiers ou documents est sans effet sur la validité des opérations de visite et des autres saisies ; qu'il s'ensuit que les moyens doivent être écartés ;

Et attendu que l'ordonnance est régulière en la forme ;

Rejette le pourvoi.