ADLC, 18 décembre 2013, n° 13-D-21
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
Relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché français de la buprénorphine haut dosage commercialisée en ville
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de Mme Geneviève Wibaux, rapporteure, , l'intervention orale de M. Éric Cuziat, rapporteur général adjoint, par M. Emmanuel Combe, vice-président, président de séance, Mme Laurence Idot, Mme Reine-Claude Mader-Saussaye, M. Yves Brissy, membres.
L'Autorité de la concurrence (section III) ;
Vu la lettre, enregistrée le 15 novembre 2006 sous les numéros 06-0084 F et 06-0085 M, par laquelle la société Arrow Génériques a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la société Schering Plough sur le marché de la commercialisation en officine de la buprénorphine haut dosage ; Vu les articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; Vu le livre IV du Code de commerce ; Vu les décisions de secret des affaires n° 07-DSA-132 du 14 juin 2007 ; n° 12-DSA-148, n° 12-DSA-149, n° 12-DSA-150, n° 12-DSA-151 et n° 12-DSA-152 du 5 avril 2012 ; n° 12-DSA-173 du 26 avril 2012 ; n° 12-DSA-196 du 16 mai 2012 ; n° 12-DSA-214 du 19 juin 2012 ; n° 12-DSA-232 du 11 juillet 2012 ; n° 12-DSA-251 du 11 juillet 2012 ; n° 12-DSA-263 du 3 août 2012 ; n° 12-DSA-310 du 10 septembre 2012 ; n° 13-DSA-74 du 26 février 2013 ; n° 13-DSA-102 du 20 mars 2013 ; n° 13-DSA-135 du 22 avril 2013 ; n° 13-DSA-145 et n° 13-DSA-151 du 6 mai 2013 ; n° 13-DSA-152 et n° 13-DSA-153 du 7 mai 2013 ; et n° 13-DSA-246 du 2 septembre 2013 ; Vu les décisions de déclassement n° 12-DECR-15 du 17 juillet 2012 ; n° 12-DEC-33 du 24 juillet 2012 ; n° 12-DEC-50 du 20 septembre 2012 ; n° 12-DEC-51 du 2 novembre 2012 ; n° 12-DEC-54 du 6 novembre 2012 ; n° 13-DECR-04 du 6 février 2013 ; n° 13-DEC-27 du 25 avril 2013 ; n° 13-DEC-28 du 26 avril 2013 ; et n° 13-DEC-31 du 7 mai 2013 ; Vu le procès-verbal du 14 février 2013 par lequel la société Schering Plough a déclaré ne pas contester les griefs qui lui ont été notifiés et a demandé le bénéfice des dispositions du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce ; Vu les observations présentées par les sociétés Schering Plough, Financière MSD, Merck & Co, Reckitt Benckiser Healthcare (UK) Ltd, Reckitt Benckiser plc, Arrow Génériques, et le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Schering Plough, Financière MSD, Merck & Co, Reckitt Benckiser Healthcare (UK) Ltd, Reckitt Benckiser plc, et Arrow Génériques entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 1er octobre 2013 ; Adopte la décision suivante :
I. Constatations
A. INTRODUCTION
1. Par lettre en date du 13 novembre 2006, enregistrée sous les numéros 06-0084 F et 06-0085 M, le Conseil de la concurrence, devenu l'Autorité de la concurrence (ci-après "l'Autorité"), a été saisi d'une plainte de la société Arrow Génériques (ci-après "Arrow") relative à des pratiques mises en œuvre par la société Schering-Plough dans le secteur pharmaceutique. Selon la plaignante, Schering-Plough abuserait de sa position dominante sur le marché officinal français de la buprénorphine haut dosage (ci-après la "BHD"), marché sur lequel elle commercialise son médicament princeps Subutex(r), en évinçant le générique commercialisé par Arrow, Buprénorphine Arrow(r).
1. LA SAISINE D'ARROW GÉNÉRIQUES
2. Dans sa saisine, Arrow a fait valoir en substance que Schering-Plough avait mis en œuvre une stratégie d'éviction à l'encontre de son produit, Buprénorphine Arrow(r). À cette fin, Schering-Plough aurait, d'une part, adopté une politique de fidélisation des médecins prescripteurs et des pharmaciens par l'établissement de liens d'exclusivité avec ces derniers et, d'autre part, dénigré auprès de ces mêmes acteurs Buprénorphine Arrow(r).
2. LA PROCÉDURE DE MESURES CONSERVATOIRES
3. Par lettre enregistrée le 19 avril 2007, Arrow a également demandé à l'Autorité le prononcé de mesures conservatoires.
4. Par sa décision n° 07-MC-06 du 11 décembre 2007 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la société Arrow Génériques, l'Autorité y a fait droit en enjoignant notamment à Schering-Plough de faire publier un communiqué rappelant en substance que Buprénorphine Arrow(r) était substituable, sans risque pour la santé du patient, à Subutex(r).
5. Cette décision, contestée Schering-Plough, a été confirmée par la Cour d'appel de Paris (arrêt du 5 février 2008, n° 2007-21 342) dont l'arrêt a été frappé d'un pourvoi rejeté (arrêt du 13 janvier 2009, n° 08-12510).
B. LE SECTEUR CONCERNÉ
1. LES ACTEURS DU MARCHÉ
a) Merck & Co, Financière MSD et Schering- Plough
Merck & Co
6. Merck & Co, société de droit américain, résulte de la fusion en 2009 entre la société Schering-Plough Corp. et le laboratoire Merck & Co qui développe et commercialise des produits pharmaceutiques et vaccins. Elle a réalisé en 2010 un chiffre d'affaires consolidé d'environ 33 milliards d'euros et se situe, par son chiffre d'affaires, au 3e rang mondial des entreprises pharmaceutiques. Financière MSD et Schering-Plough
7. Schering-Plough Holdings France, devenue le 1er juin 2011 Financière MSD, est une société appartenant au groupe Merck & Co. À la date des faits constatés, Schering-Plough Holdings France contrôlait directement la société Schering-Plough.
8. Le 1er juillet 2011, Schering-Plough a procédé à une cession partielle d'actifs au bénéfice de la société Unicet devenue MSD France. À ce jour, les activités de Schering-Plough sont, pour l'essentiel, la recherche et le développement, d'une part, et la fabrication et le conditionnement de médicaments pharmaceutiques humains et vétérinaires, d'autre part. MSD France exerce quant à elle les activités de ventes et marketing.
9. En 2010, le chiffre d'affaires de Schering-Plough s'élevait à 836 millions d'euros. Il n'était plus que de 217 millions d'euros après la cession d'actifs et pour l'année 2011. À l'inverse, MSD France a vu son chiffre d'affaires passer de 2 000 euros en 2010 à 1,6 milliard d'euros en 2011.
b) Reckitt Benckiser Group, Reckitt Benckiser Healthcare et Reckitt Benckiser Healthcare France
Reckitt Benckiser Group
10. Reckitt Benckiser Group est une entreprise britannique fabriquant et distribuant des produits d'entretien et d'hygiène corporelle, d'une part, et des médicaments vendus sans ordonnance, d'autre part. Le 23 octobre 2007, la société Reckitt Benckiser Group, nouvellement créée, a pris le contrôle à 100 % de Reckitt Benckiser plc, anciennement Reckitt & Coleman plc, qui avait été fondée en 1953. Reckitt Benckiser Group a réalisé un chiffre d'affaires mondial d'environ 6,4 milliards d'euros en 2007 puis d'environ 7,5 milliards d'euros en 2010.
Reckitt Benckiser Healthcare et Reckitt Benckiser Healthcare France
11. Reckitt Benckiser Healthcare (ci-après "Reckitt Benckiser") est une société britannique, active sur le secteur des produits pharmaceutiques sans prescription médicale. Au 1er janvier 2012, elle était contrôlée indirectement par Reckitt Benckiser Group.
12. Le chiffre d'affaires réalisé en 2010 par Reckitt Benckiser avec l'activité buprénorphine était d'environ 45,11 millions d'euros en France et d'environ 121 millions d'euros dans le monde.
13. Reckitt Benckiser Healthcare France a été créée en 2006. Depuis juillet 2010, cette société assure la distribution de Subutex(r) en France.
c) Arrow Génériques
14. Le groupe Arrow est spécialisé dans la production et la commercialisation de médicaments génériques. En 2005, le chiffre d'affaires de ce groupe était d'environ 350 millions d'euros.
15. Créée en 2001, Arrow, filiale française du groupe, commercialise 169 génériques répartis sur 11 domaines thérapeutiques. Sur le secteur des médicaments génériques en France, elle détient 2,3 % de parts de marché. En 2005, son chiffre d'affaires était de 40 millions d'euros (cotes 4200 et suivantes). Selon l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (ci-après "AFSSAPS", devenue l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, ci-après "ANSM"), Arrow a réalisé en 2006 avec Buprénorphine Arrow(r) un chiffre d'affaires de 4 millions d'euros.
d) Les autres sociétés opérant sur le marché
Depolabo
16. Depolabo est un dépositaire qui assure des services de logistique et de distribution pour ordre et pour compte de laboratoires pharmaceutiques. Depolabo possède un département dénommé "Distriphar" qui comporte une cinquantaine de salariés dont 34 délégués pharmaceutiques, effectuant des visites aux pharmaciens, et 12 correspondants officinaux, suivant la clientèle des délégués par téléphone. Depuis novembre 2010, Depolabo a changé de dénomination pour devenir "Alloga France".
17. Au dernier trimestre 2005, Schering-Plough a contacté Depolabo pour lui confier la gestion de la commercialisation directe de Subutex(r) auprès des pharmacies.
Merck Génériques
18. Spécialisé dans la commercialisation des médicaments génériques, le laboratoire Merck Génériques a été racheté en 2007 par le groupe Mylan. De ce fait Merck Génériques est devenue Mylan SAS. En 2010, le chiffre d'affaires réalisé en France par Mylan SAS était d'environ 797 millions d'euros.
19. Qualimed, filiale de Mylan SAS, commercialise également des médicaments génériques. Cette filiale a réalisé en 2009 un chiffre d'affaires en France de près de 46 millions d'euros dont 10,8 millions avec la BHD. En officine, Mylan-Merck couvre, selon ses propres estimations, 80 % du répertoire des médicaments qui peuvent être substitués par le pharmacien.
2. LES PRODUITS : SUBUTEX(r) ET SES GÉNÉRIQUES
a) Subutex(r)
Le produit Subutex(r) et sa prescription
20. Subutex(r) est un médicament ayant pour substance active - également appelée "principe actif" - la buprénorphine haut dosage. Cette substance active permet le traitement de la dépendance aux opiacés et plus particulièrement à l'héroïne. La buprénorphine est en effet une molécule ayant une action similaire à l'héroïne sans présenter ses inconvénients tels que l'"effet de manque".
21. La BHD constitue un psychotrope, qui n'est cependant pas classé en France parmi les stupéfiants, contrairement à la méthadone. Toutefois, la première délivrance ne peut se faire que sur prescription médicale, pour un traitement limité à 28 jours, avec une dose maximale journalière de 16 mg. Depuis 2008, le prescripteur doit mentionner sur l'ordonnance le nom de la pharmacie choisie par le patient pour assurer la délivrance et il est recommandé au médecin de contacter le pharmacien pour assurer la prise en charge du patient.
22. En France, la grande majorité des prescriptions est effectuée par des médecins généralistes. Toutefois, la prescription et la délivrance de la buprénorphine sont le fait d'un nombre restreint de professionnels, tant médecins que pharmaciens. Ainsi, une étude conduite par l'Inserm en 2002 indique que, si 37,5 % des médecins généralistes ont prescrit au moins une fois de la buprénorphine au cours de la période considérée, 26 % des prescripteurs prenaient en charge 75 % des patients. Une autre étude réalisée par Saatchi & Saatchi Healthcare en 2005 indique que les médecins prescripteurs de Subutex(r) seraient seulement 16 000, sur une population totale de 215 000 médecins, soit 8 % (cote 6506). De même, 22 % des officines réalisent 80 % des ventes (cotes 6491 à 6534).
23. Pour l'année 2006, on estimait à 100 000 le nombre de patients recourant à la BHD.
L'autorisation de mise sur le marché de Subutex(r)
24. Le 31 juillet 1995, les autorités de santé ont délivré au laboratoire Schering-Plough une autorisation de mise sur le marché (ci-après "AMM") pour la commercialisation du Subutex(r). Ce médicament prend la forme de comprimés sublinguaux à trois dosages : 0,4 mg, 2 mg et 8 mg.
25. En 2006, le laboratoire Schering-Plough a voulu commercialiser Subutex(r) sous forme de comprimé à dissolution rapide (Subutex FDT(r) pour Fast Disolving Tablets), les dosages prévus étant de 8 mg et 16 mg. L'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (ci-après l'"AFSSAPS"), devenue Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ci-après l'"ANSM"), s'y est opposée (cote 14372).
La commercialisation de Subutex(r)
26. Un accord international de licence portant sur la commercialisation de Subutex(r) en France a été conclu le 6 juin 1997 entre Reckitt Benckiser Group, détenteur des droits sur ce médicament, et Schering-Plough Corp, par l'intermédiaire de sa filiale suisse Essex Chemie AG (cotes 13064 et suivantes).
27. Cet accord, qui concernait tous les produits à base de BHD et couvrait aussi bien les développements que les améliorations de produits existants, prévoyait notamment que Reckitt Benckiser fabriquerait les produits à base de BHD, mais que Schering-Plough serait titulaire des AMM en France, qu'elle serait responsable du marketing et de la promotion des produits, et qu'elle les distribuerait en exclusivité sur le territoire français.
28. Une clause de cet accord précisait cependant que les responsables marketing des deux entreprises devaient se rencontrer au moins une fois par an pour se mettre d'accord sur les stratégies de vente. Schering-Plough devait également faire un rapport annuel sur les ventes de ces produits. Le contrat prévoyait aussi que Reckitt Benckiser livrerait les produits préemballés, sauf pour la France où le produit serait livré en gros, le conditionnement étant effectué par Schering-Plough. Cette dernière devait reverser à Reckitt Benckiser 35 % de son chiffre d'affaires net jusqu'à 100 millions de dollars et 37 % si ce seuil était dépassé.
29. Un avenant à cet accord, signé le 1er juin 2004, a fait varier le montant des commissions en fonction de la destination du produit. Ainsi, pour les formes à but analgésique, la commission restait à 35 %, mais, pour les formes destinées au traitement de l'addiction, la commission passait à 38 % jusqu'à 100 millions de dollars et à 40 % au-delà de ce seuil (cote 18959).
30. Il a été mis fin à l'accord en juillet 2010. C'est désormais Reckitt Benckiser Healthcare France qui est le distributeur de Subutex(r) en France.
Les risques liés au mésusage de Subutex(r)
31. Si l'utilisation de la BHD comme traitement de substitution aux opiacés a permis de diminuer le nombre de consommateurs d'héroïne, elle n'empêche pas la polyconsommation et elle est susceptible d'engendrer le mésusage par injection. Le mésusage par injection consiste pour un toxicomane à s'injecter le produit, après dilution, au lieu de l'avaler. Cette pratique présente des risques pour sa santé.
32. En effet, selon le rapport TREND de juin 2002, "[l]a voie injectable est le plus souvent utilisée par des personnes ayant un approvisionnement mixte, la voie orale par les personnes utilisant la prescription et le sniff par les personnes s'approvisionnant hors prescription médicale (...) La plupart des sites rapportent l'augmentation du nombre de cas de gonflement des mains et des avant-bras. Ce gonflement est tantôt dénommé "gant de boxe" tantôt "syndrome de Popeye". (...) Une des explications de ces manifestations serait que l'amidon de maïs, présent dans les comprimés de Subutex, provoquerait un blocage des petits réseaux veineux et entraînerait une inflammation chronique des tissus et du réseau lymphatique. (...) Ces œdèmes seraient extrêmement longs à résorber" (Phénomènes émergents liés aux drogues en 2001, cote 3939).
33. Une étude de l'Inserm, menée en 1997-1998, confirme à cet égard que "l'excipient du Subutex comporte des composés non solubles, le Polyvidone K30, le stéarate de magnésium et l'amidon de maïs qui épaissit la solution en cas de dilution" (cotes 17825 et suivantes).
34. De même, un article intitulé "Complications infectieuses induites par le mésusage de la buprénorphine haut dosage (Subutex(r)) : analyse rétrospective de 42 observations", qui dresse la liste des infections liées à l'injection de Subutex(r), et indique que plus de la moitié des patients présentent des abcès cutanés, relève en outre, comme l'étude de l'Inserm précitée, que les comprimés de Subutex(r) sont "pour la plupart insolubles" et qu'en cas de mésusage, ils "semblent être dommageables pour le système vasculaire en cas d'injections répétées" (cotes 17588 et suivantes). Ils seraient ainsi une des causes du syndrome dit "de Popeye".
De Subutex(r) à Suboxone(r)
35. Suboxone(r) est un médicament associant la buprénorphine à la naloxone. Après une AMM européenne, le 26 septembre 2006, et française, le 7 novembre 2006, Reckitt Benckiser commercialise ce médicament en France depuis le 1er janvier 2012. Ce médicament, qui permet d'éviter le mésusage par injection, est disponible en 2 ou 8 mg.
b) Les génériques de Subutex(r)
La situation en France
36. Le 31 janvier 2006, l'AFSSAPS a délivré une AMM à Arrow qui a permis, à compter du 30 mars 2006, la commercialisation de BHD, en comprimés sublinguaux, de trois dosages, 0,4 mg, 2 mg et 8 mg. Le médicament commercialisé par Arrow est produit et fourni par Ethypharm.
37. En avril 2007, le laboratoire Merck Génériques, devenu Mylan, a également commercialisé un générique de Subutex(r). La fourniture de ce médicament est effectuée par Ethypharm.
38. En 2010, les laboratoires Teva, Sandoz et Biogaran ont, à leur tour, mis sur le marché un générique de Subutex(r) en France.
L'enjeu économique de la générification de Subutex(r)
39. La vente de Subutex(r) représentait en 2005 une somme de 90,8 millions d'euros sur les 519,6 millions d'euros réalisés par Schering-Plough en France de chiffre d'affaires, soit plus de 17 % du chiffre d'affaires total (cote 28843).
40. Reckitt Benckiser recevait pour sa part une rémunération annuelle sur les ventes de Subutex(r) réalisées en France par Schering-Plough d'environ 35 millions d'euros.
41. Selon l'Assurance maladie, la commercialisation des génériques de Subutex(r) aurait dû permettre à la Sécurité Sociale d'économiser 2,8 millions d'euros en 2006 puis 7,4 millions d'euros en 2007 (décision n° 07-MC-06, précitée, paragraphe 154).
42. À la lumière des données transmises par l'AFSSAPS, il est possible de reconstituer les évolutions des parts de marché des différents acteurs (cotes 3790 et suivants et 13 441 et suivantes) :
Evolution des ventes en valeur de buprénorphine haut dosage
<EMPLACEMENT GRAPHIQUE>
Evolution des vents en volume de la buprénorphine haut dosage
<EMPLACEMENT GRAPHIQUE>
Source : Autorité de la concurrence à partir des données de l'ANSM
c) Les modalités de vente de Subutex(r) et de ses génériques
43. Subutex(r) fait partie des produits pharmaceutiques remboursables. Son prix de vente toutes taxes comprises en officine a été fixé par le Comité Économique des Produits de Santé (ci-après "CEPS") sur une base comparative dont les modalités sont définies par l'accord-cadre signé entre l'État et l'industrie pharmaceutique (voir notamment l'article L. 162-16-4 du Code de la sécurité sociale). Ces modalités dépendent en particulier de l'amélioration du service médical rendu (ci-après "ASMR") reconnu au produit.
44. Le service médical rendu par Subutex(r) a été considéré comme important. Le prix de vente de ce produit pour le dosage 8 mg a été fixé à 26,94 euros en 1996 et a par la suite baissé.
Évolution du prix en euros de Subutex(r) (8 mg) et de son générique (boîte de 7 comprimés)
- 1996 / 1998 / 2001 / 1er juillet 2005 / 1er avril 2006 / 2007
Prix princeps / 26,94 / 25,26 / 23,87 / 22,24 / 22,24 / 22,24
Prix générique / - / - / - / - / 18,73 / 16,98
Source : Autorité de la concurrence
45. À l'époque des faits, le prix de vente de Subutex(r) en pharmacie était de 22,24 euros pour le dosage 8 mg. Le prix du générique avait, pour sa part, été fixé à 18,73 euros (voir ci-dessous).
46. Comme tous les produits pharmaceutiques, Subutex(r) et ses génériques sont principalement vendus en pharmacie. Ils sont également administrés à l'hôpital. Les prix de vente aux établissements hospitaliers sont libres.
3. LES RÈGLES APPLICABLES AUX MÉDICAMENTS GÉNÉRIQUES SUR LE MARCHÉ FRANÇAIS
a) Définition d'un médicament générique
47. L'article 10, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001-83-CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un Code communautaire relatif aux médicaments à usage humain définit le médicament générique comme suit :
"[U]n médicament qui a la même composition qualitative et quantitative en substances actives et la même forme pharmaceutique que le médicament de référence et dont la bioéquivalence avec le médicament de référence a été démontrée par des études appropriées de biodisponibilité. Les différents sels, esters, éthers, isomères, mélanges d'isomères, complexes ou dérivés d'une substance active sont considérés comme une même substance active, à moins qu'ils ne présentent des propriétés sensiblement différentes au regard de la sécurité et/ou de l'efficacité. Dans ce cas, des informations supplémentaires fournissant la preuve de la sécurité et/ou de l'efficacité des différents sels, esters ou dérivés d'une substance active autorisée doivent être données par le demandeur. Les différentes formes pharmaceutiques orales à libération immédiate sont considérées comme une même forme pharmaceutique. Le demandeur peut être dispensé des études de biodisponibilité s'il peut prouver que le médicament générique satisfait aux critères pertinents figurant dans les lignes directrices détaillées applicables" (JO L 311 du 28.11.2001, p. 67).
48. L'article L. 5121-1, 5°, sous a), du Code de la santé publique définit quant à lui la spécialité générique d'une spécialité de référence de la façon suivante :
"[C]elle qui a la même composition qualitative et quantitative en principes actifs, la même forme pharmaceutique et dont la bioéquivalence avec la spécialité de référence est démontrée par des études de biodisponibilité appropriées. Une spécialité ne peut être qualifiée de spécialité de référence que si son autorisation de mise sur le marché a été délivrée au vu d'un dossier comportant, dans des conditions fixées par voie réglementaire, l'ensemble des données nécessaires et suffisantes à elles seules pour son évaluation. Pour l'application du présent alinéa, les différentes formes pharmaceutiques orales à libération immédiate sont considérées comme une même forme pharmaceutique. De même, les différents sels, esters, éthers, isomères, mélanges d'isomères, complexes ou dérivés d'un principe actif sont regardés comme ayant la même composition qualitative en principe actif, sauf s'ils présentent des propriétés sensiblement différentes au regard de la sécurité ou de l'efficacité. Dans ce cas, des informations supplémentaires fournissant la preuve de la sécurité et de l'efficacité des différents sels, esters ou dérivés d'une substance active autorisée doivent être données par le demandeur de l'autorisation de mise sur le marché".
49. En raison de cette équivalence de composition, le demandeur d'une AMM pour un médicament générique est, selon l'article 10, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2001-83, précitée, dispensé de l'obligation de fournir les résultats des essais précliniques et cliniques normalement exigés pour l'obtention d'une telle autorisation. Le demandeur doit ainsi uniquement fournir les résultats de tests de biodisponibilité démontrant la bioéquivalence du médicament générique avec la spécialité de référence.
50. La biodisponibilité est définie par l'article R. 5121-1 du Code de la santé publique comme "la vitesse et l'intensité de l'absorption dans l'organisme, à partir d'une forme pharmaceutique, de la substance active ou de sa fraction thérapeutique destinée à devenir disponible au niveau des sites d'action", la bioéquivalence étant quant à elle définie comme "l'équivalence des biodisponibilités".
51. Il apparaît donc que les trois critères à remplir pour qu'un médicament soit qualifié de générique sont les suivants :
- la même composition qualitative et quantitative que la spécialité de référence ;
- la même forme pharmaceutique que la spécialité de référence ;
- la démonstration de la bioéquivalence avec la spécialité de référence.
52. Aucun texte n'exige une identité de la composition en excipients entre la spécialité de référence et la spécialité générique. La composition en excipients, substances autres que la substance active, peut donc être différente. En effet, la comparaison de la bioéquivalence entre le générique et le médicament de référence s'effectue en vérifiant que la quantité de principe actif qui est délivrée au patient, après avoir été administrée, est la même qu'avec le médicament princeps, peu important les excipients présents dans la composition du produit. Il est simplement prévu que, si la spécialité renferme un excipient à effet notoire défini par l'article R. 5143-8 du Code de la santé publique comme l'excipient "dont la présence peut nécessiter des précautions d'emploi pour certaines catégories particulières de patients", la présence de cet excipient doit figurer sur la notice et l'étiquetage du médicament ainsi que sur le répertoire des génériques.
53. Le Conseil d'État a, à cet égard, jugé que "la présence dans un médicament d'un excipient à effets notoires qui ne figure pas dans la composition de la spécialité de référence ne suffit pas, par elle-même, à faire obstacle à son identification comme générique de cette spécialité si cette différence est sans effet sur l'efficacité et la sécurité du produit" (arrêt du 21 décembre 2007, Reckitt Benckiser Healthcare, n° 288129).
b) Les étapes de la générification d'un médicament
L'utilisation des données cliniques et les tests de bioéquivalence
54. La directive 2001-83, précitée, transposée en droit français dans le Code de la santé publique, prévoit, dans sa version actuelle, une protection des données cliniques fournies dans le cadre de la demande d'AMM de la spécialité de référence pendant une durée de huit ans. En vertu de son article 10, paragraphe 1, premier alinéa, un fabricant de génériques n'est pas tenu de fournir les résultats des essais précliniques et cliniques s'il peut démontrer que sa spécialité est un générique d'un médicament de référence autorisé depuis au moins huit ans dans un État membre ou dans l'Union.
55. Toutefois, un médicament générique ne pourra être commercialisé avant le terme de la période de dix ans suivant l'autorisation initiale du médicament de référence. Cette période est portée à onze ans si le titulaire de l'AMM obtient pendant les huit premières années de ladite période de dix ans une autorisation pour une ou plusieurs indications thérapeutiques nouvelles qui sont jugées, lors de l'évaluation scientifique conduite en vue de leur autorisation, apporter un avantage clinique important par rapport aux thérapies existantes (article 10, paragraphe 1, deuxième et quatrième alinéas, de la directive 2001-83 précitée).
La procédure d'AMM
56. L'AMM d'un médicament générique peut être accordée dans le cadre des procédures suivantes :
- une procédure centralisée, via l'EMEA, et plus particulièrement le comité des médicaments à usage humain (CHMP) ;
- une procédure décentralisée, dans le cadre de laquelle l'instruction du dossier d'AMM centralisée est assurée par une autorité de santé nationale (en France, l'ANSM) ;
- une procédure de reconnaissance mutuelle, dans le cadre de laquelle le demandeur demande la reconnaissance de l'autorisation accordée pour son produit au sein d'un État membre de l'Union européenne par un ou plusieurs autres États membres.
La détermination du prix
57. L'obtention d'une AMM générique permet au laboratoire génériqueur de faire une demande de prix au CEPS. Une fois accordé, ce prix est publié au Journal officiel de la République française.
58. Le prix d'un générique est exprimé par une décote représentant un certain pourcentage du prix du princeps de référence avant la commercialisation des génériques. Entre 2008 et 2012, cette décote était généralement fixée à 55 % du prix fabriquant hors taxe, le prix du princeps baissant quant à lui de 15 % après la commercialisation du premier générique. Depuis janvier 2012, le principe général est celui d'une décote de 60 % par rapport au prix du princeps avant la commercialisation des génériques, le prix du princeps baissant quant à lui de 20 %. Le CEPS fixe un prix identique pour tous les génériques d'une même molécule.
59. En raison de l'obligation, imposée à Arrow, d'établir un plan de gestion des risques, le prix du générique de Subutex(r), à la date des faits constatés, a été fixé par le CEPS à 20 % de moins que le prix hors taxe du princeps, soit 15% de moins que le prix TTC de Subutex(r), soit 18,73 euros pour le 8 mg. La différence de prix entre Subutex(r) et ses génériques en 2006 était donc de 3,51 euros pour une boîte de 8 mg.
L'information du titulaire du princeps et l'inscription au répertoire des génériques
60. La délivrance de l'AMM générique par l'ANSM donne également lieu à une notification par cette dernière au titulaire du princeps (article L. 5121-10 du Code de la santé publique).
61. La notification au titulaire de l'AMM de la spécialité de référence fait courir un délai de 60 jours à la suite duquel l'ANSM adopte une décision d'inscription au répertoire des génériques, publiée quelques jours après sur son site Internet. Cette inscription fait ensuite l'objet d'une publication au JORF.
62. Ce n'est en principe qu'à compter de cette inscription au répertoire qu'un générique peut être substitué au princeps, quand bien même il aurait déjà obtenu un prix publié au JORF.
63. Il faut également relever que le Conseil d'État considère que la décision d'inscription d'un médicament générique au répertoire des génériques constitue une simple conséquence de la délivrance de l'AMM en qualité de générique, après que le titulaire de l'AMM de la spécialité de référence a été mis à même de faire valoir, le cas échéant, ses droits (arrêt du 21 décembre 2007, Reckitt Benckiser Healthcare, précité).
Les conséquences de l'inscription d'un générique au répertoire d'un générique
64. Dès lors qu'un médicament générique est inscrit au répertoire des génériques, l'article L. 5125-23 du Code de la santé publique permet au pharmacien d'officine de délivrer par substitution à la spécialité prescrite une spécialité du même groupe générique. Cette disposition permet au pharmacien, dans le cadre d'une prescription libellée avec le nom de marque de la spécialité de référence, de remplacer cette dernière par un médicament générique.
65. Dans une précédente décision de l'Autorité portant également sur la substituabilité des génériques, l'ANSM avait indiqué aux services d'instruction que "[d]ès lors qu'elles sont inscrites au répertoire dans le groupe PLAVIX, toutes les spécialités génériques du PLAVIX peuvent être délivrées par substitution à la spécialité de référence prescrite, à moins que le prescripteur n'en ait exclu la possibilité. En effet, l'article L. 5125-23 du CSP prévoit notamment que par dérogation aux dispositions du premier alinéa, le pharmacien peut délivrer par substitution à la spécialité prescrite une spécialité du même groupe générique à condition que le prescripteur n'ait pas exclu cette possibilité, pour des raisons particulières tenant au patient, par une mention expresse portée sur la prescription, et sous réserve, en ce qui concerne les spécialités figurant sur la liste mentionnée au premier alinéa de l'article L. 162-17 du Code de la sécurité sociale, que cette substitution s'effectue dans les conditions prévues par l'article L. 162-16 de ce Code" (décision n° 13-D-11 du 14 mai 2013 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur pharmaceutique, paragraphe 68).
66. Cette possibilité de substitution n'est pas affectée par une éventuelle différence en termes d'indications entre le princeps et ses génériques. En effet, le Conseil d'État, dans un arrêt en date du 23 juillet 2003, a relevé :
"[Q]u'il en résulte, en premier lieu, que l'identité d'indications thérapeutiques n'étant pas au nombre des conditions d'identification des spécialités génériques, les pharmaciens sont légalement habilités, eu égard à l'identité de la composition des spécialités, à substituer une spécialité générique à une spécialité de référence, y compris lorsque les autorisations de mise sur le marché des deux spécialités ne visent pas les mêmes indications thérapeutiques" (Société Lilly France, n° 246716).
67. En conséquence, dès lors qu'un générique est inscrit au répertoire des génériques, aucune disposition légale n'empêche sa délivrance par le pharmacien, quand bien même ce générique présenterait des indications différentes du princeps.
68. Néanmoins, le médecin prescripteur peut toujours exclure cette possibilité de substitution par une mention expresse portée sur la prescription. Une telle mention ne doit cependant être apposée que "pour des raisons particulières tenant au patient".
69. Par ailleurs, l'article R. 5121-5 du Code de la santé publique permet au directeur général de l'ANSM de préciser, dans sa décision, et en tant que de besoin, que la substitution de la spécialité de référence par la spécialité générique peut entraîner un risque particulier pour la santé de certains patients dans certaines conditions d'utilisation.
4. LES CONDITIONS DE COMMERCIALISATION DES MÉDICAMENTS À LA DATE DES FAITS CONSTATÉS
70. Conformément aux dispositions de l'article L. 138-9 du Code de la sécurité sociale, dans sa version en vigueur au moment des faits, "[l]es remises, ristournes et avantages commerciaux et financiers assimilés de toute nature, consentis par tous les fournisseurs des officines en spécialités pharmaceutiques remboursables ne peuvent excéder par mois et par ligne de produits et pour chaque officine 2,5 % du prix de ces spécialités. Ce plafond est porté à 10,74 % du prix fabricant hors taxes pour les spécialités génériques (...). Les infractions aux dispositions prévues au présent article sont passibles des sanctions pénales applicables aux infractions mentionnées à l'article L. 162-38".
71. Par conséquent, le fait, pour un fournisseur d'officines en spécialités pharmaceutiques remboursables, d'octroyer pour un produit ou une ligne de produits, des remises, des ristournes ou des avantages commerciaux et financiers, qui excédaient 2,5 % du prix de ce produit ou ligne de produits, constituait, au moment des faits, une pratique illégale au regard du Code de la sécurité sociale.
72. L'article 3 de la loi du 3 janvier 2008 a modifié l'article L. 138-9 du Code de la santé publique en introduisant la précision que les avantages commerciaux et financiers comprennent "les rémunérations de services prévues à l'article L. 441-7 du Code de commerce (services de coopération commerciale et services distincts)" (loi n° 2008-3 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs, JORF du 4 janvier 2008 p. 258). Le législateur a ainsi entendu affirmer de manière explicite que les rémunérations au titre des services de coopération commerciale ou autres services distincts entrent dans le champ des "avantages commerciaux et financiers" et doivent donc être pris en compte dans le plafonnement à 2,5 % "du prix fabricant hors taxes de ces spécialités".
73. Dès lors, un fournisseur de princeps pouvait, antérieurement à la loi du 3 janvier 2008, consentir des remises supérieures à 2,5 % du PFHT si elles relevaient de la coopération commerciale ou des services distincts. Ces remises devaient néanmoins être conformes à l'ensemble des dispositions du Code de commerce applicables.
74. Le I de l'article L. 441-7 du Code de commerce définit le contrat de coopération commerciale comme la "convention par laquelle un distributeur ou un prestataire de services s'oblige envers un fournisseur à lui rendre, à l'occasion de la revente de ses produits ou services aux consommateurs, des services propres à favoriser leur commercialisation qui ne relèvent pas des obligations d'achat et de vente". Ainsi, les services, qui ne relèvent ni des conditions générales de vente ni de la coopération commerciale, sont dénommés services distincts (circulaire du 8 décembre 2005 relative aux relations commerciales, JORF du 30 décembre 2005, p. 20557).
75. Sous peine d'une amende de 75 000 euros, tant les services de coopération commerciale que les services distincts doivent faire l'objet de contrats écrits. La circulaire du 8 décembre 2005 précitée précise par ailleurs que "[t]oute demande de rémunération de services de coopération commerciale ou de services distincts doit correspondre, respectivement, à un service effectivement rendu, ou à une contrepartie effectivement obtenue, afin de ne pas placer le fournisseur en situation d'accorder à un client des avantages discriminatoires, portant sur un service fictif ou dépourvus de contrepartie réelle".
C. LES PRATIQUES RELEVÉES
1. LES DIFFÉRENTES STRATÉGIES FORMULÉES PAR SCHERING-PLOUGH ET RECKITT BENCKISER FACE À L'ARRIVÉE D'UN GÉNÉRIQUE
a) Les premières stratégies
76. Reckitt Benckiser, producteur de buprénorphine et fournisseur du princeps, s'est inquiétée dès janvier 2001 de l'entrée probable d'un générique sur le marché français à l'expiration du brevet. Dès cette date, M. Chris X, directeur de l'activité BHD de Reckitt Benckiser à Londres, a adressé un courrier au président-directeur général de Schering-Plough France, dans lequel il indiquait que les détenteurs du brevet étaient "parfaitement conscients des menaces que les génériques font peser sur notre activité dans un premier temps (en France, premier pays européen où un générique sera commercialisé) et ensuite pour le reste de l'Europe et ceci constitue une préoccupation majeure pour nos deux entreprises" (plusieurs pièces citées dans la présente notification de griefs sont rédigées en langue anglaise et les traductions apportées aux citations ont été versées au dossier, cote 7077).
77. Reckitt Benckiser recevait en effet une rémunération sur les ventes réalisées par Schering-Plough en France. Dès lors, l'apparition du générique pouvait effectivement conduire à une baisse de ses revenus, liée à une potentielle baisse des ventes de Subutex(r). De plus, Reckitt Benckiser, selon ses propres termes, "fournissait exclusivement Schering Plough en produits contenant de la buprénorphine (...) à des fins commerciales en France" (cote 18704).
La réunion du 30 avril 2004
78. Comme l'indique un compte-rendu, une réunion est organisée le 30 avril 2004, au siège de Schering-Plough, à Levallois-Perret, entre Reckitt Benckiser et Schering-Plough dont l'intitulé est : "Nouveaux concurrents - génériques" (cotes 13613 à 13 624).
79. Pour Reckitt Benckiser, MM. Chris X, Andy Y, directeur commercial, et Neil Z, responsable contrôle qualité et assurance qualité, y participent.
80. Pour Schering-Plough Corp., MM. Craig A, Jean-Manasse B, Geert de Greef, et Mme Haïfa D y participent. Pour la filiale française, Schering-Plough, MM. Pierre E, président-directeur général, Alain F, affaires réglementaires, Olivier G, responsable marketing, et Mme Catherine H, responsable marketing toxicomanie, sont également présents.
81. L'objet de la réunion est d'examiner la stratégie des concurrents potentiels sur le marché français, d'identifier les actions possibles en réponse, d'assigner à chacun ses responsabilités et de déterminer le calendrier des actions.
82. Plusieurs actions sont décidées au cours de cette réunion. L'une d'elles, relative au principe actif du générique, réside dans l'étude des "possibilités qu'il existe des impuretés ayant des conséquences sur le pouvoir agoniste qui pourraient impacter la sécurité du générique" ("Reckitt to explore potential agonist potent impurities that may impact generic safety", cote 13624).
La réunion du 20 juillet 2004
83. Le 20 juillet 2004, comme en atteste un compte-rendu, une autre réunion entre Reckitt Benckiser et Schering-Plough, dont l'intitulé est "Buprénorphine Generics-review of defense strategy", est organisée à Levallois-Perret (cotes 13610 à 13 612).
84. Il est procédé, en premier lieu, à la revue des autres fournisseurs de buprénorphine. Est ainsi identifié MacFarlan Smith, dont il est précisé qu'il est aussi la seconde source "approuvée" de buprénorphine pour Reckitt Benckiser et qu'il est intéressé par la fourniture de produit aux génériqueurs.
85. En deuxième lieu, un projet d'étude de marché est présenté par Schering-Plough, étude qui sera réalisée par le cabinet de conseil Smart Pharma. À cette occasion, il est envisagé d'utiliser les fonds du New Products Developpment (NPD), qui servaient à financer le développement de nouveaux produits et des essais cliniques, pour financer cette étude (cotes 17283 à 17 291).
86. En troisième et dernier lieu, il est acté que Schering-Plough doit développer une argumentation relative à l'impact négatif des génériques. À cet égard, les participants considèrent que le générique, eu égard à son prix, pourrait, d'une part, favoriser le développement des ventes de BHD sur le marché noir, qualifié dans des documents postérieurs de "trafic" et, d'autre part, faciliter l'accès à une première addiction ("low cost could increase black market, access to the product as a "first addiction" (...)", cote 13611).
La réunion du 24 septembre 2004
87. Le 24 septembre 2004, se déroule le "Subutex(r) - NPD meeting" qui réunit les représentants de Schering-Plough et Reckitt Benckiser au cours duquel est notamment approuvée formellement l'utilisation des fonds "NPD" pour le financement de l'étude de marché qui sera réalisée par Smart Pharma (cotes 13499 à 13 502).
Le rapport de Saatchi & Saatchi d'octobre 2004
88. Le 13 octobre 2004, le cabinet de conseil Saatchi & Saatchi Healthcare remet un rapport à Schering-Plough relatif à la stratégie de communication qu'il conviendrait de développer en faveur de Subutex(r) pour l'année 2005 afin de faire face à la menace "générique" (cotes 6491 à 6534). À cette fin, il propose notamment de renforcer l'image de Schering-Plough en tant qu'acteur majeur de la politique de substitution aux opiacés auprès des médecins, des pharmaciens, mais aussi des patients.
L'étude de Smart Pharma d'octobre 2004
89. En octobre 2004, Smart Pharma rend également une étude à Schering-Plough, intitulée "Subutex performance optimization" dont la première section porte sur la "menace des génériques" ("Generics threat", cote 5878). Smart Pharma estime dans son étude qu'en l'espace d'un an la part de marché des génériques pourrait atteindre 68 % (cote 5914). En effet, selon l'enquête menée, une fois les génériques entrés sur le marché, les médecins ne seront pas spécialement fidèles à Subutex(r), 60 % d'entre eux ne marquant pas d'attachement particulier à la marque (cote 5922).
90. Un premier graphique procède à une estimation du taux de pénétration d'un générique concurrent de Subutex(r) par comparaison avec le médicament Prozac(r), médicament considéré comme une "référence" ("benchmark", cote 5928) :
Most recent benchmarks in the CNS field tend to confirm that generics can reach a 40 % to 50 % penetration within off-patent drugs after 6 months, quite easily
Buprenophine generics penetration benchmarks
<EMPLACEMENT GRAPHIQUE>
Source : GERS data
91. Un autre graphique représente les différents scénarios d'évolution du marché, en fonction de différentes hypothèses de pénétration du générique (cote 5930). Le premier scénario, qualifié d'"optimiste", suppose la mise sur le marché d'un seul générique. Dans ce cas de figure, la part de marché du générique sera après une année de 27 %. Le deuxième scénario, qualifié de "cas de base", prend pour hypothèse la mise sur le marché d'un seul générique par une entreprise importante ou de deux génériques par deux entreprises de plus petite taille. Dans ce cas de figure, la part de marché du générique atteindrait, après une année, 48 %. Le troisième et dernier scénario, qualifié de "pessimiste", prend pour hypothèse la mise sur le marché rapidement et au même moment de trois génériques par trois entreprises importantes. Dans cette hypothèse, les parts de marché du générique seraient au bout d'un an de 61 %.
Generics penetration modeling with no TFR
Three different generics penetration models could be proposed, mostly depending on the number of generic players
<EMPLACEMENT GRAPHIQUE>
Source : GERS data
92. En dépit d'une actualisation par Smart Pharma le 10 mars 2005, ces trois scénarios de pénétration des génériques seront repris à l'identique (cotes 4501 à 4519).
b) Les réunions préparatoires à l'adoption du "French plan against generics"
La réunion du 20 juillet 2005
93. Une réunion est organisée le 20 juillet 2005 entre Reckitt Benckiser (MM. Peter I, Chris X, Andy Y et Neil Z) et Schering-Plough maison-mère (M. Craig A, et Mmes Lina J et Reina K, par téléphone) et filiale (M. Pierre E, par téléphone) dont le compte-rendu dresse la liste des actions à entreprendre dans les mois qui suivent (cotes 16426 à 16 428).
94. Il s'agit de constituer une "task force" rassemblant des représentants de Reckitt Benckiser et de Schering-Plough pour "gérer le générique". Cette "task force" est composée de Mme Lina J (Schering-Plough Corp.), M. Olivier L (Schering-Plough), M. Alain F (Schering-Plough), M. Craig A (Schering-Plough Corp.), M. Andy Y (Reckitt Benckiser) et de M. Chris X (Reckitt Benckiser).
95. Le compte-rendu entérine également trois actions "essentielles" qui échoient à ce groupe. L'une d'elles porte sur le lancement d'une enquête sur le comportement des pharmaciens. Reckitt Benckiser indique à cet égard qu'il a besoin de mieux comprendre le marché français et annonce qu'il va à cette fin recueillir l'avis des pharmaciens et des laboratoires. L'objectif est de déterminer les actions possibles de défense face à l'entrée des génériques. Il partagera le fruit de ses recherches avec Schering-Plough mais estimera que celle-ci devra également mener une enquête de son côté.
96. Enfin, il est indiqué que le génériqueur se fournit en principe actif auprès de MacFarlan Smith, qui avait été retenu comme fournisseur alternatif de buprénorphine.
Les échanges de courriels avant la réunion programmée du 20 octobre 2005
97. Une réunion commune entre des représentants de Reckitt Benckiser et de Schering-Plough est programmée le 20 octobre 2005 (cotes 13891 et 15175). En vue de la tenue de cette réunion, Reckitt Benckiser fait réaliser le 15 septembre 2005, sur ses fonds propres, une étude par le cabinet A+A pour connaître l'intention des pharmaciens en matière de substitution (cotes 7944 et suivants, 13 537, et 13 891). Il est prévu que les résultats de cette étude soient d'ailleurs discutés lors de cette réunion, en même temps que le "plan d'optimisation des performances" (cote 13891).
L'étude du cabinet A+A
98. L'étude du cabinet A+A confirme, comme celle de Smart Pharma, le risque de forte baisse des parts de marché de Subutex(r) après l'arrivée des génériques. L'étude met en effet en évidence le fait que 80 % des pharmaciens marquent leur accord pour proposer immédiatement la substitution à 40 %, voire 100 %, de leurs patients dans les 6 mois suivant la commercialisation d'un générique (cote 7955).
99. Pour y faire face, le cabinet A+A propose d'offrir aux pharmaciens des avantages commerciaux et notamment des remises supplémentaires, mais aussi des rémunérations spécifiques de coopération commerciale : "les actions que SP doit mettre à la disposition des pharmaciens restent prioritairement les avantages commerciaux (prix fabricant, augmenter les marges, remises supplémentaires, mise en place d'un système de partenariat/formation rémunéré pour combler la remise des génériqueurs)" (cote 7946).
Le plan d'optimisation des performances selon Schering-Plough
100. Préalablement à la réunion prévue le 20 octobre 2005, Mme Lina J de Schering-Plough Corp. transmet par courriel à Mme Catherine H de Schering-Plough et à M. Andy Y de Reckitt Benckiser, le 30 septembre 2005, la présentation du plan d'optimisation des performances qu'elle a préparé à partir des différentes évaluations de Smart Pharma (cotes 13821 à 13 825).
101. Cette présentation comporte notamment une page PowerPoint exposant plusieurs actions destinées à "Retarder/Décourager l'entrée des génériques" sur les thèmes de la "bioéquivalence" et des "questions de santé", d'une part, et à "Minimiser la pénétration des génériques" par notamment la "vente aux pharmacies", des "programmes de fidélisation des clients" et de "réduction du mésusage" (cote 13824).
Subutex Performance Optimization in France
<EMPLACEMENT TABLEAU>
102. Il est également estimé que seule une remise de 10 %, et non pas de 2,5 %, sera en mesure d'avoir un effet sensible, estimé à 2 millions d'euros de ventes en gros pour une année, sur la substitution des pharmaciens (cote 13824). Elle préconise donc le recours à un "agent" et l'octroi de conditions commerciales ad hoc. Il est en outre mentionné qu'une étude de marché est en cours pour analyser le comportement des pharmaciens face au générique.
La réponse de Reckitt Benckiser au plan d'optimisation des performances
103. Le 5 octobre 2005, M. Andy Y, de Reckitt Benckiser, transmet par courriel à M. Gilles M, président-directeur général de Schering-Plough, son "plan d'optimisation des performances" avec Mme Lina J, de Schering-Plough Corp., en copie (cote 13891). Ce courriel indique :
"Les enjeux principaux concernent la partie relative à la pharmacie, pour laquelle nous devons passer d'une position conceptuelle à un plan solide et précis. L'intention de RB est de passer un contrat en France avec un agent dépositaire pour donner à SP une capacité en termes de force de vente et un savoir-faire commercial. RB est prête à jouer un rôle actif et en partager le coût avec SP.
Pour maximiser les chances de la force de vente, il est impératif qu'elle soit en place au moins trois mois avant le lancement d'un générique. Cela permettra que des relations soient établies et que des contrats commerciaux (si nécessaire) soient mis en place. Si le générique doit être lancé en avril, il faut que la force de vente soit en place le 1er janvier 2006 (...) RB est prête à fournir toute l'assistance qu'elle peut pour qu'un plan soit mis en place, que des termes contractuels et des activités soient conclus avec l'agent dépositaire et que le matériel (pour la vente) soit développé".
104. Dans ce courriel, il est spécifié que le prestataire choisi ne devra pas seulement proposer des délégués pharmaceutiques qui aideront les visiteurs médicaux de Schering-Plough, mais qu'il devra aussi fournir un soutien logistique pour ce qui concerne les offres commerciales aux pharmaciens (cote 13891). Ce courriel précise également que cette action commerciale fournie par ce prestataire devra être opérationnelle trois mois avant la sortie du générique.
105. Interrogé sur ce document, Reckitt Benckiser a indiqué que "le courriel en question n'a pas encore été retrouvé. De ce fait, Reckitt Benckiser se trouve actuellement dans l'incapacité d'en confirmer l'authenticité (...) (qu'en outre) M. Andy Y a quitté le groupe auquel Reckitt Benckiser France appartient (et qu'il n'a donc pu être interrogé)" (cotes 19138 et 19139).
106. À ce courriel de Reckitt Benckiser, il est joint le "plan d'optimisation des performances". Cette version reprend plusieurs pages de la présentation envoyée par Schering-Plough le 30 septembre 2005 telle que la page suivante (cote 13899) :
Subutex Performance Optimization in France
<EMPLACEMENT TABLEAU>
107. Dans ce plan, Reckitt Benckiser acte en outre l'identification des "catégories de patients pour qui un changement d'ordonnance peut entraîner un risque élevé, c'est-à-dire l'injection, la comorbidité, notamment pour les patients en traitement psychiatrique, et sensibiliser les médecins sur le risque par les forces de vente" ("patient types for who a changes in Rx may carry a high risk i.e. injectors, co-morbidity e.g. psychiatric patients, and educate Drs on the risk through sales representatives", cote 13894). Il est également précisé que, "[q]uand un générique est disponible, obtenir aussi vite que possible un exemplaire afin d'analyser et d'identifier tout risque potentiel, c'est-à-dire la différence d'excipients" ("a generic is available, obtain a supply asap to analyse and identify any potential risks i.e. different excipients", cote 13894). À cet égard, il est arrêté l'analyse comparative de son produit avec le générique sur son apparence, sa dissolution et ses excipients afin d'en communiquer les résultats aux médecins et pharmaciens ("Compare generic product with Subutex - Appearance, Dissolution, Excipients - Communicate fmdings to medical, pharmacy professionals to ensure they can advise their patients appropriately", cote 13899).
108. Dans la diapositive "Pharmacie : exposé du calendrier" et plus particulièrement dans les développements relatifs au "pack commercial" pour le 1er trimestre 2006, la décision d'"impulser le stock initial" est prise ("Initial Stock Boost", cote 13895). Cette présentation précise que l'objectif est de "fournir aux pharmaciens des remises au comptant de courte durée afin d'assurer un stock suffisant en place avant le lancement du générique" ("[p]rovide short term cash discount to pharmacists to ensure adequate stock in place prior to generic launch", cote 13898).
Les commentaires de la maison-mère sur l'action commerciale à mettre en place
109. Après ses visites des 21, 22 et 23 novembre 2005, M. Francesco N, vice-président Europe et Canada de Schering-Plough Corp., rédige un compte-rendu dans lequel il demande d'évaluer quel type d'offre commerciale agressive pourrait être mis en place à destination des pharmacies ("evaluate what kind of aggressive commercial offer could be put in place at the pharmacy level", cote 4608).
110. Comme l'indique le compte-rendu de la réunion conjointe du 30 avril 2004, précitée, la stratégie des parties prenantes prévoit aussi des actions de "lobbying" à destination des pouvoirs publics et notamment des autorités sanitaires.
c) L'action commune de Schering-Plough et Reckitt Benckiser auprès de l'AFSSAPS
111. Le 9 novembre 2005, Schering-Plough et Schering-Plough Corp. adressent un courrier au directeur de l'AFSSAPS pour l'alerter sur le risque de génotoxicité du générique qui pourrait exister en raison des impuretés éventuelles du produit.
112. Cette lettre, rédigée par Reckitt Benckiser et signée par M. Jean-Paul O, pharmacien responsable chez Schering-Plough, précise :
"Notre important potentiel problème de sécurité avec l'hydrochlorure de buprénorphine est l'utilisation d'un agent alkylant réactif, le bromure de cyclopropylméthyle, qui, du fait de sa fonctionnalité et de sa réactivité, est considéré comme un matériau génotoxique (...) Schering-Plough a insisté auprès de Reckitt pour qu'il démontre l'absence de bromure de cyclopropyméthyle sur une marge suffisamment sûre en deçà du seuil, afin d'éviter tout problème toxicologique pour un certain nombre de lots consécutifs. (...) il est important d'attirer l'attention de l'AFSSAPS sur la question de l'impureté potentiellement génotoxique du produit parce que cette question n'est pas actuellement discutée dans la monographie de la pharmacopée européenne consacrée à la l'hydrochlorure de buprénorphine. Nous avons également considéré qu'il était extrêmement important de démontrer, pour notre propre source d'hydrochlorure de buprénorphine, que des niveaux de résidus sûrs ont été atteints et nous avons souhaité fournir à l'AFSSAPS l'assurance que nous jugeons nécessaire à ce propos. De l'avis de notre consultant, l'utilisation d'un agent alkylant est inévitable dans la synthèse de la buprénorphine et par conséquent, il est important qu'un fabricant quelconque démontre que son processus permet de réduire les résidus, en deçà d'un niveau sûr défini. Nous pensons que Reckitt Benckiser l'a parfaitement démontré pour son processus" (cotes 4820 et 13568).
d) L'élaboration du "French plan against generics"
L'étude de Smart Pharma de décembre 2005
113. En décembre 2005, Smart Pharma remet à Schering-Plough son étude intitulée "la concurrence des génériques en France, quel impact pour Subutex", dans laquelle il examine les possibilités dont disposent les laboratoires princeps pour se défendre contre les génériques (cotes 7885 et suivantes).
114. Smart Pharma y recense d'abord les différents niveaux auprès desquels un laboratoire peut agir (pharmaciens, médecins, autorités de santé, génériqueurs et patients, cote 7899).
115. Smart Pharma décline ensuite les différentes stratégies de défense possibles des laboratoires princeps : développement d'une nouvelle génération de médicaments, réduction du prix du princeps, offre de remises aux pharmaciens, développement d'une forme protégée, introduction d'un générique de défense (autogénérique), introduction de nouvelles formes et dosages, offre de services médicaux, déplacement vers une forme non remboursée (cote 7899).
116. Afin de déterminer le niveau de pénétration d'un générique, l'étude effectue à nouveau une comparaison avec le médicament Prozac(r) considéré comme une "référence" ou "benchmark" (cote 7900). Il est ainsi estimé qu'au bout d'une année la part de marché d'Arrow sera de 35 %, puis de 49 % après l'arrivée de génériques supplémentaires, pour atteindre 65 % au bout de trois ans.
La concurrence des génériques en France
La dynamique de pénétration des génériques de Subutex devrait être en ligne avec celle observée sur Prozac, une fois l'offre générique sera multiple
Dynamique de pénétration des génériques
<EMPLACEMENT GRAPHIQUE>
Source : GERS
La réunion du 9 décembre 2005 : le plan face à l'entrée imminente du générique
117. Le 9 décembre 2005 est organisée au siège social de Reckitt Benckiser à Slough au Royaume-Uni une réunion entre cette dernière et Schering-Plough pour finaliser le plan contre le générique ("french plan against generic", cote 4887) dont l'entrée sur le marché est imminente. En effet, Schering-Plough comme Reckitt Benckiser sont informées du fait que le génériqueur a engagé des démarches auprès de l'AFSSAPS pour obtenir une AMM, qui devrait être délivrée vers la mi-décembre 2005 (cotes 4837 et 4838).
118. À cette réunion du 9 décembre 2005, sont présents pour Schering-Plough Corp., M. Craig A, et Mmes Lina J et Reina K, pour Schering-Plough, M. Gilles M, président directeur-général, et pour Reckitt Benckiser, M. Erhard P, présent seulement pour une partie des débats concernant le "Generic Defence", MM. Brian Q, Peter I, Chris X, et Andy Y.
Le "PowerPoint" présenté par Schering-Plough
119. Pour la préparation de cette réunion, un "PowerPoint" est préparé par Schering-Plough. Plusieurs versions de ce document, qui sera révisé par M. Gilles M, figurent au dossier (cotes 4779 et suivantes, 7783 et suivantes, 7795 et suivantes, et 20 522 et suivantes).
120. Ce document présente la stratégie que propose Schering-Plough à sa maison-mère et à Reckitt Benckiser. Celle-ci est articulée autour de trois axes :
- élever des barrières à l'entrée du générique, notamment par des actions auprès de l'AFSSAPS (rappel de la règle des 10 ans, sensibilisation sur le mésusage, etc.). Il est en outre prévu une action en direction des "professionnels de la santé, associations de patient et journalistes" afin de "sensibiliser le public aux risques accrus de trafic" ("Health professionals, patient associations and journalists" afin de "create awareness on increased traffic risks", cote 4781) ;
- limiter la pénétration du générique par la constitution de stocks de Subutex(r) pour une durée de ventes de trois mois dans les pharmacies ("Objective / impact - Push Subutex stocks with commercial offer. Goal is 3 months stock", cote 4781) grâce à des offres commerciales et des programmes assurant la "loyauté" des pharmaciens (cote 4781). Le plan d'action de Depolabo, qui sera retenu comme "pharmacy agent", chargé donc de la commercialisation de Subutex(r) auprès des officines, est présenté et notamment le ciblage des remises vers les pharmacies qui ont le chiffre d'affaires le plus important (recourir à Depolabo, mandaté par Schering-Plough, chargé de faire de la vente directe, est le seul moyen d'accorder des remises importantes aux pharmaciens par transfert de la marge du grossiste répartiteur aux pharmaciens) ;
- préparer le transfert vers Subutex FDT(r) et Suboxone(r).
121. S'agissant du deuxième axe, une diapositive de ce plan présente le plan d'action auprès des pharmaciens pour l'année 2006 (cote 4784). L'un des objectifs est de minimiser la pénétration du générique en dessous de 35 % de parts de marché ("Minimize generic penetration < 35 %"). Pour ce faire, plusieurs "Outils" sont répertoriés comme l'offre commerciale ("Commercial offer") et la communication portant sur "le caractère unique des consommateurs de drogue par voie intraveineuse : facteur de "crainte" pour les changements de traitement, instabilité psychiatrique, risques de mauvaise utilisation et de trafic" ("Detailing the uniqueness of IVDUs (Intravenous Drug Users) : "fear" factor for treatment changes, psychiatric unstability, risk of misuse and trafic", cote 4784).
122. Pour ce qui concerne le taux de pénétration des génériques, une diapositive fournit une estimation de la diminution du chiffre d'affaires qui résulterait de l'entrée d'un générique de Subutex(r) (cote 4785). Sur un marché annuel de 85 millions d'euros, la perte de chiffre d'affaires est estimée à 26 millions, ce qui correspond à une part de marché du générique de 30 % en un an. De même, deux autres diapositives établissent des simulations sur l'évolution du marché de Subutex(r) à horizon d'un an ("penetration@1yr"), en fonction de différentes hypothèses sur les dates d'entrée du générique et sur son taux de pénétration (cote 4787). Trois scénarios sont retenus : un scénario pessimiste ("worst case") avec une part de marché de 60% en un an, à la suite d'une entrée du générique en janvier 2006 ; un scénario de base ("base case"), qui retient une part de marché de 45 % en un an, à la suite d'une entrée du générique en février 2006 ; un scénario optimiste ("best case") qui suppose une entrée du générique en octobre 2006 et se traduit par une part de marché en un an de 35 %.
123. Quelques jours avant la réunion, le "PowerPoint" est adressé pour commentaires à Reckitt Benckiser. Dans un courriel du 5 décembre 2005, Reckitt Benckiser fait part de ses remarques et questions (cotes 15178 et 15179).
Le compte-rendu de la réunion par Reckitt Benckiser
124. Le compte-rendu de cette réunion retrace les échanges relatifs au plan présenté par Schering-Plough et discuté avec les autres participants (cotes 13462 à 13 465). Il est ainsi arrêté l'argument selon lequel "le lancement d'un générique pourrait intensifier la situation de trafic" et que "si un générique est lancé (Gilles M) a défini un plan pour optimiser la performance du Subutex à travers l'utilisation de la force de vente de (Schering-Plough) afin de fournir un support professionnel à la pharmacie" ("[t]he launch of a generic could escalate the Trafficking situation" et que "if a generic is launched, (Gilles M) defined plan to optimise Subutex performance through using SP salesforce to provide professional support to Pharmacy", cote 13462).
<EMPLACEMENT COPIE COMPTE-RENDU>
125. Ce compte-rendu indique également les actions clés à effectuer (cotes 13462 et 13463).
Le compte-rendu de la réunion par Schering-Plough
126. M. Gilles M, président-directeur général de Schering-Plough, établit, sous la forme d'un courriel, le compte-rendu de cette réunion où il inscrit les actions de suivi (cotes 4487 et 4488). Ce compte-rendu précise qu'un accord a été conclu avec Reckitt Benckiser sur les principaux points et indique les actions à mener et les responsables désignés pour celles-ci ("the main points agreed with Reckitt during our meeting", cote 4487). Le courriel indique également que la direction de Reckitt Benckiser Europe félicite l'équipe pour l'élaboration du plan ("Erhard P, head of RB Europe, found the plan well done and detailed enough, he addressed the congrats to the team for this", cote 4487).
Le compte-rendu de la réunion par Schering-Plough Corp.
127. Enfin, le compte-rendu de cette réunion est également effectué par Schering-Plough Corp. (cotes 14420 et 14421). Il est indiqué que l'accent sera mis sur les pharmacies au travers des deux forces commerciales, celle de Schering-Plough centrée sur l'instruction et la formation et celle de Depolabo qui travaillera avec les pharmaciens sur les commandes et conditions commerciales.
2. LA MISE EN OEUVRE DU PLAN PAR SCHERING-PLOUGH
a) L'autorisation donnée par la société-mère à la mise en œuvre du plan
128. Le 10 février 2006, Schering-Plough adresse à sa maison mère un mémorandum intitulé "Subutex France Update - Request for legal actions" qui présente les derniers événements relatifs au générique et demande son accord pour les futures actions envisagées (cotes 4187 à 4192).
129. Ainsi, Schering-Plough rappelle à sa maison mère la stratégie adoptée qui consiste à tenter de faire transférer les prescriptions de Subutex(r) vers Suboxone(r) prévu pour le quatrième trimestre 2006. Selon la filiale française, pour mettre en place cette stratégie de transfert, il existe trois priorités :
"1) retarder l'entrée du générique et s'assurer qu'Arrow a bien les ressources nécessaires pour son plan de gestion des risques
2) une fois que le générique est lancé, concurrencer Arrow pour conserver les parts de marché les plus élevées et conserver la plus grande base de client pour transférer les prescriptions vers Suboxone
3) accélérer la procédure de remboursement de Suboxone (après approbation européenne en octobre 2006) et obtenir le prix de remboursement le plus élevé pour Suboxone" (cote 4187).
130. Dans le cadre des actions à engager pour respecter la priorité n° 2, Schering-Plough signale que les forces de vente de la filiale ont été réorganisées pour mettre l'accent sur les plus grands dispensateurs de Subutex(r). Depuis le 8 janvier 2006, 40 représentants des ventes de Schering-Plough continuent d'apporter un support professionnel aux médecins, mais se tournent désormais vers les pharmaciens, la "nouvelle cible" (cote 14704). Le 11 janvier de cette même année, la vente de Subutex(r) est assurée par Depolabo dans les pharmacies sélectionnées.
131. L'objectif est d'assurer un niveau de stock suffisant de Subutex(r) dans les pharmacies, d'augmenter la couverture dans les pharmacies et de développer la fidélisation par le biais de conditions commerciales ("ensure sufficient Subutex stock level in pharmacies, add'I coverage at the pharmacies, and develop loyalty through commercial conditions" cote 4188).
132. Selon Schering-Plough, les "ventes directes" c'est-à-dire les ventes effectuées aux officines par Depolabo représentent déjà 25 % des ventes dès janvier 2006 avec un stock moyen d'environ 2 à 3 mois (cote 4188).
133. La maison mère est également informée par sa filiale que le générique, pour son dosage 8 mg, a moins d'excipients et une dissolution plus rapide, ce qui, selon Schering-Plough, doit entraîner un risque plus élevé de mésusage.
134. Schering-Plough prévoit à cet égard d'accélérer "nos efforts pour tirer parti de nos relations avec les (leaders d'opinion), les groupes de médecins généralistes, les syndicats pharmaceutiques afin de sensibiliser au plus grand risque de mésusage, et essayer d'obtenir des avertissements publics" ("our efforts to leverage our relations with KOLs (key leader opinion), GP groups (GP pour general practitioner) and pharmacists' unions to raise the awareness of the higher risk of misuse, and try to obtain public warnings", cote 4191).
b) Les conditions de commercialisation de Subutex(r)
Le partenariat avec Depolabo
Le choix par Schering-Plough de Depolabo et l'avenant au contrat du 22 décembre 2005
135. Depolabo est retenu en raison de la préexistence de relations contractuelles entre ce dernier et Schering-Plough pour la vente directe de certains produits. Le 22 décembre 2005 est signé un avenant au contrat incluant Subutex(r) aux produits commercialisés auprès des officines par Depolabo (cotes 13111 à 13 117).
136. Le contrat préexistant fixait les modalités de distribution : Schering-Plough restait propriétaire des produits, Depolabo, agent commercial rémunéré à la commission, établissait les factures pour le compte de Schering-Plough, et se chargeait de leur encaissement, "aux conditions de remises telles que définies d'un commun accord" et "en faisant bénéficier l'officine d'un barème d'écart défini en accord avec Schering-Plough" (cotes 13091 et 13092).
137. L'article 5 du contrat, intitulé "Prospection Pharmacies d'Officine", prévoit que Depolabo "assure notamment par ses délégués pharmaceutiques (...) la prospection des pharmacies d'officine, pour les produits faisant l'objet du présent contrat. (...) Depolabo peut assurer des campagnes d'information et de promotion particulières, auprès des pharmacies d'officine, pour certains produits, à la demande et selon les directives de Schering-Plough, étant entendu que ces opérations feront l'objet d'un accord contractuel fixant les modalités de cette prestation" (cote 13090). La définition de la stratégie de communication pour la vente de Subutex(r) revient donc à Schering-Plough.
L'orientation stratégique
- Les "trois paliers"
138. L'objectif assigné par Schering-Plough à Depolabo, comme en témoigne une diapositive de la présentation que ce dernier a effectuée devant les représentants de Schering-Plough le 14 décembre 2005, est de freiner l'arrivée des génériques par le biais de l'incitation au stockage de Subutex(r) (cote 13914).
139. La "politique commerciale" envisagée favorise les acheteurs les plus importants en mettant en place un dispositif qui s'apparente à un barème. Il prévoit ainsi plusieurs paliers de réduction, dont une réduction maximale de 10,5 % pour l'achat d'au moins 350 unités. Cette "politique commerciale" incite donc au stockage de Subutex(r).
140. L'approche envisagée est celle qui consiste à formuler des offres commerciales pour favoriser en officine "un stockage de 3 mois" alors que la durée de stockage est normalement de cinq à huit jours (décision n° 07-MC-06, précitée, paragraphe 121).
- L'identification des pharmacies
141. Pour la réunion préparatoire de l'offre de vente directe du 16 novembre 2005, Depolabo conseille, pour la première étape de la mise en œuvre de la "politique commerciale", l'identification des pharmacies qui vendent Subutex(r) en grande quantité (cotes 5220 et 5223).
142. Il est à cet égard fixé deux objectifs. Le premier est d'"[i]dentifier les officines à fort potentiel Subutex" afin notamment d'"[i]nciter le pharmacien à stocker sur une période de 3 à 4 mois avant l'arrivée des génériques" (cote 5223). Le second est de "[d]éfendre le produit soumis à la concurrence des génériques (mars 2006)" afin notamment de "[f]reiner la pénétration du générique" (cote 5223).
143. Une autre diapositive, consacrée à la sélection des pharmacies, présente le mode opératoire retenu (cote 5224). Par l'intermédiaire de Distriphar, une enquête doit être réalisée sur les rotations mensuelles auprès des 22 500 officines pour "[i]dentifier nominativement les 8 000 officines dispensatrices" et parmi elles "[i]dentifier les "gros potentiels" : 2 500 officines environ".
144. Dans son audition de septembre 2007, Depolabo a confirmé les objectifs de cette enquête réalisée en décembre 2005 auprès des pharmaciens : "Le but est d'essayer d'occuper le terrain par la présence de stocks en pharmacie et par la délivrance d'informations dans le cadre du conseil du pharmacien aux patients. (...) Nous n'avions jamais effectué de ventes directes sur le Subutex auparavant. (...) Nous avons mis en place un centre d'appel en décembre 2005 dont l'objectif était d'identifier les principales officines dispensatrices du Subutex. Le centre d'appel a déterminé quel était le "cœur de cible" Subutex à savoir les pharmacies les plus importantes. Cette information permettait au réseau de visite médicale de Schering-Plough de mieux cibler ses actions. Une partie de cette cible n'était pas cliente de Distriphar" (cote 73, 07/0035M).
145. L'enquête de Depolabo a permis d'identifier 8 734 pharmacies qui vendent Subutex(r). Parmi celles-ci, 2 090 pharmacies constituent le "cœur de cible", celles ayant des rotations mensuelles supérieures à 50 unités, vers lesquelles il convient d'orienter les actions commerciales.
La mise en œuvre de la politique commerciale
146. L'opération débute le 9 janvier 2006 (cote 15704). Ainsi, le mois de janvier de cette année est marqué par un volume important de ventes de Subutex(r) (cotes 452, 733 et 14200). Les pharmacies identifiées se sont vu proposer un certain nombre d'avantages financiers, en sus de la remise de 2,5 % sur le prix de gros hors taxe.
L'octroi d'avantages financiers complémentaires
147. Le nombre de boîtes commandées détermine le pourcentage de la réduction. Ainsi, une commande de 70 boîtes donne droit à une réduction de 5,5 % du prix fabricant hors taxe, une commande de 200 boîtes donne lieu à 8 % et une commande de 350 boîtes à 10,5 %. Ces réductions ne prennent pas la forme d'une remise quantitative sur la facture, conformément à la loi qui en limite le taux à 2,5 %, mais d'avoirs.
148. Une diapositive de Depolabo à destination de Schering-Plough permet de visualiser le montant total de la réduction du prix hors taxe obtenu grâce à ces trois paliers (cote 13927) :
Facturation en frais d'approche
<EMPLACEMENT TABLEAU>
149. Ainsi, un pharmacien qui avait commandé un minimum de 350 unités de Subutex(r) 8 mg était facturé 15,38 euros par boîte et pouvait donc obtenir une réduction de 1,80 euro par boîte. Il en résultait donc pour lui un gain de 630 euros par commande au lieu des 150 euros réglementaires, soit 4,2 fois plus.
La confirmation de ces avantages commerciaux par l'enquête de la DGCCRF
150. Une enquête effectuée par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (ci-après la "DGCCRF") à l'été 2006 a permis de confirmer l'existence de ces avantages commerciaux liés aux quantités achetées.
151. Ainsi, un pharmacien de Nice précise : "durant le 1er semestre 2006, j'ai pu d'ailleurs m'approvisionner en direct auprès du fabricant de ce princeps, la société Schering-Plough, par l'intermédiaire de la société Depolabo, son dépositaire. Avant cette période, la société Schering refusait de nous livrer en direct. C'est un représentant de cette entreprise qui nous a appris cette nouveauté lors d'un passage à la pharmacie, à la fin de l'année 2005. Cette mesure s'est révélée très avantageuse pour moi car s'agissant d'achats en direct, j'ai pu bénéficier, outre la remise plafonnée à 2,5 % pour le princeps prévue à l'article L. 138-9 du Code de la sécurité sociale, de la marge de gros, soit un avantage supplémentaire de 10,30 % par rapport aux conditions de vente du répartiteur grossiste. Cette société m'a même consenti pour ma première commande (facture du 13.01.2006) un délai de paiement équivalent à 3 mois" (cote 2020).
152. Ce pharmacien a donc bénéficié de la remise légale de 2,5 % et du transfert de la marge de gros dans le cadre de la vente directe, soit 10,30 %, ce qui représenterait une réduction globale du prix de 12,80 %, ce qui paraît aller au-delà du cadre fixé par Schering-Plough. Il s'est vu par ailleurs octroyer des délais de paiement à 3 mois.
153. De même, un pharmacien de Clermont-Ferrand explique avoir été appelé par Depolabo "pour me dire que je pourrais bénéficier d'une remise de 10 %. Il s'agissait de remises sur les grandes quantités, 350 boîtes de Subutex 8 mg. Il s'agit de quantités exceptionnelles, cela représentait pour moi plus de 4 mois de stocks, ce qui est beaucoup pour ce type de molécule. La norme en cas de vente directe est en général de 2 à 3 mois. Ce laboratoire proposait aussi des délais de paiement" (cote 410).
154. Un pharmacien de Toulouse détaille également les conditions envisagées "pour 70 unités panachées, 5,5 % de remise et paiement à 60 jours date à date ; pour 200 unités 8 % et 90 jours date à date et pour 350 unités 10,5 % et 90 jours date à date. Les remises étaient fractionnées entre les 2,5 % de remise légale et le complément sous forme de contrat de coopération pour services distincts. Nous avons fait une commande le 30 janvier 2006 pour une quantité de 350 boîtes qui représentaient deux mois à deux mois et demi de stock" (cote 2260). Comme l'indique ce pharmacien, ce type de remises était proposé sous forme de contrat de coopération pour services distincts.
La justification de ces remises au regard de la loi Dutreil
155. Comme précédemment exposé, la remise légale sur facture étant limitée à 2,5 % du prix hors taxe, tout autre avantage tarifaire ne peut prendre que la forme d'une rémunération pour coopération commerciale ou pour services distincts.
156. Ce service distinct aurait consisté en la participation des pharmaciens à l'enquête de Depolabo intitulée "remontée d'information officinale" (RIO). Depolabo a déclaré à cet égard que "[l]'offre de service complémentaire mise en place pour le Subutex était de réaliser des remontées d'informations officinales, il s'agit du terme que nous employons pour définir des enquêtes auprès des pharmaciens. Il s'agit de prestations de services distincts, les pharmaciens sont rémunérés pour ce travail d'enquête. Nos délégués pharmaceutiques étaient chargés de ce travail. Ces enquêtes s'adressaient principalement aux pharmacies dispensant d'importantes quantités de Subutex" (cote 452).
157. Sur le lien entre la rémunération de service et la quantité commandée, Depolabo indique que "[d]ès 2001, Schering Plough a souhaité mettre en place des questionnaires pour ses trois produits de la gamme "allergie", soit pour "Aérius, Nasonex et Clarityne", et ce, aux fins d'obtenir des informations en lien avec le niveau de rotation desdits produits, l'effet saisonnalité ou plus généralement de connaître le comportement d'achat des pharmaciens.
En 2006 et en sus des conditions commerciales accordées par Schering Plough (...), notre force de vente a été également chargée de proposer aux pharmaciens un questionnaire en lien avec le "Subutex" (...).
Ainsi pour Schering Plough, ledit questionnaire comptait au total 6 questions intéressant le "Subutex" et 4 questions pour les autres produits de la gamme "allergie" du laboratoire.
L'enquête "Subutex" était destinée, à notre connaissance, à recueillir auprès des officines des informations concernant les pratiques et les besoins des pharmaciens en lien avec le marché de la Buprénorfine / "Subutex".
En contrepartie de sa participation, le pharmacien se voyait proposer une rémunération.
Cette rémunération a été présentée aux pharmaciens sous forme de pourcentage du chiffre d'affaires réalisé afin que ce soit plus parlant ou explicite pour eux. Les pharmaciens ont effectivement participé aux questionnaires.
Cette rémunération, ajoutée à la remise de 2,5 % sur facture, correspondait à un avantage total compris entre 5,5 % et 10,5 % (remise de 2,5 % comprise)" (cote 16462).
158. Sur le contenu du service rendu par le pharmacien, 53 des 63 pharmaciens interrogés lors de l'enquête affirment avoir été sollicités pour passer leurs commandes dans le cadre d'une vente directe, et reconnaissent que tous se sont vu proposer, outre la remise légale de 2,5 %, des réductions du prix hors taxe, liées à des seuils ou paliers, et prenant la forme de rémunération d'un service distinct. En outre, très peu d'entre eux donnent des détails sur le contenu du service qu'ils auraient dû rendre, et notamment sur le contenu de l'enquête RIO.
159. Un seul pharmacien de Cannes explique qu'il a dû répondre oralement à des questions posées par Depolabo : "la prestation spécifique susvisée a fait l'objet d'un contrat-cadre signé avec la société Depolabo le 20.04.2006. La réponse aux enquêtes et questionnaires, objet de la prestation, étaient effectués oralement, lors de la visite du commercial de la société Depolabo" (cote 2101).
160. À cet égard, Depolabo a précisé que "les délégués prenaient les commandes de "Subutex" et proposaient aux pharmaciens de participer à une enquête via un questionnaire contre rémunération (...). En cas d'accord, le délégué recueillait les réponses en les saisissant directement sur son outil informatique (PC portable) et présentait à la signature des pharmaciens concernés un contrat d'application correspondant" (cote 16461).
161. Mme Catherine H, de Schering-Plough, a détaillé les 6 questions posées par Depolabo dans le cadre de l'enquête "RIO" :
"1. Quelles sont vos rotations mensuelles de Buprénorphine ?
2. Quelle est la proportion actuelle de vos ventes en DC Buprénorphine ?
3. Dans le cadre de la délivrance de Subutex, êtes-vous amené à contacter le médecin prescripteur ?
4. Rencontrez-vous des difficultés lors de la délivrance du Subutex ?
5. Quel nombre de patients soignés à la Buprénorphine recevez-vous par semaine ?
6. Avez-vous des patients en délivrance quotidienne à l'officine ?" (cote 17294).
162. Dans un document relatif à son offre préparatoire et présenté à Schering-Plough, Depolabo précise qu'il "met en place des "services d'enquêtes officinales" correspondant à des services distincts de la coopération commerciale" et qu'ainsi :
"Chaque pharmacien clients Distriphar signe un contrat-cadre annuel de prestations officinales 2006
Chaque enquête Depolabo à laquelle le pharmacien participe fait obligatoirement l'objet d'un contrat d'application distinct précisant
- la nature et le contenu du service
- les modalités de la rémunération (montant, facture établie avant le 31 janvier)
- la période concernée
Avant le 31 janvier de chaque année envoi par DEPOLABO d'un état récapitulatif du montant total des rémunérations perçues par les officines" (cote 15457).
Les justificatifs transmis aux enquêteurs de la DGCCRF
163. Au cours de l'enquête, la DGCCRF a demandé aux pharmaciens de leur fournir les factures afférentes aux achats de Subutex(r) réalisés auprès de Depolabo en 2006. À cette occasion, les pharmaciens ont transmis trois types de documents :
- des factures scindées en factures de vente des produits avec indication d'une remise de 2,5 %, d'une part, et des avoirs représentant une prestation de service officinale non précisée, d'autre part (voir notamment cotes 1920 à 1923) ;
- des "contrats-cadres de prestations officinales" dont l'objet définit les conditions de collaboration des pharmacies et leur participation à des enquêtes et questionnaires, contrats-cadres qui renvoient à des contrats d'application qui ne figurent pas parmi les documents fournis (cotes 792 à 822) ;
- des états récapitulatifs du montant total des rémunérations accordées pour services distincts pour l'année écoulée (voir notamment cote 804).
164. Ces documents attestent du fait que la rémunération de services distincts a bien été versée aux pharmaciens d'officine à l'occasion des achats de Subutex(r) sous la forme d'avoirs figurant sur facture. Ces avoirs sont déterminés à partir du montant de l'achat de Subutex(r) par le pharmacien. Il existe donc, sur facture, un lien entre les quantités achetées et la rémunération du service.
165. Cependant, aucun des pharmaciens n'a transmis les contrats d'application afférents aux "contrats-cadres de prestations officinales". Ces contrats d'application devaient décrire les prestations fournies par les pharmaciens et les modalités de leur rémunération ainsi que la période concernée. Ces contrats n'ont pas non plus été fournis par Depolabo après une demande de l'enquêteur (cote 1584).
166. Depolabo a précisé que "lors de l'entrée en vigueur de la loi Dutreil, les pharmaciens n'ont pas hésité à régulariser les contrats-cadres annuels imposés par ladite loi (période 2 mois pour régulariser environ 12 000 contrats-cadres). En revanche, nous avons eu beaucoup de mal à faire signer les contrats d'application aux pharmaciens qui pensaient être déjà engagés par le contrat-cadre et qui disposaient de peu de temps lors des visites pour les étudier" (cote 16461). La durée des remises octroyées aux pharmaciens
167. L'ensemble de ces remises et rémunérations a été proposé de janvier 2006 au 1er août 2006, date d'une enquête de la DGCCRF sur l'application de la loi Dutreil dans le secteur pharmaceutique. Cette enquête a conduit Schering-Plough à mettre un terme à ces remises et rémunérations, comme le montrent des notes manuscrites du 21 juillet 2006 de M. Nicolas R de Schering-Plough relatives à une réunion avec Depolabo qui précisent :
Depolabo avec SP :
- Contrat en 2001
- RIO : prestation facturée à SP par Depolabo
(...)
GP (Gilles M) Arrêt au 1er août
(cote 5511)
168. À cet égard, Depolabo a confirmé cette date en précisant que l'enquête RIO "avait perduré jusqu'au 31 juillet 2006" (cote 16461).
Les délais de paiement
169. Les pharmaciens ont également obtenu des conditions de paiement avantageuses. Ainsi, dans un courriel du 31 janvier 2006, Mme Monika S de Schering-Plough indique que "[d]ans le cadre de nos objectifs concernant les ventes de Subutex via Depolabo, nous devons ajuster nos conditions de règlements.
En effet, pour accompagner la stratégie, nous devons accorder des conditions de règlement à 90 jours, au lieu des 60 jours habituels.
Ce changement se traduira par reversement du chiffre d'affaires à 90 jours au lieu de 60.
L'impact sera de 30 jours de délai supplémentaire sur 2 877 557 (euros) concernant les ventes de janvier. Depolabo doit réaliser environ 20 % des ventes Subutex. Je n'ai malheureusement pas le plan 2006 en CA mais vous devez l'avoir dans vos bases. Merci de chiffrer l'impact en termes de coût - frais financier et de me faire parvenir l'accord sur ce changement.
Les ventes que nous réalisons pour DAP (clarityne, aérius et nasonex) ne sont pas concernées" (cote 5140).
170. Par ailleurs, dans un cahier recueillant ses notes manuscrites, M. Nicolas R indique le 2 février 2006 :
Depolabo - délai de paiement : 90 j > 200 boîtes
Tous les paliers : - qui ? - pourquoi ?
Today SP :
- grossiste 45 j fin mois (=60j)
- vente directe 60 j fin mois (=75 j)
(cote 5333)
171. Enfin, les notes manuscrites de Mme Mélanie T, datées du 13 janvier 2006, précisent :
Réunion tel Pascal U (...)
3) Paiement à 90 jours : arme pour ce type de stockage
Conseillé dès 70 unités car il faut que le pharmacien stocke (le Gé va le faire à 120)
Csqce pr SP : on encaissera à 90 j au lieu de 60 j. Certaines Phcies ont des fact à 90 jours / Depolabo
Paliers : 70 boîtes (1)
200 boîtes (2)
350 boîtes
Moyenne : 500 boîtes / commande
Le 90 j se fait sur les grosses commandes
Cible 1000 pharmacies qui ft + de 100 boîtes/mois
Pour le pharmacien qui fait 70 boîtes = PS (Pascal U) dit qu'il faut le proposer aussi commercialement parlant.
SP pensait le faire sur le 3e uniquement
(cotes 7623 et 7624)
172. Cet allongement des délais a été contractualisé entre Schering-Plough et Depolabo. Ainsi, l'avenant du 28 mars 2006 au contrat de 2001, avec effet rétroactif au 9 janvier 2006, prévoit que "les Parties ont conjointement décidé de remplacer les dispositions de l'article 7.1 "Échéances" du Contrat par le nouvel article figurant ci-après : Le reversement du chiffre d'affaires Pharmacies facturé par Depolabo sera effectué par Depolabo à Schering-Plough par traite à 60 (soixante) jours fin de mois. Toutefois, dans le cas où Schering-Plough souhaiterait mettre en place des échéances de règlement Pharmacies à 90 jours date à date (quatre-vingt-dix jours), les Parties conviennent que dans ce cas, le reversement du chiffre d'affaires Pharmacies facturé par Depolabo pour les pharmacies ayant bénéficié de cette échéance particulière à la demande de Schering-Plough sera effectué par traite à 90 (quatre-vingt-dix) jours fin de mois" (cote 13647).
173. L'allongement de ces délais de paiement est confirmé par plusieurs témoignages de pharmaciens (cotes 410, 425, 2101, 2334, 2407, 2699, 2772, 2793, 2998, 3030, 3084, 3126, 3236, 3354, et 3399). Un pharmacien à Paris relève ainsi avoir eu "une remise de 2,5 % habituelle et un délai de paiement de 90 jours fin de mois. C'est un délai très intéressant pour nous, comparé à une vente par l'intermédiaire de grossistes. Par mois un stock coûte 2,5 % de frais financiers en cas de paiement comptant. En revanche nous gagnons 2,5 % du coût de la marchandise lorsque le stock est vendu, le montant des remises se révèle finalement supérieur à 2,5 %" (cote 425).
174. Ce délai de paiement a été maintenu jusqu'en mars 2006 (cotes 13201 et 16461).
L'escompte pour paiement comptant
175. Depolabo a par ailleurs indiqué "que pour tout paiement d'avance, les pharmacies bénéficiaient :
- d'un escompte de 0,75 % pour un paiement à 10 jours ;
- d'un escompte de 0,37 % pour un paiement à 30 jours" (cote 16461).
176. Ainsi, les pharmaciens disposaient d'un avantage financier, qu'ils choisissent le paiement comptant ou différé. En effet, soit ils payaient à 90 jours et économisaient des frais financiers (évaluées à 2,5 % par mois par le pharmacien de Paris), soit ils payaient comptant et bénéficiaient d'un escompte de 0,75 % ou de 0,37 %.
Les résultats de la politique commerciale
177. Les notes manuscrites de Mme Mélanie T, prises lors d'une réunion avec Depolabo, précisent que "[l]es 90 j nous ont permis de stocker pour 2,5 mois au réel" (cote 16688).
178. Un courriel de M. Pascal U, Depolabo, de janvier 2006 indique que "concernant le stockage et le bien fait ou non du 90 jours : je me base sur le fichier que je vous ai envoyé le 23.01 soit une base de 1 015 commandes.
- 543 commandes sont issues de gros potentiels, c'est-à-dire qui ont déclaré dans notre enquête de décembre avoir une rotation mensuelle de 50 à 100 boîtes et 100 boîtes et +
- 106 commandes sont issues de moyens potentiels, c'est-à-dire qui ont déclaré dans notre enquête de décembre avoir une rotation mensuelle moyenne de 20 à 50 boîtes ;
- 365 commandes sont issues de potentiels ayant déclaré dans notre enquête de décembre avoir une rotation mensuelle inférieure à 20 : la commande pour ce groupe est de 55 unités ;
Nous pouvons créer un sous-groupe comportant 240 commandes qui sont inférieures à 200 unités et dont la commande moyenne est de 58 unités.
Dans la majorité des cas, les pharmaciens stockent de façon massive et le délai de paiement à 90 jours est utile. Son coût peut être évalué à 0,3 % du CA généré par mois" (cote 13661).
179. Depolabo a transmis à la DGCCRF un tableau récapitulant, en pourcentage, les volumes et le chiffre d'affaires réalisés pour le 1er trimestre 2006 (cote 733) :
Bilan Trimestriel
Mois : Janvier / Février / Mars
Unités Ville : 30,15 % / 32,47 % / 29,93 %
CA ville : 2,8 M - 33,31 % / 2,1 M - 34,62 % / 2, M - 32, 29 % => 7 M
Un taux de ventes directes cumulé sur le 1er trimestre de 30,75 % (en unités)
180. Ce tableau montre qu'en valeur, les ventes directes de Subutex(r) au cours des trois premiers mois de l'année 2006 ont représenté un tiers des ventes totales de ce produit en ville. Un autre document transmis par Depolabo dresse le bilan du 1er semestre 2006 (cote 14200). Il apparaît donc que sur cette période un chiffre d'affaires de 17,3 millions d'euros a été généré.
181. Les ventes directes de Depolabo, concentrées sur 2 090 pharmacies en France parmi les 8 000 qui commercialisaient Subutex(r) (soit 23,4 % du total), ont donc représenté en valeur plus de 30 % de l'ensemble des ventes de ce médicament dans les premiers mois de l'année 2006 : 33,31 % en janvier, 34,62 % en février et 32,29 % en mars.
182. À lui seul, Depolabo a vendu 2 fois plus d'unités de Subutex(r) qu'Arrow de son générique en avril, puis quatre fois plus en mai et en juin (cote 8064).
c) La communication de Schering-Plough sur Buprénorphine Arrow(r)
183. À titre liminaire, il convient de rappeler que deux responsables de l'AFSSAPS ont déclaré qu'un débat avait eu lieu entre les participants à la réunion du 28 avril 2005 relative à l'évaluation de Buprénorphine Arrow(r) dans le cadre de sa demande d'AMM et en particulier sur son mésusage éventuel lié à sa plus grande solubilité. Le compte-rendu de cette réunion précise que "[l]a composition en excipients de la Buprénorphine Ethypharm 8 mg peut faire craindre un plus grand risque d'injection de cette forme. Sa plus faible teneur en excipients par rapport aux autres dosages de Buprénorphine Ethypharm (92% versus 99.8 % pour le 0.4 mg et 98 % pour le 2 mg) et au Subutex 8 mg (101 mg versus 391 mg dans un comprimé de Subutex) pourrait en effet réduire les complications liées à l'injection" (cote 5138).
184. Mme Nathalie V, chef du département stupéfiants et psychotropes à l'ANSM, a indiqué que "[l]e générique, pour le dosage 8 mg, comporte quantitativement moins d'excipients, ce qui le rend plus soluble. Cette solubilité augmentée pouvait potentiellement entraîner un risque accru de mésusage par voie intraveineuse" (cote 17298).
185. M. W, président de la commission des stupéfiants et des psychotropes à l'AFSSAPS, et rapporteur lors de la réunion du 28 avril 2005, a précisé qu'au cours de cette "réunion s'est posée la question de l'injectabilité du générique qui avait moins d'excipients (notamment pour le 8 mg) et qui se dissolvait plus vite que le princeps. Il s'agissait d'un questionnement normal sur un produit, qui a toujours cours lors des réunions de la commission. En tant que scientifique, j'estime qu'il est normal de poser toutes les questions possibles, sans pour autant en tirer forcément des conséquences pratiques (...) Mais je dois préciser que ce questionnement sur l'injectabilité - qui ne concerne qu'une petite partie des patients - n'a pas empêché la délivrance de l'AMM au générique" (cote 17123).
La communication avant la mise sur le marché du générique
Les déclarations de Schering-Plough
186. Les services d'instruction de l'Autorité ont demandé à Schering-Plough la transmission des études médicales qui pourraient démontrer l'existence d'un risque particulier lié à l'absence d'impureté du générique. Schering-Plough a répondu ne pas disposer "d'études médicales relatives au risque lié à l'absence d'impureté dans le générique" (cote 13406).
La diffusion du discours sur le mésusage par Schering-Plough auprès des professionnels de santé
187. En dépit de l'absence d'éléments concrets sur l'existence d'un risque de mésusage lié à la plus grande solubilité du générique, un discours sur ce risque a été développé par Schering-Plough à compter de février 2006.
- La conférence de presse du 15 février 2006
188. Une conférence de presse ayant trait à l'arrivée des génériques de Subutex(r), le 30 mars 2006, est organisée par Schering-Plough peu de temps avant, le 15 février 2006.
189. Des notes préparatoires, datées du 13 février 2006, de Mme Mélanie T, chef de produit Subutex(r), témoignent des grandes lignes du discours que devront tenir les responsables de Schering-Plough lors de cette conférence de presse :
Conf presse Q°/Réponses
Sur les risques d'injection d'Arrow
GP (Gilles M) ne répondrait pas
Rien à dire pour l'instant
Semer le doute
F position sur la Q° du Gé
Inquiets sur les risques de mésusage
Car dde d'un PGR sur un fdt de 10 ans
Car (le risque d'injection) ddé au Gé
Alarme sur le mésusage
(cote 16660)
190. À la suite de cette conférence, l'Agence de Presse Médicale (APM Media) a diffusé un communiqué intitulé "Schering-Plough s'inquiète d'une dégradation de l'impact de santé publique de la buprénorphine avec l'arrivée d'un générique de Subutex". Ce communiqué cite à de nombreuses reprises des déclarations de responsables de Schering-Plough faites dans le cadre de cette conférence (cotes 4239 et 4240).
191. Dans ce communiqué, il est indiqué que le laboratoire Schering-Plough "craint que l'arrivée d'un générique de son traitement de substitution aux opiacés Subutex (buprénorphine) entraîne une dégradation de l'impact de santé publique du médicament". La lecture de ce communiqué fait apparaître la similarité des arguments développés par Schering-Plough à cette occasion avec ceux communiqués aux autorités de santé.
192. En premier lieu, Schering-Plough met en exergue le plan de gestion des risques que doit suivre Arrow et exprime ses doutes sur sa capacité à le respecter. Ce plan témoignerait également des soupçons des autorités de santé vis-à-vis de ce générique alors qu'en réalité un tel plan a aussi été imposé à Schering-Plough. Ce plan a en effet été décidé en raison de l'augmentation du trafic constatée avant l'arrivée du générique.
193. En deuxième lieu, Schering-Plough indique qu'il sera "très vigilant sur tout ce qui concerne le mésusage" (cote 4239). Elle indique en effet qu'"[i]l n'y a pas que les effets secondaires, il y a aussi les pratiques déviantes, le sniff, l'injection" (cote 4239). Toujours selon cette société, ces pratiques seraient censées augmenter en raison de la commercialisation du générique. Cette déclaration a été faite alors que Schering-Plough subit déjà le mésusage pour son médicament.
194. En troisième lieu, Schering-Plough, en déclarant se demander "si la perception des prescripteurs et des utilisateurs sera strictement identique ou différente avec un générique par rapport à Subutex (...) le générique peut être vécu de façon différente par les toxicomanes", invoque le risque de déstabilisation du patient (cote 4239). À cet égard, il doit être relevé l'antériorité des études commandées par Schering-Plough qui concluaient sur la forte substitution à laquelle les pharmaciens étaient disposés à procéder.
195. Comme l'indique un courriel interne de Schering-Plough, ce communiqué a vocation à être utilisé par ses délégués pour "répondre aux questions/objections des interlocuteurs" en attendant que soit élaboré un argumentaire ad hoc (cote 13801). De fait, le communiqué de presse contient les éléments d'un discours qui a vocation à être propagé largement aux professionnels de santé (médecins et pharmaciens).
196. Ces professionnels ont été également informés par le discours des délégués médicaux et pharmaceutiques qui se sont réunis à Cannes le mois précédent.
- Le séminaire de Cannes
197. Dans la perspective d'un séminaire qui s'est tenu à Cannes début janvier 2006 et qui a réuni les visiteurs médicaux, Schering-Plough a préparé le 19 décembre 2005 une présentation destinée à leur expliquer comment agir dans les pharmacies pour "limiter la pénétration du générique" (cotes 8607 et suivantes). Une diapositive de cette présentation précise les modalités de cette action auprès des pharmacies. Il est ainsi question "d'instaurer une certaine "crainte" du changement (comorbidités psy, risque de mésusage et de trafic" (cote 8609).
198. Il convient de rappeler que la commission nationale des stupéfiants et psychotropes indiquait le 28 avril 2005 que "les conséquences" de la commercialisation du générique sur "l'accessibilité au produit et l'existence d'un trafic ne sont pas connues" (cote 5139).
199. Concernant le taux de pénétration anticipé des génériques de Subutex(r), une diapositive mentionne une part de marché de 35 % au bout de 12 mois (cote 8609). Une autre diapositive fournit les taux de pénétration au bout de 12 mois de deux médicaments appartenant à la même classe thérapeutique SNC (Système Nerveux Central) et les compare à ceux du Mopral : il s'agit du Prozac(r), avec une part de marché de 48,5 % et du Stilnox(r), avec une part de marché de 48,5 % (cote 8608).
La spécificité des médicaments du SNC
<EMPLACEMENT GRAPHIQUE>
- Les conseils d'un directeur régional à ses délégués pour leur discours aux pharmaciens
200. Le compte-rendu d'une réunion téléphonique, du 13 janvier 2006, entre un directeur régional de Schering-Plough et des délégués témoigne également du discours que diffuse Schering-Plough :
"Générique Arrow : pour ceux qui vous en parlent (et pour ceux-là uniquement), il faut commencer à les dissuader de faire ce générique de façon importante car les patients toxicomanes ne sont pas faciles à gérer et à leur substituer un générique (un générique non psychotrope est refusé par 40 % des patients, c'est pire pour les produits psychotropes et ce sera encore pire pour Subutex vu le profil des patients), car on entend certes parler du générique depuis longtemps, mais on ne sait toujours pas quand il sortira, car (si le passage stupéfiant a été évoqué précédemment) il va leur être difficile de gérer le Subutex et le générique lorsque passage stupéfiant, car il est étrange de n'avoir qu'un seul laboratoire qui se lance dans un générique de Subutex (et en plus un petit labo) alors que tous les labos génériques ont lancé le générique du Mopral en même temps ce qui prouve bien qu'il ne sera pas facile de substituer le Subutex, car les pharmaciens vont devoir dépenser beaucoup d'énergie pour changer les patients vers le générique alors que dans 9 mois nous allons lancer 2 produits majeurs et il faudra alors leur rechanger le médicament, (...). Bref, beaucoup d'arguments, mais surtout à utiliser avec maîtrise et voir la réaction du pharmacien devant chaque argument pour voir lequel fait mouche" (cotes 15449 et 15550).
- Le jeu de questions/réponses de février - mars 2006
201. L'"argumentaire" destiné aux "forces de vente", visiteurs médicaux et délégués pharmaceutiques, est constitué par une liste de questions/réponses sur Subutex(r) et le générique (cote 15605). Un premier projet est réalisé en février 2006, un second en mars, et reprend le thème de l'augmentation du mésusage et du "trafic", comme l'indiquent les extraits suivants :
"Nous venons d'apprendre la commercialisation proche d'un générique de Subutex, qu'en pensez-vous Schering-Plough ?
(...) Si l'on se place d'un point de vue uniquement économique à court terme, le générique de Subutex peut pour certains présenter un avantage, mais d'un point de vue de santé publique, il semble que ce ne soit pas le cas. Tout laisse à penser que l'introduction de ce générique pourrait perturber la balance bénéfice risque de la buprénorphine avec un risque accru d'injection et une augmentation du mésusage. Les autorités nous ont demandé un plan de gestion des risques renforcé pour Subutex, médicament qui est connu depuis 10 ans. (...)
Pensez-vous que le générique va augmenter le trafic et qu'est ce qui permet de le dire ?
On peut penser que l'arrivée du générique va augmenter le trafic, tout simplement par une augmentation de l'offre et une modification de la balance bénéfices/risques dans ce domaine spécifique qu'est la prise en charge de la toxicomanie" (cote 13494).
La communication après la mise sur le marché du générique
202. À compter du 30 mars 2006, Schering-Plough a mis l'accent sur la présence dans le générique d'excipients constitués par le talc et la silice colloïdale anhydre.
203. À titre liminaire, il doit être relevé que l'ANSM a déclaré n'avoir jamais été alertée par Schering-Plough sur un risque lié à la présence de talc ou de silice dans le générique (cotes 17299 et 17301).
204. Sur l'absence de problème de santé publique lié au talc, Mme Mélanie T a indiqué dans un courriel interne, à notamment Olivier L, directeur des affaires économiques et des relations extérieures, du 30 mai 2006 tenir "à vous Affirmer que je n'ai moi-même jamais demandé à notre force de ventes de tenir ce genre de propos auprès du corps médical, quel qu'il soit et bien au contraire. J'ai, à chaque réunion régionale précisé que nous nous devions en tant que laboratoire avoir un discours éthique par rapport à notre concurrent et que nous ne devions absolument pas le dénigrer sur quelque point que ce soit (la présence des 2 excipients supplémentaires est en effet mentionnée par les délégués, factuellement, mais il leur a été demandé de ne pas en conclure quoique ce soit, n'ayant aucune étude clinique ou autre sur lesquelles s'appuyer)" (cote 15231).
205. Schering-Plough a ainsi déclaré au cours de l'instruction n'avoir "pas trouvé d'études médicales antérieures à 2006 qui montreraient les conséquences de l'injection d'un médicament à base de buprénorphine qui contiendrait du talc et/ou du silice" (cote 16453). En effet, comme elle-même le souligne, "il nous paraît difficile que des études observationnelles aient pu être faites avant 2006 dans la mesure où, à cette époque, à notre connaissance, aucun médicament à base de buprénorphine et contenant du talc et/ou du silice n'était commercialisé (les seuls médicaments à base de buprénorphine commercialisés avant 2006 pour ce qui concerne Schering-Plough étaient le Subutex et le Temgesic et ni l'un ni l'autre ne contient du talc ou du silice)" (cote 16453).
206. Pour les autorités sanitaires, les problèmes rencontrés avec le générique sont généralement des problèmes de fractionnement des doses, contrairement aux problèmes rencontrés avec le princeps qui concernent majoritairement des complications infectieuses liées à l'injection. Ainsi, le docteur W, président de la commission des stupéfiants et des psychotropes, a déclaré aux services d'instruction de l'Autorité qu'"[i]l faut noter également, comme le note le compte-rendu de la Commission de Pharmacovigilance du 26 janvier 2010, que, s'agissant du princeps, le mésusage concerne plus l'injection que le générique dont le "mésusage" est constitué par un fractionnement des doses" (cote 17125). M. W souligne également que les cas problématiques sont proportionnellement plus nombreux avec Subutex(r) qu'avec le générique. En effet, "rapportés au total des consommateurs, le nombre de cas relatifs à des problèmes médicaux de mésusage est plus important pour Subutex que pour les génériques".
L'élaboration du discours sur la présence de talc ou de silice dans le générique
207. Schering-Plough a axé sa communication sur la différence d'excipients entre le princeps et le générique. Un courriel du 20 avril 2006 fait état d'une transmission de Schering-Plough à Reckitt Benckiser des photos des comprimés de Buprénorphine Arrow(r) ainsi que de leur emballage sur lequel figure le résumé des caractéristiques du produit (cote 13605).
208. Conformément à ce qui avait été annoncé par Schering-Plough en janvier 2006 quant à son intention de surveiller et d'analyser le générique dès sa sortie, la lecture du résumé des caractéristiques du produit de Buprénorphine Arrow(r) et de l'indication de la présence de talc et de silice dans le générique a conduit Schering-Plough à décider d'utiliser cette différence d'excipients pour le discours préparé pour les visiteurs médicaux et les délégués pharmaceutiques.
209. Ces visiteurs médicaux et délégués pharmaceutiques sont ceux de Schering-Plough mais aussi ceux de Depolabo qui sont venus renforcer la force de vente du laboratoire et qui reçoivent également une formation sur le générique (cotes 725, 8632, 14 113 et suivantes, 14 117 et 14 118).
210. L'étude de mars 2006, réalisée à la demande de Schering-Plough, souligne l'intérêt, à partir d'une information fournie sur les excipients, d'instiller un doute sur les risques éventuels pour le patient (cotes 6314, 6319, 6333 et 6334). Dans une communication interne aux délégués pharmaceutiques et visiteurs médicaux, Mme Mélanie T estime qu'"[e]n résumé, la 1ère phase a montré une tendance générale, médecins comme pharmaciens, à être en faveur de la mise à disposition d'un générique du SUBUTEX. Concernant sa prescription, le médecin/pharmacien semble réagir différemment selon son niveau d'information sur les excipients contenus dans le générique. Notre principal levier, exprimé côté médecins, résiderait donc dans l'argumentation fournie sur les excipients et le doute qui pourrait subsister quant au(x) risque(s) pour le patient" (cotes 11730 à 11 733).
Le discours tenu aux pharmaciens et médecins
211. Le discours des visiteurs médicaux et délégués pharmaceutiques est préparé par la direction marketing de Schering-Plough. En avril 2006, le document "argumentaire visites pharmacies - médecins" expose les éléments de langage (cotes 7479 à 7481).
212. À la question hypothétique d'un pharmacien "donnez-moi de bonnes raisons pour ne pas génériquer" (pharmaciens et médecins)", il doit être répondu "risques de déstabilisation du patient : (...) présence de 2 excipients supplémentaires = talc et silice colloïdale anhydre => quid de l'effet de ces excipients si le cp est injecté ?" (cote 7480).
- Les discours aux pharmaciens d'officine
Le discours d'une déléguée à un pharmacien relaté par le président-directeur général de Schering-Plough
213. Le contenu du discours d'une déléguée médicale, Mme Valérie 1, à une pharmacienne a été retranscrit dans un courriel du président-directeur général de Schering-Plough envoyé à l'un de ses directeurs commerciaux : "la 1ère pharmacienne avait prévu de substituer (elle doit substituer à 68 %) malgré une 1ère commande à Depolabo deux mois auparavant (120 boîtes). Valérie l'a convaincu de ne pas le faire, en faisant habilement naître des doutes sur des problèmes avec le générique : 1) les excipients ne sont pas les mêmes (talc + silice) 2) personne ne sait ce qui se passerait en cas d'injection 3) en fait, à Béziers, sont apparus des premiers problèmes avec des génériques 4) goût plâtreux 5) le gain financier pour le pharmacien est seulement de 83 centimes pour un comprimé de 8 mg, ce qui veut dire beaucoup de travail, beaucoup d'ennuis pour pas grand-chose 6) finalement, ne pas substituer Subutex(r) ne l'empêchera pas d'atteindre la cible des 68 % à cause des petits volumes (...) à la fin, la pharmacienne fait une nouvelle commande avec Depolabo (Valérie lui donne le numéro du call center de Depolabo et appelle Jean pour s'assurer que ce sera fait)" (cote 5147).
214. Dans ce même courriel, il demande à ce que le discours de Mme Valérie 1 soit partagé "avec les autres visiteurs médicaux" car ce discours avait permis à la déléguée en question de faire renoncer la pharmacienne visée à son projet de commande de génériques de Subutex(r).
215. Ce courriel contient également un commentaire du directeur commercial "toxicomanie" de Schering-Plough : "Excellente argumentation. Pour info Valérie est actuellement la 1ère France vs pénétration générique (seulement 2 % en cumul de 4 semaines), ce qui n'est pas un hasard !".
216. Par ailleurs, un courriel du 24 mai 2006 de M. Éric 2, responsable régional chez Schering-Plough, présente les effets du discours des délégués pharmaceutiques et des visiteurs médicaux : "Les ST (spécialistes toxicomanies) font un excellent travail auprès des pharmaciens et médecins et je suis persuadé que leurs actions ont largement freiné l'implantation du générique. Tous les jours sur le terrain je vois des pharmaciens qui me disent que si les ST n'avaient pas été présents ils auraient commandé immédiatement du générique (idem pour la prescription des médecins). (...) je considère, vu le taux de pénétration du générique qu'ils font une performance exceptionnelle" (cote 15365, voir également cotes 1647 et suivantes).
Les témoignages de pharmaciens d'officine
217. Un pharmacien de Toulouse a déclaré que "la déléguée médicale (de Schering-Plough) lors de ces contacts m'invitant à assister à ces réunions, m'a effectivement parlé des génériques et des risques liés à leur formule en cas de mésusage" (cote 2261).
218. Une pharmacienne de Mulhouse a signalé que "lorsqu'Arrow a démarré la commercialisation de son générique en 2006, la déléguée médicale de Schering-Plough nous a rendu visite et nous a fait part d'information sur ce générique, en évoquant notamment la présence de talc dans ce générique" (cote 3323).
219. Ces différentes déclarations ont été confirmées par d'autres pharmaciens (cotes 77, 410, 2773 et 3518).
- Le discours aux médecins
220. Outre le caractère public de la conférence de presse, les documents internes de Schering-Plough, cités précédemment, comme "l'argumentaire visites pharmacies - médecins", ou encore le courriel de M. Éric 2 du 24 mai 2006, précité, montrent que le même discours a été tenu aux médecins.
Les témoignages de médecins
221. L'ANSM a adressé aux services d'instruction le compte-rendu de la réunion du 19 mai 2006 du comité technique des centres d'évaluation et d'information sur la pharmacodépendance (CEIP) de Caen qui indique qu'un "médecin d'un centre pour Toxicomanes implanté dans un Centre Hospitalo-universitaire a signalé au CEIP de Caen que le visiteur médical du Laboratoire Schering-Plough lui a indiqué que "le générique de la buprénorphine contient du talc et des citrates en plus de l'amidon de maïs et que ça a déjà posé des problèmes". Le médecin a essayé d'avoir des renseignements complémentaires sur les "problèmes" invoqués sans obtenir de réponse" (cote 19359).
222. En outre, la CNAMTS a fait parvenir le témoignage d'un médecin, membre de l'échelon local du service médical placé auprès de la CPAM du département des Vosges, selon lequel : "Plusieurs réunions ont été organisées par le laboratoire Schering-Plough dans le département, dont une en avril ou mai 2006, qui consistait en une invitation générale de tous les médecins du département, notamment libéraux et hospitaliers impliqués dans la prise en charge des patients présentant une addiction aux opiacés. Les membres et médecins du CSST du département étaient présents aussi. (...) J'ai accompagné mon médecin-chef de l'époque à cette réunion. Celle-ci se déroulait dans les locaux d'un restaurant. La salle était comble, emplie de médecins et de pharmaciens : probablement une centaine de personnes étaient présentes. Le laboratoire Schering-Plough y était représenté par deux personnes accompagnées d'un praticien hospitalier, connu dans la région pour son implication dans les addictions aux opiacés. Les deux personnes du laboratoire étaient un homme visiteur médical et un responsable régional. Il a été fait dans un premier temps lors de cette réunion une présentation générale des addictions et de l'action du Subutex. Dans un second temps, il a été présenté deux notions qui m'ont obligé à manifester ma désapprobation. Ces deux notions étaient mises en avant par le laboratoire sous couvert du praticien hospitalier qui les a plus que relayées, car il les a argumentées. La première notion consistait à informer le public présent que le générique de la buprénorphine se délitait plus lentement que le Subutex et que puisqu'il était plus dangereux à injecter que le Subutex, il fallait alors lui préférer le Subutex sur les ordonnances. J'ai contré cette assertion. Beaucoup de médecins de la salle, y compris ceux du CSST m'ont soutenu dans cette réponse que j'ai donnée. (...) Je suis sorti de cette réunion avec la sensation très nette d'une tentative de manipulation du laboratoire à l'échelle du département. Un mois plus tard, le laboratoire ayant constaté la forte opposition du Service du Contrôle Médical du département à la teneur des messages émis, a demandé à nous rencontrer, le médecin-chef et moi-même. Le médecin-chef a accepté de les rencontrer. Lors de cette rencontre, notre réponse est restée constante : "les TSO n'ont pas à être injectés. Si c'est le cas, une autre réponse doit être apportée que celle que vous donnez". Cette demande de rencontre, nous a démontré qu'il s'agissait bien d'un message de Schering-Plough et non d'un message du praticien hospitalier. Lors de la réunion le laboratoire avait mis en avant le praticien hospitalier, mais lors du RDV au contrôle médical, il était devenu clair que le message était celui du laboratoire. Il y a eu plusieurs tentatives de contact du laboratoire de Schering-Plough dans les six mois suivants auprès de moi que j'ai systématiquement éconduit" (cotes 17551 à 17 553).
223. La recommandation de "préférer Subutex sur les ordonnances" se traduit par l'ajout de la mention "non-substituable" ou "NS" sur les ordonnances afin que le médecin prescrivant Subutex(r) puisse être assuré que le pharmacien ne procédera pas à la substitution.
Les déclarations des pharmaciens
224. Les déclarations des pharmaciens attestent que des médecins ont été visés par la communication de Schering-Plough sur le générique de Subutex(r).
225. Ainsi, un pharmacien de Clermont-Ferrand a indiqué qu'un représentant de Schering-Plough lui a "affirmé qu'il y avait des excipients supplémentaires dans la buprénorphine Arrow ce qui pourrait poser des difficultés aux patients qui s'injectent ce produit (...) Il m'a dit qu'il ferait tout pour m'empêcher de développer la buprénorphine générique dans mon officine. Un moyen pour parvenir à ses fins était de tenter d'influencer mon prescripteur principal de buprénorphine. Je suppose que Schering-Plough a réussi à influencer le Centre de soins spécialisés en toxicomanie local qui a longtemps indiqué sur ses prescriptions "Subutex non substituable" (cotes 410 et 411).
226. Un pharmacien de Toulon a pour sa part déclaré n'avoir "jamais substitué de générique à Subutex pour la bonne raison que mes prescripteurs ne souhaitent pas qu'il y ait substitution et l'indiquent clairement sur les ordonnances. À ma connaissance, c'est le seul produit pour lequel il y a une résistance des médecins à substituer. En fait, la présence de talc dans le générique lui donne un caractère dangereux en cas d'injection, le talc étant hydrosoluble" (cote 2174).
227. Un pharmacien de Lille constate que "la substitution ne se passe pas très bien au niveau du Subutex. Certains médecins inscrivent "non substituable" sur leurs ordonnances (environ 2 sur 10)" (cote 2412).
228. Ces différentes déclarations ont été confirmées par d'autres pharmaciens (cotes 2282, 2319 et 2700). Par ailleurs, plusieurs documents font état de l'existence d'ordonnances comportant la mention "buprénorphine sans talc ni silice".
229. Ainsi, un courriel du 30 mai 2006 de Mme Mélanie T indique que "[c]oncernant cette prescription "buprénorphine sans talc ni silice", ce fait m'a effectivement été remonté dans la région de l'Est" (cote 15231).
230. En outre, un compte-rendu de la réunion interne du 22 mai 2006 relève une "remontée d'ordonnance "buprénorphine sans talc" (cote 4789). Recevant ce compte-rendu, Mme Mélanie T, dans le courriel précité du 30 mai 2006 adressé à plusieurs responsables de Schering-Plough, dont le président-directeur général, tient à leur "Affirmer que je n'ai moi-même jamais demandé à notre force de ventes de tenir ce genre de propos auprès du Corps médical, quel qu'il soit, et bien au contraire j'ai, à chaque réunion régionale, précisé que nous devions en tant que laboratoire avoir un discours éthique par rapport à notre concurrent et que nous ne devions absolument pas le dénigrer sur quelque point que ce soit (la présence des 2 excipients supplémentaires est en effet mentionnée par les délégués, factuellement, mais il leur a été demandé de ne pas en conclure quoique ce soit, n'ayant aucune étude clinique ou autre sur lesquelles s'appuyer)" (cote 15231).
231. Au surplus, des notes manuscrites de M. Nicolas R du 22 mai 2006 font également référence à ces ordonnances :
22/5 : GPS
Pb "Bupre sans talc" : stratégie déloyale ?
Demander aux médecins "non substituable"
Voir avec GP (Gilles M)
(cote 5450)
- Le discours relayé dans les forums médicaux
232. La communication sur le générique de Subutex(r) a également été faite dans les forums médicaux.
233. Ainsi, à l'occasion du salon Pharmagora d'avril 2006, salon professionnel pour l'information des pharmaciens, Schering-Plough a mandaté un médecin, le docteur 3, pour informer les pharmaciens des "inconvénients" du générique. Un courriel du 21 février 2006 de M. Éric 2 à M. Nicolas R précise en effet que "lors de cette réunion nous ferons intervenir le Dr 3 de Thionville qui est OK pour parler du générique et a été briefé pour en donner tous les inconvénients aux pharmaciens présents" (cote 13888).
234. Schering-Plough utilise également le relai des "KOL" ou "key opinion leader" pour diffuser un discours sur le générique de Subutex(r). Ainsi, une déléguée médicale de Schering-Plough a déclaré que "[d]e manière ponctuelle nous organisons des réunions d'information avec les professionnels de notre secteur (géographique). Nous avons sur notre secteur des leaders d'opinion, qui sont des professionnels reconnus au plan national ou international pour leur connaissance et leur expérience du secteur de la toxicomanie, qui vont animer ces réunions" (cote 1608). Mme Mélanie T a ainsi écrit "KOL pharma leaders : campus et pragma pour mobiliser les esprits sur le risque d'injection Arrow" (cote 16680). Le commencement et la cessation des faits constatés
235. La diffusion d'un discours sur le générique de Subutex(r) a débuté à tout le moins le 15 février 2006 lors de la conférence de presse de Schering-Plough.
236. La tenue de ce discours perdurait encore en mai 2006, comme en attestent de nombreux courriels internes à Schering-Plough précédemment mentionnés.
237. Les pratiques commerciales ont été mises en œuvre à compter de janvier 2006. Elles ont perduré jusqu'à fin juillet 2006, date de l'enquête de la DGCCRF, comme l'a d'ailleurs confirmé Depolabo.
d) L'évaluation ex post de sa stratégie par Schering-Plough
238. Dans une présentation faite à Madrid et datée du 11 septembre 2006, le président-directeur général de Schering-Plough expose les résultats de la stratégie mise en œuvre en France (cotes 15037 et suivantes).
239. Il présente la politique commerciale à l'égard des pharmaciens, qualifiée d'"agressive" ("[a]gressive SP commercial policy in the pharmacies", cote 15040). La stratégie de communication est pour sa part présentée comme visant à exercer une "influence indirecte à travers les docteurs et pharmaciens" par une mise en lumière des "différences entre Subutex et le générique (taille, excipients, goût ?)" ("[i]ndirect influence through doctors and pharmacists" et "differences between Subutex and the generic (size, excipients, taste?)", cote 15041).
240. Par ailleurs, cette présentation, postérieure aux faits constatés, reprend le graphique présentant l'évolution des parts de marché à la suite de la mise sur le marché d'un générique avec pour "référence" ou "benchmark" le médicament Prozac(r) (cote 15042 et paragraphe 116).
Generic dynamics benchmark in France
Actual vs Forcecast for Buprenorphine GX
<EMPLACEMENT GRAPHIQUE>
241. En conclusion, il est exposé que les ventes ont représenté, de janvier à août 2006, 62,9 millions d'euros soit un chiffre supérieur de 34 % à l'objectif fixé. Qu'ainsi, les objectifs annuels de vente ont été atteints dès les mois d'août.
D. RAPPEL DES GRIEFS
242. Par courriers en date du 15 novembre 2012, la rapporteure générale de l'Autorité a notifié, d'une part, les trois griefs suivants aux sociétés Schering-Plough SAS, Financière MSD SAS et Merck & Co et, d'autre part, le troisième et dernier des griefs suivants aux sociétés Reckitt Benckiser Healthcare (UK) Ltd et Reckitt Benckiser plc.
"Grief n° 1
I1 est fait grief à la société Schering-Plough, ainsi qu'à la société Financière MSD et à la société Merck & Co, d'avoir abusé de leur position dominante sur le marché français de la buprénorphine haut dosage en ville en dénigrant la buprénorphine haut dosage générique de la société Arrow générique entre février 2006 et mai 2006. Cette pratique a eu pour objet et pour effet de limiter l'accès au marché de la buprénorphine haut dosage générique de la société Arrow générique au marché français de la buprénorphine haut dosage en ville. Cette pratique est prohibée par les dispositions des articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du traité TFUE.
Grief n° 2
Il est fait grief à la société Schering-Plough, ainsi qu'à la société Financière MSD et à la société Merck & Co, d'avoir abusé de leur position dominante sur le marché français de la buprénorphine haut dosage en ville en octroyant aux pharmaciens d'officine des avantages financiers à caractère fidélisant, et notamment des rémunérations pour services distincts, sans aucune contrepartie économique qui les justifie, entre janvier 2006 et fin juillet 2006. Cette pratique a eu pour objet et pour effet de restreindre les possibilités de choix des pharmaciens d'officine concernant leurs sources d'approvisionnement en buprénorphine haut dosage et de barrer l'accès du marché aux génériqueurs. Cette pratique est prohibée par les dispositions des articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du traité TFUE.
Grief n° 3
Il est fait grief à la société Schering-Plough, ainsi qu'à la société Financière MSD et à la société Merck & Co, d'une part et à la société Reckitt Benckiser Healthcare (UK) Ltd, et à la société Reckitt Benckiser pic, d'autre part, d'avoir participé à une entente complexe et continue sur le marché français de la buprénorphine haut dosage en ville, entre octobre 2005 et fin juillet 2006, visant à entraver l'accès des médicaments génériques de Subutex au marché français de la buprénorphine haut dosage en ville, en mettant en œuvre des accords ou pratiques concertées ayant consisté à :
- dénigrer la buprénorphine haut dosage générique de la société Arrow générique ;
- octroyer aux pharmaciens d'officine des avantages financiers à caractère fidélisant, et notamment des rémunérations pour services distincts, sans contrepartie économique qui les justifie.
Ces pratiques ont eu pour objet ou pour effet de limiter l'accès au marché de la buprénorphine haut dosage générique de la société Arrow générique au marché français de la buprénorphine haut dosage en ville. Ces pratiques sont prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce et par l'article 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne".
E. LA MISE EN OEUVRE DU III DE L'ARTICLE L. 464-2 DU CODE DE COMMERCE
243. Schering-Plough, Financière MSD et Merck & Co, qui étaient destinataires de la notification de griefs, ont sollicité le bénéfice des dispositions du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce, selon lesquelles : "Lorsqu'un organisme ou une entreprise ne conteste pas la réalité des griefs qui lui sont notifiés, le rapporteur général peut proposer à l'Autorité de la concurrence, qui entend les parties et le commissaire du Gouvernement sans établissement préalable d'un rapport, de prononcer la sanction pécuniaire prévue au I en tenant compte de l'absence de contestation. Dans ce cas, le montant maximum de la sanction encourue est réduit de moitié. Lorsque l'entreprise ou l'organisme s'engage en outre à modifier son comportement pour l'avenir, le rapporteur général peut proposer à l'Autorité de la concurrence d'en tenir compte également dans la fixation du montant de la sanction".
244. La mise en œuvre de ces dispositions a donné lieu à l'établissement d'un procès-verbal signé le 14 février 2013 par lequel Schering-Plough, Financière MSD et Merck & Co ont déclaré ne pas contester les griefs notifiés, d'une part, et ont proposé des engagements, d'autre part.
245. Pour tenir compte de la non-contestation des griefs et des engagements proposés, le rapporteur général adjoint a proposé que la sanction pécuniaire encourue, le cas échéant, par Schering-Plough, Financière MSD et Merck & Co soit réduite dans une proportion allant jusqu'à 20 % du montant qui leur aurait été normalement infligé.
II. Discussion
A. SUR LA RÉGULARITÉ DE LA PROCÉDURE
1. EN CE QUI CONCERNE LA PRESCRIPTION
a) Le droit applicable
246. Aux termes de l'article L. 462-7 du Code de commerce, "l'Autorité ne peut être saisie de faits remontant à plus de cinq ans s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction".
247. Selon la jurisprudence, les opérations de visite et de saisie qui constituent des actes de recherche et de constatation de faits susceptibles de constituer des pratiques anticoncurrentielles prohibées interrompent la prescription des faits dont l'Autorité est saisie, de même que les voies de recours exercées à l'encontre des décisions autorisant lesdites opérations ou rejetant les requêtes tendant à leur annulation (arrêt de la Cour de cassation du 6 mars 2007, Demathieu et Bard e.a., n° 06-13501).
248. En outre, le juge a tiré du caractère in rem de la saisine de l'Autorité des conséquences relatives tant aux faits interruptifs de prescription qu'aux parties et entreprises à l'égard desquelles l'interruption de la prescription peut s'exercer.
249. S'agissant des faits interruptifs de prescription, la cour d'appel a jugé que le Conseil, qui n'est pas lié par les demandes et les qualifications de la partie saisissante, peut, sans avoir à se saisir d'office, retenir les pratiques révélées par les investigations auxquelles il a procédé à la suite de sa saisine, qui, quoique non visées expressément dans celle-ci, ont le même objet ou le même effet (arrêt du 30 janvier 2007, Le Foll TP e.a., n° 06-00566, p. 8). En outre, des faits ayant été l'objet d'une saisine de l'Autorité sont interruptifs de prescription à l'égard des parties avant que ne soient qualifiées les pratiques qu'ils révèlent : "Mais considérant (...) que le Conseil était saisi d'un ensemble de faits, présentés a priori comme un abus de position dominante (...) qu'il suit de là, le Conseil de la concurrence étant saisi in rem, que la prescription a été interrompue, pour l'ensemble de ces faits et à l'égard de toutes les entreprises sanctionnées (...) avant même que ne soient qualifiées les pratiques en cause au regard tant de l'article L. 420-1 que de l'article L. 420-2 du Code de commerce dans le cadre de la notification des griefs" (arrêt de la Cour d'appel de Paris du 4 avril 2006, société les Établissements horticoles Georges Truffaut e.a., n° 2005-14057, p. 7).
250. Dans une décision devenue définitive, l'Autorité a en outre indiqué que lorsqu'une infraction sanctionnée selon des règles de procédure distinctes de celles qui répriment les pratiques visées par la saisine, la prescription n'est pas interrompue à l'égard de cette infraction : tel est le cas de l'inexécution d'une injonction, réprimée par les dispositions de l'article L. 464-3 du Code de commerce alors que la sanction des pratiques anticoncurrentielles est régie par les dispositions de l'article L. 464-2 du Code de commerce (décision n° 10-D-12 du 15 avril 2010 relative à des pratiques mises en œuvre par la société Hypromat France SAS dans le secteur du lavage automobile par haute pression, paragraphe 58).
b) Arguments des parties
251. Reckitt Benckiser Healthcare Limited et Reckitt Benckiser plc soutiennent que les faits sont prescrits à l'égard de Reckitt Benckiser depuis le 1er août 2011, en l'absence de tout acte d'instruction ayant pu valablement interrompre la prescription.
252. Elles font en effet valoir que la pratique d'entente avec Schering-Plough reprochée à Reckitt Benckiser est différente de l'abus de position dominante commis par Schering-Plough, à l'origine de la saisine de l'Autorité par Arrow et ne se fonde pas sur les mêmes faits. Pour justifier cette différence, elles invoquent l'absence de Reckitt Benckiser sur le marché de la buprénorphine haut dosage, où les pratiques reprochées à Schering-Plough ont été constatées, la différence de durée des infractions retenue pour l'entente et l'abus de position dominante.
253. Elles en déduisent que, les mesures d'instruction intervenues entre la saisine du Conseil le 13 novembre 2006 et le 1er août 2011 portant uniquement sur l'abus commis par Schering-Plough sur le marché de la buprénorphine haut dosage, elles ne peuvent interrompre la prescription à l'égard de Reckitt Benckiser en ce qui concerne le grief d'entente. En particulier, la relation contractuelle entre Reckitt Benckiser et Schering-Plough n'aurait jamais été invoquée durant les procédures relatives aux opérations de visite et de saisie réalisées au siège de Schering-Plough le 18 janvier 2007 et aux mesures conservatoires, alors même que les services d'instruction disposaient des pièces saisies chez Schering-Plough faisant état de l'existence d'un contrat entre Reckitt Benckiser et Schering-Plough. Les services d'instruction n'auraient pas davantage cherché à connaître le contenu dudit contrat. Le premier acte d'instruction visant Reckitt Benckiser serait une demande d'informations adressée à Schering-Plough le 23 septembre 2011, soit plus de cinq ans après la fin de l'entente alléguée.
c) Appréciation au cas d'espèce
254. En l'espèce, le délai de prescription a commencé à courir le jour de la cessation des pratiques, à savoir le 9 décembre 2005 (voir paragraphe 443 de la présente décision).
255. L'Autorité de la concurrence a été saisie le 3 novembre 2006 par Arrow de faits présentés comme un abus de position dominante de Schering-Plough à son encontre sur le marché de la commercialisation en officine de Subutex(r). Toutefois, ces faits sont interruptifs de prescription à l'égard des parties avant que ne soient qualifiées les pratiques qu'ils révèlent.
256. Au cours de la procédure, le délai de prescription a été interrompu le jour de la saisine de l'Autorité, le 3 novembre 2006, puis à plusieurs reprises, notamment avec l'opération de visite et saisie du 18 juillet 2007 au siège de Schering-Plough, les décisions rendues sur les recours contre les opérations de visite et saisie, à savoir les ordonnances des juges des 17 juillet 2007 et 4 mars 2010 puis les arrêts de la Cour de cassation du 20 mai 2009 et du 29 juin 2011. À compter de ce dernier arrêt de la Cour de cassation, le délai a ensuite recommencé à courir, mais il a de nouveau été interrompu par l'instruction du dossier et notamment par la demande de renseignements adressée par la rapporteure à la société Schering-Plough, le 27 septembre 2011, qui concernait notamment Reckitt Benckiser, puisque des informations ont été demandées sur le contrat entre Reckitt Benckiser et Schering-Plough. Il convient de remarquer que les scellés des documents n'ont été remis à l'Autorité qu'après l'ordonnance du 4 mars 2010 et à l'issue de la procédure de restitution qui s'est déroulée au second semestre 2010, et que l'Autorité n'a pu les utiliser qu'après l'arrêt du 29 juin 2011 statuant sur le pourvoi formé par Schering-Plough contre l'ordonnance du 4 mars 2010.
257. Or, à la lumière des documents saisis chez Schering-Plough et à la suite de la demande de renseignements adressée par la rapporteure à cette société le 23 septembre 2011 sur le contrat entre Reckitt Benckiser et Schering-Plough, les services d'instruction ont découvert l'existence d'un accord préalable entre elle-même et son fournisseur, Reckitt Benckiser, qui par nature secret, ne pouvait être connu de la saisissante ou du juge autorisant les opérations de visite et de saisie. L'abus de position dominante de Schering Plough sur le marché de la BHD a été préparé par cet accord, qui relève donc de mêmes faits que cette première pratique. Saisie d'un ensemble de faits, l'Autorité estime, conformément à la jurisprudence précitée, qu'au stade de la qualification, certains révèlent un abus de position dominante entre Schering-Plough et d'autres une entente entre Reckitt Benckiser et Schering-Plough.
258. En outre, les parties ne peuvent sérieusement prétendre que l'intérêt tardif porté aux relations entre Reckitt Benckiser et Schering-Plough et au contrat qui les liait constituerait une preuve de la différence des pratiques.
259. L'absence de Reckitt Benckiser sur le marché où a été commis l'abus de position dominante ou la durée différente retenue au titre des deux types de pratiques ne signifient aucunement que les faits examinés par l'Autorité soient différents. Au contraire, ainsi qu'il vient d'être démontré, l'abus de position dominante a été facilité par l'entente, dont l'objet était de préparer la mise en œuvre unilatérale de l'abus par Schering-Plough.
260. Enfin, les requérantes ne sauraient se prévaloir de la décision n° 02-D-42 du 28 juin 2002 relative à des pratiques relevées dans le secteur de la distribution des appareils électroménagers et d'électronique grand public rendue par le Conseil de la concurrence, qui concerne une situation différente de celle de la présente espèce. En effet, d'un point de vue procédural, les pratiques de Reckitt Benckiser n'ont pas fait l'objet d'une saisine distincte. D'un point de vue matériel, ainsi qu'il vient d'être démontré ci-dessus, les faits constitutifs des pratiques ne sont pas distincts, l'accord entre Schering-Plough et Reckitt Benckiser ayant rendu possible l'abus de position dominante commis par Schering-Plough.
261. Par conséquent, même si Reckitt Benckiser est restée étrangère aux opérations de visite et saisie diligentées à l'égard de Schering-Plough et aux contestations auxquelles elles ont donné lieu, l'effet interruptif de prescription, dont il n'est pas contesté qu'il est valable pour Schering-Plough, s'applique également à elle.
2. EN CE QUI CONCERNE LA DURÉE DE LA PROCÉDURE
a) Le droit applicable
262. Aux termes d'une jurisprudence constante, le délai raisonnable prescrit par l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la "CEDH") doit s'apprécier au regard de l'ampleur et de la complexité de l'affaire. La sanction qui s'attache à la violation par l'Autorité de l'obligation de se prononcer dans un délai raisonnable n'est pas l'annulation de la procédure, mais la réparation du préjudice résultant éventuellement du délai subi, sous réserve, toutefois, que le délai écoulé durant la phase d'instruction, en ce compris la phase non contradictoire, devant l'Autorité n'ait pas causé à chacune des entreprises, formulant un grief à cet égard, une atteinte personnelle, effective et irrémédiable à son droit de se défendre (voir les arrêts de la Cour de cassation du 23 novembre 2010, Beauté Prestige International, n° 09-72.031, de la Cour d'appel de Paris du 26 janvier 2012, Beauté Prestige International, n° 2010-23945, p. 19 et du 11 octobre 2012, Entreprise H. Chevalier Nord, n° 2011-03298, p. 30).
263. En ce qui concerne l'appréciation du caractère raisonnable de la durée de la procédure au regard de l'ampleur et de la complexité de l'affaire en cause, la Cour d'appel de Paris a précisé que "nonobstant les exigences de rapidité de la vie des affaires, l'application des règles de fond de droit de la concurrence exige toujours une lourde mise en œuvre des normes de la légalité économique largement indéterminées, nécessitant pour leur application technique l'élaboration de critères précis passant par une appréciation des effets économiques des pratiques contestées et requérant une analyse économique en profondeur des marchés concernés" (arrêt de la Cour d'appel de Paris du 26 janvier 2012 précité).
264. Par ailleurs, en ce qui concerne les atteintes alléguées à la possibilité pour les entreprises de se défendre utilement contre les griefs notifiés compte tenu de la durée de la procédure, la cour a précisé que "la réalité d'une telle violation s'apprécie nécessairement à l'aune du devoir général de prudence incombant à chaque opérateur économique qui se doit de veiller à la bonne conservation de ses livres et archives comme de tous éléments permettant de retracer la licéité de ses pratiques en cas d'actions judiciaire ou administrative" (même arrêt).
265. S'agissant plus particulièrement de la question de la conservation des preuves, la Cour de cassation a jugé que les entreprises incriminées par l'Autorité de la concurrence "sont responsables de la déperdition éventuelle des preuves qu'elles entendaient faire valoir tant que la prescription (...) n'était pas acquise" (arrêt de la Cour de cassation du 12 janvier 1999, n° 97-13.125). En vertu d'un devoir général de prudence, il incombe en effet aux entreprises mises en cause de conserver toute preuve de nature à établir la licéité de leurs pratiques jusqu'à la fin de la prescription fixée par l'article L. 462-7 du Code de commerce, dont le délai a été porté de trois à cinq ans par l'ordonnance du 4 novembre 2004 (arrêts de la Cour d'appel de Paris du 26 janvier 2012 précité et du 11 octobre 2012 précités, p. 32).
266. Pour apprécier si le principe du délai raisonnable a été respecté en l'espèce, il convient donc d'examiner dans un premier temps si la durée de la procédure peut être considérée comme excessive compte tenu des circonstances de l'espèce, et, le cas échéant, d'examiner dans un second temps s'il est établi que la durée de la procédure a privé Reckitt Benckiser de la possibilité de se défendre utilement contre les griefs qui lui étaient reprochés.
b) Arguments des parties
267. Reckitt Benckiser et Reckitt Benckiser plc soutiennent que la durée de la procédure a excédé le délai raisonnable prescrit par l'article 6 § 1 de la CEDH. Elles font valoir que ce délai excessif a porté atteinte à leurs droits de la défense de manière irrémédiable, dans la mesure où elles ne disposaient plus des données qui leur auraient permis d'assurer utilement leur défense, notamment en raison du départ de certains salariés.
c) Appréciation au cas d'espèce
268. En l'espèce, Arrow a saisi l'Autorité, le 3 novembre 2006. Or, le délai de plus de cinq ans - au demeurant interrompu à plusieurs reprises par des actes interruptifs de prescription - qui s'est écoulé entre les faits allégués et le premier acte d'instruction s'explique par la durée du contentieux des opérations de visite et saisie, initié par Schering-Plough dont le dernier arrêt rendu date du 29 juin 2011. Entre l'ordonnance du 17 juillet 2007 rendue par le juge pour restituer les documents à Schering-Plough puis la restitution effective de ceux-ci à l'Autorité, intervenue à la fin de l'année 2010, le rapporteur n'était plus en possession des documents saisis, qui constituaient l'essentiel des preuves des pratiques suspectées et n'a donc pas pu débuter l'instruction. Ensuite, le rapporteur a dû procéder à l'analyse d'un dossier comportant 30 000 cotes. Il en résulte que les sociétés Reckitt Benckiser et Reckitt Benckiser plc ne peuvent imputer aux services d'instruction la responsabilité de la durée de la procédure, qui n'est d'ailleurs pas excessive au regard de l'ampleur et de la complexité du dossier.
269. Par ailleurs, les requérantes se bornent à indiquer que l'accès aux anciens salariés et à leurs archives aurait très certainement permis de confirmer ou d'infirmer des incertitudes relatives à certains points. L'utilisation du conditionnel montre qu'il ne s'agit là que d'une conjecture. Au surplus, plusieurs anciens salariés ont été interrogés par les services d'instruction, et notamment, l'un des principaux acteurs de la concertation, dont le nom apparaît de très nombreuses fois dans les pièces saisies, auditionné par la rapporteure le 28 février 2012 (cotes 17282 et suivantes). De surcroît, les requérantes n'ont pas eu de difficulté à transmettre divers comptes rendus de réunions conjointes de 2005 à 2007 entre Reckitt Benckiser et Schering-Plough (cotes 16467 et suivantes). Enfin, comme indiqué supra, l'ensemble des documents électroniques saisis relatifs aux sociétés Reckitt Benckiser a été copié sur un Cd-rom et transmis à cette société. Or ces documents constituent les archives des échanges entre Reckitt Benckiser et Schering Plough.
270. Ainsi, la durée de la procédure, qui n'apparaît pas déraisonnable, n'a pas porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense, contrairement à ce qui est allégué.
3. EN CE QUI CONCERNE LA VIOLATION DE LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE ET LE RENVERSEMENT DE LA CHARGE DE LA PREUVE
a) Le droit applicable
271. Il est de jurisprudence constante que la preuve d'une entente peut résulter d'indices variés dans la mesure où, après recoupement, ils constituent un ensemble de présomptions suffisamment graves, précises et concordantes. Selon la Cour de cassation, "l'existence d'une entente n'était habituellement pas établie par des documents formalisés, datés et signés, émanant des entreprises auxquelles ils étaient opposés (...) la preuve ne pouvait résulter que d'indices variés dans la mesure où, après recoupement, ils constituent un ensemble de présomptions suffisamment graves précises et concordantes" (arrêt du 8 décembre 1992, Établissements Phibor, n° 90-20.258, pp. 15 et 16). La Cour d'appel de Paris précise que ladite preuve peut résulter d'un faisceau d'indices constitué par le rapprochement de divers éléments, même si chacun d'eux n'a pas, pris isolément, un caractère suffisamment probant (arrêt du 16 septembre 2010, société Raffalli & Cie, SARL, n° 2009-24813, p. 7).
272. La preuve de l'accord de volontés fait l'objet de développements plus détaillés aux paragraphes 419 et suivants.
b) Arguments des parties
273. Selon les sociétés Reckitt Benckiser, le principe de la présomption d'innocence aurait été violé en méconnaissance des paragraphes 2 des articles 6 de la CEDH et du TFUE ainsi que de l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
274. En effet, le rapport aurait inversé à plusieurs reprises la charge de la preuve incombant à l'Autorité. Ce dernier aurait présumé l'existence de la réunion du 20 octobre 2005, ainsi que l'aide financière de Reckitt Benckiser aux actions commerciales menées par Schering Plough. Les sociétés Reckitt Benckiser contestent l'origine du plan d'optimisation des performances, qui ne viendrait pas de Reckitt Benckiser et qui ne serait donc pas une preuve valable de l'accord de volontés. L'Autorité aurait enfin présumé l'implication de Reckitt Benckiser dans les pratiques litigieuses, en retenant délibérément le standard de preuve moins contraignant des ententes horizontales et non des ententes verticales.
c) Appréciation au cas d'espèce
275. Les arguments soulevés par les parties concernent en réalité le standard de preuve et l'existence du concours de volontés, traités respectivement aux paragraphes 422 et suivants et 419 et suivants de la présente décision.
4. EN CE QUI CONCERNE LES PRINCIPES D'IMPARTIALITÉ ET DE LOYAUTÉ
276. Il résulte d'une jurisprudence constante que le rapporteur fonde sa notification de griefs sur les faits qui lui paraissent de nature à en établir le bien-fondé. Ainsi, la Cour d'appel de Paris a jugé, dans un arrêt du 14 janvier 2003, SA Bouygues, que "le fait que la notification de griefs puis le rapport n'aient pas cité tous les faits et documents qui n'ont pas été retenus comme indices des pratiques anticoncurrentielles ne peut faire grief aux entreprises précitées, celles-ci ayant eu accès à l'ensemble de la procédure ; que l'argument selon lequel le rapporteur aurait dénaturé les documents et les déclarations figurant au dossier est dépourvu de portée, dès lors que les requérantes reconnaissent dans le même temps que ceux-ci sont sujets à interprétation et qu'il n'est pas contesté qu'elles ont pu faire valoir, tout au long de la procédure, leurs moyens de défense sur l'interprétation qui en était donnée par le rapporteur, le Conseil puis la cour ayant été mis en mesure par la suite de faire un nouvel examen des éléments de preuve ainsi produits" (n° 2001-11 780 ; voir également arrêt de la Cour d'appel de Paris du 24 janvier 2006, Ordre des avocats au barreau de Marseille, n° 05-14 831).
277. Aussi, le principe selon lequel le rapporteur doit instruire à charge et à décharge signifie que le rapporteur doit examiner de manière impartiale le dossier qui lui est confié afin, soit de formuler des griefs, soit de proposer un non-lieu, à moins que d'autres possibilités procédurales ne soient appropriées. Dans le cas où la procédure prévoit l'établissement d'un rapport, comme en l'espèce, le principe d'instruction à charge et à décharge doit conduire le rapporteur à reproduire la substance des observations des parties dans son rapport et à prendre position à leur propos, qu'il s'agisse de la qualification des pratiques ou des critères de la sanction éventuelle, de manière à éclairer le collège qui statuera sur ces constatations.
278. Selon une jurisprudence constante, il n'est pas nécessaire que le rapport réponde au détail de l'argumentation des parties, dès lors qu'il contient l'essentiel des considérations concernant les éléments soumis à la discussion contradictoire (voir, en ce sens, arrêt de la Cour d'appel de Paris, Ordre des avocats au barreau de Marseille, précité). La Cour d'appel de Paris a par ailleurs jugé, dans son arrêt Bouygues Télécom e.a. du 12 décembre 2006, que "le principe du contradictoire a été respecté dès lors que les parties ont, tout au long de la procédure, pu présenter leurs observations et que le Conseil, après avoir examiné les éléments de fait et de droit portés à sa connaissance, a motivé sa décision de manière telle que la cour est en mesure d'exercer son contrôle" (n° 2006-00048, p. 12, arrêt confirmé sur ce point par arrêt de la Cour de cassation du 29 juin 2007, Bouygues Télécom, n° 07-10303).
279. Reckitt Benckiser soutient que la rapporteure a utilisé les seuls éléments à charge du dossier, en faisant abstraction d'éléments de fait favorables aux parties, soit en ne tenant pas compte des observations formulées par les parties dans leurs réponses à la notification des griefs, soit en dénaturant le contenu de ceux-ci, ce qui témoignerait d'une conduite partiale et à charge de l'instruction. Elle s'estime ainsi victime d'un "acharnement procédural" (mémoire en réponse du 21 août 2013, p. 24).
280. À supposer que certaines observations formulées par les parties n'aient pas fait l'objet d'une réponse de la part de la rapporteure au stade du rapport et que certains éléments à décharge n'aient pas été pris en considération, les parties ont eu tout loisir de soulever ces arguments en séance devant l'Autorité qui a été en mesure d'apprécier l'ensemble des éléments versés au dossier.
281. Il résulte de ce qui précède que les moyens tirés de l'absence d'impartialité et de la conduite déloyale de la procédure ne sont pas fondés.
5. EN CE QUI CONCERNE LA VIOLATION DES DROITS DE LA DÉFENSE
282. Aux termes de l'article L. 463-2 du Code de commerce : "le rapporteur général (...) notifie les griefs aux intéressés ainsi qu'au commissaire du Gouvernement, qui peuvent consulter le dossier sous réserve des dispositions de l'article L. 463-4 et présenter leurs observations dans un délai de deux mois".
283. Reckitt Benckiser et sa société mère soutiennent que les conditions d'accès au dossier portent une atteinte grave et irrémédiable à leurs droits de la défense, en raison de l'absence de certaines pièces au dossier, du classement de nombreuses pièces sous couvert de la protection du secret des affaires, et enfin de l'accès tardif à de nombreux éléments du dossier.
a) Sur l'absence de certaines pièces
284. Les sociétés Reckitt Benckiser et Reckitt Benckiser plc invoquent l'absence au dossier de l'ordonnance du juge du 17 janvier 2007 autorisant les opérations de visite et de saisie chez Schering-Plough et du compte-rendu de la réunion du 20 octobre 2005.
285. Aux termes de l'article L. 450-4 du Code de commerce : "Le déroulement des opérations de visite et saisie peut faire l'objet d'un recours (...) suivant les règles prévues par le Code de procédure pénale. Le ministère public, la personne à l'encontre de laquelle a été prise l'ordonnance mentionnée au premier alinéa et les personnes mises en cause au moyen de pièces saisies au cours de ces opérations peuvent former ce recours. Ce dernier est formalisé par déclaration au greffe du tribunal de grande instance dans un délai de dix jours à compter de la remise ou de la réception du procès-verbal et de l'inventaire, ou, pour les personnes n'ayant pas fait l'objet de visite et de saisie et qui sont mises en cause, à compter de la date à laquelle elles ont reçu notification du procès-verbal et de l'inventaire et, au plus tard à compter de la notification de griefs prévue à l'article L. 463-2". Reckitt Benckiser et sa société mère qui reconnaissent, dans leur mémoire en réponse au rapport du 21 août 2013 (p. 30), avoir eu connaissance de l'ordonnance du juge du 17 janvier 2007 n'ont pas formé de recours contre ladite ordonnance, comme la loi leur en réservait la possibilité sans qu'elles aient besoin d'en disposer.
286. Par ailleurs, Reckitt Benckiser et sa société-mère ne sauraient invoquer l'absence au dossier du compte-rendu de la réunion du 20 octobre 2005, qui ne figure pas parmi les documents saisis, comme l'indique explicitement la notification de griefs (note de bas de page n° 102 p. 46).
b) Sur le classement de nombreuses pièces
287. Aux termes de l'article L. 463-4 du Code de commerce, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 : "Sauf dans les cas où la communication ou la consultation de ces documents est nécessaire à l'exercice des droits de la défense d'une partie mise en cause, le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence peut refuser à une partie la communication ou la consultation de pièces ou de certains éléments contenus dans ces pièces mettant en jeu le secret des affaires d'autres personnes. Dans ce cas, une version non confidentielle et un résumé des pièces ou éléments en cause lui sont accessibles".
288. D'abord, conformément au souhait exprimé par les sociétés Reckitt Benckiser dans leurs observations à la notification de griefs, la réponse de Schering-Plough au questionnaire de la rapporteure relatif aux transferts financiers entre Reckitt Benckiser et Schering-Plough a été déclassée dans sa totalité, et ce avant l'envoi du rapport, par la décision 13-DEC-27 du 25 avril 2013 (cotes 21558 à 21 561). En outre, les sociétés Reckitt Benckiser ont également été interrogées par la rapporteure sur ces transferts financiers, comme l'indique notamment le courriel de relance du 19 mars 2012 (cote 17609). Elles ont donc pu prendre connaissance des éléments relatifs aux transferts financiers et ainsi rédiger leurs observations.
289. Ensuite, les requérantes ne peuvent se plaindre de l'absence de déclassement du compte-rendu de la réunion du 30 avril 2004 entre Reckitt Benckiser et Schering-Plough, qui ne concerne en tout état de cause pas les griefs retenus par l'instruction puisqu'elle est antérieure d'un an et demi au commencement de la pratique d'entente le 5 octobre 2005.
290. En outre, pour ce qui concerne les échanges de courriels de février 2006 entre Reckitt Benckiser et Schering-Plough du 16 février 2006 (cotes 13592 à 13 593), la première des deux pages a effectivement fait l'objet d'une décision de déclassement le 6 février 2013 pour Reckitt Benckiser, après l'envoi de la notification de griefs. La seconde page, sur laquelle figuraient les éléments que la rapporteure avait retenus contre Reckitt Benckiser était bien évidemment accessible au moment de la notification de griefs (cote 13593). De même, les entreprises ont eu accès au courriel relatif aux "pharmacy agencies" : le courriel indiquant la préférence de Reckitt Benckiser Innovex/MBO pour mettre en œuvre la force de vente directe en France figurait au dossier (cote 19445), mais n'avait pas été numérisé. Il a été transmis, le 21 décembre 2012, aux sociétés Reckitt Benckiser, postérieurement à l'envoi de la notification de griefs. Le courriel auquel il répondait, dont les services d'instruction n'avaient pas connaissance au moment de la notification de griefs, figure dans le CD-rom transmis aux sociétés Reckitt Benckiser avec le rapport, de même qu'une version papier (cote 27735).
291. Enfin, s'agissant du plan d'optimisation transmis avec le courriel du 5 octobre 2005, il sera répondu aux arguments concernant son auteur aux paragraphes 437 et suivants. Lors de la notification de griefs, les sociétés Reckitt Benckiser ont eu accès aux extraits de ce document qui fondaient les griefs, à savoir les quatre diapositives les plus importantes de ce plan relatives à l'action auprès des pharmaciens "pharmacy optimisation plan retail" (cote 13 898, voir également infra le tableau récapitulatif). Une annexe spécifique au rapport a rassemblé tous les documents les plus importants dans leur intégralité, qui ont été déclassés.
c) Sur l'accès tardif à de nouveaux éléments du dossier
292. Les sociétés Reckitt Benckiser mettent en cause le déclassement partiel et tardif des saisies électroniques (qui comporterait des milliers de pages) et le déclassement tardif des réponses de Schering Plough sur les flux financiers entre Reckitt Benckiser et Schering-Plough.
293. Au cas d'espèce, la protection de secret des affaires a été demandée par Schering Plough sur certains documents papier saisis ou sur les messageries électroniques. Ces demandes de secret des affaires étant régulières en la forme, elles ont donc été acceptées. Toutefois, afin de garantir l'exercice des droits de la défense de Reckitt Benckiser, toutes les informations figurant dans les documents saisis (papier ou messageries) mentionnées dans la notification de griefs et servant de preuve des pratiques reprochées à Reckitt Benckiser ont été déclassées. Puis, pour répondre aux arguments de Reckitt Benckiser en réponse à la notification de griefs, d'autres documents ont été déclassés avant l'envoi du rapport et annexés à celui-ci. Au stade du rapport, les sociétés Reckitt Benckiser ont eu un plein et entier accès au dossier, puisque s'agissant des saisies électroniques, il a été procédé à une recherche de tous les documents électroniques comportant le mot clé "Reckitt Benckiser" (2477 fichiers) qui ont été copiés sur un CD-rom puis déclassés et transmis aux sociétés Reckitt Benckiser.
294. En ce qui concerne les réponses de Schering Plough sur les flux financiers entre Reckitt Benckiser et Schering-Plough, elles ont été déclassées le 25 février 2013, soit avant l'envoi du rapport du 25 avril 2013.
295. Enfin, en tout état de cause, les sociétés Reckitt Benckiser ne démontrent pas comment le fait d'avoir accès à ces documents d'une façon qu'elles estiment tardive, ait pu leur causer préjudice. Ainsi, elles n'invoquent aucun élément tiré de ces documents pour exercer leurs droits de la défense à l'encontre du grief d'entente.
296. Les parties mises en cause ont donc eu la possibilité d'avoir connaissance de tous les éléments utilisés dans la notification de griefs, et ainsi de rédiger leurs observations à cette notification. Aucune atteinte aux droits de la défense des parties n'est donc démontrée.
B. SUR L'APPLICABILITÉ DES RÈGLES DE CONCURRENCE DE L'UNION
1. LES PRINCIPES APPLICABLES
297. L'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne dispose que "sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché intérieur". L'article 102 TFUE dispose quant à lui qu'"est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci".
298. Se fondant sur la jurisprudence constante de l'Union, et à la lumière de la communication de la Commission européenne portant lignes directrices relatives à la notion d'affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité [devenus les articles 101 TFUE et 102 TFUE] (JO 2004, C 101, p. 81), l'Autorité considère que trois éléments doivent être réunis pour que des pratiques soient susceptibles d'affecter sensiblement le commerce entre États membres : l'existence d'échanges entre États membres portant sur les produits ou les services en cause, l'existence de pratiques susceptibles d'affecter ces échanges et le caractère sensible de cette possible affectation.
299. La circonstance que des ententes ou des abus de position dominante soient commis sur le territoire d'un seul État membre ne fait pas obstacle à ce que les deux premières conditions soient remplies.
300. S'agissant des pratiques d'entente, la Commission a en effet rappelé que "les ententes horizontales couvrant l'ensemble d'un État membre sont normalement susceptibles d'affecter le commerce entre États membres" (point 78 des lignes directrices). De même, en ce qui concerne les abus de position dominante, la Cour de justice a jugé que, lorsque le détenteur d'une position dominante empêche l'accès au marché à des concurrents, il est indifférent que ce comportement n'ait lieu que sur le territoire d'un seul État membre, dès lors qu'il est susceptible d'avoir des répercussions sur les courants commerciaux et sur la concurrence dans le marché unique (arrêt du 9 novembre 1981, Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission, 322/81, Rec. p. 3461, point 103).
301. La Cour de cassation a, quant à elle, précisé dans un arrêt France Télécom du 31 janvier 2012 que les termes "susceptibles d'affecter" énoncés par les articles 101 TFUE et 102 TFUE "supposent que l'accord ou la pratique abusive en cause permette, sur la base d'un ensemble d'éléments objectifs de droit ou de fait, d'envisager avec un degré de probabilité suffisant qu'il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d'échanges entre États membres, sans que soit exigée la constatation d'un effet réalisé sur le commerce intracommunautaire" (arrêt du 31 janvier 2010, n° 10-25772, 10-25775 et 10-25882, p. 6).
302. S'agissant du troisième élément, à savoir le caractère sensible de l'affectation des échanges entre États membres, la Commission européenne a précisé que, "en principe, les accords ne peuvent pas affecter sensiblement le commerce entre États membres lorsque les conditions cumulatives suivantes sont remplies : a) la part de marché totale des parties sur un marché communautaire en cause n'excède pas 5 % et, b) (...) le chiffre d'affaires annuel moyen réalisé dans la Communauté par les entreprises en cause avec les produits concernés par l'accord n'excède pas 40 millions d'euros" (point 52 des lignes directrices).
303. En ce qui concerne les abus de position dominante, la Commission européenne a rappelé qu'il fallait "tenir compte du fait que la présence de l'entreprise dominante couvrant l'ensemble d'un État membre est susceptible de rendre la pénétration du marché plus difficile. Toute pratique abusive qui rend plus difficile l'entrée sur le marché national doit donc être considérée comme affectant sensiblement le commerce" (point 96 des lignes directrices).
304. Enfin, dans l'arrêt France Télécom précité, la Cour de cassation a jugé que "le caractère sensible de l'affectation directe ou indirecte, potentielle ou actuelle, du commerce intracommunautaire résulte d'un ensemble de critères, parmi lesquels la nature des pratiques, la nature des produits concernés et la position de marché des entreprises en cause" (p. 6). Cette approche vaut à plus forte raison pour les pratiques concernant l'ensemble d'un État membre (voir, s'agissant de pratiques abusives, les arrêts du Tribunal de première instance du 8 octobre 1996, Compagnie maritime belge transports e.a./Commission, T-24-93, T-25-93, T-26-93 et T-28-93, Rec. p. II-1201, point 203 et Irish Sugar plc/Commission, T-228-97, Rec. p. II-2969, point 170).
2. APPRÉCIATION AU CAS D'ESPÈCE
305. En premier lieu, les pratiques en cause ont une dimension nationale, puisqu'elles ont été envisagées, pour le grief d'entente, et mises en œuvre, pour les griefs d'abus de position dominante, sur le marché de la BHD commercialisée en ville sur l'ensemble du territoire français (voir les paragraphes 347 et suivants).
306. En deuxième lieu, la BHD est un produit important car, bien qu'il ne concerne qu'un nombre limité de patients, il constitue un traitement de longue durée pour ces derniers. Par ailleurs, tant les entreprises mises en cause que la plaignante sont implantées dans plusieurs États membres de l'Union européenne dont la France (paragraphes 6 et suivants).
307. En troisième lieu, Schering-Plough est l'opérateur principal sur le marché de la BHD en France et Reckitt Benckiser pour le reste de l'Union européenne. Le seul chiffre d'affaires relatif aux ventes de Subutex en France réalisé par Schering-Plough excède le seuil de 40 millions d'euros fixé par la Commission européenne dans ses lignes directrices, puisqu'il s'est élevé à plus de 95,6 millions d'euros en 2006 (cote 3790). Par ailleurs, le marché de la BHD en France représentait ces dernières années environ 100 millions d'euros de chiffre d'affaires. (1) et (2)
308. En quatrième lieu, si les pratiques envisagées et celles mises en œuvre ont visé la seule Buprénorphine Arrow, elles sont susceptibles d'avoir affecté indistinctement et indirectement tous les concurrents potentiels des entreprises mises en cause.
309. Il résulte de ce qui précède que les pratiques en cause sont susceptibles d'affecter de façon sensible le commerce entre États membres. Elles seront par conséquent analysées au regard des règles de concurrence tant internes que de l'Union, ce qui n'est, au demeurant, pas contesté par les parties.
C. SUR LE BIEN-FONDÉ DES GRIEFS
310. L'Autorité examinera, dans un premier temps, les deux griefs relatifs aux abus de position dominante reprochés de Schering-Plough puis, dans un second temps, le grief d'entente imputé à Schering-Plough et Schering-Plough Corp, d'une part, et à Reckitt Benckiser, d'autre part.
1. SUR LES CONSÉQUENCES DE LA MISE EN OEUVRE DU III DE L'ARTICLE L. 464-2 DU CODE DE COMMERCE
311. L'organisme ou l'entreprise qui choisit de solliciter le bénéfice de la mise en œuvre du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce doit respecter les conditions imposées à cet égard, en ne contestant pas la réalité des griefs qui lui ont été notifiés.
312. L'intéressé doit ainsi renoncer à contester, non seulement la réalité de l'ensemble des pratiques visées par la notification des griefs, mais également la qualification qui en a été donnée au regard des dispositions du droit de l'Union et du Code de commerce, ainsi que sa responsabilité dans la mise en œuvre de ces pratiques (voir, en ce sens, arrêt de la Cour d'appel de Paris du 29 mars 2012, Lacroix Signalisation e.a., n° 2011-01228, p. 23). Cette renonciation doit, sur l'ensemble de ces points, être expresse, complète et dépourvue d'ambiguïté (décisions n° 04-D-42 du 4 août 2004 relative à des pratiques mises en œuvre dans le cadre du marché de la restauration de la flèche de la cathédrale de Tréguier, paragraphe 15, n° 06-D-09 du 11 avril 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la fabrication des portes, paragraphe 303, et n° 12-D-06 du 26 janvier 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des agrégats et des marchés aval à Saint-Pierre-et-Miquelon, paragraphe 149 ; voir également, en ce sens, décisions n° 10-D-39 du 22 décembre 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la signalisation routière verticale, paragraphes 226, 228 et 425, et n° 11-D-07 du 24 février 2011 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des travaux de peinture d'infrastructures métalliques, paragraphe 113).
313. Une telle renonciation à contester les griefs suffit pour permettre à l'Autorité de considérer que l'ensemble des infractions en cause sont établies à l'égard des parties qui ont fait ce choix procédural (voir, en ce sens, arrêt de la Cour d'appel de Paris du 26 janvier 2010, Adecco France e.a., n° 2009-03532, p. 10, et, sur pourvoi, arrêt de la Cour de cassation du 29 mars 2011, Manpower France e.a., n° 10-12.913 ; voir également décisions n° 04-D-42, précitée, paragraphe 12, n° 11-D-07, précitée, paragraphe 113, et n° 12-D-06, précitée, paragraphe 151).
314. À l'égard de celles qui n'ont pas fait ce choix, seule la question de leur participation aux pratiques anticoncurrentielles reprochées doit être discutée (arrêt de la Cour de cassation, Manpower France e.a., précité).
315. En l'espèce, les griefs rappelés au paragraphe 242 ci-dessus et relatifs aux pratiques décrites aux paragraphes 310 à 512 ci-dessus sont donc établis à l'égard de Schering-Plough, Financière MSD et Merck & Co. Ce n'est dès lors que par un souci de clarté que l'Autorité rappelle les griefs n° 1 et n° 2 ci-après.
2. SUR LE MARCHÉ EN CAUSE ET LA POSITION DE SCHERING-PLOUGH SUR CE DERNIER
316. Deux griefs d'abus de position dominante ont été notifiés aux entreprises mises en cause, Schering-Plough, Financière MSD et Merck & Co, qui sont actives sur le marché français de la BHD en ville. Le troisième a trait à une entente entre Schering-Plough, ainsi que la société Financière MSD et la société Merck & Co, d'une part, et la société Reckitt Benckiser Healthcare Ltd et la société Reckitt Benckiser plc, d'autre part, sur ce même marché.
317. L'Autorité procédera à une délimitation du marché commune à l'ensemble des griefs notifiés, étant relevé que cette délimitation n'a pas, selon la jurisprudence, à présenter le même degré de précision dans le cas d'une entente par rapport à un abus de position dominante.
a) Sur la définition du marché pertinent
Sur le marché de produits
318. Dans sa communication sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence (JOCE 1997, C 372, p. 5), la Commission européenne a indiqué qu'"un marché de produits en cause comprend tous les produits et/ou services que le consommateur considère comme interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de l'usage auquel ils sont destinés" (point 9).
319. Suivant la même approche, l'Autorité a rappelé que "le marché est défini comme le lieu sur lequel se rencontrent l'offre et la demande de produits ou de services spécifiques, considérés par les acheteurs ou les utilisateurs comme substituables entre eux, mais non substituables aux autres biens et services offerts" (décision n° 13-D-11, précitée, paragraphe 285).
320. Le secteur des médicaments présente à cet égard une particularité, en ce que la décision d'achat n'est pas prise par l'utilisateur final, mais par le médecin prescripteur, qui choisit le médicament devant être administré à son patient.
321. Dans un arrêt du 15 juin 1999, Lilly France (n° 97-15185), la Cour de cassation a ainsi approuvé la Cour d'appel de Paris qui avait considéré que "l'interchangeabilité des médicaments ne dépend pas fondamentalement de leur identité physique ou chimique, mais de leur interchangeabilité fonctionnelle du point de vue du dispensateur, et donc, dans le cas des médicaments soumis à prescription, également du point de vue des médecins établis".
322. Afin de déterminer le marché de produits pertinent, il convient donc de prendre en compte la perception des médecins prescripteurs, qui est très largement dépendante des indications et contre-indications thérapeutiques des médicaments.
323. La pratique décisionnelle et la jurisprudence, tant interne qu'européenne, s'appuient à cet égard sur le système de classification "Anatomical Therapeutical Chemical" (ci-après la "classification ATC") reconnue et utilisée par l'Organisation mondiale de la santé pour définir les marchés pertinents [voir notamment l'arrêt de la Cour de cassation du 15 juin 1999, précité, et la décision C (2005) 1757 final de la Commission européenne, du 15 juin 2005, relative à une procédure d'application de l'article 82 CE et de l'article 54 de l'accord EEE (affaire COMP-A.37.507-F3 - AstraZeneca)]. Ce système classe les produits pharmaceutiques en fonction de leurs indications thérapeutiques. La classification se décline en "niveaux".
324. Dans son arrêt Lilly France, précité, la Cour de cassation a confirmé cette approche de la définition des marchés des produits pharmaceutiques, considérant que, "si, pour délimiter le marché de référence d'un médicament, le troisième niveau (de la classification ATC) est utile, cette classification peut être trop étroite ou trop vaste pour certains médicaments". Il s'agissait en l'espèce d'un cas dans lequel le Conseil de la concurrence avait défini le marché pertinent au 5ème niveau de la classification ATC, à savoir la dobutamine, principe actif de Dobutrex(r).
325. Les pratiques en cause dans la présente affaire concernent le médicament princeps Subutex(r) et ses génériques, ayant pour principe actif la BHD. Subutex(r), tout comme ses génériques qui lui sont entièrement substituables, sont prescrits pour traiter la dépendance aux opiacés et plus spécifiquement à l'héroïne. Ils relèvent au cinquième niveau de la classification ATC ("Système nerveux" - "Autres médicaments du système nerveux" - "Médicaments utilisés dans les troubles toxicomanogènes" - "Médicaments utilisés dans la dépendance opioïde").
326. Au 4ème niveau de cette classification se trouvent les médicaments prescrits pour le traitement de la dépendance tabagique (N07BA) et alcoolique (N07BB). Il apparaît donc que ce niveau n'est pas un niveau pertinent en l'espèce pour déterminer le marché en cause, car il comporte des produits répondant à des indications thérapeutiques différentes. Ainsi, pour examiner la substituabilité de Subutex(r) et ses génériques, il ne doit être examiné que les médicaments relevant de sa catégorie à savoir la N07BC ("Médicaments utilisés dans la dépendance opioïde"). Le seul autre médicament relevant de cette catégorie et ayant donc les mêmes indications thérapeutiques est la méthadone.
327. À la différence de la BHD, qui est un psychotrope, la méthadone est un stupéfiant et est soumise de ce fait à un régime de prescription médicale et de délivrance officinale différent de celui de la BHD (arrêtés du 22 février 1990 fixant la liste des substances classées comme stupéfiants, JORF du 7 juin 1990, p. 6678 et fixant la liste des substances psychotropes, JORF du 7 juin 1990, p. 6680).
328. La prescription et la délivrance de la méthadone doit dès lors répondre à un ensemble de règles particulières plus contraignantes que celles relatives à la BHD (articles R. 5132-1 à R. 5132-20, R. 5132-27 à R. 5132-39, et R. 5132-74 à R. 5132-87 du Code de la santé publique). Le pharmacien qui détient et délivre de la méthadone doit ainsi disposer d'un carnet à souches (arrêté du 22 février 1990 relatif aux carnets à souches pour commandes de stupéfiants par les pharmaciens, JORF du 7 juin 1990, p. 6682).
329. Eu égard à l'ensemble des éléments qui précèdent, il convient de retenir que la BHD constitue un marché distinct de l'autre molécule appartenant à la classe des médicaments utilisés dans la dépendance opioïde, à savoir la méthadone, ce que les destinataires des griefs n'ont, par ailleurs, pas contesté. Sur la distinction entre le marché de la ville et le marché hospitalier
330. L'Autorité distingue habituellement le marché de la ville du marché hospitalier. Ainsi, dans sa décision n° 10-D-02 du 14 janvier 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des héparines à bas poids moléculaire, elle a considéré qu'une telle distinction était justifiée pour les raisons suivantes :
"[E]n ville, les prix sont régulés alors que sur le marché hospitalier les prix sont libres. Par ailleurs, si l'offre est la même, la demande est différente : pour le marché de la ville, la demande intermédiaire est constituée par les grossistes et les pharmacies, et pour le marché de l'hôpital, par les établissements hospitaliers, publics (par exemple, les hôpitaux de l'Assistance publique) ou privés (cliniques privées). Par ailleurs, l'élasticité-prix des acheteurs n'est pas la même : à l'hôpital elle est forte car le prix d'achat affecte le budget des hôpitaux tandis qu'en ville elle est faible, car le patient n'assume pas directement le prix de l'héparine qui lui est remboursé par l'assurance maladie" (paragraphe 55).
331. Or, les pratiques relevées en l'espèce ont visé essentiellement les médecins et pharmaciens. Partant, le marché considéré comme pertinent en l'espèce sera celui de la ville, comme les destinataires des griefs ne l'ont pas contesté.
Sur la dimension géographique du marché
332. Dans sa communication précitée, la Commission européenne a précisé que "[l]e marché géographique en cause comprend le territoire sur lequel les entreprises concernées sont engagées dans l'offre des biens et des services en cause, sur lequel les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes et qui peut être distingué de zones géographiques voisines parce que, en particulier, les conditions de concurrence y diffèrent de manière appréciable" (point 8).
333. Il ressort de la pratique décisionnelle constante des autorités de concurrence en matière de marchés pharmaceutiques que les marchés de médicaments sont généralement de dimension nationale (voir, notamment, décisions de l'Autorité n° 10-D-02, précitée, paragraphe 52, et n° 13-D-11, précitée, paragraphe 308 et la décision de la Commission européenne du 4 février 1998 rendue dans l'affaire n° IV-M.950 - Hoffman-LaRoche/Boehringer Mannheim). Une telle analyse est liée aux fortes disparités existant entre les systèmes de sécurité sociale des États membres de l'Union européenne (mécanisme de fixation des prix, système de remboursement, et conditionnement et noms des produits).
334. En l'espèce, la pertinence de cette approche est confirmée par le fait que Subutex(r) et ses génériques sont remboursés par le système de sécurité sociale français et se sont vu attribuer un prix par le CEPS. Ils sont vendus sur l'ensemble du territoire national.
335. Il convient donc de considérer que le marché de la BHD, commercialisé en ville, est de dimension nationale.
336. Le marché pertinent en l'espèce est donc le marché français de la BHD (Subutex(r) et ses génériques) commercialisée en ville, ce que les destinataires des griefs n'ont, par ailleurs, pas contesté.
b) Sur la position de Schering-Plough sur le marché pertinent
Les principes applicables
337. Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice, la position dominante visée par l'article 102 du TFUE concerne une situation de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective sur le marché en cause, en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants, dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients, et finalement des consommateurs (arrêts du 13 février 1979, Hoffman-La Roche/Commission, 85/76, Rec. p. 461, point 38, et du 6 décembre 2012, AstraZeneca e.a./Commission, C-457-10 P, non encore publié au Recueil, point 175).
338. Dans sa décision n° 13-D-11, précitée, l'Autorité a rappelé que "la jurisprudence tant interne que communautaire, définit la position dominante comme étant la situation dans laquelle une entreprise est susceptible de s'abstraire des conditions du marché et d'agir à peu près librement sans tenir compte du comportement et de la réaction de ses concurrents. Une telle position peut résulter de différents facteurs caractérisant le marché lui-même ou l'entreprise, comme la détention, soit d'un monopole légal ou de fait sur une activité, soit de parts de marché substantielles. Une telle position peut aussi résulter de l'appartenance à un groupe de grande envergure, de la faiblesse des concurrents, de la détention d'une avance technologique ou d'un savoir-faire spécifique" (paragraphe 311).
339. L'appréciation de la position dominante d'une entreprise s'effectue donc à partir d'un faisceau de critères qui prend en compte des données d'ordre structurel comme les parts de marché de l'entreprise et celles de ses principaux concurrents, mais aussi des éléments qui sont de nature à donner un avantage concurrentiel à l'entreprise concernée comme l'appartenance à un groupe puissant ou la détention d'une avance technologique.
340. En ce qui concerne les facteurs structurels, l'Autorité a rappelé à plusieurs reprises que la détention d'un monopole, de droit ou de fait, suffit à établir la position dominante de son titulaire (voir, notamment, décisions n° 10-D-14 du 16 avril 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la valorisation électrique du biogaz et n° 10-D-34 du 9 décembre 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la gestion des droits d'auteurs d'œuvres audiovisuelles).
341. S'agissant du pouvoir de marché de l'entreprise, en dehors de toute situation de monopole, l'Autorité a souligné, dans sa décision n° 13-D-11, précitée, que, "[d]'une manière générale, l'examen des parts de marché constitue un paramètre essentiel dans l'appréciation de la dominance éventuelle d'une entreprise sur son marché. Il ressort de la jurisprudence des juridictions communautaires et nationales que des parts de marché extrêmement importantes constituent par elles-mêmes, et sauf circonstances exceptionnelles, la preuve de l'existence d'une position dominante" (paragraphe 314).
342. La Cour de justice considère en effet que la possession, dans la durée, d'une part de marché extrêmement importante constitue, sauf circonstances exceptionnelles, la preuve de l'existence d'une position dominante, et que tel est le cas d'une part de marché de plus de 50 % (arrêts Hoffmann-La Roche/Commission, précité, point 41, du 3 juillet 1991, Akzo/Commission, C-62/86, Rec. p. I-3359, point 60, et AstraZeneca e.a./Commission, précité, point 176).
Appréciation au cas d'espèce
343. Il convient de distinguer deux périodes pour apprécier la position de Schering-Plough sur le marché concerné au moment des faits qui lui sont reprochés : d'une part, la période qui précède l'entrée des génériques et, d'autre part, celle qui débute à compter de leur commercialisation.
344. En ce qui concerne la première période, Schering-Plough jouissait jusqu'au 1er avril 2006, date de commercialisation du premier générique, d'une situation de monopole dans l'exploitation commerciale de Subutex(r).
345. En ce qui concerne la seconde période, c'est-à-dire à compter du 1er avril 2006, Schering-Plough ne jouit plus d'une situation de monopole. Pour autant, à la lumière des données transmises par l'AFSSAPS, il apparaît qu'en 2006 Schering-Plough disposait d'une part de marché en volume de 93,1 % et en valeur de 95,8 % (cotes 3790 et suivantes et 13 441 et suivantes).
Conclusion sur la position dominante de Schering-Plough sur le marché en cause
346. Sans qu'il soit besoin d'examiner d'autres critères que les parts de marché très élevées de Schering-Plough, il résulte de ce qui précède que Schering-Plough jouissait d'une position dominante sur le marché français de la BHD commercialisée en ville pendant toute la durée des griefs notifiés, ce qu'elle n'a pas contesté.
3. SUR LES GRIEFS N° 1 ET N° 2 D'ABUS DE POSITION DOMINANTE NOTIFIÉS À SCHERING-PLOUGH
347. Deux griefs d'abus de position dominante ont été notifiés à Schering-Plough qui ne les conteste pas. Le premier porte sur le dénigrement qu'aurait mis en œuvre Schering-Plough à l'encontre de Buprénorphine Arrow(r), générique de Subutex(r), entre février et mai 2006. Le second porte sur l'octroi par Schering-Plough d'avantages financiers à caractère fidélisant aux pharmaciens d'officine entre janvier et fin juillet 2006.
Sur la pratique de dénigrement (grief n° 1)
Observations liminaires
348. Avant d'examiner la pratique qui est reprochée à Schering-Plough, il convient de rappeler le contexte dans lequel celle-ci a été mise en œuvre et notamment la prudence, voire l'aversion au risque des médecins et des pharmaciens, qui interviennent dans un secteur tout à fait particulier au regard de ses enjeux humains - la santé des patients et, dans les situations les plus graves, leur survie même dépendent de l'efficacité et de l'innocuité des médicaments qui leur sont prescrits et délivrés -, mais également économiques et financiers.
349. Cela implique d'évoquer préalablement le niveau de connaissance et d'information des professionnels de la santé sur les médicaments et sur le cadre juridique applicable en matière de spécialités génériques ainsi que le rôle des laboratoires pharmaceutiques à cet égard.
350. L'Autorité a par le passé constaté que les médecins français prescrivent le plus souvent les médicaments sous la dénomination commerciale du princeps (décision n° 13-D-11, précitée, paragraphe 346). Il apparaît en outre que ces mêmes médecins ne disposent pas toujours des connaissances précises et complètes sur tous les médicaments disponibles (avis n° 99-A-05 du 17 février 1999 concernant un projet de décret en Conseil d'État relatif aux conventions entre le Comité économique du médicament et les entreprises exploitant des médicaments, à l'inscription des médicaments sur les listes prévues aux articles L. 162-17 du Code de la santé publique, à la fixation de leurs prix et modifiant le Code de la sécurité sociale).
351. Il apparaît, ensuite, que les professionnels de santé ne maîtrisent qu'imparfaitement les procédures de délivrance des autorisations de mise sur le marché des spécialités génériques, les questions relatives aux droits de propriété intellectuelle ainsi que le cadre juridique réglementant la substitution des spécialités de référence par les spécialités génériques (décision n° 13-D-11, précitée, paragraphes 350 et 351).
352. Dès lors, il est difficile pour ces mêmes professionnels de se déterminer de manière autonome sur la question de savoir si des différences d'excipients des génériques concurrents de Subutex(r) ont ou non un impact sur la santé des patients en cas de mésusage de la part de ces derniers.
353. L'Autorité s'est déjà également prononcée sur le rôle central de la visite médicale qui constitue en effet, pour les médecins, une source majeure d'information sur les médicaments, en raison de son accessibilité, de sa gratuité et de son interactivité (décision n° 13-D-11, précitée, paragraphes 352 à 357).
354. L'importance de la visite médicale, en tant que source d'information, impose donc à ceux qui l'effectuent, en l'occurrence les visiteurs médicaux, de partager les informations dont ils disposent de façon absolument objective, complète et fiable (décision n° 13-D-11, précitée, paragraphe 357). Une telle conclusion vaut également pour les informations qui sont délivrées par les délégués pharmaceutiques aux pharmaciens d'officine.
355. Il a enfin été constaté l'aversion au risque des professionnels de la santé en raison notamment d'une certaine judiciarisation des questions de santé (décision n° 13-D-11, précitée, paragraphe 358).
Une pratique de dénigrement peut être constitutive d'un abus de position dominante
356. Il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour de justice que la notion d'"exploitation abusive" est une notion objective qui vise les comportements d'une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d'un marché où, à la suite précisément de la présence de l'entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou des services sur la base de prestations des opérateurs économiques, au maintien d'une concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence (arrêts Hoffman-La Roche, précité, point 91, Akzo/Commission, précité, point 69, et du 17 février 2011, TeliaSonera Sverige, C-52-09, Rec. p. I-527, point 27).
357. Plus précisément et ainsi que l'a relevé la Cour de justice dans son arrêt AstraZeneca e.a./Commission, précité, si "l'élaboration par une entreprise, même en position dominante, d'une stratégie ayant pour objet de minimiser l'érosion de ses ventes et d'être en mesure de faire face à la concurrence des produits génériques est légitime et relève du jeu normal de la concurrence", il convient de veiller à ce que, pour autant, "le comportement envisagé ne s'écarte pas des pratiques relevant d'une concurrence par les mérites, de nature à profiter aux consommateurs" (point 129).
358. Il s'ensuit que l'article 102 TFUE interdit à une entreprise en position dominante de renforcer sa position en recourant à des moyens autres que ceux qui relèvent d'une concurrence par les mérites et lui impose au contraire une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte par son comportement à une concurrence effective et non faussée sur le marché intérieur de l'Union (arrêts de la Cour de justice du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, 322-81, Rec. p. 3461, point 57, et du 2 avril 2009, France Télécom/Commission, C-202-07 P, Rec. p. I-2369, point 105).
359. Dans sa décision n° 07-D-33 du 15 octobre 2007 relative à des pratiques mises en œuvre par la société France Télécom dans le secteur de l'accès à Internet à haut débit, le Conseil de la concurrence a également rappelé que la concurrence suppose un certain degré de rivalité et de compétition entre les acteurs d'un marché, mais que cette lutte pour la conquête de la clientèle n'autorise pas tous les comportements, surtout de la part d'une entreprise qui, détenant une position dominante sur un marché, encourt une responsabilité particulière. Il a ensuite précisé que le dénigrement figure parmi les actes qui peuvent être regardés comme abusifs (paragraphe 77).
360. Selon une pratique décisionnelle constante de l'Autorité, un tel comportement consiste à jeter publiquement le discrédit sur une personne, un produit ou un service identifiés. Il se distingue de la critique dans la mesure où il émane d'un acteur économique qui cherche à bénéficier d'un avantage concurrentiel en pénalisant son compétiteur (décision n° 13-D-11, précitée, paragraphe 365).
361. Tout dénigrement mis en œuvre par une entreprise en position dominante, s'il peut relever de la concurrence déloyale et engager la responsabilité de l'entreprise vis-à-vis de ses concurrents, n'est pas nécessairement constitutif d'un abus sanctionné au titre de l'article L. 420-2 du Code de commerce et de l'article 102 TFUE. Pour qu'un dénigrement puisse être qualifié d'abus de position dominante, il convient que soit établi un lien entre la domination de l'entreprise et la pratique de dénigrement (décision de l'Autorité n° 09-D-14 du 25 mars 2009 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la fourniture de l'électricité, paragraphes 57 et 58, confirmée par arrêt de la Cour d'appel de Paris du 23 mars 2010, Gaz et électricité de Grenoble, n° 2009-09599 ; voir également décision n° 10-D-32 du 16 novembre 2010 relative à des pratiques dans le secteur de la télévision payante, paragraphe 305 et n° 13-D-11, précitée, paragraphe 366).
362. Pour apprécier l'existence d'une pratique de dénigrement, l'Autorité s'attache d'abord à vérifier si le discours commercial tenu par l'entreprise en position dominante relève de constatations objectives ou s'il procède d'assertions non vérifiées (décisions n° 07-D-33, précitée, paragraphe 81, et n° 13-D-11, précitée, paragraphe 367).
363. Puis, afin de déterminer si le discours commercial de l'entreprise dominante est de nature à influencer la structure du marché, l'Autorité examine les effets attendus ou réels de ce discours auprès des partenaires commerciaux ou de la clientèle potentielle de ses concurrents (décisions n° 10-D-32, précitée, paragraphe 307, et n° 13-D-11, précitée, paragraphe 368). Il n'est en effet pas nécessaire de démontrer que le comportement de l'entreprise en position dominante a eu un effet anticoncurrentiel concret sur le marché concerné pour pouvoir le qualifier d'abusif. Il suffit de démontrer qu'il tend à restreindre la concurrence ou, en d'autres termes, qu'il est de nature à avoir un tel effet (arrêts de la Cour de justice TeliaSonera, précité, point 64, et AstraZeneca/Commission, précité, point 112).
364. Enfin, au nombre des éléments que l'Autorité retient pour établir l'existence d'un lien entre la domination de l'entreprise en cause et la pratique de dénigrement figurent la notoriété de cette entreprise et la confiance que lui accordent les acteurs du marché qui sont de nature à renforcer significativement l'impact du discours développé par celle-ci (décision n° 13-D-11, précitée, paragraphe 369). Dans sa décision n° 07-D-33, précitée, l'Autorité a ainsi pris en considération le fait que l'entreprise dominante mise en cause "bénéficiait aux yeux du grand public de la réputation et de la notoriété d'un ancien monopole gérant un service public" (paragraphe 79).
365. Il ressort de ce qui précède que, s'il est parfaitement loisible à un laboratoire pharmaceutique de mettre en évidence les qualités objectives d'un produit, le fait de mettre en évidence non pas seulement des qualités, mais des différences qui, dans le contexte du discours tenu et des conditions dans lesquelles il est entendu, ne peuvent se comprendre que comme des différences substantielles, de nature à soulever un doute objectif sur les qualités des spécialités génériques concurrentes, peut témoigner d'une volonté d'induire le praticien en erreur et être constitutif d'un abus de position dominante.
Sur le standard de preuve
366. Il convient de rappeler que, si la preuve de l'existence d'une pratique de dénigrement peut résulter de l'existence formelle de pièces se suffisant à elles-mêmes, elle peut aussi résulter d'un faisceau d'indices graves, précis et concordants, apprécié globalement et constitué par diverses pièces recueillies au cours de l'instruction, et ce alors même que chacune des pièces prises isolément n'aurait pas un caractère suffisament probant, ainsi le cas échéant que par le rapprochement de ces pièces avec d'autres éléments de preuve tels que les témoignages de personnes auxquelles est destiné le discours en cause (décision n° 13-D-11, précitée, paragraphes 375 et suivants).
Sur la transmission d'informations manifestement erronées ou non vérifiées visant à jeter le discrédit sur le générique d'Arrow concurrent de Subutex
- Sur la mise en place d'une communication globale et structurée par Schering-Plough
367. Il doit être relevé que Schering-Plough a mis en place une communication globale et structurée tendant à dénigrer le générique, tant avant qu'après la mise sur le marché de Buprénorphine Arrow(r).
368. Avant la mise sur le marché de ce générique, les propos tenus lors de la conférence de presse du 15 février 2006 l'ont été par le directeur des affaires économiques et des relations extérieures, M. Olivier L, et par le directeur du développement et des affaires médicales, M. Alain F, de Schering-Plough France (cotes 4239 et 4240).
369. Il a été de plus organisé un séminaire de formation à Cannes début janvier 2006 à destination des visiteurs médicaux au cours duquel il leur a été notamment demandé "d'instaurer une certaine "crainte" du changement" chez les pharmaciens ("Stratégie pharmacies 2006 Communiquer sur les particularités de patients toxicomanes, les spécificités de la prise en charge : instaurer une certaine "crainte" du changement (comorbidités psy, risque de mésusage et de trafic)", cote 8609).
370. Le caractère global et structuré de la communication est enfin attesté par le compte-rendu d'une réunion téléphonique du 13 janvier 2006 entre un directeur régional de Schering-Plough et des délégués, d'une part, et le jeu de questions/réponses de février - mars 2006, d'autre part (cotes 13494, 14449, 14450 et 15605).
371. Après la mise sur le marché de la Buprénorphine Arrow(r), il suffit, pour démontrer le caractère global et structuré de la communication, de renvoyer au courriel du président-directeur général de Schering-Plough dans lequel il expose à l'un de ses directeurs commerciaux le discours devant être tenu aux pharmaciens par les visiteurs médicaux (cote 5147).
- Sur le contenu du discours délivré par Schering-Plough
372. La communication de Schering-Plough à destination des professionnels de santé a évolué à la suite de la mise sur le marché de Buprénorphine Arrow(r).
373. Ainsi, avant cette mise sur le marché, Schering-Plough a principalement axé sa communication sur les problèmes qui résulteraient de la commercialisation du générique comme en atteste la conférence de presse du 15 février 2006 et la note préparatoire à cette conférence de Mme Mélanie T, chef de produit Subutex(r). L'accroissement du mésusage résulterait de l'injectabilité plus aisée du générique, au motif que ce dernier présenterait une dissolution plus rapide et ne contiendrait pas d'impuretés. Cet accroissement du mésusage entraînerait un surcroît de "trafic" entre toxicomanes et constituerait un facteur de risques d'infection. Il s'agissait en effet de "semer le doute" sur les risques d'injection du générique d'Arrow et d'"alarme(r) sur le mésusage". Cette communication, destinée à favoriser l'instauration "d'une certaine "crainte" du changement", a été effectivement mise en œuvre (paragraphes 186 et suivants).
374. Dans un second temps, lors de la mise sur le marché du générique, la communication de Schering-Plough s'est fondée sur la différence d'excipients entre son propre produit et celui d'Arrow. Cette communication a été en effet axée sur la présence dans le générique d'Arrow de talc et de silice qui, en cas d'injection, auraient des conséquences graves pour la santé des patients.
375. Le président-directeur général de Schering-Plough a ainsi retranscrit le discours d'une déléguée médicale à une pharmacienne qu'il considère comme devant être diffusé en raison de son efficacité : "1) les excipients ne sont pas les mêmes (talc + silice) 2) personne ne sait ce qui se passerait en cas d'injection 3) en fait, à Béziers, sont apparus des premiers problèmes avec des génériques" (cote 5147).
376. Le contenu de cette communication, à destination des pharmaciens et médecins, fondé sur le risque accru pour la santé des patients en cas d'injection du générique en raison d'excipients différents, a été confirmé à de multiples reprises par des pharmaciens et la CNAMTS (paragraphes 202 et suivants).
- Sur l'incitation à la non-substitution
377. Le fait de mettre en évidence des différences qui, dans le contexte du discours tenu et des conditions dans lesquelles il est entendu, ne peuvent se comprendre que comme des différences substantielles, de nature à soulever un doute injustifié, voire une crainte, sur les qualités de la spécialité générique concurrente, est d'autant plus répréhensible en l'espèce qu'il s'est accompagné d'une incitation claire à la non-substitution qui ne pouvait se comprendre que comme la conséquence à tirer de ces doutes.
378. Or, l'objectif de la réglementation européenne et française en matière de générique est précisément de surmonter les réticences et les risques de confusion de la part des professionnels de la santé, en mettant en place un mécanisme de substitution leur permettant de ne pas se préoccuper des questions de différence d'AMM, dès lors que les génériques sont autorisés et inscrits au répertoire des génériques.
379. La charte de la visite médicale conclue entre l'organe représentant les entreprises du médicament (LEEM) et le CEPS précise que "le délégué médical s'abstient notamment de dénigrer les spécialités appartenant au même groupe générique que la spécialité présentée ainsi que d'inciter le prescripteur à s'opposer à la substitution par le pharmacien" (http://www.leem.org/article/charte-de-visite-medicale).
380. Le discours développé par Schering-Plough à destination des professionnels de la santé allait donc directement à l'encontre de ces objectifs, en instillant un doute sur la qualité et la sécurité de Buprénorphine Arrow(r), sans se fonder sur le moindre fait vérifié, puisque rien ne permettait alors - et encore maintenant - de considérer, de manière objective et documentée, que Buprénorphine Arrow(r) était moins sûre que le princeps.
- Sur l'absence de justifications d'ordre médical ou scientifique
381. Comme cela n'est pas contesté par les sociétés mises en cause, le discours tenu par Schering-Plough avant et après la mise sur le marché de la Buprénorphine Arrow(r) ne s'est fondé sur aucune étude médicale ou scientifique. Schering-Plough a ainsi déclaré ne pas disposer "d'études médicales relatives au risque lié à l'absence d'impureté dans le générique" (cote 13406).
382. En outre, Schering-Plough a également déclaré n'avoir "pas trouvé d'études médicales antérieures à 2006 qui montreraient les conséquences de l'injection d'un médicament à base de buprénorphine qui contiendrait du talc et/ou du silice" (cote 16453). Elle précise qu'il lui paraît "difficile que des études observationnelles aient pu être faites avant 2006 dans la mesure où, à cette époque, à notre connaissance, aucun médicament à base de burprénorphine et contenant du talc et/ou du silice n'était commercialisé (les seuls médicaments à base de buprénorphine commercialisés avant 2006 pour ce qui concerne Schering-Plough étaient le Subutex et le Temgesic et ni l'un ni l'autre ne contient du talc ou du silice)" (cote 16453).
Sur les effets avérés de la pratique mise en œuvre par Schering-Plough sur les professionnels de la santé
383. Bien qu'il soit possible à ce stade de n'examiner que les effets potentiels du dénigrement, les pièces au dossier permettent de constater ses effets avérés comme cela n'est pas contesté par les sociétés mises en cause.
384. En premier lieu, il peut être constaté que les médecins ont indiqué sur leurs ordonnances la mention "non substituable" dans des proportions inhabituellement observées par les pharmaciens. À titre d'exemple, un pharmacien de Toulon a déclaré n'avoir "jamais substitué de générique à Subutex pour la bonne raison que mes prescripteurs ne souhaitent pas qu'il y ait substitution et l'indiquent clairement sur les ordonnances. À ma connaissance, c'est le seul produit pour lequel il y a une résistance des médecins à substituer. En fait, la présence de talc dans le générique lui donne un caractère dangereux en cas d'injection, le talc étant hydrosoluble" (cote 2174 et paragraphes 220 et suivants).
385. En deuxième lieu, confronté à des remontées d'information relatives à la mention "sans talc" sur des ordonnances prescrivant de la buprénorphine, M. Nicolas R, directeur commercial responsable de l'unité hépatite/toxicologie chez Schering-Plough, a écrit le 22 mai 2006 :
"22/5 : GPS
Pb "Bupre sans talc" : stratégie déloyale ?
Demander aux médecins "non substituable"
Voir avec GP (Gilles M)" (cote 5450).
386. En troisième et dernier lieu, les effets du discours tenu peuvent également être relevés à l'égard des pharmaciens. Le président-directeur général de Schering-Plough relevait à cet égard qu'une de ses déléguées médicales avait réussi à faire abandonner le projet d'une pharmacienne consistant à commander Buprénorphine Arrow(r) concurrent de Subutex(r). Pour ce faire, cette déléguée médicale avait tenu un discours consistant à remettre en question l'innocuité du générique concurrent du Subutex(r) (paragraphes 213 et suivants).
387. Il résulte de ce qui précède que le discours de Schering-Plough a effectivement eu des effets constatables sur le comportement des professionnels de santé à l'égard du générique d'Arrow. En influençant à la fois les médecins et les pharmaciens, Schering-Plough a ainsi fait obstacle à la concurrence, aux deux étapes clés de la substitution générique : au stade de la prescription, en renfonçant significativement le nombre de mentions "non substituable", ce qui a permis de limiter le taux de générification de Subutex(r) ; au stade de la délivrance du médicament, en incitant les pharmaciens à ne pas substituer Subutex(r) lorsque l'ordonnance ne comportait pas la mention "non substituable".
Sur les effets de la pratique mise en œuvre par Schering-Plough sur le marché de la BHD
388. En 2006, année de mise en œuvre de la communication exposée ci-dessus, Schering-Plough jouissait, selon l'AFSSAPS, d'une part de marché en volume de 93,1 % et en valeur de 95,8 % (cotes 3790 et suivants et 13 441 et suivantes).
389. Ces données doivent être comparées à une étude de la Commission européenne qui estime que la mise sur le marché d'un générique concurrent d'un princeps réduit en moyenne la part de marché en volume du détenteur du princeps à 70 % dès la première année et à 55% la deuxième année (Communication de la Commission, Synthèse du rapport d'enquête sur le secteur pharmaceutique, p. 10).
390. Il convient également de rappeler que M. Éric 2, responsable régional chez Schering-Plough, avait considéré le 24 mai 2006, soit postérieurement au commencement des pratiques, que les spécialistes toxicomanies faisaient "un excellent travail auprès des pharmaciens et médecins et je suis persuadé que leurs actions ont largement freiné l'implantation du générique. Tous les jours sur le terrain je vois des pharmaciens qui me disent que si les ST n'avaient pas été présents ils auraient commandé immédiatement du générique (idem pour la prescription des médecins). (...) je considère, vu le taux de pénétration du générique qu'ils font une performance exceptionnelle" (paragraphe 216).
391. Postérieurement à la durée des pratiques, cette appréciation sur les effets observés sur le terrain a été partagée par le président-directeur général de Schering-Plough au cours d'une présentation le 11 septembre 2006 à Madrid. Il expose ainsi que les objectifs fixés ont été dépassés de 34 %, permettant d'atteindre les objectifs annuels dès le mois d'août de cette année-là (cote 15041).
392. Pour ce qui concerne les effets de la pratique mise en œuvre par Schering-Plough postérieurement à l'année 2006, le président de la Commission des stupéfiants et des psychotropes a déclaré qu'en novembre 2007, 67,7 % des ordonnances comportaient la mention princeps "non substituable" (cote 17126). À cet égard, il est également renvoyé aux paragraphes 39 et suivants relatifs à l'évolution de sa part de marché sur le marché en cause.
Sur le lien entre le discours dénigrant et la position dominante de Schering-Plough
393. Il n'est pas contesté qu'au moment où Schering-Plough entreprend l'action de dénigrement, cette société est sur le point de perdre le monopole légal qu'elle détient depuis dix ans en raison de l'expiration de ses droits de propriété intellectuelle.
394. La durée de commercialisation de Subutex(r) donne à Schering-Plough une expérience et une légitimité auprès des pouvoirs publics et des professionnels de santé en tant qu'offreur d'un traitement de substitution aux opiacés. Cette appréciation est partagée par Schering-Plough elle-même qui a déclaré au cours de la conférence de presse du 15 février 2006 voir les professionnels de santé "depuis 10 ans" et qu'elle a "toujours privilégié les pratiques collaboratives pour rapprocher les médecins, les pharmaciens et les autres intervenants dans la lutte contre la toxicomanie". Elle estime par ailleurs que son traitement dispose d'une "bonne image" (paragraphes 188 et suivants).
395. Sur la base de cette expérience clinique, que ne peuvent pas détenir, par définition, des concurrents nouvellement entrés sur le marché, Schering-Plough bénéficie d'un niveau de confiance et de notoriété élevé.
396. Schering-Plough dispose en outre d'une force commerciale importante de 40 visiteurs médicaux. Au surplus, sa force de vente a été renforcée grâce au contrat passé avec Depolabo qui a mis à sa disposition 37 délégués pharmaceutiques ainsi qu'un centre d'appel téléphonique pour la mise en œuvre de la communication précédemment décrite.
397. Enfin, la communication de Schering-Plough a tendu également à mettre en avant la relative petite taille d'Arrow, qualifié par elle-même de "petit labo", par comparaison implicite avec elle-même (paragraphe 200).
398. Il existe donc un lien direct entre la position dominante de Schering-Plough et la pratique en cause : c'est cette position dominante, et notamment la notoriété et la confiance qui en découlent et que Schering-Plough était seule à détenir, qui a permis à l'entreprise de donner sa pleine efficacité à la stratégie consistant à dénigrer Buprénorphine Arrow(r) au bénéfice de son propre médicament.
Sur la durée de la pratique
399. Il résulte de l'examen des différents éléments de preuve figurant au dossier que le discours en cause, tel qu'il a été délivré aux professionnels de la santé par Schering-Plough, a été initié le 15 février 2006 et a pris fin à tout le moins en mai 2006. Pour autant, ses effets se sont poursuivis bien au-delà, puisque le taux de générification de Subutex(r) est resté relativement bas pendant de très nombreux mois.
Conclusion sur la pratique de dénigrement mise en œuvre par Schering-Plough
400. Schering-Plough, qui ne le conteste pas, a mis en place une stratégie de dénigrement à l'encontre de Buprénorphine Arrow(r) concurrente de Subutex(r) à partir d'actions de communication mises en œuvre pendant trois mois et demi, du 15 février 2006 à mai 2006. Cette pratique a eu pour effet de limiter durablement l'entrée de ce générique sur le marché français de la BHD commercialisée en ville. Elle constitue un abus de position dominante prohibé par les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du Code de commerce.
Sur les pratiques commerciales (grief n° 2)
Rappel des principes
401. Il est de jurisprudence constante qu'un système de rabais qui a un effet de forclusion sur le marché sera considéré comme étant contraire à l'article 102 du TFUE s'il est appliqué par une entreprise en position dominante (arrêts du Tribunal du 30 septembre 2003, Michelin/Commission, T-203-01, Rec. 2003 p. II-4071, point 57 et du 9 septembre 2010, Tomra Systems e.a./Commission, T-155-06, Rec. 2010 p. II-4361, point 211).
402. Les systèmes de rabais quantitatifs, liés exclusivement au volume des achats effectués auprès d'une entreprise en position dominante, sont généralement considérés comme n'ayant pas d'effet de forclusion et ne contreviennent pas à ce titre à l'article 102 du TFUE. En effet, si l'augmentation de la quantité fournie se traduit par un coût inférieur pour le fournisseur, celui-ci est en droit de faire bénéficier son client de cette réduction par le biais d'un tarif plus favorable. Les rabais de quantité sont donc censés refléter des gains d'efficience et des économies d'échelle réalisées par l'entreprise en position dominante (arrêt Michelin/Commission, précité, point 58).
403. Il s'ensuit qu'un système de rabais dont le taux de la remise augmente en fonction du volume acheté ne violera pas l'article 102 du TFUE, sauf si les critères et les modalités d'octroi du rabais font apparaître que le système ne repose pas sur une contrepartie économiquement justifiée, mais tend, à l'instar d'un rabais de fidélité et d'objectif, à empêcher l'approvisionnement des clients auprès de producteurs concurrents (arrêts de la Cour de justice du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85/76, Rec. p. 461, point 90, et du Tribunal, Michelin/Commission, précité, point 59).
404. Pour déterminer l'éventuel caractère abusif d'un système de rabais quantitatifs, il y a lieu d'apprécier l'ensemble des circonstances, et notamment les critères et les modalités d'octroi des rabais, et d'examiner si les rabais tendent, par un avantage qui ne repose sur aucune prestation économique qui le justifie, à enlever à l'acheteur, ou à restreindre dans son chef, la possibilité de choix en ce qui concerne ses sources d'approvisionnement, à barrer l'accès du marché aux concurrents, à appliquer à des partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes ou à renforcer la position dominante par une concurrence faussée (arrêts du Tribunal, Michelin/Commission, précité, point 60, et Tomra Systems e.a./Commission, précité, point 214). Appréciation au cas d'espèce
405. Il n'est pas contesté par les mises en cause que le montant de la réduction octroyée aux pharmaciens est fonction du nombre de boîtes achetées et que ce montant augmente en fonction de ce nombre. En effet, l'achat de 70 boîtes donne droit à une réduction de 5,5 %, 200 boîtes conduisent à une réduction de 8 % et enfin 350 boîtes à 10,5 %.
406. En premier lieu, cette réduction aurait été octroyée en contrepartie de la participation des pharmaciens à l'enquête "remontée d'information officinale" (RIO). Bien que l'instruction ait eu accès aux "contrats-cadres de prestations officinales", les contrats d'application décrivant les prestations fournies par les pharmaciens et les modalités et la durée de leur participation n'ont pas été transmis. Par ailleurs, fixer le niveau de la rémunération pour un service distinct en fonction de la quantité du produit acheté est incohérent car le niveau de cette rémunération ne dépend plus du service, contrepartie de la rémunération, mais de la quantité achetée.
407. En second lieu, les réductions octroyées visaient indiscutablement, d'une part, les pharmaciens les plus grands dispensateurs de Subutex(r) et, d'autre part, la saturation de leurs linéaires (paragraphes 138 et suivants).
408. Partant, il ne peut être considéré que les réductions octroyées aux pharmaciens constituaient une contrepartie économiquement justifiée à leur participation à l'enquête RIO, comme cela n'est pas contesté par les sociétés mises en cause.
409. Par ailleurs, il s'infère des éléments constatés ci-dessus que ces réductions visaient à saturer les linéaires des pharmaciens. En effet, dans la présentation faite par Depolabo à Schering-Plough au cours d'une réunion opérationnelle en date du 14 décembre 2005, ces remises quantitatives sont mises en œuvre dans le cadre d'"Une offre de Ventes directes ayant pour objectif de freiner l'arrivée des génériques" (cote 13914). Cet objectif est confirmé par d'autres pièces versées au dossier (voir notamment cote 5223).
410. En sus de ces remises, Schering-Plough a accordé des délais de paiement supérieurs à ce qu'elle pratiquait par le passé ou un escompte pour paiement comptant.
411. Concernant les délais de paiement, un courriel interne de Schering-Plough indique que "pour accompagner la stratégie, nous devons accorder des conditions de règlements à 90 jours, au lieu de 60 jours habituels" (cote 5140, voir également paragraphes 169 et suivants). Un pharmacien a, à cet égard, déclaré que Schering-Plough lui "a même consenti pour ma première commande (facture du 13.01.2006) un délai de paiement équivalent à 3 mois" (paragraphe 151). L'obtention de délais de paiement spécifiques au produit a été confirmée par d'autres pharmaciens (paragraphes 153 et 154).
412. Concernant l'escompte pour paiement comptant, celui-ci était de 0,75 % pour un paiement à 10 jours ou de 0,37 % pour un paiement à 30 jours (paragraphes 175 et 176).
413. Ces remises quantitatives ont représenté en valeur et au cours des trois premiers mois suivant leur mise en œuvre un tiers du chiffre d'affaires réalisé par Schering-Plough. Elles ont eu pour effet la saturation des linéaires des pharmaciens. L'un d'eux a ainsi déclaré que 350 boîtes représentaient "de[s] quantités exceptionnelles, cela représentait pour moi plus de 4 mois de stocks, ce qui est beaucoup pour ce type de molécule" (cote 410). Un autre pharmacien a également déclaré avoir "fait une commande le 30 janvier 2006 pour une quantité de 350 boîtes qui représentaient deux mois à deux mois et demi de stock" (cote 2260). Depolabo a jugé pour sa part que "[d]ans la majorité des cas, les pharmaciens stockent de façon massive et le délai de paiement à 90 jours est utile" (cote 13661). Ces offres commerciales sont enfin considérées comme une réussite par le président-directeur général de Schering-Plough lors de la conférence de Madrid en septembre 2006 ("Generics Strategy" (...) Agressive SP commercial policy in the pharmacies" cote 15 041 et paragraphes 238 et suivants).
414. En tout état de cause et comme constaté dans la décision prononçant des mesures conservatoires, cette saturation est d'autant plus préjudiciable que "le linéaire de l'officine et la place nécessairement limitée dédiée au stockage des médicaments en font une ressource rare en regard des milliers de références de médicaments que le pharmacien doit tenir à la disposition des consommateurs" (décision n° 07-MC-06, précitée, paragraphe 124).
Sur la durée des pratiques
415. Les pratiques abusives reprochées à Schering-Plough, remises quantitatives et les délais de paiement et escomptes pour paiement comptant, ont été proposés aux pharmaciens de janvier 2006 au 1er août 2006.
Conclusion sur les pratiques commerciales mises en œuvre par Schering-Plough
416. Il résulte de ce qui précède que les mises en cause ont, de janvier 2006 au 1er août 2006, recouru à des remises quantitatives qui, à l'instar des rabais de fidélité, ont visé à empêcher l'approvisionnement des pharmaciens auprès d'Arrow, ce que les mises en cause ne contestent pas. Les effets restrictifs de ces remises ont été accentués par les délais de paiement et escomptes pour paiement comptant. L'abus de position dominante ainsi commis, qui n'est pas contesté par les mises en cause, est contraire aux articles 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et L. 420-2 du Code de commerce.
4. SUR LE GRIEF D'ENTENTE NOTIFIÉ À SCHRING-PLOUGH ET RECKITT BENCKISER
417. Seront successivement abordés ci-après :
- l'existence d'un accord de volontés ;
- l'objet anticoncurrentiel des pratiques.
418. Ce grief d'entente n'est pas contesté par Schering-Plough mais seulement par Reckitt Benckiser. Comme exposé ci-dessus, l'Autorité ne doit dès lors discuter que de la seule participation de cette dernière à l'entente.
a) Sur l'existence d'un accord de volontés
Observations liminaires
419. Aux termes de la jurisprudence de la Cour de justice, la notion d'infraction unique, complexe et continue ne constitue pas une nouvelle forme d'infraction (arrêt du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C-49/92 P, Rec. 1999 p. I-4125, point 133).
420. En effet, cette notion tend simplement à appréhender une série de comportements relevant pour partie de la notion d'accord et pour partie de celle de pratique concertée (arrêt Commission/Anic Partecipazioni, précité, point 114).
421. Dans ces conditions, bien qu'un grief d'infraction unique, complexe et continue ait été notifié aux parties, l'Autorité peut, pour fonder un constat d'infraction au cas d'espèce, examiner le comportement des parties au regard de la seule notion d'accord et des faits figurant au dossier et soumis au contradictoire.
Rappel des principes
422. La preuve d'une entente verticale requiert la démonstration de l'accord de volontés des parties à l'entente. Les juridictions de l'Union jugent avec constance que, pour qu'il y ait accord, "il suffit que deux entreprises au moins aient exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d'une manière déterminée" (arrêts de la Cour de justice du 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma/Commission, 41-69, Rec. p. 661, point 112, du 11 janvier 1990, Sandoz Prodotti Farmaceutici/Commission, C-277-87, Rec. p. I-45, point 13, et du Tribunal du 26 octobre 2000, Bayer/Commission, T-41-96, Rec. p. II-3383, point 67).
423. La Cour d'appel de Paris a, dans le même sens, rappelé que l'accord de volontés est démontré lorsque sont établis l'invitation d'une partie à mettre en œuvre une pratique et l'acquiescement d'au moins une autre partie à cette invitation (arrêt de la Cour d'appel de Paris du 28 janvier 2009, Epsé Joué Club, n° 2008-00255, p. 9). La cour a précisé que ce concours de volontés "doit être établi de part et d'autre, en ce sens qu'il doit être constaté que les entreprises sanctionnées ont exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d'une manière déterminée" (arrêt du 26 janvier 2012, Beauté Prestige International, n° 2010-23945, p. 42).
424. La preuve de l'accord de volontés entre les parties peut être établie en se fondant sur des éléments de toute nature. Le Tribunal de l'Union a énoncé à cet égard que "la notion d'accord au sens de l'article [101, paragraphe 1, du TFUE] telle qu'elle a été interprétée par la jurisprudence, est axée sur l'existence d'une concordance de volontés entre deux parties au moins, dont la forme de manifestation n'est pas importante pour autant qu'elle constitue l'expression fidèle de celles-ci" (arrêt du Tribunal, Bayer/Commission précité, point 69). Dans cette même affaire, le Tribunal a précisé que "[l]a preuve d'un accord entre entreprises au sens de [101, paragraphe 1, du TFUE] du traité doit reposer sur la constatation directe ou indirecte de l'élément subjectif qui caractérise la notion même d'accord, c'est-à-dire d'une concordance de volontés entre opérateurs économiques sur la mise en pratique d'une politique, de la recherche d'un objectif ou de l'adoption d'un comportement déterminé sur le marché, abstraction faite de la manière dont est exprimée la volonté des parties de se comporter sur le marché conformément aux termes dudit accord" (arrêt Bayer/Commission précité, point 173).
425. Le Tribunal de l'Union a, de plus, rappelé, dans son arrêt du 27 septembre 2006, GlaxoSmithKline Services/Commission (T-168-01, Rec. p. II-2969, point 83, non remis en cause sur ce point par l'arrêt de la Cour de justice du 6 octobre 2009, GlaxoSmithKline Services/Commission C-501-06 P, C-513-06 P, C-515-06 P et C-519-06 P, Rec. p. I-9291), que les éléments démontrant l'existence des faits constitutifs d'une restriction verticale de concurrence "peuvent constituer des preuves directes, prenant par exemple la forme d'un écrit (arrêt du Tribunal du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, T-25-95, T-26-95, T-30-95 à T-32-95, T-34-95 à T-39-95, T-42-95 à T-46-95, T-48-95, T-50-95 à T-65-95, T-68-95 à T-71-95, T-87-95, T-88-95, T-103-95 et T-104-95, Rec. p. II-491, point 862, et, sur pourvoi, arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, [du 7 janvier 2004, C-204-00 P, C-205-00 P, C-211-00 P, C-213-00 P, C-217-00 P et C-219-00 P, Rec. p. I-123] point 237), ou, à défaut, des preuves indirectes, matérialisées par exemple par un comportement (arrêt Bayer/Commission, [précité] point 73, et, sur pourvoi, arrêt BAI et Commission/Bayer, [C-2-01 P et C-3-01 P, Rec. p. I-23] point 100)".
426. Ainsi, la preuve d'un accord entre un fournisseur et son distributeur peut résulter d'un simple échange de correspondance (arrêt du Tribunal du 30 avril 2009, CD-Contact Data/Commission, T-18-03, Rec. 2009 p. II-1021, points 55 et suivants, confirmé par arrêt de la Cour de justice du 10 février 2011, Activision Blizzard Germany/Commission, C-260-09 P, Rec. 2011 p. I-419, points 33 et suivants).
427. En outre, un accord est conclu dès lors qu'il y a une concordance des volontés sur le principe même de la restriction de la concurrence, même si les éléments spécifiques de la restriction envisagée font encore l'objet des négociations (voir notamment arrêts du Tribunal du 16 juin 2011, FMC Foret/Commission, T-191-06, Rec. 2011 p. II-2959, point 98 et du 27 juin 2012, YKK e.a./Commission, T-448-07, point 75).
Argument des parties
428. Reckitt Benckiser et sa société-mère estiment, en premier lieu, qu'aucun accord de volontés sur les pratiques commerciales en cause n'est démontré.
429. Elles considèrent à cet égard que le concours de volontés entre elles-mêmes et Schering-Plough ne saurait résulter du courriel de M. Andy Y en date du 5 octobre 2005. Elles critiquent ainsi le fait que la notification de griefs ne compare pas la version du plan envoyée par Schering-Plough à celle jointe par M. Andy Y à son courrier du 5 octobre 2005. Elles estiment donc que "rien ne permet de considérer que ce simple envoi d'une pièce jointe, dont l'identification reste à démontrer, puisse révéler l'existence d'un concours de volonté" (Observations pour les sociétés Reckitt Benckiser Healthcare (UK) Limited et Reckitt Benckiser Plc du 18 février 2013, p. 40).
430. Sur le plan d'optimisation des performances, il ressortirait selon les parties que la formulation du courrier électronique de M. Andy Y du 5 octobre 2005 démontre l'absence d'accord sur la manière par laquelle une offre promotionnelle devrait être mise en œuvre.
431. En tout état de cause, Reckitt Benckiser ne pouvait s'opposer, sous peine d'enfreindre les dispositions relatives à la prohibition des ententes, à une décision de Schering-Plough relative aux rabais octroyés sur le marché.
432. En deuxième lieu, Reckitt Benckiser et sa société-mère estiment que n'est pas non plus démontré un accord de volontés sur la pratique de dénigrement en cause.
433. La réunion du 9 décembre 2005, portant seulement sur l'information de l'AFSSAPS, ne saurait à cet égard être interprétée comme démontrant un accord de volontés. Reckitt Benckiser n'y aurait pas exprimé son accord au plan présenté. Schering-Plough y aurait même affirmé sa liberté d'action sur le marché français de la BHD vis-à-vis de Reckitt Benckiser.
434. En troisième et dernier lieu, Reckitt Benckiser et sa société-mère estiment que les différences entre les versions du plan échangées les 30 septembre et 5 octobre 2005 démontreraient l'absence de concours de volontés. Cette même appréciation vaudrait également pour le plan du 5 octobre et celui du 9 décembre 2005.
Appréciation au cas d'espèce
Concours de volontés
435. Il est établi que Mme Lina J de Schering-Plough Corp. a envoyé un courriel le 30 septembre 2005 à M. Andy Y de Reckitt Benckiser et à Mme Catherine H de Schering-Plough (cote 13821). Ce courriel contenait en pièce jointe le plan d'optimisation des performances (cotes 13822 à 13 825).
436. Par l'intermédiaire de M. Andy Y, Reckitt Benckiser y a répondu le 5 octobre 2005 en envoyant un courriel au président-directeur général de Schering-Plough avec en copie Mme Lina J de Schering-Plough Corp. (cotes 13891 et 13892). Dans ce courriel, Reckitt Benckiser présente également le plan d'optimisation des performances (cotes 13893 à 13 899). Cette présentation de Reckitt Benckiser intègre plusieurs pages PowerPoint de celle envoyée précédemment par Mme Lina J le 30 septembre 2005. L'une de ces pages communes est la suivante (cote 13824 pour le plan de Schering-Plough et cote 13899 pour le plan de Reckitt Benckiser) :
<EMPLACEMENT TABLEAU>
437. Comme l'indiquent d'ailleurs les parties dans leurs observations, "le plan d'optimisation envoyé par Andy Y en pièce jointe de ce courrier électronique du 5 octobre 2005 avait été préparé par Schering-Plough et envoyé à Reckitt Benckiser le 30 septembre 2005" (Observations pour les sociétés Reckitt Benckiser Healthcare (UK) Limited et Reckitt Benckiser plc du 18 février 2013, p. 40).
438. Il est donc établi par ces échanges de correspondance entre les entreprises que Schering-Plough et Reckitt Benckiser ont conclu un accord visant à "Retarder/Décourager l'entrée des génériques" sur les thèmes notamment de la "bioéquivalence" et des "questions de santé", d'une part, et à "Minimiser la pénétration des génériques" par "la vente aux pharmacies" et par "des programmes de fidélisation des clients", d'autre part. La parfaite compréhension de la portée de ces termes commande de les lire à la lumière de l'ensemble des "PowerPoint" présentant le plan d'optimisation des performances.
439. Déterminer laquelle des deux entreprises a été à l'origine de l'élaboration du plan est indifférent pour démontrer le concours de volontés.
Objet du concours de volontés
440. En ce qui concerne le dénigrement, Reckitt Benckiser acte dans l'identification des "catégories de patients pour qui un changement d'ordonnance peut entraîner un risque élevé, c'est-à-dire l'injection, la comorbidité, notamment pour les patients en traitement psychiatrique, et sensibiliser les docteurs sur le risque par les forces de vente" ("patient types for who a change in Rx may carry a high risk i.e. injectors, co-morbidity e.g. psychiatric patients, and educate Drs on the risk through sales representatives", cote 13894). Il est également précisé que, "[q]uand un générique est disponible, obtenir aussi vite que possible un exemplaire afin d'analyser et d'identifier tout risque potentiel, c'est-à-dire la différence d'excipients" ("a generic is available, obtain a supply asap to analyse and identify any potential risks i.e. different excipients", cote 13894). Cette analyse comparative est confirmée dans la suite de la présentation. Elle porte sur l'apparence du générique, sa dissolution et ses excipients afin d'en communiquer les résultats aux médecins et pharmaciens ("Compare generic product with Subutex Appearance, Dissolution, Excipients Communicate findings to medical, pharmacy professionals to ensure they can advise their patients appropriately", cote 13899).
441. En ce qui concerne les autres pratiques commerciales à caractère fidélisant, Schering-Plough indique dans sa présentation qu'une "réduction légale de 2,5 % sur le prix du Subutex ne sera pas suffisante pour influencer les pharmaciens dans leurs habitudes de substitution. Une réduction de 10 % (par le biais des frais de service) sauverait probablement et au mieux 2 millions d'euros annuels de chiffre d'affaires" (cote 13824). Ces modalités et taux de réduction, qui devraient être proposés aux pharmaciens, sont repris dans la présentation de Reckitt Benckiser (cote 13896).
442. L'objectif de ces remises est dépourvu d'ambiguïté. Dans la présentation de Reckitt Benckiser, il est proposé, dans le "Pharmacie : exposé du calendrier" et plus particulièrement dans les développements relatifs au "pack commercial" pour le 1er trimestre 2006, d'"impulser le stock initial" ("Initial Stock Boost", cote 13895). Cette présentation précise par la suite que l'objectif est bien de "fournir aux pharmaciens des remises au comptant de courte durée afin d'assurer un stock suffisant en place avant le lancement du générique" ("[p]rovide short term cash discount to pharmacists to ensure adequate stock in place prior to generic launch", cote 13898).
443. Cet accord s'est poursuivi au moins jusqu'à la réunion du 9 décembre 2005 comme attesté par le "PowerPoint" de Schering-Plough présenté au cours de cette réunion et l'un des comptes-rendus établis à son issue.
Réponse aux arguments des parties
444. Le "PowerPoint" de Schering-Plough reprend les différentes actions précédemment énoncées tout en les structurant. Plusieurs pages de ce document portent sur les pratiques commerciales qui devraient être offertes aux pharmaciens afin de saturer leurs linéaires. L'objectif est de "pousser les stocks de Subutex avec l'offre commerciale. L'objectif est un stock de 3 mois. Ajouter un rabais au-dessus du rabais légal de 2,5 % (contre - 10,74% minimum pour les génériques)" ("push Subutex stocks with commercial offer. Goal is 3 month stock. Add'I rebate above the 2.5% legal rebate (vs - 10.74% min for generics)", cote 4781). L'un des "objectifs au niveau de la pharmacie" tend donc bien à "minimiser la pénétration du générique <35 %" avec comme moyen une "offre commerciale" aux pharmaciens ("[m]inimize generic penetration <35%" et "[c]ommercial offer", cote 4784).
445. La volonté de créer une "crainte" dans le chef des professionnels de santé à l'égard des génériques concurrents de leur princeps est également reprise. En effet, afin de "lever des barrières contre l'entrée des génériques", il est acté la "sensibilisation sur les problèmes du générique (augmentation du trafic...)" ("[r]aise barriers to Generic entry" et "[s]ensibilisation on generic issues (traffic increase...)", cote 4780). L'objectif étant une "campagne locale pour mettre en évidence les risques (voir plus loin)" ("[g]rassroot campaign to highlight risks (see after)", cotes 4780). Il doit donc être créé auprès des professionnels de santé "une prise de conscience sur les risques de trafic accrus" ("awareness on increased traffic risks", cote 4781). En ce qui concerne plus particulièrement les pharmaciens, il est question de produire "un facteur de "crainte" pour les changements de traitement, instabilité psychiatrique, risque de mauvaise utilisation et de trafic" ("fear" factor for treatment changes, psychiatric unstability, risk of misuse and trafic", cote 4784).
446. Le compte-rendu de la réunion du 9 décembre établi par Reckitt Benckiser fixe plusieurs points. Il est ainsi acté que "le lancement d'un générique pourrait intensifier la situation de trafic" et que "si un générique est lancé, Gilles M a défini un plan pour optimiser la performance du Subutex à travers la force de vente de SP afin de fournir un support professionnel à la pharmacie" ("[t]he launch of a generic could escalate the Trafficking situation" et "[i]f a generic is launched, GP defined plan to optimise Subutex performance through using SP salesforce to provide professional support to Pharmacy", cote 13462).
447. En ce qui concerne l'argument selon lequel le compte-rendu de Schering-Plough Corp. du 11 décembre 2005 affirmerait l'attachement de Schering-Plough à sa liberté commerciale, il doit être rappelé que ce même compte-rendu explique que la réunion a permis d'atteindre "les principaux objectifs de la réunion qui étaient : 1. Obtenir l'alignement sur le Plan d'optimisation français et s'assurer que les actions clés sont prises par SP et RB pour exécuter le plan" ("accomplished the key objectives for the meeting where were : 1. Gain alignment on the French Optimization Plan and that key actions are being taken by SP and RB to execute the plan", cote 14 420). Ce compte-rendu précise en fin de courriel que "globalement, je pense que nous avons atteint nos objectifs pour la journée et nous avons maintenant besoin d'exécuter notre plan d'action" ("Overall, I think that we accomplished our goals for the day and we now need to execute our action plan", cote 14421).
448. En ce qui concerne le compte-rendu de la réunion du 9 décembre 2005, force est de constater que la phrase qui réaffirmerait selon les parties la liberté commerciale de Schering-Plough ne porte pas sur les développements relatifs au "Plan générique français" ("French Generic Plan"), mais sur le "contrat RB/SP" ("RB/SP Contract"). Il est rappelé à cet égard que le contrat liant Schering-Plough et Reckitt Benckiser n'est pas utilisé pour démontrer l'accord de volontés sur les pratiques en cause et qu'aucune pratique résultant de sa mise en œuvre n'a été reprochée aux parties.
449. Enfin, il n'est pas reproché à Reckitt Benckiser de ne pas s'être opposée aux pratiques, mais bien d'avoir apporté son concours de volonté au plan poursuivi.
450. La concordance des volontés entre les parties a été établie dès le 5 octobre 2005. La circonstance que les éléments spécifiques de la restriction envisagée aient fait encore l'objet de discussions jusqu'au 9 décembre 2005 est dépourvue d'importance aux fins de l'établissement de ce concours de volontés.
451. Sur la base des constatations qui précèdent, il est donc établi que dès le 5 octobre 2005 Schering-Plough, qui ne le conteste pas, et Reckitt Benckiser ont conclu un accord visant à retarder et dissuader l'entrée du générique sur le marché en cause au moyen, d'une part, de la tenue d'un discours dénigrant relatif à la mise en cause auprès des médecins et pharmaciens de la bioéquivalence des génériques concurrents de Subutex(r), sur les risques pour la santé des patients (mésusage et instabilité psychiatrique) en cas de commercialisation de ces génériques, et sur l'accroissement du "trafic" qui résulterait de cette commercialisation et, d'autre part, du recours à des pratiques commerciales à caractère fidélisant à destination des pharmaciens afin de saturer leurs linéaires. Cet accord s'est poursuivi à tout le moins jusqu'à la réunion du 9 décembre 2005.
b) Sur l'objet anticoncurrentiel des pratiques
Sur le dénigrement
Rappel des principes
452. Il doit être rappelé, en premier lieu, que l'article L. 420-1 du Code de commerce prohibe de façon expresse les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites entre les entreprises lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet de limiter l'accès au marché par d'autres entreprises.
453. En second lieu, il convient, pour déterminer si un accord a un objet restrictif au sens de l'article 101 du TFUE, "de tenir compte non seulement des termes d'un accord, mais également d'autres facteurs, tels que les buts poursuivis par l'accord en tant que tel, à la lumière du contexte économique et juridique" (arrêts de la Cour de justice du 6 avril 2006, General Motors, C-551-03 P, Rec. 2006 p. I-3173, point 66 et du 11 juillet 2013, Gosselin Group/Commission, C-429-11 P, point 44).
454. En ce qui concerne plus particulièrement la pratique en cause, il convient de rappeler que le dénigrement s'entend comme le comportement consistant à jeter publiquement le discrédit sur une personne, un produit ou un service identifiés, au moyen de la diffusion d'informations inexactes ou subjectives à son encontre. Il se distingue de la critique dans la mesure où il émane d'un ou plusieurs acteurs économiques qui cherchent à bénéficier d'un avantage concurrentiel en pénalisant un compétiteur (décision n° 07-D-33, précitée, paragraphe 77).
455. Un tel comportement peut être appréhendé au regard des articles prohibant tant les abus de position dominante que les ententes (arrêts de la Cour d'appel de Paris du 5 février 2008, Schering-Plough, n° 2007-21 342 et du 2 décembre 2010, Euro Power Technology, n° 2010-08010).
456. Pour apprécier l'existence d'une pratique de dénigrement, l'Autorité vérifie d'abord que le discours tenu fait l'objet d'une certaine publicité (arrêt Euro Power Technology, précité, p. 17).
457. L'Autorité s'attache ensuite à vérifier si le discours commercial tenu par au moins l'une des entreprises à l'entente relève de constatations objectives ou s'il procède d'assertions non vérifiées (décision n° 04-D-75, précitée, paragraphes 27 et suivants).
458. Puis, afin de déterminer si ce discours commercial est de nature à influencer la structure du secteur, l'Autorité examine les effets attendus ou réels de ce discours auprès des partenaires commerciaux ou de la clientèle potentielle d'un ou plusieurs concurrents aux membres de l'entente. Ces effets attendus ou réels doivent tendre à dégrader la position, sur le secteur en cause, d'un ou plusieurs concurrents (décision n° 04-D-75, précitée, paragraphe 37).
459. Il ressort de ce qui précède que, s'il est parfaitement loisible à un fournisseur de produits pharmaceutiques et à son distributeur de mettre en évidence les qualités objectives d'un produit, le fait de mettre en évidence non pas seulement des qualités, mais des différences qui, dans le contexte du discours tenu et des conditions dans lesquelles il est entendu, ne peuvent se comprendre que comme des différences substantielles, de nature à soulever un doute objectif sur les qualités des spécialités génériques concurrentes, peut témoigner d'une volonté d'induire les professionnels de santé en erreur et être constitutif d'une entente.
Argument des parties
460. Reckitt Benckiser et sa société-mère estiment que les relations entretenues avec Schering-Plough "n'avaient pas dépassé le cadre de relations commerciales normales en application du Contrat (de licence)" (Observations en réponse au rapport, p. 77). Elles estiment en effet que les éléments discutés entre Schering-Plough et Reckitt Benckiser ne visaient pas à empêcher l'entrée des génériques sur le marché. Selon elles, l'objectif poursuivi relève de la protection de leurs intérêts commerciaux légitimes. Le plan d'optimisation des performances ne revêtirait dès lors aucun objet anticoncurrentiel. Ces différents arguments valent également à l'égard des pratiques commerciales envisagées.
461. Elles considèrent également que Reckitt Benckiser, étant absent du marché en cause, ne peut se voir reprocher une pratique de dénigrement. Elles contestent, en outre, la qualification de restriction par objet d'une pratique de dénigrement dans le cadre des dispositions relatives à la prohibition des ententes.
Appréciation au cas d'espèce
462. À titre liminaire, l'Autorité ne considère pas que le contrat de licence liant Reckitt Benckiser et Schering-Plough soit restrictif de concurrence. Elle ne s'est d'ailleurs jamais appuyée sur celui-ci pour apprécier l'existence d'un accord de volontés ou d'une restriction de concurrence.
463. Comme constaté précédemment, aucune étude médicale ou scientifique ne permettait, à la date des pratiques en cause, de conclure que Buprénorphine Arrow(r) n'était pas bioéquivalente à Subutex(r), constituait un danger spécifique pour la santé des patients, qu'il s'agisse de mésusage ou d'instabilité psychiatrique, ou aurait pu provoquer une augmentation du "trafic".
464. En conséquence, Schering-Plough et Reckitt Benckiser n'étaient pas en droit d'arrêter une communication tendant à "Retarder/Décourager l'entrée des génériques" sur les thèmes de la "bioéquivalence" et des "questions de santé" (cotes 13 824 pour le plan de Schering-Plough et 13 899 pour le plan de Reckitt Benckiser).
465. Il avait été arrêté que la communication de Schering-Plough serait fondée sur les différences d'apparence, de dissolution et d'excipients entre le princeps et le générique d'Arrow et sur l'instauration d'une "crainte" dans le chef des médecins et pharmaciens quant à un changement de traitement au regard de l'"instabilité psychiatrique (du) risque de mauvaise utilisation et de trafic" (cotes 4781, 4784, 13894 et 13899).
466. Enfin, les effets de cette communication visaient à dégrader la future position des premières entreprises lançant un générique de Subutex(r) (cotes 4781, 4784, 13462, 13824, 13893 et 13899). Force est de constater qu'à la date des pratiques en cause, Schering-Plough et Reckitt Benckiser savaient que seule Arrow entrerait la première sur le marché français de la BHD commercialisée en ville (cote 4785).
467. Il est donc établi que du 5 octobre 2005 au 9 décembre 2005 Schering-Plough, qui ne le conteste pas, et Reckitt Benckiser ont conclu un accord ayant pour objet le dénigrement de Buprénorphine Arrow(r) auprès des professionnels de santé afin d'entraver l'accès de ce produit au marché en cause.
Sur les pratiques commerciales
468. Pour le rappel des principes applicables aux pratiques commerciales en cause, il est renvoyé aux paragraphes 452 et 453 ci-dessus.
469. Les principes directeurs ou termes des pratiques commerciales en cause présentés lors de la réunion du 9 décembre 2005 sont les suivants (cote 4784) :
<EMPLACEMENT TABLEAU>
470. Il ressort des constatations et appréciations ci-dessus que le but de l'accord conclu entre Schering-Plough et Reckitt Benckiser était bien la saturation des linéaires des pharmaciens (cotes 4781, 13 824, 13 897 à 13 899). Cet accord devait par ailleurs être mis en œuvre au 1er trimestre de l'année 2006 soit avant la date de mise sur le marché du générique d'Arrow (cote 13895). A cet égard, le PowerPoint du 9 décembre 2005 indique dans sa "Méthodologie" que les pratiques commerciales devront être lancées "d'ici la fin janvier (= juste avant l'entrée du générique)" ("Launch by the end of January (= just before generic entry)", cote 4785).
471. Le but poursuivi par l'accord en cause était bien restrictif de concurrence. Ces pratiques devaient en effet permettre de saturer les linéaires des pharmaciens pendant trois mois (cote 4781 : "Push Subutex stocks with commercial offer. Goal is 3 month stock").
472. Appréciées dans leur contexte économique, ces pratiques commerciales visaient "environ 2 000 pharmacies (client le plus important, 40 % du chiffre d'affaires)" ("approximately 2,000 pharmacies most important client, 40 % turnover", cote 4785).
473. Les remises tarifaires proposées aux pharmaciens, examinées dans leur contexte juridique, dépassaient le seuil de 2,5 % autorisé par la législation (paragraphes 70 et suivants). Conscients de proposer un produit à un prix moins attractif que celui des génériques s'ils respectaient la législation précédemment exposée, Schering-Plough et Reckitt Benckiser ont décidé de proposer des remises supérieures à 10 % afin de minimiser le différentiel de prix existant par le biais de services distincts fictifs (cotes 4784 et 13824). La présentation de la réunion du 9 décembre 20005 fixe l'objectif suivant : "Ajouter un rabais au-dessus du rabais légal de 2,5 % (contre -10,74 % minimum pour les génériques)" ("Add'I rebate above the 2.5% legal rebate (vs - 10.74 % min for generics)", cote 4781).
474. Ces services distincts ne pouvaient en effet être que fictifs. En premier lieu, l'objectif poursuivi, comme démontré ci-dessus, n'était pas une meilleure compréhension du fonctionnement du marché ou l'établissement de relations commerciales normales avec les pharmaciens, mais bien la saturation de leurs linéaires.
475. En second lieu, fixer le niveau de la rémunération pour un service distinct en fonction de la quantité du produit acheté est incohérent car le niveau de cette rémunération ne dépend plus du service, contrepartie de la rémunération, mais de la quantité achetée. Reckitt Benckiser ne peut donc contester sa connaissance du caractère fictif des services distincts.
476. Il est ainsi établi que la société Schering-Plough, qui ne le conteste pas, et Reckitt Benckiser ont conclu une entente anticoncurrentielle qui avait pour objet d'entraver la pénétration de Buprénorphine Arrow(r) sur le marché en ville de la BHD en France par la saturation des linéaires des pharmaciens figurant parmi les plus importants dispensateurs de Subutex(r). Une telle pratique est contraire aux articles 101 du TFUE et L. 420-1 du Code de commerce.
D. SUR L'IMPUTABILITÉ DES PRATIQUES EN CAUSE
1. RAPPEL DES PRINCIPES
477. La notion d'entreprise et les règles d'imputabilité relèvent des règles matérielles du droit de la concurrence de l'Union. L'interprétation qu'en donnent les juridictions de l'Union s'impose donc à l'autorité nationale de concurrence et aux juridictions nationales lorsqu'elles appliquent les articles 101 et 102 du TFUE parallèlement aux règles de concurrence internes du Code de commerce (arrêts de la Cour de justice du 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands e.a., C-8-08, Rec. 2009 p. I-4529, points 49 et 50, et de la Cour d'appel de Paris du 29 mars 2012, Lacroix Signalisation e.a., n° 2011-01228, p. 18).
a) Imputabilité au sein d'un groupe de sociétés
478. Il résulte d'une jurisprudence constante à cet égard que les articles 101 et 102 du TFUE visent les infractions commises par des entreprises.
479. Le juge de l'Union a précisé que la notion d'entreprise doit être comprise comme désignant une unité économique, même si, du point de vue juridique, celle-ci est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales (arrêts de la Cour de justice du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, C-97-08 P, Rec. 2009 p. I-8237, point 55, du 29 mars 2011, ArcelorMittal Luxembourg/Commission et Commission/ArcelorMittal Luxembourg e.a., C-201-09 P et C-216-09 P, Rec. 2011 p. I-2239, point 95, du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C-521-09 P, non encore publié au Recueil, point 53, et de la Cour d'appel de Paris du 29 mars 2012, Lacroix Signalisation e.a., n° 2011-01228, p. 18).
480. C'est cette entité économique qui doit, lorsqu'elle enfreint les règles de concurrence, répondre de cette infraction, conformément au principe de responsabilité personnelle (arrêts Akzo Nobel e.a./Commission, précité, point 56, ArcelorMittal Luxembourg/Commission et Commission/ArcelorMittal Luxembourg e.a., précité, point 95, Elf Aquitaine/Commission, précité, point 53, et Lacroix Signalisation e.a., précité, pp. 18 et 20), sur lequel repose le droit de la concurrence de l'Union (arrêt de la Cour de justice du 20 janvier 2011, General Química e.a./Commission, C-90-09 P, Rec. p. I-1, point 52).
481. Ainsi, au sein d'un groupe de sociétés, le comportement d'une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu'ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l'essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques (arrêts Akzo Nobel e.a./Commission, précité, point 58, ArcelorMittal Luxembourg/Commission et Commission/ArcelorMittal Luxembourg e.a., précité, point 96, Elf Aquitaine/Commission, précité, point 54, et Lacroix Signalisation e.a., précité, pp. 18 et 19).
482. Dans le cas particulier où une société mère détient, directement ou indirectement par le biais d'une société interposée, la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale auteur d'un comportement infractionnel, il existe une présomption selon laquelle cette société mère exerce une influence déterminante sur le comportement de sa filiale (arrêts de la Cour de justice, Akzo Nobel e.a./Commission, précité, point 60, General Química e.a./Commission, précité, points 2 et 42, du 29 septembre 2011, Arkema/Commission, C-520-09 P, point 42, et de la Cour d'appel de Paris, Lacroix Signalisation e.a., précité, p. 19).
483. Dans cette hypothèse, il suffit pour l'autorité de concurrence de rapporter la preuve de cette détention capitalistique pour imputer le comportement de la filiale auteur des pratiques à la société mère (arrêts Akzo Nobel e.a./Commission, précité, point 61, Elf Aquitaine/Commission, précité, point 57, et Lacroix Signalisation e.a., précité, p. 19).
484. À cet égard, il n'est pas exigé, pour imputer à une société mère les actes commis par sa filiale, de prouver que la société mère ait été directement impliquée dans les pratiques, ou ait eu connaissance des comportements incriminés. Ainsi que le relève le juge de l'Union, "ce n'est pas une relation d'instigation relative à l'infraction entre la société mère et sa filiale ni, à plus forte raison, une implication de la première dans ladite infraction, mais le fait qu'elles constituent une seule entreprise au sens de l'article (101 du TFUE) qui permet à la Commission d'adresser la décision imposant des amendes à la société mère d'un groupe de sociétés" (arrêts du Tribunal du 12 décembre 2007, Akzo Nobel e.a./Commission, T-112-05, Rec. 2007 p. II-5049, point 58, et du 27 octobre 2010, Alliance One International e.a./Commission, T-24-05, Rec. 2010 p. II-5329, point 169).
485. Il est possible à la société mère de renverser cette présomption en apportant des éléments de preuve susceptibles de démontrer que sa filiale détermine de façon autonome sa ligne d'action sur le marché. Si la présomption n'est pas renversée, l'autorité de concurrence sera en mesure de tenir la société mère pour solidairement responsable pour le paiement de la sanction infligée à sa filiale (arrêts Arkema/Commission, précité, points 40 et 41, et Lacroix Signalisation e.a., précité, p. 20).
486. Dans le cas où une société mère ne détient pas, directement ou indirectement par le biais d'une société interposée, la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale auteur d'un comportement infractionnel, il est nécessaire de vérifier que la société mère exerce effectivement une influence déterminante sur le comportement de sa filiale (arrêt Alliance One International e.a./Commission, précité, point 126). Dans un tel cas, afin d'établir si une filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, il convient de prendre en compte l'ensemble des éléments pertinents propres aux circonstances de l'espèce, relatifs aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent la filiale à la société mère (même arrêt, points 126 et 171).
b) Imputabilité en cas de restructurations, cessions, fusions ou autres
487. Ainsi qu'il ressort d'une jurisprudence constante, lorsque l'existence d'une infraction est établie, il faut déterminer la personne physique ou morale qui était responsable de l'exploitation de l'entreprise mise en cause au moment où l'infraction a été commise, afin qu'elle réponde de cette infraction (voir, notamment, arrêts du Tribunal du 17 décembre 1991, Enichem Anic/Commission, T-6-89, Rec. p. II-1623, point 236, et de la Cour de cassation du 23 juin 2004, BNP Paribas e.a., n° 01-17896 et 02-10066). L'infraction doit par ailleurs être imputée sans équivoque à une personne juridique qui sera susceptible de se voir infliger la sanction (arrêt de la Cour de justice du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, C-97-08 P, Rec. p. I-8237, point 57).
488. Tant que la personne morale responsable de l'exploitation de l'entreprise qui a mis en œuvre des pratiques enfreignant les règles de concurrence subsiste juridiquement, c'est elle qui doit être tenue pour responsable de ces pratiques. En particulier, elle continue de l'être même si les éléments matériels et humains ayant concouru à la commission de l'infraction ont été cédés à une tierce personne (arrêt de la Cour de cassation du 20 novembre 2001, SACER e.a., n° 99-16776 et 99-18253 ; voir également décision n° 08-D-09 du 6 mai 2008 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des pompes funèbres à Lyon et dans son agglomération, paragraphe 211, confirmée par arrêt de la Cour d'appel de Paris du 31 mars 2009, Agence funéraire lyonnaise pompes funèbres Viollet, n° 2008-11 353, p. 24).
489. Si cette personne morale a changé de dénomination sociale ou de forme juridique, elle n'en continue pas moins à répondre de l'infraction commise (arrêt de la Cour de justice du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C-204-00 P, C-205-00 P, C-211-00 P, C-213-00 P, C-217-00 P et C-219-00 P, Rec. p. I-123, point 59 ; voir également décision n° 01-D-14 du 4 mai 2001 relative à des pratiques relevées lors de marchés de fabrication et de mise en œuvre d'enrobés bitumeux sur les routes départementales de l'Isère, p. 20).
490. En revanche, lorsque la personne morale responsable de l'exploitation de l'entreprise qui a commis les pratiques a cessé d'exister juridiquement, ces pratiques doivent être imputées à la personne morale à laquelle l'entreprise a juridiquement été transmise, c'est-à-dire celle qui a reçu les droits et obligations de la personne auteur de l'infraction, et, à défaut d'une telle transmission, à celle qui assure en fait sa continuité économique et fonctionnelle (arrêts BNP Paribas e.a., précité, et de la Cour d'appel de Paris du 14 janvier 2009, Eurelec Midi Pyrénées e.a., n° 2008-01095, p. 5).
491. C'est en particulier le cas lorsqu'une personne morale est absorbée par une autre. Dans ce cas, les pratiques dont la société absorbée est l'auteur sont imputées à la personne morale qui a absorbé cette dernière (arrêt du Tribunal du 14 décembre 2006, Raiffeisen Zentralbank Österreich/Commission, T-259-02 à T-264-02 et T-271-02, Rec. p. II-5169, paragraphe 326). Il peut également en être de même pour la société résultant de la fusion entre l'auteur des pratiques et une autre entité.
2. ARGUMENT DES PARTIES
492. Afin de contester la présomption d'imputabilité des pratiques de Reckitt Benckiser à sa société-mère, Reckitt Benckiser plc, ces deux sociétés font état d'une série d'arguments.
493. Elles estiment à cet égard que l'Autorité "a toujours examiné les éléments de faits propres à chaque espèce visant à établir la possibilité pour une société mère d'exercer effectivement une influence déterminante sur sa filiale" (Observations du 21 août 2013, p. 139).
494. En outre, elles considèrent que, lorsqu'une autorité de concurrence entend appliquer le régime de présomption d'imputabilité, cette dernière doit disposer "au moins (d')un second élément venant étayer l'absence d'autonomie de la filiale" (Observations du 18 février 2013, p. 85).
495. Ce second élément serait d'autant plus nécessaire qu'aucun élément au dossier ne permettrait de démontrer la participation directe de la société-mère aux pratiques en cause et qu'il existait tout au long des pratiques en cause des personnes morales intermédiaires.
3. APPRÉCIATION AU CAS D'ESPÈCE
a) Sur l'imputabilité des pratiques de Schering-Plough
Sur l'évolution de la structure du groupe Schering-Plough
496. À la date de commencement des pratiques, la société Schering-Plough (SA) était contrôlée à hauteur de 100 % de son capital par la société Schering-Plough Holdings France (SAS), elle-même contrôlée à hauteur de 100 % par la société Schering-Plough Corporation. Par ailleurs, Schering-Plough Holdings France détenait à hauteur de 100 % la société Unicet, structure juridique sans activité.
497. Le 3 novembre 2009, Schering-Plough Corporation et la société de droit américain Merck & Co ont procédé à un rapprochement. Dans ce cadre, Schering-Plough Corporation a acquis le contrôle du capital de Merck & Co qui est devenue sa filiale, renommée à cette occasion Merck Sharp & Dhome Corporation. Schering-Plough Corporation a été renommée Merck & Co.
498. Le 12 avril 2011, Schering-Plough Holdings France a acquis la société Financière MSD (SAS). Le 1er juin 2011, Schering-Plough Holdings France absorbe Financière MSD. La nouvelle entité fusionnée prend le nom de Financière MSD (SAS), contrôlée à 100 % par Merck & Co. À cette date, Schering-Plough est donc contrôlée à 100 % de son capital par Financière MSD.
499. Le 1er juillet 2011, Schering-Plough procède à une cession partielle d'actifs (activités de vente et de marketing, notamment de produits pharmaceutiques humains) au profit d'Unicet (SAS). À cette occasion, Unicet est renommée MSD France. À compter de cette date, Financière MSD contrôle 100 % du capital de Schering-Plough.
Sur l'imputabilité du comportement de Schering-Plough
500. Schering-Plough, bien qu'ayant procédé à une cession partielle d'actifs, continue à exister juridiquement et doit donc se voir imputer les deux premiers griefs d'abus de position dominante et le troisième grief d'entente pour les pratiques auxquelles elle a participé.
501. Ces mêmes griefs doivent également être imputés aux sociétés Financière MSD et Merck & Co en raison de leur qualité de société-mère ayant exercé une influence déterminante sur le comportement de Schering-Plough pendant l'ensemble de la période de commission des pratiques.
502. Les responsabilités en cause ne sont du reste pas contestées par les mises en cause.
Sur l'imputabilité du comportement de Merck & Co
503. Merck & Co, anciennement Schering-Plough Corporation, a pris une part personnelle et déterminante dans la réalisation du troisième grief d'entente (voir notamment paragraphes 100 et 101). Cette pratique doit donc lui être imputée en tant que coauteur.
504. La responsabilité en cause n'est du reste pas contestée par la mise en cause.
b) Sur l'imputabilité des pratiques de Reckitt Benckiser
Sur l'évolution de la structure du groupe Reckitt Benckiser
505. À la date de commencement des pratiques du troisième grief, la totalité du capital de la société Reckitt Benckiser Healthcare (UK) Ltd était indirectement contrôlée par la société faîtière de droit britannique Reckitt Benckiser plc.
506. Depuis la cessation des pratiques du troisième grief, la situation de Reckitt Benckiser n'a pas évolué. En effet, la totalité de son capital a toujours été contrôlée indirectement par Reckitt Benckiser plc.
Sur l'imputabilité du comportement de Reckitt Benckiser
507. Reckitt Benckiser doit donc se voir imputer le troisième grief d'entente pour les pratiques qu'elle a mises en œuvre. Ce même grief doit également être imputé à Reckitt Benckiser plc en raison de sa qualité de société-mère ayant exercé une influence déterminante sur le comportement de Reckitt Benckiser pendant l'ensemble de la période de commission des pratiques.
508. Les arguments avancés et précédemment exposés par ces deux sociétés ne sauraient renverser la présomption d'imputabilité.
509. Si dans certaines décisions l'Autorité a effectivement examiné les éléments de faits propres à chaque espèce, elle n'a pas recouru dans ces décisions au régime de la présomption d'imputabilité ci-dessus exposé.
510. Les sociétés mises en cause ne sauraient en outre exiger de la part de l'Autorité qu'elle étaye la présomption d'imputabilité d'un "second élément" autre que la détention de la totalité ou quasi-totalité du capital de la filiale. Rien n'indique en effet dans la jurisprudence de l'Union qu'un élément supplémentaire devrait être rapporté. Au contraire même, la Cour de justice a disposé qu'"il suffit que (l'autorité de concurrence) prouve que la totalité du capital d'une filiale est détenue par sa société mère pour qu'il puisse être présumé que cette dernière exerce effectivement une influence déterminante sur la politique commerciale de cette filiale" (arrêt de la Cour de justice du 19 juillet 2012, Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission et Commission/Alliance One International e.a., C-628/10 P et C-14/11 P, non encore publié au Recueil, point 47).
511. L'Autorité n'est pas non plus tenue de démontrer la participation directe de Reckitt Benckiser plc aux pratiques en cause. Cette circonstance est en effet indifférente (arrêts du Tribunal du 30 avril 2009, Itochu/Commission, T-12/03, Rec. p. II-909, point 58, et de la Cour d'appel de Paris du 10 octobre 2013, Nestlé Purina Petcare France e.a., n° 2012/07909, p. 25).
512. L'existence de sociétés intermédiaires entre la filiale, auteur des pratiques en cause, et sa maison-mère constitue enfin une circonstance insusceptible de renverser la présomption d'imputabilité (arrêt General Química e.a./Commission, C-90/09 P, précité, point 88). Dès lors que Reckitt Benckiser plc n'a jamais cessé de détenir la totalité du capital de Reckitt Benckiser, la simple succession de sociétés intermédiaires détenant directement le capital de cette dernière société ne saurait renverser la présomption d'imputabilité.
E. SUR LES SANCTIONS
513. Les dispositions du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce et de l'article 5 du règlement (CE) n° 1-2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles aux articles 81 et 82 du traité (JO 2003, L 1, p. 1) habilitent l'Autorité à imposer des sanctions pécuniaires aux entreprises et aux organismes qui se livrent à des pratiques anticoncurrentielles interdites par les articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce ainsi que par les articles 101 TFUE et 102 TFUE.
514. Aux termes du quatrième alinéa du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, le montant maximal de la sanction qui peut être imposé à une entreprise est "de 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Si les comptes de l'entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d'affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante".
515. Le troisième alinéa du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce dispose que "les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation individuelle de l'organisme ou de l'entreprise sanctionnée ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le (titre VI du livre IV du Code de commerce). Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction".
516. En l'espèce, l'Autorité appréciera ces critères légaux selon les modalités pratiques décrites dans son communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires.
517. Schering-Plough et Reckitt Benckiser ont été mises en mesure de formuler des observations sur les principaux éléments de droit et de fait du dossier susceptibles, selon les services d'instruction de l'Autorité, d'influer sur la détermination de la sanction pouvant leur être infligée, pour la première au titre des trois griefs et pour la seconde au titre du seul grief n° 3. La présentation de ces différents éléments ne préjuge pas de l'appréciation du collège sur les déterminants de la sanction, qui relève de sa seule compétence.
1. SUR LES SANCTIONS INFLIGÉES AU TITRE DE L'ABUS DE POSITION DOMINANTE (GRIEFS N° 1 ET 2)
518. L'Autorité peut imposer à chaque entreprise ou organisme en cause plusieurs sanctions dans l'hypothèse où l'intéressé a commis plusieurs infractions (arrêt de la Cour de cassation du 29 juin 2007, Bouygues Télécom e.a., n° 07-10303, 07-10354 et 07-10397), comme c'est le cas en l'occurrence, en déterminant chacune d'elles en fonction des critères prévus par le Code de commerce (voir, en ce sens, arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet 2011, Lafarge e.a., n° 10-17482 et 10-17791) et en vérifiant qu'aucune d'entre elles n'excède le maximum légal applicable. Néanmoins, il lui est aussi loisible, si elle l'estime opportun eu égard à l'identité ou à la connexité des secteurs ou des marchés en cause, d'une part, et à l'objet général des pratiques, d'autre part, d'infliger une seule sanction au titre de plusieurs infractions (arrêts de la Cour de cassation du 22 novembre 2005, Dexxon Data Media e.a., n° 04-19102, et de la Cour d'appel de Paris du 28 janvier 2009, EPSE Joué Club e.a., n° 2008-00255, p. 20).
519. En l'espèce, les pratiques visées par les griefs n° 1 et n° 2 concourent à un même objectif général consistant à entraver l'entrée sur le marché et le développement de médicaments génériques de Subutex(r), en particulier le premier générique commercialisé par Arrow.
520. Eu égard à ces éléments, l'Autorité imposera une sanction pécuniaire unique au titre de ces deux infractions.
a) En ce qui concerne la valeur des ventes
Méthode retenue par l'Autorité
521. La valeur des ventes réalisées par Schering-Plough en relation avec l'infraction commise pourra être utilement retenue comme assiette de la sanction.
522. Certes, le Code de commerce, en ne se référant pas au chiffre d'affaires lié au secteur ou au marché en cause, mais uniquement au chiffre d'affaires mondial consolidé ou combiné, n'impose pas à l'Autorité de procéder de la sorte (arrêt de la Cour de cassation du 13 mai 1997, Société française de transports Gondrand frères, n° 95-16378). Pour autant, ce paramètre constitue généralement une référence appropriée et objective permettant de proportionner au cas par cas l'assiette de la sanction à la réalité économique de l'infraction en cause, et plus précisément à son ampleur ainsi qu'au poids relatif sur le secteur concerné de chacune des entreprises qui y a participé (voir, en ce sens, arrêt de la Cour d'appel de Paris du 11 octobre 2012, Entreprise H. Chevalier Nord e.a., n° 2011-03298, p. 72 ; voir, également, arrêt Lacroix Signalisation e.a., précité, pp. 37 et 38), comme cela ressort aussi de la jurisprudence constante des juridictions de l'Union (arrêts de la Cour de justice du 7 juin 1983, Musique diffusion française/Commission, 100-80, Rec. p. 1825, points 119 à 121, du 3 septembre 2009, Papierfabrik August Koehler e.a./Commission, C-322-07 P, C-327-07 P et C-338-07 P, Rec. p. I-7191, point 114).
523. Le marché pertinent retenu en l'espèce est le marché français de la BHD (Subutex(r) et ses génériques) commercialisée en ville. Il convient donc de retenir comme valeur des ventes l'ensemble des ventes de Subutex(r) réalisées par Schering-Plough en ville au cours de la période litigieuse.
524. Comme cela a été relevé plus haut, deux griefs relevant de l'abus de position dominante de durée différente ont été notifiés à Schering-Plough. La pratique sanctionnée au titre du grief n° 1 a trouvé son origine dans des actions de communication visant à dénigrer le générique de Subutex(r), menées entre le 15 février 2006 et la fin du mois de mai 2006. Quant au grief n° 2, il concerne des pratiques commerciales ayant pris notamment la forme de remises à caractère fidélisant accordées aux pharmaciens sans contrepartie économiquement justifiée et s'est développé entre janvier 2006 et fin juillet 2006.
525. S'agissant de la pratique de dénigrement, elle a produit ses effets bien au-delà de la seule période durant laquelle le discours dénigrant a été tenu auprès des médecins et des pharmaciens. La sanction d'un tel abus de position dominante, qui trouve son origine dans une action de communication anticoncurrentielle en raison de ses effets - tant avérés que potentiels -, ne saurait tenir compte exclusivement de l'espace de temps pendant lequel a été menée cette action de communication (ce qui reviendrait, en poussant le raisonnement jusqu'à l'absurde, à ne retenir qu'une seule journée dans le cas où cette action consisterait en la diffusion d'un communiqué de presse unique dont le contenu serait particulièrement dénigrant). Elle doit tenir compte également des effets de ce comportement. C'est en tenant compte de cet élément que la Cour d'appel de Paris, statuant sur les mesures conservatoires ordonnées par le Conseil de la concurrence dans la présente affaire, a retenu, précisément à propos d'une stratégie destinée à freiner le développement de médicaments génériques, que la publication d'un communiqué de presse enjointe par le Conseil de la concurrence à titre de mesure conservatoire constituait, même vingt mois après les faits, une réponse proportionnée à l'atteinte grave et immédiate à l'économie du secteur concerné ayant résulté des pratiques en cause (arrêt du 5 février 2008, Société Schering-Plough SA, n° 2007-21 342, ayant fait l'objet d'un pourvoi rejeté par la Cour de cassation par un arrêt du 13 janvier 2009, Société Schering-Plough, n° 08-12510). En outre, dans la décision n° 13-D-11 du 14 mai 2013 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur pharmaceutique, l'Autorité a également tenu compte, pour appréhender la durée des pratiques, des effets du dénigrement, qui se sont fait sentir bien au-delà de la seule période où ont été observées lesdites pratiques.
526. En l'espèce, l'Autorité tiendra compte du fait qu'au vu des constatations figurant dans la décision, les effets de la stratégie de dénigrement imputée à Schering-Plough ont perduré au moins sur une durée de douze mois. Ainsi, l'assiette sur laquelle sera assise la sanction correspond à la valeur des ventes de Subutex(r) en 2006 sur le marché de la ville.
Argument des parties et réponse de l'Autorité
527. Schering-Plough, Financière MSD et Merck & Co. estiment que l'Autorité aurait dû prendre en compte une valeur annuelle des ventes inférieure, se montant à 78,7 millions d'euros et n'incluant pas les "exportations parallèles", d'un montant de 12,7 millions d'euros, au motif qu'elles ne sont pas destinées au marché français.
528. Ces exportations correspondent aux ventes de Subutex(r) réalisées par les grossistes répartiteurs hors du territoire français. En effet, s'approvisionnant auprès du laboratoire pharmaceutique, ceux-ci peuvent, après avoir satisfait aux obligations de service public d'approvisionner les officines sur le territoire français, réaliser des ventes à l'étranger. Il n'en demeure pas moins que les ventes correspondant aux "exportations parallèles" sont effectuées initialement en France par le laboratoire pharmaceutique.
529. Le communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires précise, dans son paragraphe 34, que les ventes à retenir sont toutes celles réalisées en France. C'est le cas de toutes les ventes réalisées en France par le laboratoire Schering-Plough, quand bien même les acheteurs réexportent ces produits par la suite.
530. Par conséquent, il n'y a pas lieu de soustraire les "exportations parallèles" de la valeur des ventes retenue, qui s'élève, pour l'année 2006, à 91 476 000 euros.
b) En ce qui concerne la détermination du montant de base
531. En application du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, le montant de base de la sanction sera déterminé en fonction de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie, critères qui se rapportent tous deux à la pratique en cause. Les appréciations de l'Autorité à cet égard trouveront une traduction chiffrée dans le choix d'une proportion de la valeur des ventes retenue, démarche qui, comme indiqué ci-dessus, permettra de proportionner l'assiette de la sanction à la réalité économique de l'infraction, d'une part, et au poids relatif sur le secteur concerné de Schering-Plough, d'autre part.
S'agissant de la gravité des faits
532. L'Autorité apprécie la gravité des faits de façon objective et concrète, au vu de l'ensemble des éléments pertinents du cas d'espèce. La nature de la pratique en cause ainsi que la situation du secteur dans lequel elle a été mise en œuvre seront ici prises en compte.
533. À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que le Conseil, puis l'Autorité considèrent, de façon constante, que des pratiques intervenant "dans le secteur de la santé publique, dans lequel la concurrence est déjà réduite en raison de l'existence d'une réglementation destinée à assurer le meilleur service de santé pour la population tout en préservant les équilibres budgétaires du système d'assurance maladie" sont, de manière générale, particulièrement graves (voir, notamment, les décisions du Conseil de la concurrence n° 06-D-36 du 6 décembre 2006 relative à des pratiques mises en œuvre par la société civile de moyens Imagerie Médicale du Nivolet, paragraphe 177, et de l'Autorité n° 10-D-25 du 28 juillet 2010 relative à des pratiques concernant l'accès au scanner et à l'IRM situés au centre hospitalier d'Arcachon, paragraphe 141).
534. En outre, les pratiques en cause sont d'autant plus graves qu'elles visent à entraver l'entrée sur le marché et le développement de médicaments génériques, en contradiction avec l'objectif affiché des pouvoirs publics de réduire les dépenses de santé, dans un contexte budgétaire fortement contraint. Ainsi, comme le rappelle La Mutualité Française dans son rapport de décembre 2012 sur les médicaments génériques : "Dans un contexte budgétaire de plus en plus contraint, de nombreuses mesures de régulation économique du médicament ont été mises en place par les pouvoirs publics. Elles ont pour objectif de permettre à chaque patient de bénéficier de la stratégie thérapeutique la plus adaptée à leur pathologie, au prix le plus juste pour la collectivité. Les médicaments génériques constituent un outil majeur de régulation des dépenses de médicaments dans la mesure où ils apportent aux patients le même bénéfice thérapeutique que leurs médicaments de référence, dans les mêmes conditions de sécurité, mais à un coût significativement moins élevé" (cotes 21299 et suivantes).
535. Au cas d'espèce, les infractions reprochées à Schering-Plough constituent, ainsi qu'il a été exposé dans les développements relatifs à la qualification de la pratique, un abus de position dominante, qui a eu pour effet de limiter l'entrée du générique mis au point par Arrow, juste avant sa mise sur le marché en mars 2006, alors que Schering-Plough détenait 100 % du marché de la molécule au moment de la commercialisation du générique. Un tel comportement constitue une pratique d'éviction, traditionnellement qualifiée par les autorités de concurrence et les juridictions européennes et nationales de grave, voire de très grave lorsqu'elle est mise en œuvre par une entreprise en situation de position dominante, et a fortiori en situation de monopole ou de quasi-monopole (voir, en ce sens, arrêts de la Cour de justice du 14 octobre 2010, Deutsche Telekom/Commission, C-280-08 P, Rec. p. I-09555, point 275 et de la Cour d'appel de Paris n° 2012-05160 du 4 juillet 2013, pp. 32 et 33).
536. Il convient également de souligner que l'abus de position dominante de Schering-Plough est d'autant plus grave qu'il s'est caractérisé par le cumul de deux pratiques, en partie concomitantes : le dénigrement du générique et des pratiques commerciales ayant pris notamment la forme de remises à caractère fidélisant accordées aux pharmaciens sans contrepartie économiquement justifiée. S'agissant du dénigrement, comme démontré ci-dessus, le discours développé par Schering-Plough n'était justifié par aucun objectif de protection de la santé publique. Il tendait intrinsèquement à instiller le doute sur la sécurité et l'efficacité du produit concurrent, en suggérant aux professionnels de santé de tirer des conséquences claires et précises des doutes, voire des craintes, que cette présentation erronée était de nature à susciter.
S'agissant du dommage à l'économie
537. Le critère légal de l'importance du dommage causé à l'économie ne se confond pas avec le préjudice qu'ont pu subir les victimes des pratiques en cause, mais s'apprécie en fonction de la perturbation générale qu'elles sont de nature à engendrer pour l'économie (voir, par exemple, arrêt de la Cour d'appel de Paris du 8 octobre 2008, SNEF, n° 2007-18 040, p. 4).
538. L'Autorité, qui n'est pas tenue de chiffrer précisément le dommage causé à l'économie, doit procéder à une appréciation de son existence et de son importance, en se fondant sur une analyse aussi complète que possible des éléments du dossier et en recherchant les différents aspects de la perturbation générale du fonctionnement normal de l'économie engendrée par les pratiques en cause. L'existence du dommage à l'économie ne saurait donc être présumée (arrêt de la Cour de cassation du 7 avril 2010, Orange France e.a., n° 09-12984, 09-13163 et 09-65940).
539. En se fondant sur une jurisprudence établie, l'Autorité tient notamment compte, pour apprécier l'incidence économique de la pratique en cause, de l'ampleur de l'infraction, telle que caractérisée en particulier par sa couverture géographique ou par la part de marché de l'entreprise sanctionnée sur le marché concerné, de sa durée, de ses conséquences conjoncturelles ou structurelles, ainsi que des caractéristiques économiques du secteur concerné. Les effets tant avérés que potentiels de la pratique peuvent être pris en considération à ce titre (voir, en ce sens, arrêt de la Cour de cassation du 28 juin 2005, Novartis Pharma, n° 04-13910).
540. Avant d'examiner l'ampleur de l'infraction, les caractéristiques du secteur concerné et les conséquences de la pratique, il convient au préalable de répondre aux arguments des parties quant à l'appréciation du dommage à l'économie.
Arguments des parties
541. En premier lieu, les requérantes contestent les références de comparaison utilisées dans le rapport par l'Autorité pour mettre en évidence un taux anormalement bas de pénétration des génériques de la BHD. Selon elles, le taux de pénétration du générique de Subutex(r) ne serait en rien atypique et se trouverait dans la moyenne de la classe N, tandis que les comparaisons avec les taux moyens de substitution en France et en Europe seraient infondées, au motif d'une forte dispersion des résultats.
542. En deuxième lieu, les parties font valoir que l'évolution de la part de marché des génériques de Subutex(r) peut aussi s'expliquer par d'autres facteurs que les pratiques en cause. Elles invoquent en particulier l'attachement naturel des patients à Subutex(r), la petite taille et les capacités limitées d'Arrow, ainsi que sa politique commerciale insuffisante et inappropriée. Elles établissent également un lien entre le faible nombre de génériqueurs sur le marché de la buprénorphine haut dosage entre 2006 et 2010 et le taux de pénétration des génériques.
543. En troisième lieu, les parties estiment que le dommage à l'économie résultant des pratiques est très faible. Elles l'évaluent à 110 000 euros pour ce qui concerne l'octroi aux pharmaciens d'avantages financiers à caractère fidélisant. Quant à la pratique de dénigrement, elles prétendent qu'en l'absence d'identification d'une progression significative des parts de marché d'Arrow depuis avril 2006, le dommage à l'économie résultant de cette pratique n'est pas mesurable et se révèle donc nécessairement limité.
Appréciation au cas d'espèce
- Sur l'estimation du taux de pénétration et la comparaison avec d'autres molécules
544. À titre liminaire, il convient de relever que plusieurs études commandées par Schering-Plough avant l'entrée du générique et la mise en œuvre des pratiques d'abus ont estimé le taux de pénétration des génériques de la BHD à un niveau très supérieur à celui qui a été réellement observé.
545. Ainsi, Smart Pharma, dans son étude du 7 octobre 2004 pour le compte de Schering-Plough (voir paragraphes 89 et suivants), reprise sur ce point dans la version du 10 mars 2005 avait envisagé trois scénarios (cotes 4501 à 4519). Le "scénario de base" anticipait l'entrée de deux à trois génériqueurs dont un laboratoire important, conduisant à des taux de substitution de 48 % après 12 mois et 59 % après 24 mois sur l'ensemble des dosages. Le scénario "pessimiste" reposait sur l'entrée d'au moins trois producteurs majeurs simultanément et impliquait des taux de pénétration de 61 % et 72 % après 12 et 24 mois. Le scénario "optimiste" supposait quant à lui l'entrée d'un seul génériqueur de taille moyenne et conduisait à des taux de pénétration de 27 % après 12 mois et de 34 % après 24 mois.
546. Si Schering Plough estime a posteriori que ces études prévisionnelles sont d'une fiabilité incertaine au motif "qu'elles sont basées sur de simples hypothèses" (cote 28385), il convient de relever que Schering-Plough a pourtant repris ces prévisions à son compte dans l'élaboration et la mise en œuvre de sa stratégie. Ainsi, l'anticipation réalisée par Smart Pharma en décembre 2005 à partir du benchmark de Prozac(r) est mentionnée dans la présentation aux délégués effectuée par Nicolas R lors du séminaire de Cannes de janvier 2006 (cote 8608). Plus encore, après la commission des pratiques, lors de la conférence de Madrid en septembre 2006, le président-directeur général de Schering-Plough explique, dans son PowerPoint de présentation, que les obstacles à la conservation des parts de marché ont été identifiés à la suite de la consultation d'un spécialiste en stratégie de génériques et cite à cette occasion le cabinet Smart Pharma (cote 15038). En outre, il reprend dans sa propre présentation (cote 15043) le graphique relatif au "benchmark" de Prozac(r), tel qu'il figurait dans l'étude de Smart Pharma (cote 7900).
Sur la comparaison avec le taux moyen de substitution en France et en Europe
547. Les requérantes soutiennent que la comparaison effectuée par l'Autorité avec les taux moyens de pénétration des génériques dans différents pays européens ne serait pas pertinente au motif que ces taux de pénétration présenteraient entre eux une grande dispersion.
548. L'Autorité a comparé, dans la notification de griefs, les taux moyens de substitution en France et en Europe, avec celui de Subutex(r), sur la base des données observées fournies par les États membres et présentées dans le rapport de la Commission européenne clôturant l'enquête sectorielle dans le secteur pharmaceutique. Ces données portent sur un échantillon de 219 molécules commercialisées dans l'ensemble des pays de l'Union européenne au cours de la période 2000/2007. À cet égard, il convient de noter que si les taux observés de substitution témoignent en effet d'une certaine diversité de situations entre pays, la France se situe plutôt dans le haut de l'échantillon.
549. Plus encore, la comparaison avec le générique de Subutex(r) fait apparaître un écart important : les taux de substitution de Subutex(r) en France sont de 16 % au bout d'un an et de 28,4 % au bout de deux ans, alors que les taux moyens observés en Europe sur l'ensemble de l'échantillon sont respectivement de 30 % et 45 %, et ceux observés en France de 32 % et de 48 %, pour les mêmes périodes.
550. Ainsi, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, l'analyse de l'Autorité, qui repose sur des données réelles, fournit un éclairage utile sur le taux de pénétration du générique de Subutex(r).
Sur la comparaison avec le taux de générification du Prozac(r) et du Deroxat(r)
551. Les requérantes soutiennent que les comparaisons des parts de marché des génériques de Subutex(r) avec celles obtenues par les génériques de certaines molécules de la même classe thérapeutique ne sont pas justifiées.
552. L'Autorité a procédé à la comparaison du taux de pénétration du générique de Subutex(r) avec celui observé sur un autre médicament générique, le Deroxat (dans la notification de griefs, cote 19640). Elle considère par ailleurs que la comparaison avec le Prozac, effectuée par les parties, est fondée.
553. À titre liminaire, il convient de relever que le principe même de la comparaison des taux de pénétration entre différents génériques a été validé par la Cour d'appel de Paris, dans l'arrêt du 5 février 2008 rendu en appel de la décision de mesures conservatoires du Conseil de la Concurrence : "l'appréciation du Conseil selon laquelle cette implantation demeure anormalement basse puisque, à cette date, le total des parts de marché des deux "génériqueurs" n'atteint pas 13 % quand les études communément admises en la matière, fût-ce pour des médicaments destinés à un public particulièrement sensible, démontrent que c'est un minimum de 50 % qui peut être espéré dès la deuxième année de commercialisation des génériques" (p. 7).
554. Concernant la comparaison avec le Deroxat(r), ce médicament appartient à la même classe thérapeutique (dite "classe N") que Subutex(r) et est considéré comme un "produit sensible", plutôt difficile à substituer, comme il a été dit dans la décision n° 07-MC-06 du 11 décembre 2007 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la société Arrow (paragraphe 155).
555. Concernant la comparaison avec le Prozac(r), l'étude commandée par Schering-Plough au cabinet Smart Pharma considère que le taux de générification de ce médicament constitue un "benchmark" (cote 7900). La comparaison avec Prozac(r) a été considérée comme suffisamment crédible par Schering-Plough pour être intégrée dans ses propres analyses, antérieurement et postérieurement à la commission des pratiques (cotes 8608 et 15043).
Sur la comparaison entre les dosages du générique de Subutex(r)
556. Schering-Plough, MSD et Merck & Co. contestent la pertinence de la comparaison des taux de pénétration du générique de Subutex(r) selon ses différents dosages avec le taux atteint par le seul dosage de 0,4 mg. Elles estiment que la sensibilité et l'attachement des patients au princeps seraient plus forts pour les dosages les plus élevés, impliquant ainsi des taux de pénétration différenciés selon les dosages.
557. La comparaison des taux de pénétration du générique de Subutex(r) selon les différents dosages est cependant pleinement justifiée, et ce pour au moins quatre raisons.
558. En premier lieu, aucun élément factuel n'est apporté pour justifier que, de manière totalement indépendante des pratiques, les dosages 2 mg et 8 mg devaient connaître un taux de pénétration des génériques inférieur à celui du dosage 0,4 mg.
559. En deuxième lieu, la forte corrélation des dynamiques de générification des différents dosages de buprénorphine (voir étude CRA, figure 3, cote 28 883) suggère d'importants déterminants communs justifiant que leurs taux de pénétration puissent être comparés.
560. En troisième lieu, aucune des études réalisées par Schering-Plough ou pour son compte, visant à estimer le taux de pénétration des génériques avant leur entrée, n'a opéré de distinction entre les différents dosages, ce qui indique qu'il ne devait pas exister, du point de vue de la société Schering-Plough ou de ses analystes, de différence objective significative entre les taux de pénétration des génériques selon les dosages.
561. En dernier lieu, le dosage de 0,4 mg constitue un référentiel conservateur car on ne peut exclure qu'il ait été lui aussi affecté par les pratiques de dénigrement.
Sur les propres comparaisons effectuées par Schering-Plough
562. Tout en arguant du manque de pertinence des comparaisons de taux de substitution entre molécules, l'étude économique fournie par la société Schering-Plough n'en propose pas moins de comparer le taux de substitution de Subutex(r) avec celui de seize molécules de la classe N génériquées à la même époque, afin de démontrer que le taux de substitution de Subutex(r) ne serait pas anormalement bas (cote 28884).
563. Cette comparaison appelle deux remarques. En premier lieu, sur les seize molécules retenues, quatre d'entre elles (lamotigrine, gabapentine, topiramate et oxcarbazepine) sont des antiépileptiques, sujets à controverse sur les possibles risques d'anxiété, tandis que le fentanyl fait l'objet d'une procédure devant l'Autorité de la concurrence pour abus de position dominante (décision n° 09-D-28 du 31 juillet 2009 relative à des pratiques de Janssen-Cilag France dans le secteur pharmaceutique). Il conviendrait donc à tout le moins d'effectuer la comparaison sur la base de 11 molécules et non de 16. En second lieu, que l'on retienne un échantillon à 16 ou 11 molécules, le taux de pénétration de la BHD demeure en dessous de la moyenne et de la médiane, la part de marché de la BHD s'élevant à 28,5 %, en dessous de la part de marché moyenne des génériques de 31% (cote 28885).
564. L'étude économique fournie par la société Schering-Plough propose également une analyse dosage par dosage du taux de pénétration du générique de la buprénorphine, comparé aux autres génériques de la classe N pour montrer que, pour les dosages 0,4 mg et 2 mg, le taux de pénétration ne serait pas anormal (cote 28886).
565. Cette analyse est toutefois contestable pour au moins deux raisons. En premier lieu, il existe une différence très substantielle entre les dosages à 0,4 mg et 2 mg, en termes de taux de pénétration des génériques, et surtout de volume et de valeur de marché. Le taux de substitution du dosage 2mg est ainsi intermédiaire entre ceux du 0,4 mg et du 8 mg, mais ses volumes sont bien plus proches de ceux du 8 mg que de ceux du 0,4 mg. Il paraît dès lors plus raisonnable de considérer, d'une part, les dosages 2 mg et 8 mg et, d'autre part, le dosage 0,4 mg. En second lieu, seule la buprénorphine au dosage de 0,4 mg a connu un taux de pénétration des génériques comparable aux anticipations de Schering-Plough discutées précédemment. Ainsi, à 12, 24 mois et 36 mois, la buprénorphine générique à 0,4 mg occupait une part de marché respectivement de 21 %, 45 % et comprise entre 46 et 50 %, ce qui est cohérent, bien qu'inférieur, aux anticipations de Schering-Plough pour l'ensemble des dosages. Or, ce dosage à 0,4 mg représente en volume et en valeur les ventes les plus faibles de Subutex(r).
- Sur le supposé attachement des patients à Subutex(r)
566. Selon Schering-Plough, le "facteur n° 1" pouvant expliquer la faible pénétration de la buprénorphine générique serait "l'attachement des patients au Subutex" (cote 28395). En particulier, selon Schering-Plough, "trois études observationnelles postérieures à l'entrée du générique Arrow sur le marché de la BHD montrent l'existence d'une préférence des patients pour Subutex, et donc une réticence des patients à accepter un changement de traitement" (cote 28398). Sans écarter a priori l'existence d'une possible réticence de certains patients à la substitution, l'Autorité estime que ce phénomène est largement insuffisant pour expliquer la faible part de marché observée des génériques de Subutex(r), et ce pour au moins sept raisons.
567. En premier lieu, il apparaît paradoxal de la part de Schering-Plough de mettre en œuvre des pratiques de fidélisation des pharmaciens et de dénigrement du générique, pratiques coûteuses et risquées juridiquement, si les patients sont naturellement attachés à Subutex(r). À le supposer indépendant des pratiques, l'attachement particulier de certains patients à Subutex(r) n'est en rien contradictoire avec une pratique de dénigrement qui l'a amplifié ou a pu en être l'une des causes.
568. En deuxième lieu, à supposer que certains patients soient attachés à Subutex(r), Schering-Plough indique elle-même qu'"il n'existe pas d'étude scientifique permettant d'expliquer la préférence des patients pour Subutex" (cote 28400).
569. En troisième lieu, les études antérieures à la commission des pratiques, études commandées par Schering-Plough et sur lesquelles elle s'est appuyée pour élaborer sa stratégie, envisageaient une forte substitution en faveur du générique. À cet égard, l'étude de Smart Pharma (cote 5922), réalisée en septembre 2004 à partir d'entretiens auprès de médecins, pharmaciens et patients, et synthétisée par Schering-Plough dans un tableau qui a été saisi dans ses locaux (cotes 5978 et 6085) indiquait qu'une majorité de patients (56 %) pourrait accepter de "switcher" vers les génériques et ne manifestaient pas un attachement particulier à la marque.
570. En quatrième lieu, Schering-Plough elle-même a identifié l'absence d'attachement des patients à Subutex(r) comme l'une des principales barrières à surmonter dans sa stratégie contre le générique et le maintien de ses parts de marché. C'est ce qu'elle indique notamment dans le document présenté lors de la conférence de Madrid, en septembre 2006 où elle emploie l'expression de "main barriers" (cote 15039).
571. En cinquième lieu, s'agissant des études observationnelles postérieures aux pratiques et mobilisées par Schering-Plough (cotes 28691 et suivantes), comme il a été relevé dans la décision 13-D-11 du 14 mai 2013, la production d'éléments postérieurs à la commission des faits n'est pas a priori pertinente pour justifier de pratiques antérieures d'abus de position dominante. À titre accessoire, ces "études observationnelles" ne confortent pas l'argumentaire développé par Schering-Plough. En effet, selon l'étude Kantar Health de 2009, les pharmacies ayant proposé la substitution de Subutex(r) vers le générique évaluent les refus des patients à une proportion de 4,7 sur 10 soit moins de 50 % (cote 28718). De même, l'étude réalisée par le Réseau Addictions Alpes-Maritimes au premier trimestre 2008 montre que sur 110 patients, "96 ont essayé le générique de la BHD". Même si 69 patients ont refusé de poursuivre le traitement, notamment en invoquant un "moindre effet perçu que le princeps", pour près de la moitié d'entre eux, il n'en reste pas moins que sur l'échantillon de départ, un peu moins de 40 % des patients poursuivent le traitement avec le générique (cote 28778). Une troisième étude menée en milieu carcéral à Marseille en 2008 montre que "49 % des patients sont mécontents ou très mécontents du passage du Subutex au générique" (cote 28792). A contrario, cela signifie que 51 % d'entre eux sont indifférents ou satisfaits.
572. Il s'ensuit que les études observationnelles postérieures à l'entrée des génériques, produites par les sociétés Schering-Plough, Financière Financière MSD et Merck & Co. viennent en réalité confirmer les études antérieures qui avaient estimé une résistance possible au changement n'excédant pas la moitié des patients. Par conséquent, le taux de pénétration des génériques de Subutex(r), qui plafonne à 30 % de parts de marché deux ans après le lancement du générique, ne peut s'expliquer par la résistance majoritaire au changement des patients puisque 50 % d'entre eux étaient disposés a priori à recourir au générique. Ainsi, on peut considérer qu'une partie d'entre eux, correspondant à au moins 20 % des patients, a pu être dissuadée de passer au générique, du fait de la pratique de dénigrement.
573. En sixième lieu, Schering-Plough met en exergue l'absence de succès de Suboxone(r), pour prouver - a contrario - l'attachement des patients à Subutex(r). Elle souligne le très faible taux de pénétration de Suboxone(r) malgré des efforts de promotion commerciale très importants de la part de Reckitt Benckiser et en déduit que les patients sont par conséquent très attachés à Subutex(r). Toutefois, il convient de relever que Suboxone(r) diffère fortement de Subutex(r), en raison d'une composition différente (buprénorphine et naloxone), qui n'entraîne pas les mêmes effets que la BHD et peut même provoquer un symptôme de sevrage, s'il est injecté. Par ailleurs, le maintien de Subutex(r) parallèlement à Suboxone(r), auquel s'était engagé Schering-Plough (ce dont le Conseil de la concurrence avait pris acte, à l'occasion de la décision de mesures conservatoires 07-MC-06) pourrait expliquer, au moins en partie, le relatif échec de Suboxone(r).
574. En dernier lieu, Schering-Plough invoque le risque de mésusage et de trafic, qui viserait essentiellement les comprimés de 8 mg, pour justifier le fort attachement des patients à Subutex(r) pour ce dosage. Toutefois, le docteur Michel W, président de la Commission nationale des stupéfiants et des psychotropes de l'AFSSAPS, a indiqué lors de son audition le 25 janvier 2012 (cotes 17121 à 17 127) que le risque de mésusage ne concernait qu'une infime partie des patients, estimée à 1 % pour le générique d'Arrow, contre 9 % pour Subutex(r) (cote 17123). De surcroît, l'argument de Schering-Plough est contredit par le rapport de la Commission Nationale des Stupéfiants et Psychotropes du 28 avril 2005 qui précisait : "La composition en excipients de la Buprénorphine Ethypharm 8 mg peut faire craindre un plus grand risque d'injection de cette forme. Sa plus faible teneur en excipients par rapport aux autres dosages de Buprénorphine Ethypharm (...) et au Subutex 8 mg (...) pourrait en effet réduire les complications liées à l'injection" (cotes 5137-5139). Ainsi, selon ce rapport, cette différence entre le générique et le princeps était susceptible d'accroître le risque de mésusage au bénéfice du générique et, partant, le taux de pénétration du dosage 8 mg générique.
- Sur le faible nombre de génériqueurs
575. Schering-Plough invoque le faible nombre de génériqueurs présents sur le marché de la BHD pour justifier la faible part de marché obtenue par le générique de Subutex(r). Cet argument ne saurait prospérer.
576. En effet, le scénario "optimiste" de l'étude de Smart Pharma, commandé par Schering-Plough en octobre 2004 et actualisé en mars 2005 envisageait l'entrée d'un seul génériqueur de taille moyenne et estimait dans ce cas de figure que le taux de pénétration atteindrait 27 % au bout d'un an, alors que les parts de marché constatées pour la BHD commercialisée par Arrow dépassaient à peine 10 % au bout d'un an (voir étude CRA, figure 3, cote 288 883).
577. En outre, il n'est pas exclu que les pratiques du laboratoire Schering-Plough aient pu avoir pour effet de dissuader ultérieurement l'entrée d'autres génériques sur le marché français de la BHD.
- Sur la taille et la politique commerciale d'Arrow
578. Selon l'étude économique fournie par la société Schering-Plough, la faible part de marché d'Arrow résulterait également de sa faible taille, de l'insuffisance des investissements et des efforts promotionnels consentis par cette dernière, notamment à l'égard des médecins et pharmaciens, et de l'absence de ventes directes.
579. Pour ce qui concerne la taille, il convient de relever que la taille d'un laboratoire produisant des génériques et ses parts de marché ne sont pas mécaniquement corrélées : à titre d'exemple, Arrow détient en France une part de marché de 30 % sur la terbutaline en 2007, alors même qu'elle était le seul génériqueur présent sur le marché (cote 19930).
580. Pour ce qui concerne l'insuffisance supposée des investissements et efforts promotionnels, il apparaît qu'Arrow a consenti d'importants investissements commerciaux, de près d'un million d'euros en 2006 et de près de 500 000 euros de 2007 à 2009 (cotes 27057 et suivantes). Arrow a également lancé, dès la mise sur le marché du générique de la buprénorphine, un Plan de Gestion des Risques relatif à la commercialisation de la BHD coûteux et de grande ampleur. Ces investissements ont été exceptionnellement élevés par rapport à ses dépenses habituelles, puisqu'ils représentaient quasiment deux tiers de son budget promotionnel total en 2006. Ce montant est 419 fois plus élevé que le budget moyen des dépenses promotionnelles pour les 17 autres génériques qu'elle a lancés en 2006. En outre, les génériqueurs ne font généralement pas de visites des médecins et concentrent leurs efforts commerciaux sur les pharmaciens, clés de voûte de la substitution, comme l'explique le rapport de la Mutualité Française de 2012 (cotes 21299 et suivantes). Selon l'étude Eurostaf de 2006 citée par l'étude économique fournie par la société Schering-Plough, Arrow a ciblé les pharmacies en fonction du volume de génériques qu'elles commercialisaient.
581. Pour ce qui concerne les ventes directes, Arrow n'y a pas eu recours lors du lancement de son générique, notamment parce que son plan de gestion des risques prévoyait, pour des raisons de sécurité de distribution, des ventes uniquement par les grossistes-répartiteurs et elle n'a modifié sa politique de vente, qu'à partir du 1er juillet 2006, après accord de l'AFSSAPS.
582. Selon l'étude économique fournie par la société Schering-Plough, la comparaison des parts de marché d'Arrow avec celles obtenues par le laboratoire Mylan, entré sur le marché générique en avril 2007, et qui a atteint une part de marché de 18 % au bout d'un an, corrobore la thèse d'une insuffisance des efforts déployés par Arrow lors du lancement de son générique.
583. S'il ne peut être exclu que la taille et les efforts promotionnels de Mylan aient pu jouer un rôle dans sa conquête de parts de marché, ces facteurs ne peuvent expliquer à eux seuls la faible implantation du générique, en comparaison des propres prévisions faites par Schering-Plough, notamment sur la base des études commandées au cabinet Smart Pharma.
584. En effet, si la part de marché globale des génériques augmente après l'entrée de Mylan pour atteindre environ 30 % (figure 3), force est de constater qu'elle reste largement inférieure aux estimations faites par Smart Pharma. Le "scénario de base" retenu par Smartpharma anticipait, après l'entrée d'un seul génériqueur (comme Arrow) l'entrée de deux à trois autres génériqueurs dont un laboratoire important, conduisant à des taux de substitution de 48 % après 12 mois et 59 % après 24 mois sur l'ensemble des dosages. De même, en utilisant la comparaison avec Prozac(r), Smart Pharma anticipait un taux de pénétration de 35 % à la fin de la première année (avec Arrow seul), et de 49 % à la fin de la deuxième année, suite à l'entrée d'autres génériques.
Evolution des parts de marché des vendeurs de BHD entre janvier 2005 et novembre 2012
<EMPLACEMENT GRAPHIQUE>
Source : Analyse CRA des données GERS
- Sur l'ampleur des pratiques et l'estimation du dommage par Schering-Plough
585. Schering-Plough, Financière MSD et Merck and Co. soutiennent que les effets du surstockage sont limités, mais quantifiables, mais qu'il est en revanche impossible d'évaluer quantitativement le dommage résultant du dénigrement.
Sur les effets du sur-stockage des linéaires
586. Pour ce qui concerne les effets du sur-stockage des linéaires résultant notamment de la pratique de remises, la méthode de quantification proposée par le cabinet CRA repose sur le postulat selon lequel ils peuvent être mesurés en analysant l'évolution de la part de marché d'Arrow une fois que la pratique a cessé puisqu'elle ne peut avoir eu d'effets au-delà de cette période. L'étude économique fournie par la société Schering-Plough en conclut que le dommage à l'économie, lié aux pratiques commerciales litigieuses s'élèverait à 110 000 euros.
587. Cette méthode de quantification appelle trois remarques. Tout d'abord, il convient de relever que les chiffres utilisés par l'étude économique fournie par la société Schering-Plough ne sont pas exactement concordants avec ceux de Depolabo, chargé de la vente directe. En effet, selon l'étude économique fournie par la société Schering-Plough, "le nombre de boîtes de Subutex vendues sous ventes directes avec avantages financiers reprochés est de 929 404 boîtes" alors qu'un document saisi, provenant de Depolabo, mentionne le chiffre de 1 738 645 boîtes vendues. Ensuite, les dépenses promotionnelles d'Arrow se sont concentrées principalement sur les premiers mois de commercialisation du générique. Or, la pratique de sur-stockage a pris place peu avant et pendant le lancement du générique, ce qui a annihilé l'impact des dépenses promotionnelles d'Arrow. Enfin, l'effet du sur-stockage des linéaires est sous-estimé dans la mesure où cette pratique s'est combinée avec une autre pratique, celle de dénigrement, dont l'impact sur le taux de pénétration du générique a été durable et s'est prolongé au-delà de la seule période des remises additionnelles.
Sur la stabilité à long terme de la part de marché du générique
588. Schering-Plough estime que "pendant les cinq années après le prononcé des mesures conservatoires, la part des génériques a été quasiment stable à un niveau diffèrent selon le dosage (...) laissant penser que la part de marché atteinte sur les cinq dernières années est la part de marché plafond pour la BHD générique. Par ailleurs, la différence de pénétration selon les dosages est un élément persistant et stable dans le temps. Il ne peut être sérieusement soutenu que les Pratiques, qui n'ont duré que quelques mois, ont pu avoir un effet sur la répartition des ventes entre le Subutex et ses génériques qui perdurerait aujourd'hui, plus de sept ans après les faits. Une telle stabilité des parts de marché depuis le prononcé des mesures conservatoires conduit à conclure que l'effet des Pratiques a dû prendre fin avant le prononcé des mesures conservatoires".
589. L'argument mobilisé par Schering-Plough appelle deux observations.
590. En premier lieu, l'absence de "choc" à la suite de la publication de la décision de mesures conservatoires du Conseil de la concurrence en décembre 2007 et du communiqué de presse publié en février 2008 dans la presse professionnelle peut être interprétée comme un indice de la puissance du dénigrement des génériques et des effets qu'il a causés sur le marché. De surcroît, la publication d'un communiqué de presse, dépourvu de portée médicale, n'a pu avoir qu'une incidence limitée sur le comportement des professionnels de santé ou sur les patients concernés.
591. En second lieu, si les parts de marché de la buprénorphine générique atteignent un "plafond" à partir du 24e mois, excepté pour le dosage 0,4 mg qui progresse jusqu'en 2010, ce "plafond" ne saurait pour autant être considéré comme "naturel", comme l'allègue Schering-Plough (cote 28374). Les pratiques, qui ont commencé avant l'entrée des génériques ont artificiellement et durablement limité les parts de marché de la buprénorphine.
592. En effet, les pratiques de dénigrement instaurent un climat de méfiance envers les génériques particulièrement difficile à lever lorsqu'elles émanent du laboratoire ayant distribué en exclusivité pendant une dizaine d'années la molécule dont les génériques sont dénigrés. Schering-Plough bénéficie de ce fait d'une aura particulière auprès des professionnels de santé et des patients, d'un avantage temporel sur les génériques et d'un meilleur accès aux prescripteurs. À cet égard, il convient de noter que Schering-Plough se présente elle-même comme un laboratoire ayant développé des relations privilégiées avec les acteurs de santé ou les associations de patients, dans le domaine de la toxicomanie.
593. Du côté des patients, le climat de méfiance instauré par le dénigrement est d'autant plus difficile à dissiper que les patients traités à la BHD sont, selon les termes mêmes de Schering-Plough, "fragiles psychologiquement" (cote 7945) "souvent dans des situations de détresse humaine et sociale" (cote 1607). Ces caractéristiques rendent donc les patients particulièrement exposés et réceptifs aux discours dénigrants (voir projet IFAS, cote 4000). Il convient à cet égard de relever que la population des patients traités à la BHD présente un faible taux de renouvellement, si bien qu'une grande partie des patients actuellement traités à la BHD ont été exposés au dénigrement au moment où les pratiques ont eu lieu. Schering-Plough rapporte ainsi les propos du Dr C, chef du service de Psychiatrie d'adultes et du service de Médecine Addictologique du Groupe Hospitalier Universitaire Saint-Louis-Lariboisière-Fernand Widal selon lequel "la prise en charge d'un patient toxicomane s'étale sur plusieurs années de sorte qu'aujourd'hui encore, un pourcentage important de patients ont débuté leur traitement sous Subutex(r)" (cote 28402).
594. De leur côté, les professionnels de santé, confrontés à ces patients fragiles, auront été d'autant plus sensibles aux discours dénigrants que leurs patients peuvent présenter pour leur propre sécurité un danger physique, argument sur lequel les forces de vente de Schering-Plough n'ont pas manqué d'insister dans la mise en œuvre du dénigrement (cotes 4782 et 20232).
595. Dès lors, étant donnés, d'une part, la durabilité des effets des pratiques de dénigrement en général et, d'autre part, le caractère particulier des patients traités à la BHD mais aussi le faible taux de renouvellement de cette population, il apparaît que les pratiques ont eu pour effet de plafonner durablement le taux de pénétration de la BHD générique.
Sur l'impossibilité supposée de quantifier le dommage résultant du dénigrement
596. L'étude économique produite par Schering-Plough estime que "l'évolution de la part de marché d'Arrow ou de celle des génériques à plus long terme (...) ne révèle rien qui permette d'identifier et de quantifier un dommage à l'économie important causé par le dénigrement reproché".
597. L'argument selon lequel le dommage résultant du dénigrement serait si limité qu'il ne puisse être quantifié contraste singulièrement avec plusieurs déclarations de salariés de Schering-Plough et éléments matériels qui soulignent a contrario le fort succès et impact sur le terrain des pratiques.
598. Ainsi, les propos rapportés par M. Gilles M quant à l'efficacité du discours de Mme Valérie 1, déléguée médicale, auprès d'un pharmacien sont emblématiques : "la 1re pharmacienne avait prévu de substituer (elle doit substituer à 68 %) malgré une 1re commande à Depolabo deux mois auparavant (120 boîtes). Valérie la convainc de ne pas le faire, en faisant habillement naître des doutes sur des problèmes avec le générique : 1) les excipients ne sont pas les mêmes (talc + silice) 2) personne ne sait ce qui se passerait en cas d'injection 3) en fait à Béziers, sont apparus les premiers problèmes avec des génériques 4) goût plâtreux 5) le gain financier pour le pharmacien est seulement de 83 centimes pour un comprimé de 8 mg, ce qui veut dire beaucoup de travail, beaucoup d'ennuis pour pas grand-chose 6) finalement, ne pas substituer Subutex ne l'empêchera pas d'atteindre la cible des 68 % à cause des petits volumes... à la fin, la pharmacienne fait une nouvelle commande avec Depolabo (Valérie lui donne le numéro du call center de Depolabo et appelle Jean pour s'assurer que ce sera fait" (cote 5147).
599. De même, un courriel du 24 mai 2006 de M. Éric 2, responsable régional chez Schering-Plough, qui présente également les effets du discours des délégués pharmaceutiques et des visiteurs médicaux, est sans équivoque : "Les ST (spécialistes toxicomanies NDLR) font un excellent travail auprès des pharmaciens et médecins et je suis persuadé que leurs actions ont largement freiné l'implantation du générique. Tous les jours sur le terrain je vois des pharmaciens qui me disent que si les ST n'avaient pas été présents ils auraient commandé immédiatement du générique (idem pour la prescription des médecins). (...) je considère, vu le taux de pénétration du générique qu'ils font une performance exceptionnelle et qu'il faut garder leur motivation" (cote 15365).
600. Le courriel du 5 mai 2006 de M. Gilles M, président-directeur général de Schering-Plough, contient également un commentaire de M. Nicolas R, directeur commercial "toxicomanie" de Schering-Plough, qui se révèle être particulièrement enthousiaste quant aux performances obtenues sur le terrain : "Excellente argumentation. Pour info Valérie est actuellement la 1re France vs pénétration générique. (seulement 2 % [part de marché du générique NDLR] en cumul de 4 semaines), ce qui n'est pas un hasard !" (cote 5147).
601. En dernier lieu, le document intitulé "French subutex experience" présenté par le président-directeur général de Schering-Plough à Madrid en septembre 2006 - soit après la commission des pratiques - établit un lien explicite entre les pratiques mises en œuvre et les effets observés sur le marché (cotes 15037 à 15 043). Ce document présente la stratégie développée en France au travers de ses principales actions et résultats, indiquant notamment que Subutex(r) a conservé un chiffre d'affaires de 62,9 millions euros, soit 34% de plus que prévu (cote 15041).
Appréciation par l'Autorité du dommage à l'économie
602. En l'espèce, il convient d'examiner tout d'abord l'ampleur de l'infraction, puis les caractéristiques du secteur concerné et enfin les conséquences de la pratique.
- Sur l'ampleur des pratiques
603. Le marché de la BHD est un marché important tant en volume qu'en valeur.
604. Selon les données de l'assurance maladie extraites de son site Internet, publiques et exhaustives, sur la période 2004-2011, le nombre de boîtes de 0,4 mg, 2 mg et 8 mg vendues était en moyenne de 9,2 millions par an, en croissance jusqu'en 2008 puis relativement stable. Les volumes respectifs de ces dosages, relativement constants dans le temps, sont de l'ordre de 1,3 million de boîtes, 4,6 millions de boîtes et 3,3 millions de boîtes par an.
605. À la date des faits constatés, le prix du générique de Subutex(r) a été fixé par le CEPS à 20 % de moins que le prix hors taxe du princeps. En valeur absolue, les différences de prix sont donc d'autant plus significatives que le prix de départ est élevé. Selon les périodes considérées, les génériques permettent une économie comprise entre 0,23 et 0,60 par boîte de 0,4 mg, entre 0,64 et 1,63 par boîte de 2 mg et entre 2,1 et 4,95 par boîte de 8 mg.
606. La base de remboursement moyenne de la BHD, pour ces dosages et sur la même période, était de plus de 100 millions d'euros par an. Il s'agit de la base de calcul du montant des remboursements des frais de santé, c'est-à-dire de la valeur du marché de la BHD en officine au prix public TTC.
607. Le marché de la BHD constitue un poste significatif de dépenses pour l'assurance maladie qui rembourse en moyenne 77 millions d'euros par an pour cette molécule. Entre 2006 et 2011, les génériques ne représentaient que 16 % des montants remboursés (75 des 457 millions d'euros remboursés sur cette période).
608. À cet égard, la Cour d'appel de Paris a précisé dans son arrêt du 5 février 2008, précité : "qu'ainsi, le Conseil (...), a caractérisé l'atteinte immédiate a l'économie du secteur intéressé qui résultait des pratiques relevées, puis, en évaluant à 10 millions d'euros le montant de l'économie dont la sécurité sociale a été privée par suite de cette faible implantation du générique, a mis en évidence la gravité de l'atteinte en cause, justifiant le prononcé de mesures conservatoires" (p. 10).
609. En outre, la pratique a été mise en œuvre par un opérateur qui détenait, à l'époque des faits, un monopole, puis une position très importante sur le marché de la BHD.
610. Enfin, les pratiques se sont déroulées sur l'ensemble du territoire national, grâce à un important réseau de visiteurs médicaux et de délégués pharmaceutiques.
- Sur les caractéristiques économiques du secteur
611. Afin d'apprécier l'importance du dommage causé à l'économie, l'Autorité s'attache à prendre en compte les caractéristiques du secteur concerné, dans la mesure où celles-ci sont de nature à influer sur les effets de la pratique. En l'espèce, deux caractéristiques du secteur pharmaceutique sont de nature à avoir accru le dommage causé à l'économie par les pratiques mises en œuvre par Schering-Plough.
612. En premier lieu, le secteur du médicament fait l'objet d'une forte réglementation, en particulier s'agissant des prix de vente en officine. De ce fait, la concurrence en prix sur le marché de la ville est pratiquement inexistante et les incitations des acteurs à augmenter les volumes de ventes sont maximales. La concurrence entre les opérateurs est ainsi fortement liée aux actions de promotion mises en œuvre par les laboratoires pharmaceutiques auprès des professionnels de la santé, comme l'a relevé la Commission européenne dans son rapport d'enquête sur le secteur pharmaceutique publié le 8 juillet 2009.
613. En second lieu, comme indiqué à de nombreuses reprises ci-dessus, les pratiques en cause ont largement tiré parti de l'influence des visiteurs médicaux sur le comportement de prescription des professionnels de santé. En effet, il existe en France un climat de suspicion vis-à-vis des génériques, renforcé dans le cas de la BHD haut dosage par des inquiétudes particulières relatives notamment à la nature particulière de ce médicament substitut aux opiacés.
- Sur les conséquences conjoncturelles et structurelles des pratiques
614. En sus des déclarations et éléments matériels déjà cités, une appréciation basée sur trois contrefactuels fournit des indices convergents qui permettent de conclure que la buprénorphine générique aurait obtenu, en l'absence des pratiques, des parts de marché largement supérieures à celles observées.
Comparaison avec le dosage de 0,4 mg
615. Prendre le dosage de 0,4 mg comme contrefactuel permet d'apprécier ce qu'auraient pu être les parts de marché de la buprénorphine générique de l'ensemble des dosages en l'absence des pratiques, car celles-ci ont principalement visé les dosages 2 mg et 8 mg, et fournit à ce titre une première appréciation du dommage à l'économie. En outre, cette approche s'avère conservatrice, dans la mesure où elle suppose un dommage nul sur le dosage 0,4 mg puisqu'il sert de référentiel. Or, il ne peut être exclu que, même s'il a été moins visé, son taux de pénétration ait toutefois été affecté par les pratiques.
616. La figure 4 montre que les parts de marché de la buprénorphine générique pour le dosage 0,4 mg sont les plus importantes, tout en ayant une dynamique corrélée à celle des autres dosages. Il peut être constaté que l'écart entre, d'une part, la part de marché de la buprénorphine générique 0,4 mg et, d'autre part, les parts de marché moyennes de la buprénorphine générique 2 mg et 8 mg s'accroît au cours du temps. Cet écart est de moins de 10 points de base en 2007 et de plus de 25 points de base en 2011. En moyenne, entre 2007 et 2011, il s'élève à environ 20 points.
Taux de générification de buprénorphine : 2006-2011
<EMPLACEMENT GRAPHIQUE>
Source : CNAM
617. En faisant l'hypothèse que la part de marché de la BHD générique dans ses dosages 2 mg et 8 mg aurait dû être similaire à celle observée sur le dosage 0,4 mg, une évaluation du dommage causé peut être obtenue en multipliant le nombre de boîtes de 2 mg et 8 mg vendues par le différentiel de prix annualisé entre Subutex(r) et ses génériques puis à nouveau par le différentiel de taux de substitution avec le dosage 0,4 mg. Ainsi, si la part de marché des génériques avait été identique pour les dosages 2mg et 8mg à celle observée pour le 0,4 mg, la collectivité aurait économisé plus de 22 millions d'euros entre 2006 et 2011 (environ 3,5 millions d'euros pour le 2mg et plus de 18,5 millions d'euros pour le 8mg qui a été le plus visé par les pratiques). Annuellement, le dommage serait compris entre 2 et 5 millions d'euros, sur la période 2006 à 2011. Comme le relève le commissaire du Gouvernement dans ses observations écrites du 18 juillet 2013, ce chiffrage corrobore "le montant retenu par la Cour d'Appel de Paris (arrêt du 5 février 2008, n° 2007-21 342), dans sa décision relative aux mesures conservatoires" (cote 28365).
Comparaison avec les propres anticipations de Schering-Plough
618. Une seconde approche consiste à prendre comme contrefactuel les anticipations de parts de marché des génériques (telles qu'elles ressortent des études réalisées pour le compte de Schering-Plough avant l'entrée du générique) pour les comparer avec les parts de marché effectivement observées (figure 5). Plus précisément, quatre scénarios de référence ont été retenus, correspondant aux modèles 1, 2 et 3 développés par le cabinet Smartpharma, ainsi que la comparaison effectuée par le même cabinet de consultant avec le taux de substitution du générique de Prozac(r).
Pénétration de la buprénorphine générique (vol.) : taux observés vs, taux attendus avant la commission des pratiques
<EMPLACEMENT GRAPHIQUE>
619. À la lecture de la figure 5, il apparaît que le taux de pénétration de la BHD générique a été très largement inférieur aux différentes anticipations qu'avait considérées Schering-Plough avant la commission des pratiques, quel que soit le modèle retenu.
620. L'anticipation la plus récente date de décembre 2005 et apparaît cohérente avec le modèle 2 de Smart Pharma datant de mars 2005. Cette dernière anticipation prévoit un taux de substitution de 65 % après 36 mois, soit près du double de ce qui a été observé dans les faits et de ce qui prévaut encore actuellement. En supposant qu'en l'absence des pratiques, la pénétration de la BHD générique aurait été de 30 points de base supérieure à ce qui a été observé une fois sa part de marché stabilisée, soit l'écart moyen entre les estimations les plus récentes réalisées avant l'entrée des génériques et les observations faites postérieurement, le manque à gagner par la collectivité se situerait entre 3 et 7 millions d'euros par an.
Comparaison avec les molécules de la classe N à 11 molécules
621. Le taux de pénétration des génériques des molécules de la classe N à 11 molécules fournit également un contrefactuel du taux de pénétration que la BHD générique aurait pu connaître en l'absence de pratiques.
622. Comme l'illustre la figure 6, la BHD générique affiche une part de marché deux fois moindre par rapport à la moyenne des molécules de la classe N à 11 molécules, 12 mois après l'entrée du premier générique. Les différences sont particulièrement prononcées pour le dosage de 8 mg qui est presque trois fois moins substitué à 12 mois que les autres molécules de sa classe thérapeutique.
Parts de marché des génériques : Buprénorphine, classe N - 5 (fentanyl et 4 antiépileptiques)
<EMPLACEMENT GRAPHIQUE>
Source : CRA
623. Selon ces comparaisons, si la BHD générique avait connu les mêmes taux de substitution que la moyenne des molécules de la classe N à 11 molécules, la collectivité aurait bénéficié d'un taux de substitution moyen significativement supérieur. En effet, si à partir du 24e mois, le dosage 0,4 mg dépasse le taux de pénétration moyen des génériques de la classe N à 11 molécules, tandis que le dosage 2 mg connaît un taux de substitution comparable, le dosage 8mg reste significativement moins substitué, avec un taux de substitution deux fois moins élevé que la moyenne. De surcroît, antérieurement à ce 24e mois, les taux de pénétration des trois dosages de la BHD générique commercialisés sont inférieurs à ceux de la moyenne des génériques des molécules de la classe N à 11 molécules.
624. Pour la seule année 2008, si les taux de substitution de la BHD générique 0,4 mg, 2 mg et 8 mg avaient été similaires au taux moyen des molécules de la classe N à 11 molécules, l'économie réalisée par la collectivité aurait été de 2,9 millions d'euros.
625. Si l'on se place 24 mois après l'entrée du laboratoire Arrow, la collectivité aurait économisé 5,8 millions d'euros si la BHD générique avait connu des taux de substitution égaux au taux moyen de la classe N à 11 molécules.
Conclusion sur l'importance du dommage à l'économie
626. En définitive, les trois contrefactuels proposés convergent pour établir que le dommage à l'économie est réel et important.
Conclusion sur la détermination du montant de base
627. Compte tenu de l'appréciation qui vient d'être faite de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie, et en tenant compte également du cumul des pratiques d'abus, l'Autorité retiendra, pour déterminer le montant de base, une proportion de 14 % de la valeur des ventes réalisées par Schering-Plough sur le marché français de la BHD commercialisée en ville en 2006.
S'agissant de la durée de la participation
628. Schering-Plough a mis en place une stratégie de dénigrement à l'encontre de Buprénorphine Arrow(r) concurrente de Subutex(r) à partir d'actions de communication mises en œuvre pendant trois mois et demi, du 15 février 2006 à fin mai 2006. Les remises quantitatives et les délais de paiement et escomptes pour paiement comptant ont été proposés aux pharmaciens de janvier 2006 à la fin juillet 2006. Toutefois, ainsi qu'il a été expliqué dans la partie consacrée à la valeur des ventes, la durée retenue, tenant compte à la fois de la période de commission des pratiques et de celle de leurs effets, a été estimée à un an.
629. Le montant de base qui en découle s'élève à 12 806 640 euros.
c) En ce qui concerne la situation individuelle
Sur la puissance économique de Schering-Plough et du groupe auquel elle appartient
630. L'Autorité s'est engagée à adapter le montant de base retenu reflétant la gravité des faits et l'importance du dommage causé à l'économie au regard du critère légal tenant à la situation individuelle de l'entreprise sanctionnée et, lorsque c'est le cas, du groupe auquel elle appartient.
631. À cette fin, et en fonction des éléments propres à chaque cas d'espèce, elle peut prendre en considération différentes circonstances atténuantes et/ou aggravantes caractérisant le comportement de l'entreprise mise en cause dans la commission des infractions, ainsi que d'autres éléments objectifs pertinents relatifs à sa situation individuelle. Cette prise en compte peut conduire à ajuster le montant de la sanction tant à la baisse qu'à la hausse.
632. L'appréciation de la situation individuelle peut conduire l'Autorité à prendre en considération l'envergure de l'entreprise en cause ou du groupe auquel elle appartient (voir, en ce sens, l'arrêt de la Cour de cassation du 28 avril 2004, Colas Midi-Méditerranée e.a., n° 02-15203).
633. La circonstance qu'une entreprise ait, au-delà des seuls produits ou services en relation avec l'infraction, un périmètre d'activités significatif ou dispose d'une puissance financière importante, peut justifier que la sanction qui lui est infligée, en regard d'une infraction donnée, soit plus élevée que si tel n'était pas le cas, afin d'assurer le caractère à la fois dissuasif et proportionné de la sanction pécuniaire (arrêt de la Cour d'appel de Paris du 11 octobre 2012, Entreprise H. Chevalier Nord, n° 2011/03298, p. 71). À cet égard, la Cour de cassation a déjà eu l'occasion de préciser que l'efficacité de la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles requiert que la sanction soit effectivement dissuasive, au regard de la situation financière propre à chaque entreprise au moment où elle est sanctionnée (arrêt du 18 septembre 2012, Sephora e.a., n° 12-14401, 12-14584, 12-14595, 12-14597, 12-14598, 12-14624, 12-14625 et 12-14632 et 12-14648).
634. Il peut également y avoir lieu de tenir compte du fait que cette entreprise appartient à un groupe qui dispose lui-même d'une taille ou de ressources globales importantes (arrêts de la Cour d'appel de Paris du 29 mars 2012, Lacroix Signalisation e.a., précité, p. 32, du 11 octobre 2012, précité, p. 71, et du 28 mars 2013, Allez et Cie e.a., n° 2011-20 125, p. 34).
635. En l'espèce, Schering-Plough appartient au groupe Merck & Co., au sein duquel elle consolide ses comptes. Le groupe Merck & Co., par son chiffre d'affaires, se situe au troisième rang mondial des laboratoires pharmaceutiques. Ce groupe dispose de ressources financières conséquentes et déploie ses activités bien au-delà du seul produit pharmaceutique en cause dans la présente affaire. Le chiffre d'affaires de Merck & Co s'est élevé à 47,267 milliards de dollars en 2012 soit 35,03 milliards d'euros en 2012 avec un taux de change EUR/USD moyen mensuel à fin novembre 2013 de 1,34929.
636. Compte tenu de ces éléments, le montant de base de la sanction pécuniaire infligée au groupe Merck & Co, solidairement avec Schering-Plough, doit être augmenté de 50 %.
637. Eu égard à l'ensemble des éléments qui précèdent, le montant de la sanction à imposer à Schering-Plough, solidairement avec sa société mère Merck & Co., s'élève à 19 209 960 euros.
Sur la vérification du maximum applicable
638. Conformément aux articles L. 464-2 - I paragraphe 4 et L. 464-2 - III du Code de commerce, le chiffre d'affaires mondial consolidé hors taxes le plus élevé connu réalisé par le groupe Merck & Co, qui consolide le chiffre d'affaires de Schering-Plough, était de 48 047 000 000 dollars en 2011, soit 35 609 098 118 euros avec un taux de change EUR/USD mensuel moyen à fin novembre 2013 de 1,34929. Le montant maximal de la sanction susceptible d'être infligée à Schering-Plough s'élève à 1 780 454 905 euros. Ce montant est supérieur au montant mentionné au paragraphe 637 ci-dessus.
d) En ce qui concerne la non-contestation des griefs
639. Le III de l'article L. 464-2 du Code de commerce permet au rapporteur général de proposer à l'Autorité de tenir compte, dans le cadre de la détermination de la sanction, du fait qu'une entreprise ou un organisme renonce à contester les griefs qui lui ont été notifiés. Le rapporteur général peut, par ailleurs, lui proposer de tenir compte du fait que l'intéressé s'engage en outre à modifier son comportement pour l'avenir.
640. Au cas présent, la société MSD France a décidé de ne pas contester les griefs qui lui ont été notifiés. Elle a en outre déposé des engagements. Le rapporteur général adjoint a proposé, au vu de ces éléments, que le montant maximal de la réduction de l'éventuelle sanction pécuniaire encourue soit porté à 20 %.
641. Ainsi que l'a déjà relevé à plusieurs reprises l'Autorité, la renonciation à contester les griefs, qui a principalement pour effet d'alléger et d'accélérer le travail d'instruction, en particulier en dispensant les services d'instruction de la rédaction d'un rapport lorsqu'elle est le fait de l'ensemble des entreprises mises en cause, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce, ne peut conduire à accorder aux intéressés qu'une réduction de sanction relativement limitée. Ce sont, le cas échéant, la nature et la qualité des engagements présentés qui peuvent permettre d'accorder une réduction de sanction plus importante, dans la mesure où ils sont substantiels, crédibles et vérifiables (décisions n° 07-D-21 du Conseil du 26 juin 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la location-entretien de linge, paragraphe 129, n° 08-D-13 du 11 juin 2008 relative à des pratiques relevées dans le secteur de l'entretien courant des locaux, paragraphe 99, n° 09-D-05 du 2 février 2009 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du travail temporaire, paragraphe 155, et n° 11-D-17 du 8 décembre 2011 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des lessives).
642. Lorsqu'elle accepte de tels engagements, l'Autorité les rend obligatoires dans la décision qu'elle adopte au terme de la procédure. Elle peut naturellement être conduite à s'assurer ultérieurement de leur mise en œuvre effective.
643. En l'espèce, les engagements pris par la société MSD France sont crédibles, substantiels et vérifiables. En particulier, le programme de conformité au droit de la concurrence est accompagné d'un engagement relatif à la mise en place d'une procédure spécifique applicable aux médicaments princeps commercialisés par MSD France et tombant prochainement dans le domaine public. Les sociétés Schering-Plough, Financière MSD et Merck & Co se sont engagées à mettre en place de manière systématique, au moins 24 mois avant qu'un médicament princeps commercialisé par MSD France ne tombe dans le domaine public, un contrôle a priori par le comité de conformité au droit de la concurrence de la stratégie commerciale qui sera mise en place par MSD France pour valoriser son médicament princeps vis-à-vis d'éventuels médicaments génériques, à organiser une formation spécifique des personnels commerciaux relative à l'interdiction du dénigrement des médicaments génériques du princeps commercialisé par MSD France et à insérer une section relative au respect de cette procédure spécifique dans le rapport sur le respect du programme de conformité. Cette procédure présente un réel intérêt pour le fonctionnement concurrentiel du secteur d'activité considéré : plusieurs médicaments commercialisés par MSD France ont pour principe actif des molécules couvertes par des droits de propriété intellectuelle qui vont tomber dans le domaine public et sont donc susceptibles d'être génériquées.
644. Dans la mesure où cet engagement est, en l'espèce, de nature à permettre à Schering-Plough Financière MSD et Merck & Co de prévenir des manquements ultérieurs aux règles de concurrence ainsi que, le cas échéant, de tirer les conséquences d'éventuels manquements découverts en son sein, l'Autorité considère qu'il est substantiel, crédible et vérifiable.
645. Dans ces conditions, afin de prendre en compte tant la renonciation à contester les griefs en tant que tels que les engagements proposés, qu'il convient d'accepter et de rendre obligatoires, les sanctions imposées à Schering-Plough sont réduites de 20 %.
646. Les engagements en question, qui sont annexés à la fin de la présente décision, devront naturellement faire l'objet d'une mise en œuvre effective.
647. Ainsi, le montant final de la sanction s'élève, au titre des griefs n° 1 et 2, à 15 367 968 euros, arrondis à 15 367 000 euros.
2. SUR LES SANCTIONS INFLIGÉES AU TITRE DE L'ENTENTE (GRIEF N° 3)
a) En ce qui concerne la valeur des ventes
Méthode retenue par l'Autorité
648. La valeur des ventes réalisées en relation avec l'infraction commise pourra être utilement retenue comme assiette de la sanction.
649. Certes, le Code de commerce, en ne se référant pas au chiffre d'affaires lié au secteur ou au marché en cause, mais uniquement au chiffre d'affaires mondial consolidé ou combiné, n'impose pas à l'Autorité de procéder de la sorte (arrêt de la Cour de cassation du 13 mai 1997, Société française de transports Gondrand frères, n° 95-16378). Pour autant, ce paramètre constitue généralement une référence appropriée et objective permettant de proportionner au cas par cas l'assiette de la sanction à la réalité économique de l'infraction en cause, et plus précisément à son ampleur ainsi qu'au poids relatif sur le secteur concerné de chacune des entreprises qui y a participé (voir, en ce sens, arrêt de la Cour d'appel de Paris du 11 octobre 2012, Entreprise H. Chevalier Nord e.a., n° 2011-03298, p. 72 ; voir, également, arrêt Lacroix Signalisation e.a., précité, pp. 37 et 38), comme cela ressort aussi de la jurisprudence constante des juridictions de l'Union (arrêts de la Cour de justice du 7 juin 1983, Musique diffusion française/Commission, 100/80, Rec. p. 1825, points 119 à 121, du 3 septembre 2009, Papierfabrik August Koehler e.a./Commission, C-322-07 P, C-327-07 P et C-338-07 P, Rec. p. I-7191, point 114).
650. Le marché pertinent retenu en l'espèce est le marché français de la BHD (Subutex(r) et ses génériques) commercialisée en ville en France.
651. Cependant, s'agissant des ventes réalisées en relation avec l'infraction commise, Schering-Plough, en tant que distributeur, a déclaré l'ensemble des ventes en ville pour ce produit, alors que Reckitt Benckiser, son fournisseur, n'a déclaré aucune vente. C'est pourquoi, l'Autorité est amenée à appliquer le paragraphe 39 de son communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires, selon lequel : "La méthode décrite ci-dessus peut être adaptée dans les cas particuliers où l'Autorité estime que la référence à la valeur des ventes ou ses modalités de prise en compte aboutirait à un résultat ne reflétant manifestement pas de façon appropriée l'ampleur économique de l'infraction ou le poids relatif de chaque entreprise ou organisme qui y a pris part".
652. La valeur des ventes retenue tiendra donc compte de la répartition du produit des ventes entre Schering-Plough et Reckitt Benckiser, qui a touché des commissions sur ces ventes dans le cadre de l'entente, selon les modalités ci-dessous précisées.
Détermination du montant de la valeur des ventes
653. Dans la mesure où la pratique d'entente s'est déroulée entre le 5 octobre 2005 et au moins le 9 décembre 2005, l'année de référence retenue pour la valeur des ventes est l'année 2005.
654. L'entente entre Schering-Plough, distributeur de Subutex(r), et Reckitt Benckiser, son fournisseur, a conduit Schering-Plough à verser en 2005 des commissions à Reckitt Benckiser, détentrice du brevet de Subutex(r), dont le montant a été fourni par Reckitt Benckiser elle-même (cote 27773), correspondant à 38,1 % du montant des ventes de ce médicament. La part de ces commissions dans le total des recettes est conforme aux propres déclarations de Schering-Plough (cote 18959) et aux stipulations du contrat de distribution liant ces deux entreprises (cote 29084). La valeur des ventes retenue pour Reckitt Benckiser est donc égale à 38,1 % de la valeur des ventes totales de Subutex(r) réalisées en ville en 2005 et à 61,9 % pour Schering-Plough.
655. Ainsi, la valeur des ventes de Schering-Plough s'établit à 53 944 499 euros et celle de Reckitt Benckiser à 33 144 501 euros.
b) En ce qui concerne la détermination du montant de base
S'agissant de la gravité des faits
656. L'Autorité apprécie la gravité des faits de façon objective et concrète, au vu de l'ensemble des éléments pertinents du cas d'espèce. La nature de la pratique en cause ainsi que la situation du secteur dans lequel elle a été mise en œuvre seront ici prises en compte.
657. À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que le Conseil, puis l'Autorité considèrent, de façon constante, que des pratiques intervenant "dans le secteur de la santé publique, dans lequel la concurrence est déjà réduite en raison de l'existence d'une réglementation destinée à assurer le meilleur service de santé pour la population tout en préservant les équilibres budgétaires du système d'assurance maladie" sont, de manière générale, particulièrement graves (voir, notamment, les décisions du Conseil de la concurrence n° 06-D-36 du 6 décembre 2006 relative à des pratiques mises en œuvre par la société civile de moyens Imagerie Médicale du Nivolet, paragraphe 177, et de l'Autorité n° 10-D-25 du 28 juillet 2010 relative à des pratiques concernant l'accès au scanner et à l'IRM situés au centre hospitalier d'Arcachon, paragraphe 141).
658. En outre, les pratiques en cause sont d'autant plus graves qu'elles visent à entraver l'entrée sur le marché et le développement de médicaments génériques, en contradiction avec l'objectif affiché des pouvoirs publics de réduire les dépenses de santé dans un contexte budgétaire contraint. Ainsi, comme le rappelle La Mutualité Française, dans son rapport de décembre 2012 (cotes 21299 et suivantes), sur les médicaments génériques : "Dans un contexte budgétaire de plus en plus contraint, de nombreuses mesures de régulation économique du médicament ont été mises en place par les pouvoirs publics. Elles ont pour objectif de permettre à chaque patient de bénéficier de la stratégie thérapeutique la plus adaptée à leur pathologie, au prix le plus juste pour la collectivité. Les médicaments génériques constituent un outil majeur de régulation des dépenses de médicaments dans la mesure où ils apportent aux patients le même bénéfice thérapeutique que leurs médicaments de référence, dans les mêmes conditions de sécurité, mais à un coût significativement moins élevé".
659. Au cas d'espèce, l'infraction reprochée à Schering-Plough et à Reckitt Benckiser est, ainsi qu'il a été exposé dans les développements relatifs à la qualification de la pratique, une entente entre un distributeur et son fournisseur, qui a eu pour objet de limiter l'entrée du générique mis au point par Arrow, juste avant son autorisation de mise sur le marché en mars 2006, alors que Schering-Plough détenait 100 % du marché de la molécule.
S'agissant du dommage à l'économie
660. L'entente entre Schering-Plough et Reckitt Benckiser a eu pour objet de préparer la mise en œuvre unilatérale par Schering Plough d'une stratégie de dénigrement du générique de Subutex(r) et de fidélisation des pharmaciens. Schering-Plough avait toujours le choix de ne pas appliquer ultérieurement cette stratégie, en dépit de l'entente préalable conclue avec Reckitt Benckiser.
661. Le dommage à l'économie causé par l'entente résulte donc intégralement de l'abus de position dominante, lequel a été mis en œuvre de manière unilatérale par Schering Plough. À ce titre, il ne sera pas pris en compte dans l'évaluation de la sanction de l'entente.
Conclusion sur la détermination du montant de base
662. Compte tenu de l'appréciation qui vient d'être faite des critères légaux, l'Autorité retiendra, pour déterminer le montant de base, une proportion de 4 % de la valeur des ventes réalisées par Schering-Plough et Reckitt Benckiser sur le marché français de la pubrénorphine commercialisée en ville en 2005.
S'agissant de la durée de la participation
663. En l'espèce, l'entente a débuté le 5 octobre 2005 et s'est poursuivie au moins jusqu'au 9 décembre 2005, comme il a été démontré aux paragraphes 436 et suivants, soit deux mois et quatre jours.
664. La participation des entreprises est donc inférieure à une année complète. L'Autorité considère, dans les circonstances de l'espèce, qu'il convient de retenir un coefficient de durée correspondant au nombre de mois pendant lesquels les entreprises ont participé à l'infraction. Ce coefficient de 0,16 sera appliqué à l'intégralité de la valeur de leurs ventes pendant l'exercice comptable de référence.
665. Le montant de base pour Schering-Plough s'élève à la somme de 345 245 euros et pour Reckitt Benckiser à la somme de 212 125 euros.
c) En ce qui concerne la situation individuelle
Sur la puissance économique des parties et des groupes auxquels elles appartiennent
666. La majoration appliquée à Schering-Plough pour son appartenance au groupe Merck & Co. a déjà été présentée dans la sous-partie sur l'abus de position dominante.
667. À ce titre, la sanction appliquée à Schering-Plough est majorée de 50 % et portée à 517 867 euros.
668. Comme constaté au paragraphe 436 la société Merck & Co., précédemment nommée Schering-Plough Corp., a envoyé le courriel du 30 septembre 2005, qui a constitué l'invitation à participer à l'entente en cause. Merck & Co. devra de ce fait s'acquitter du paiement de l'intégralité de la sanction pécuniaire.
669. Pour ce qui concerne Reckitt Benckiser Healthcare (UK), cette société appartient au groupe Reckitt Benckiser plc. qui fabrique et distribue des produits d'entretien et d'hygiène corporelle (Calgon, Woolite, Harpic, Vanish, Airwick, Cillit Bang, Veet...) ainsi que des médicaments vendus sans ordonnance (Nurofen, Gaviscon, Strepsils...). Figurant parmi les premiers groupes mondiaux de produits d'entretien ménager, Reckitt Benckiser plc. a réalisé, en 2012, un chiffre d'affaires de 9, 567 milliards de livres sterling soit 11, 419 milliards d'euros en 2012 avec un taux de change EUR/GBP moyen mensuel à fin novembre 2013 de 0,837801609.
670. À ce titre, la sanction appliquée à Reckitt Benckiser sera majorée de 50 % et portée à 318 187 euros, arrondis à 318 000 euros.
Sur la vérification du maximum légal applicable
671. Conformément aux articles L. 464-2 - I paragraphe 4 et L. 464-2 - III du Code de commerce, le chiffre d'affaires mondial consolidé hors taxes le plus élevé connu réalisé par le groupe Merck & Co, qui consolide le chiffre d'affaires de Schering-Plough, était de 48 047 000 000 dollars en 2011, soit 35 609 098 118 euros avec un taux de change EUR/USD mensuel moyen à fin novembre 2013 de 1,34929. Le montant maximal de la sanction susceptible d'être infligé à Schering-Plough s'élève à 1 780 454 905 euros. Ce montant est supérieur au montant mentionné au paragraphe 667 ci-dessus.
672. Conformément aux articles L. 464-2 - I paragraphe 4 et L. 464-2 - III du Code de commerce, le chiffre d'affaires mondial consolidé hors taxes le plus élevé connu réalisé par le groupe Reckitt Benckiser plc, qui consolide le chiffre d'affaires de Reckitt Benckiser Healthcare (UK), était de 9 567 000 000 livres sterling en 2012, soit 11 419 171 200 euros avec un taux de change EUR/GBP mensuel moyen à fin octobre 2013 de 0,84719916. Le montant maximal de la sanction susceptible d'être infligé à Reckitt Benckiser s'élève à 1 141 917 120 euros. Ce montant est supérieur au montant mentionné au paragraphe 670 ci-dessus.
d) En ce qui concerne la non-contestation des griefs
673. S'agissant de la non-contestation du grief d'entente par Schering-Plough, MSD et Merck & Co., il est renvoyé aux développements figurant dans la sous-partie consacrée à cette question sur l'abus de position dominante.
674. De façon similaire, afin de prendre en compte tant la renonciation à contester les griefs en tant que tels que les engagements proposés, qu'il convient d'accepter et de rendre obligatoires, les sanctions imposées à ces sociétés sont réduites de 20 %.
675. Les engagements en question, qui sont annexés à la fin de la présente décision, devront faire l'objet d'une mise en œuvre effective.
676. Ainsi, le montant final de la sanction s'élève pour Merck & Co., au titre du grief n° 3, à 414 293 euros, arrondis à 414 000 euros.
F. SUR L'OBLIGATION DE PUBLICATION
677. Aux termes du I de l'article L. 464-2, cinquième alinéa, du Code de commerce, l'Autorité de la concurrence peut ordonner la publication, la diffusion ou l'affichage de sa décision ou d'un extrait de celle-ci selon les modalités qu'elle précise. Les frais sont supportés par les intéressés.
678. En l'espèce, afin d'informer les professionnels de la santé de la présente décision et de les inciter à la plus grande vigilance vis-à-vis de la pratique condamnée au titre d'un abus de position dominante par la présente décision, il y a lieu d'ordonner à Schering-Plough et à Reckitt Benckiser de faire publier, à frais partagés, la publication dans les éditions papier des journaux "Le Quotidien du Médecin" et "Le Quotidien du Pharmacien" du résumé de la présente décision figurant ci-après :
679. "Obligation de publication imposée par l'Autorité de la concurrence
Saisie par la société Arrow Génériques, l'Autorité de la concurrence a rendu le 18 décembre 2013 une décision par laquelle elle sanctionne les sociétés Schering-Plough, et, en qualité de sociétés mères, Financière MSD et Merck & Co., pour avoir mis en œuvre au cours du premier semestre 2006 sur le marché français de la buprénorphine haut dosage commercialisée en ville deux pratiques d'abus de position dominante, consistant respectivement à dénigrer le générique d'Arrow et à octroyer aux pharmaciens d'officines des avantages financiers à caractère fidélisant, sans aucune contrepartie économiquement justifiée, dans le seul but de saturer leurs linéaires.
En outre, sur le même marché, l'Autorité de la concurrence a sanctionné les sociétés Schering-Plough, Financière MSD et Merck & Co. d'une part et Reckitt Benckiser Healthcare (UK) et Reckitt Benckiser plc d'autre part pour avoir conclu une entente anticoncurrentielle ayant pour objet de préparer la mise en œuvre des pratiques d'abus mentionnées ci-dessus.
Cette décision s'inscrit dans le prolongement d'une précédente décision du 11 décembre 2007 aux termes de laquelle l'Autorité a prononcé des mesures conservatoires à l'encontre de Schering-Plough, confirmées par la Cour d'appel de Paris le 5 février 2008 puis par la Cour de cassation le 13 janvier 2009.
Subutex(r) et sa générification
Subutex(r) est un médicament ayant pour substance active la buprénorphine haut dosage (BHD), qui permet le traitement de la dépendance aux opiacés et plus particulièrement à l'héroïne. Jusqu'en 2010, la commercialisation de ce médicament était assurée en France par Schering-Plough, aux termes d'un accord de licence conclu avec le détenteur du brevet, Reckitt Benckiser.
Le 31 janvier 2006, l'AFSSAPS a délivré une autorisation de mise sur le marché à Arrow Génériques pour la commercialisation d'un générique de Subutex(r) et l'a inscrit ensuite au répertoire des génériques. Il convient de rappeler que, dès lors qu'une spécialité générique est inscrite au répertoire, aucune disposition légale ou réglementaire n'empêche sa délivrance par substitution à la spécialité de référence, quand bien même elle ne présenterait pas toutes les indications de la spécialité de référence.
Le premier générique concurrent de Subutex(r) a été commercialisé par Arrow Génériques en mars 2006.
La pratique d'entente
Schering-Plough et Reckitt Benckiser ont conclu une entente dont l'objet était de préparer la mise en œuvre par Schering-Plough d'une stratégie de dénigrement du générique de Subutex(r) et de fidélisation des pharmaciens. Cette entente a pris place entre le 5 octobre 2005 et au moins le 9 décembre 2005, soit quelques mois avant l'entrée du générique d'Arrow.
L'entente entre Schering-Plough et Reckitt Benckiser a été qualifiée de particulièrement grave et a conduit l'Autorité de la concurrence à sanctionner les sociétés Schering-Plough, Financière MSD et Merck & Co., qui ne contestent pas les griefs, à hauteur de 414 000 euros et les sociétés Reckitt Benckiser Healthcare (UK) et Reckitt Benckiser plc à hauteur de 318 000 euros.
Les pratiques d'abus de position dominante
Schering-Plough a mis en œuvre deux pratiques d'abus, qui ont concouru à un même objectif général, consistant à entraver l'entrée sur le marché et le développement du générique d'Arrow.
En premier lieu, Schering-Plough a développé une communication globale et structurée à destination des pharmaciens et médecins visant à dénigrer le générique d'Arrow, entre le 15 février 2006 et fin mai 2006. Par ce discours, Schering-Plough visait à instiller auprès des professionnels de santé un doute sur la qualité et la sécurité de la Buprénorphine Arrow(r), sans se fonder sur le moindre fait vérifié, puisque rien ne permettait de considérer, de manière objective et documentée, que la Buprénorphine Arrow(r) était moins sûre que le princeps.
En influençant à la fois les médecins et les pharmaciens, Schering-Plough a fait obstacle à la concurrence, aux deux étapes clés de la substitution générique : au stade de la prescription, en renforçant significativement le nombre de mentions "non substituable", ce qui a conduit à limiter le taux de générification de Subutex(r) et au stade de la délivrance du médicament, en incitant les pharmaciens à ne pas substituer Subutex(r) lorsque l'ordonnance ne comportait pas la mention "non substituable".
En second lieu, Schering-Plough a recouru, entre janvier et fin juillet 2006, à des remises quantitatives visant, à l'instar des rabais de fidélité, à empêcher l'approvisionnement des pharmaciens auprès d'Arrow Génériques. Ces réductions octroyées aux pharmaciens ne se sont appuyées sur aucune contrepartie économiquement justifiée. Les effets restrictifs de ces remises ont été accentués par des pratiques de délais de paiement et d'escomptes pour paiement comptant. Cette saturation a été d'autant plus préjudiciable que le linéaire de l'officine et la place nécessairement limitée dédiée au stockage des médicaments en font une ressource rare.
Des pratiques d'abus qui ont freiné de façon substantielle le processus de substitution de Subutex(r)
En sus des déclarations et éléments matériels, plusieurs indices reposant sur des contrefactuels permettent d'estimer que les pratiques d'abus ont réduit artificiellement le taux de pénétration du générique et causé à ce titre un dommage à l'économie réel et important. Dans son arrêt du 5 février 2008, la Cour d'appel de Paris avait estimé que l'Autorité avait démontré dans sa décision de mesures conservatoires "l'atteinte immédiate à l'économie du secteur intéressé qui résultait des pratiques relevées, puis, en évaluant à 10 millions d'euros le montant de l'économie dont la sécurité sociale a été privée". La cour avait conclu que "la gravité de l'atteinte" justifiait le prononcé de mesures conservatoires.
Le marché de la BHD constitue un poste significatif de dépenses pour l'assurance maladie, qui rembourse en moyenne 77 millions d'euros par an pour cette molécule. La moindre pénétration du générique, résultant des pratiques d'abus, a donc eu nécessairement des effets substantiels pour les comptes publics.
Une procédure de non-contestation des griefs, accompagnée d'engagements substantiels, crédibles et vérifiables
Les sociétés Schering-Plough, Financière MSD et Merck & Co ont sollicité le bénéfice des dispositions du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce, relatif à la procédure de non-contestation des griefs. Elles se sont en particulier engagées à mettre en place de manière systématique, au moins 24 mois avant qu'un médicament princeps commercialisé par MSD France ne tombe dans le domaine public, un contrôle a priori de la stratégie commerciale qui sera mise en place par MSD France pour valoriser son médicament princeps vis-à-vis d'éventuels médicaments génériques, à organiser une formation spécifique des personnels commerciaux relative à l'interdiction du dénigrement des médicaments génériques du princeps commercialisé par MSD France et à insérer une section relative au respect de cette procédure spécifique dans le rapport sur le respect du programme de conformité. Cette procédure présente un réel intérêt pour le fonctionnement concurrentiel du secteur d'activité considéré. Dans ces conditions, afin de prendre en compte tant la renonciation à contester les griefs que les engagements proposés, les sanctions imposées à Schering-Plough ont été réduites de 20 %.
Des sanctions proportionnées à la gravité des faits, à l'importance du dommage à l'économie et à la situation de l'entreprise
Sur la base de l'ensemble de ces éléments, l'Autorité de la concurrence a considéré que Schering-Plough avait abusé de sa position dominante et enfreint notamment l'article L. 420-2 du Code de commerce.
Les deux pratiques d'abus de position dominante étant particulièrement graves et ayant engendré un dommage significatif à l'économie pendant une durée s'étendant au-delà de leur seule période de mise en œuvre, elles justifient la sanction, après réduction de 20 % au titre de la non-contestation des griefs, de 15,3 millions d'euros infligée à Schering-Plough ainsi que, à titre solidaire, à ses sociétés mères Financière MSD et Merck & Co."
DÉCISION
Article 1er : Il est établi que les sociétés Schering-Plough, Financière MSD et Merck & Co., ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce ainsi que celles de l'article 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, en mettant en œuvre une pratique de dénigrement de la buprénorphine haut dosage générique de la société Arrow Génériques et en octroyant aux pharmaciens d'officine des avantages financiers à caractère fidélisant sans aucune contrepartie économiquement justifiée sur le marché français de la buprénorphine haut dosage commercialisée en ville.
Article 2 : Il est établi que les sociétés Schering-Plough, Financière MSD et Merck & Co., d'une part, et Reckitt Benckiser Healthcare (UK) Ltd et Reckitt Benckiser plc, d'autre part, ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce et de l'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne en participant à une entente anticoncurrentielle.
Article 3 : Au titre des pratiques visées à l'article 1er, il est infligé solidairement à Schering-Plough, Financière MSD et Merck & Co. une sanction pécuniaire de 15 367 000 euros.
Article 4 : Sont infligées, au titre des pratiques visées à l'article 2, les sanctions pécuniaires suivantes :
- 414 000 euros à Merck & Co. ;
- 318 000 euros solidairement à Reckitt Benckiser Healthcare (UK) Ltd et Reckitt Benckiser plc.
Article 5 : Les personnes morales visées à l'article 1er feront publier à leurs frais le texte figurant au paragraphe 679 de la présente décision dans les journaux "Le Quotidien du Médecin" et "Le Quotidien du Pharmacien", en respectant la mise en forme. Cette publication interviendra dans un encadré en caractères noirs sur fond blanc de hauteur au moins égale à trois millimètres sous le titre suivant, en caractère gras de même taille : "Décision de l'Autorité de la concurrence n° 13-D-21 du 18 décembre 2013 relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché français de la buprénorphine haut dosage commercialisée en ville". Elle pourra être suivie de la mention selon laquelle la décision a fait l'objet de recours devant la Cour d'appel de Paris si de tels recours sont exercés. Les personnes morales concernées adresseront, sous pli recommandé, au bureau de la procédure, copie de cette publication, dès leur parution et au plus tard le 18 février 2014.
Notes :
1 http://www.ameli.fr/l-assurance-maladie/statistiques-et-publications/donnees-statistiques/medicament/medic-am-2004-2009.php
2 http://www.ameli.fr/ l-assurance-maladie/statistiques-et-publications/donnees-statistiques/medicament/medic-am-2008-2010.php pour les années 2010-2011