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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 18 décembre 2013, n° 12-00150

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie

Défendeur :

Galec (SC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cocchiello

Conseillers :

Mmes Luc, Nicoletis

Avocats :

Mes Olivier, Parleani

CA Paris n° 12-00150

18 décembre 2013

La société Groupement d'achat des centres distributeurs Leclerc (" le Galec ") intervient dans le cadre de la relation distributeur-fournisseurs en qualité de courtier mettant en relations offreurs et distributeurs et en qualité de mandataire procédant au début de chaque année au référencement des fournisseurs nationaux en signant pour le compte de ses coopérateurs un contrat-cadre annuel avec les fournisseurs. La société Galec a conclu en 2009 des contrats-cadre avec 2 750 fournisseurs. Une enquête a été menée par les services de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) sur 124 contrats signés en 2009 entre le Galec et 58 fournisseurs ce, afin d'apprécier les pratiques du Galec ; cette enquête a révélé, selon le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie que le contrat-cadre annuel mettait des obligations majoritairement à la charge du seul fournisseur créant un déséquilibre significatif dans les obligations à la charge des parties au détriment du fournisseur.

Par acte du 30 octobre 2009, le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie (le ministre) a assigné la société Galec devant le Tribunal de commerce de Créteil pour voir dire que les clauses du contrat-cadre 4.2 b, 4.2 c, 4.3 a, 4.3 b, 4.3 c de l'annexe III du contrat-cadre annuel contreviennent aux termes de l'article L. 442-6-I-2° du Code de commerce, en prononcer la nullité, enjoindre au Galec de cesser ces pratiques, prononcer contre le Galec une amende de 2 millions d'euros, de le condamner à lui payer une indemnité de 1 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et de supporter les entiers dépens.

Par jugement rendu le 13 décembre 2011, le Tribunal de commerce de Créteil a :

- dit valable l'assignation et a débouté la société coopérative groupements d'achats des centres Leclerc (Galec) de sa demande de nullité,

- dit irrecevable l'action du ministre et l'a débouté de l'ensemble de ses demandes,

- débouté le Galec de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive,

- débouté les parties de leurs demandes formées au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné le ministre aux dépens.

Le ministre a interjeté appel de cette décision le 4 janvier 2012.

Par conclusions signifiées le 22 octobre 2013 auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé plus ample des moyens, le ministre demande à la cour de :

- confirmer le jugement qui a déclaré son assignation régulière,

- réformer le jugement qui a déclaré son action irrecevable,

- dire son action recevable,

- évoquer,

- dire que le paragraphe 5 de l'article I du contrat-cadre annuel 2009 en ce qu'il exclut l'application des conditions générales de vente des fournisseurs à toute livraison de produits ou prestations de services du fournisseur au profit des conditions d'achat du Galec crée un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au détriment du fournisseur,

- dire que la distorsion en matière de délais de paiement entre la société Galec et ses fournisseurs qui résulte de la clause 4.3 a de l'annexe II (conditions d'achat) du contrat-cadre annuel 2009 crée un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au détriment des fournisseurs,

- dire que les clauses 4.2 b et 4.3 b de l'annexe II (conditions d'achat) du contrat-cadre annuel 2009 en ce qu'elles imposent des pénalités pour paiement avec retard des ristournes et des prestations de services, d'un montant manifestement excessif sans lien avec la réalité économique du préjudice qu'elles entendent prévenir, créent un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au détriment des fournisseurs,

- dire que les clauses 4.2 c et 4.3 c de l'annexe II (conditions d'achat) du contrat-cadre annuel 2009 en ce qu'elles excluent d'office les escomptes pour paiement anticipé des ristournes et prestations de services créent un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au détriment des fournisseurs,

- dire que la clause 1.4 d de l'annexe II (conditions d'achat) du contrat-cadre annuel 2009 en ce qu'elle met à la charge des fournisseurs les coûts inhérents à la destruction par les consommateurs des produits et/ou de leurs emballages, créent un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au détriment des fournisseurs,

- dire que les clauses susvisées contreviennent aux dispositions de l'article L. 442-6-I-2° du Code de commerce,

- enjoindre à la société Galec de cesser pour l'avenir la pratique consistant à mentionner ces clauses dans ses contrats commerciaux,

- confirmer le jugement du tribunal de commerce en ce qu'il a débouté la société Galec de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour procédure abusive,

- prononcer à l'encontre de la société Galec une amende de 2 millions d'euros,

- condamner la société Galec à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Galec aux dépens.

Par conclusions du 25 octobre 2013, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé des faits et moyens des parties, la société Galec demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action du ministre, subsidiairement,

- débouter le ministre de sa demande d'évocation et/ou de sa demande faite à la cour de trancher le fond du litige, encore plus subsidiairement,

- débouter le ministre de toutes ses demandes,

- dire le Galec recevable et bien fondé en son appel incident,

- condamner le ministre à lui payer la somme de 30 000 euros pour procédure abusive,

- condamner le ministre à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens qui seront recouvrés avec le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 5 novembre 2013.

SUR CE

1) Sur la recevabilité de l'action du ministre sans mise en cause des fournisseurs :

Considérant que, selon le Galec, la demande de nullité et la demande en cessation des pratiques pour l'avenir repose sur une fausse distinction : qu'en effet, c'est en raison de ce qu'elle est jugée illicite, donc nulle qu'une clause ne peut être réitérée pour l'avenir ; que cette fausse distinction ne peut justifier le défaut d'information des fournisseurs, alors que le Conseil constitutionnel a imposé cette information pour tout ce qui a un caractère contractuel, alors que l'action du ministre a un impact nécessaire sur le patrimoine des parties, sur leur situation contractuelle et sur leur liberté de contracter ;

Considérant que le ministre rappelle que son action s'inscrit dans le cadre de sa mission de protection générale de l'ordre public économique et qu'il s'agit d'une action autonome de protection et de fonctionnement du marché non soumise au consentement ou à la présence des fournisseurs dont la constitutionnalité a été affirmée et qui n'entache pas le procès d'inéquité ; qu'il souligne que l'article L. 420-6 [sic] du Code de commerce a clairement distingué les demandes qu'il peut faire, rappelle que c'est dans le respect de la décision du Conseil constitutionnel du 13 mai 2011 qu'il n'a pas informé les fournisseurs de son action puisque qu'il ne demande que la cessation des pratiques illicites et le prononcé d'une amende civile et que la demande de cessation des pratiques illicites n'équivaut pas à une demande de nullité des clauses litigieuses, que son objectif est d'empêcher la réitération de clauses signés en 2009 par le Galec et ses fournisseurs ;

Considérant que lorsque le ministre intervient en application de l'article L. 442-6 I 2° du Code de commerce devant l'autorité judiciaire, il exerce une action qui lui est propre dans le but de maintenir ou de rétablir l'ordre public économique ; que la seule constatation que des clauses insérées dans des contrats ayant été exécutés ou en cours sont illicites justifie que le ministre agisse, conformément à la loi qui lui en donne le pouvoir, aux seules fins d'en interdire la reprise pour l'avenir ; que le ministre n'intervient pas alors dans la sphère contractuelle ; qu'ainsi, sans qu'il puisse lui être reproché de contrevenir à la décision du Conseil constitutionnel, il n'a pas à informer les fournisseurs de l'action qu'il introduit ou poursuit après avoir abandonné certaines de ses prétentions ;

Considérant pour ces motifs que l'action du ministre doit être déclarée recevable ;

2) Sur les pouvoirs de la cour :

Considérant que les parties discutent du pouvoir de la cour de connaître le fond de l'affaire ; que selon le Galec, les conditions de l'évocation précisées par l'article 568 Code de procédure civile ne sont pas réunies et par ailleurs, les conditions de l'effet dévolutif de l'appel selon les termes des articles 561 et 562 du Code de procédure civile ne sont pas plus respectées, alors que le tribunal n'a pas statué sur le tout et que la cour ne connaît que des seuls chefs du jugement critiqués par l'appel ; que le ministre oppose au Galec le pouvoir de la cour d'évoquer et subsidiairement l'effet dévolutif de l'appel ;

Considérant que la décision prononcée par le tribunal ne relève pas de celles qui autorisent la cour à exercer son pouvoir d'évocation, qu'en déclarant l'action du ministre irrecevable faute d'avoir informé les fournisseurs de son action, le tribunal ne s'est prononcé ni sur une exception d'incompétence ni sur une exception de procédure ;

Considérant que la dévolution par l'appel emporte soumission à la cour d'appel de la chose jugée en première instance et que la cour ne connaît que des chefs du jugement que l'appel critique expressément ou implicitement et de ceux qui en dépendent ; que lorsqu'elle est saisie dans les termes mêmes où le litige se présentait en première instance, la cour est investie de l'entière connaissance du litige et doit alors vider l'ensemble du litige ; qu'en l'espèce, la cour doit statuer sur la recevabilité de l'action du ministre et sur ses conséquences ;

3) Sur le fond :

a) Sur la soumission :

Considérant que le Galec reproche au ministre de ne pas avoir fondé son action sur la contrainte qui est, aux termes de l'article L. 442-6-I-2° du Code de commerce, l'un des deux éléments cumulatifs pour l'exercice de son action et de ne pas en avoir rapporté la preuve in concreto, que la seule signature du contrat qu'il estime "déséquilibré" est insuffisante pour l'établir ; que le ministre fait état du déséquilibre structurel du marché de la distribution ; qu'il estime ne pas avoir à prouver que le Galec détient "une puissance certaine" sur les fournisseurs et sur le marché de la grande distribution pour demander une sanction et qu'un rapport de force économique déséquilibré entre les parties dont il se déduit la soumission du partenaire suffit pour établir la soumission ou la tentative de soumission ;

Considérant que la soumission se traduit par l'insertion de ces clauses dans les contrats dès lors, comme il est vu plus loin, qu'il n'y a pas de pouvoir réel de négociation pour les fournisseurs ;

Considérant au surplus, qu'en 2009, le Galec détenait 16,9 % des parts du marché de la distribution ; que des fournisseurs du Galec (dont seuls 3 % étaient des grands groupes, Nestlé, Foods International, Général Mills, Adidas, Mars, Mac Cain Alimentation et Lactalis) ne pouvaient se permettre de cesser leurs relations commerciales avec le Galec ou d'être déréférencés de sorte qu'il en résultait nécessairement une soumission de leur part aux exigences du Galec lors de la conclusion des contrats ;

b) Sur le déséquilibre significatif opéré par les clauses :

Considérant qu'il sera remarqué préalablement :

- que référence à l'annexe III et non à l'annexe II pour certaines clauses doit être faite,

- que les dispositions de l'article 954, alinéa 2, du Code de procédure civile sont applicables à la présente procédure, de sorte que la prétention concernant les seules clauses pénales insérées dans les articles 4.2 b et 4.3 b de l'annexe III sera examinée ;

- conditions générales de vente du fournisseur (CGV) et conditions générales d'achat du Galec (CGA) (article I paragraphe 5 du contrat-cadre) :

Considérant selon le ministre, que c'est l'éviction et non l'inadéquation des CGV au profit des CGA qui est répréhensible, dans la mesure où elle conduit le fournisseur à renoncer à ses CGV, que les CGA du Galec sont appliquées indifféremment à tous les fournisseurs, qu'elles suivent un contrat-type qui n'est jamais modifié et négocié, que le contrat-cadre annuel impose la primauté des CGA sur les CGV et si les CGV comportent souvent une clause selon laquelle elles prévalent sur les CGA, il apparait que seules les CGA sont annexées au contrat et que les CGV ne sont pas paraphées ou signées par le Galec ;

Considérant que le Galec expose pour trente-deux des cinquante-huit fournisseurs répertoriés par le ministre, les CVG prévalent sur les CGA du distributeur et qu'il suffit que le Galec les connaisse pour qu'elles lui soient opposables, qu'il rappelle que les conditions commerciales font l'objet d'une négociation spécifique avec chaque fournisseur et que le déséquilibre significatif doit être apprécié par comparaison du contenu des droits et obligations de chacune des parties et notamment au regard des CGV du fournisseur ;

Considérant que l'article I 5 du contrat-cadre précise : "Le fournisseur accepte les termes des conditions d'achat annexées au présent contrat. Ces conditions seront applicables à toutes livraison de produits ou toutes prestations de services du fournisseur dès l'entrée en vigueur du présent contrat-cadre." ;

Considérant que l'annexe III du contrat-cadre annuel signé avec les fournisseurs précise en préambule : " Les présentes conditions d'achat régissent aussi bien les relations entre le Galec et le fournisseur que les relations entre ce dernier et chaque point d'achat du réseau E.Leclerc (centrale et/ou leurs coopérateurs....) pour l'application du contrat annuel Galec. En particulier, elles se substituent aux conditions générales de vente du fournisseur lorsque les dispositions de ces conditions d'achat, contradictoires avec les termes des conditions générales de vente du fournisseur, sont dument acceptées par le fournisseur." ;

Considérant que selon les dispositions des contrats-cadres ci-dessus rappelées, les relations entre le Galec et ses fournisseurs sont établies à partir de l'offre du distributeur et non, comme le détermine l'article L. 441-6 du Code de commerce, à partir de l'offre du fournisseur ;

Considérant que les contrats-cadres versés aux débats contiennent tous la clause de l'article I 5 et comportent tous les CGA paraphées du fournisseur en annexe III ;

Considérant que la clause de l'article I 5 et l'annexe III se trouvent dans tous les contrats-cadres quel que soit le domaine d'intervention du fournisseur, qu'il propose des produits à la vente ou des prestations de services, quels que soient sa structure, son poids ;

Considérant que certes les CGV de plusieurs fournisseurs précisent qu'elles-mêmes prévalent sur les CGA du Galec : que l'intimé n'explique cependant pas comment leur seule connaissance les lui rendrait opposables et ne précise surtout pas ce qu'il résulte de la confrontation des conditions générales d'achat et de vente, alors que les contrats versés aux débats par le ministre ne comportent en annexe que les conditions générales d'achat du Galec paraphées par les fournisseurs, en l'espèce les sociétés Mac Cain, Lactalis et Campbell France ; que les observations que le Galec indique pouvoir être faites ne concernent pas, selon la liste des observations versées aux débats, des conditions générales d'achat ;

Considérant que les CGA sont établies à partir d'un modèle-type retrouvé dans les contrats soumis aux débats ; que si leur négociation est invoquée par le Galec, il n'en est absolument pas justifié ;

Considérant qu'il apparaît ici que ces différents éléments, l'intangibilité des CGA, leur systématisation excluant toute négociation véritable, outre l'inversement de la situation de négociation voulue par le législateur dans l'article L 441-6 du Code de commerce établissent un déséquilibre significatif dans les obligations des parties, au détriment du fournisseur ;

- Clauses relatives aux conditions de règlement :

* les délais (annexe III 4.3 a) :

Considérant que l'article 4.3 a de l'annexe III précise : " Toute facture de prestations de services propres à favoriser la commercialisation des produits devra être réglée dans les 30 jours suivant la date d'envoi de la facture, cachet de la poste faisant foi. " ; que le paiement des marchandises aux fournisseurs a lieu à 30, 45, 50 ou 60 jours ;

Considérant que selon le ministre, les délais de paiement sont régis par les dispositions de l'article L. 441-6 du Code de commerce et concernent indifféremment les marchandises ou les prestations de services ; qu'il existe une distorsion entre les délais accordés au Galec pour payer les marchandises et les délais accordés aux fournisseurs pour payer les prestations de services, créant au détriment du fournisseur un solde commercial, dans la mesure où il fait en définitive crédit au distributeur au préjudice de sa propre trésorerie ; que par sa présence dans les contrats, peu important d'ailleurs qu'en 2009 le Galec ne soit ni débiteur ni créancier des obligations prévues dans le contrat, cette clause de délai qui ne prévoit aucune réciprocité s'impose aux fournisseurs ;

Considérant que le Galec soutient que l'étude des contrats ne permet de relever aucune soumission des fournisseurs aux conditions du Galec, que ces fournisseurs appliquent les délais de paiement de leur CGV dans leurs relations avec le Galec et que rien ne leur interdit de caler le délai de paiement des marchandises sur le paiement des prestations de services, que les délais de paiement ne peuvent être appréciés en les isolant du reste de la négociation commerciale et qu'il ne peut être fait de comparaison entre des délais de paiement concernant des opérations qui ne sont pas de même nature, et tout particulièrement des services non rendus par le Galec mais par les Centres distributeurs E. Leclerc aux fournisseurs ; qu'enfin, le Galec critique les schémas établis par le ministre qu'il estime résulter de choix arbitraires et ne pouvoir s'appliquer au débat ;

Mais considérant que si le Galec n'exécute pas lui-même les prestations commerciales, il n'en demeure pas moins qu'il perçoit les rémunérations auxquelles elles donnent lieu ; que s'il soutient, en versant les CGV des fournisseurs aux débats que ce sont les délais prévus dans ces dernières qui sont appliqués pour le paiement des marchandises, il n'en justifie toutefois nullement ; que le déséquilibre significatif au détriment du fournisseur résulte en l'espèce du caractère systématique de la clause de délai de trente jours, de l'absence de toute négociation, de l'écart créé dans les délais de paiement accordés aux parties hormis les quelques hypothèses où le Galec paye des produits à trente jours ; qu'enfin, le Galec n'offre pas de justifier que d'autres clauses du contrat permettent de rééquilibrer les obligations des parties ;

* les escomptes (annexe III (et non II) 4.2 c et 4.3 c) :

Considérant que ces clauses précisent que le Galec ne fait pas d'escompte pour le paiement anticipé des ristournes et des prestations de services ;

Considérant que le ministre fait valoir que le Galec qui ne fait pas d'escompte pour les paiements anticipés des ristournes et prestations de services peut dans le même temps obtenir par la négociation commerciale des escomptes de ses fournisseurs ; qu'il s'agit d'un déséquilibre significatif " flagrant" ;

Considérant que le Galec expose que rien ne permet de soutenir qu'il impose à ses fournisseur un escompte que lui-même leur refuse ; qu'il ajoute que l'escompte ne peut être apprécié isolément ;

Considérant que certains contrats signés par le Galec avec les fournisseurs précisent l'existence d'un escompte en faveur du Galec sans réciprocité, peu important à cet égard ce qu'indiquent les conditions générales de ventes des fournisseurs qui ne sont pas appliquées dans la relation distributeur-fournisseur ; que par ailleurs, le paiement des prestations de services est soumis à des conditions de délais de trente jours et que le retard dans le paiement est sanctionné comme il sera dit plus loin, par une clause pénale critiquable ; que dans ces circonstances, dans l'appréciation des conditions dans lesquelles doivent être payées les prestations de services et des ristournes, il apparaît que l'absence d'escompte pour le paiement "anticipé" de celles-ci crée un déséquilibre significatif au détriment du fournisseur que le ministre critique avec juste raison ;

- clause relative au retour des produits dégradés par la clientèle (annexe III 1.4 d) :

Considérant que la clause 1.4 d de l'annexe III précise : " Dans le cas où le fournisseur proposerait des produits contenant par exemple des primes ou des offres promotionnelles détachables ou découpables, il garantit au Galec, aux centrales et aux magasins, qu'il s'est assuré que le mécanisme les assemblant n'entraînera pas la destruction par le consommateur de l'emballage et/ou du produit dans les points de vente. Si tel n'est pas le cas, les frais et coûts liés à la reprise ou à la destruction de ces produits seront à la charge du fournisseur." ;

Considérant que le ministre expose que les offres promotionnelles sont des atouts commerciaux qui profitent aux fournisseurs et au distributeur, que toutefois, le Galec ne peut, en invoquant un "vice caché", imposer au fournisseur, en cas de détérioration du produit par le consommateur, le coût qui en résulte ; qu'il appartient au Galec, propriétaire de la marchandise qu'il a acceptée et reconnue conforme et qui en a la garde, d'assumer les risques normaux de son métier de commerçant ;

Considérant que le Galec estime que le transfert de propriété de la marchandise à son profit n'empêche pas le fournisseur de garantir la chose qu'il vend (article 1603 du Code civil), et de répondre de la mauvaise qualité de la chose (article 1647 du Code civil), de son usage normal, que cette clause n'entraîne pas de transfert des risques, qu'elle précise que seule reste à la charge du fournisseur la "destruction du produit et de son emballage, qui résulte de la manipulation du bon promotionnel détachable ou découpable, inséré par le fournisseur dans l'emballage de son produit." ;

Considérant que la clause critiquée a pour objet de garantir le distributeur contre toute détérioration par les clients du magasin des produits faisant l'objet d'une promotion ; que le fournisseur qui a l'obligation de s'assurer que "le mécanisme assemblant (les primes ou offres promotionnelles détachables ou découpables) n'entraînera pas la destruction par le consommateur de l'emballage et/ou du produit dans les points de vente" se soumet ainsi à une obligation de résultat alors qu'il ne maîtrise pas totalement les moyens pour lui permettre de l'exécuter ; que comme le remarque le ministre, la commercialisation du produit en promotion, le choix de l'emplacement, la mise en rayon du produit, la surveillance de la clientèle échappent au fournisseur ; que dès lors, cette obligation ne saurait relever de la garantie de vices cachés, inexistants, ou de l'obligation de répondre de la mauvaise qualité, non établie, de la chose, alors que c'est l'action de la clientèle qui rend la marchandise acceptée par le distributeur inapte à l'usage prévu ; que la clause 1.4 d opère un véritable transfert des risques inhérents à la mise en vente du produit dont le distributeur doit assumer la charge ; qu'il en résulte un déséquilibre significatif dans les obligations des parties au détriment du fournisseur ;

- la présence de pénalités (annexe III articles 4.2 b et 4.3 b) :

Considérant que ces clauses concernent le paiement des ristournes et des prestations de services par le fournisseur ; qu'elles précisent : " Toute somme non payée à son échéance donnera lieu au paiement d'une indemnité de retard, le taux applicable étant de trois fois le taux d'intérêt légal. Les intérêts de retard courent du jour de l'échéance jusqu'au paiement complet de la facture. Indépendamment de cette pénalité légale, le fournisseur encourra une pénalité de 160 euros par facture de prestation de services réglée au-delà de sa date d'échéance, au titre des frais de traitement des retards de paiement engendrés pour les points d'achat" ;

Considérant que le ministre relève la présence de nombreuses pénalités sanctionnant les seuls manquements des fournisseurs, qui ne tiennent pas compte de la réalité économique et de la situation posée, qui peuvent rentrer dans le champ d'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce et dont la présence crée la tentative de soumission que la loi réprime, peu important la mise en œuvre effective de la clause et peu important comme le fait valoir le Galec que les pénalités soient facturées par le Galec lui-même ou par les centrales régionales ; qu'il estime pouvoir comparer les pénalités encourues en cas de manquements des fournisseurs "en terme de logistique, approvisionnement et information à l'absence de pénalités inhérentes aux obligations du distributeur en matière de prestation de services" ; que les clauses de pénalités pour retard de paiement prévoient à la fois une pénalité forfaitaire et des intérêts de retard sans lien avec la réalité du préjudice effectivement subi ;

Considérant que le Galec expose que l'article 1152 du Code civil prévaut sur l'article L. 442-6 I-2° du Code de commerce qui n'a pas vocation à s'appliquer à la clause pénale, que c'est sur le fondement de l'article du Code civil que doit être appréciée la proportionnalité de la peine contractuelle et qu'il est de l'essence même de la clause pénale d'être déséquilibrée ; que le ministre ne peut comparer les obligations des parties pour l'une d'approvisionner et pour l'autre d'exécuter les services commerciaux rémunérés par le fournisseur, et la sanction de leur inexécution ; que lui-même subit la pression des fournisseurs qui lui imposent dans les CGV des clauses qui leur sont essentiellement favorables ;

Considérant que la clause pénale a pour objet de sanctionner l'inexécution des obligations contractuelles des parties ; que, pour être efficace, elle doit être d'un montant supérieur au préjudice éprouvé par le créancier de l'obligation ; qu'ainsi, le ministre ne peut justement critiquer le montant de la pénalité "déconnecté de toute réalité économique", que la pénalité soit composée d'un élément forfaitaire (160 euros par défaillance) et d'un élément variable (intérêt de trois fois le taux légal) ; que le recours au pouvoir modérateur du juge reste possible si la clause pénale présente un caractère manifestement excessif ;

Considérant par ailleurs que l'approvisionnement en marchandises réalisé par le fournisseur donne lieu à un nombre important d'obligations à la charge de celui-ci ; que l'inexécution de certaines peut avoir des conséquences pénales pour le distributeur (défaut de transmission d'information sur les produits figurant sur le prospectus) ou encore des interférences avec la logistique, le stockage, la détermination des prix de revente (non-conformité du code barre, envoi tardif ou non-conformité des bons de livraison correspondant à la commande, modification de l'unité d'expédition, retards dans la livraison, non-conformité des factures du fournisseur, non-conformité du tarif, retard dans la déclaration du chiffre d'affaires) ; que la stipulation de nombreuses clauses pénales destinées à assurer la bonne exécution de l'approvisionnement ne peut pas être critiquée ;

Considérant toutefois que dans la relation distributeur-fournisseur, la réciprocité de la sanction de de l'inexécution des obligations des parties est absente : que contrairement à ce que soutient le Galec et comme il a été remarqué plus haut, les conditions générales de vente du fournisseur qui mettent à la charge du distributeur des pénalités ne sont pas appliquées dans la relation distributeur-fournisseur ; qu'en outre, il n'existe à la charge du distributeur aucune pénalité pour ses manquements dans l'exécution des obligations nées des contrats de "coopération commerciale" alors que ces manquements peuvent être dommageables tout autant pour le fournisseur qui, doit-on le rappeler, paye les prestations dans des conditions de délais critiquées - paiement parfois anticipé et à trente jours -, qui ne bénéficie pas d'escompte en cas de paiement anticipé et qui ne peut, contrairement à ce que soutient le Galec, user de l'exception d'inexécution pour ne pas les régler ; qu'il en est de même pour le retard dans le paiement des ristournes, pour lequel aucun escompte n'est admis par le Galec en cas de paiement anticipé ; que l'article L. 442-6 I 2° du Code de commerce a vocation à être appliqué pour ces stipulations de pénalités qui créent un déséquilibre significatif au détriment du fournisseur, peu important que les clauses soient ou non appliquées, liquidées par le Galec ou par les centrales régionales ;

Sur la cessation des pratiques pour l'avenir :

Considérant que l'interdiction de la mise en œuvre pour l'avenir des clauses mentionnées doit être prononcée ;

Sur l'amende civile :

Considérant que l'importance et le nombre de clauses créant un déséquilibre significatif au détriment du fournisseur dans la relation distributeur-fournisseur justifie le prononcé d'une amende civile de 500 000 euros ;

Sur les dommages-intérêts pour procédure abusive demandés par le Galec :

Considérant que la présente décision conduit au rejet d'une telle demande.

Par ces motifs : LA COUR : Infirme le jugement critiqué, Déclare recevable l'action du ministre, Dit que le paragraphe 5 de l'article I du contrat-cadre annuel 2009 en ce qu'il exclut l'application des conditions générales de vente des fournisseurs à toute livraison de produits ou prestations de services du fournisseur au profit des conditions d'achat du Galec crée un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au détriment du fournisseur, Dit que la distorsion en matière de délais de paiement entre la société Galec et ses fournisseurs qui résulte de la clause 4.3 a de l'annexe III (conditions d'achat) du contrat-cadre annuel 2009 crée un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au détriment des fournisseurs, Dit que les clauses 4.2 b et 4.3 b de l'annexe III (conditions d'achat) du contrat-cadre annuel 2009 en ce qu'elles imposent des pénalités pour paiement avec retard des ristournes et des prestations de services créent un déséquilibre significatif au détriment des fournisseurs, Dit que les clauses 4.2 c et 4.3 c de l'annexe III (conditions d'achat) du contrat-cadre annuel 2009 en ce qu'elles excluent d'office les escomptes pour paiement anticipé des ristournes et prestations de services créent un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au détriment des fournisseurs, Dit que la clause 1.4 d de l'annexe III (conditions d'achat) du contrat-cadre annuel 2009 en ce qu'elle met à la charge des fournisseurs les coûts inhérents à la destruction par les consommateurs des produits et/ou de leurs emballages, créent un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au détriment des fournisseurs, Dit que les clauses susvisées contreviennent aux dispositions de l'article L. 442-6-1-2° du Code de commerce, Enjoint à la société Galec de cesser pour l'avenir la pratique consistant à mentionner ces clauses dans ses contrats commerciaux, Déboute la société Galec de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour procédure abusive, Prononce à l'encontre de la société Galec une amende de 500 000 euros, Condamne la société Galec à verser au ministre de l'Economie, et des Finances la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les entiers dépens, Condamne la société Galec aux dépens.