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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 17 décembre 2013, n° 13-13637

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Gap Industrie Cornitte SAS

Défendeur :

Konstriktiewerkuisen Stas NV (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Girerd

Conseillers :

Mmes Maunand, Bouvier

Avocats :

Mes Yver, Bourgeon, Bernabe, Saint-Jevin

T. com. Bordeaux, du 7 juin 2013

7 juin 2013

La société Gap Industrie Cornitte SAS (Gap Industrie), société de droit français, assure la distribution en France, depuis 1994, des remorques fabriquées en Belgique par la société Konstriktiewerkuisen Stas NV (STAS), société de droit belge.

Le 19 juillet 2007, une convention de concession de vente a été signée entre les parties.

Fin 2010, la société Stas a proposé des modifications territoriales refusées par la société Gap Industrie qui reproche à sa partenaire d'utiliser des procédés commerciaux déloyaux.

Le 30 mars 2011, la société Stas a résilié le contrat de concession.

Par acte du 21 décembre 2011, la société Gap Industrie a assigné la société Konstriktiewerkuisen Stas NV devant le Tribunal de commerce de Bordeaux, sur le fondement de l'article L. 442-6-I-5 du Code de commerce en indemnisation de la rupture brutale de la relation commerciale établie entre les parties.

La société Stas, défenderesse à l'action, a soulevé "in limine litis" l'incompétence des juridictions françaises au profit des juridictions de Courtrai (Belgique) désignées par la clause attributive de compétence.

Par jugement du 7 juin 2013, le Tribunal de commerce de Bordeaux, se fondant sur l'article 23 du règlement CE 44-2001 du Conseil n° 44-2001, du 22 décembre 2000, et la clause attributive de compétence prévue à l'article 18 de la convention de partenariat conclue entre les parties, a dit recevable l'exception soulevée, s'est déclaré incompétent, a renvoyé les parties à mieux se pourvoir et dit n'y avoir lieu de se prononcer sur le droit applicable.

La société Gap Industrie a formé contredit le 20 juin 2013.

Elle demande à la cour "d'infirmer" le jugement en ce qu'il se déclare incompétent, de dire que le tribunal de commerce était compétent pour connaître de ses demandes formées sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6-I-5°) du Code du commerce, et en application de l'article D. 442-3 du même code, d'évoquer le litige conformément à l'article 89 du Code de procédure civile, de condamner à la société Stas à lui verser la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux "dépens de l'instance".

Elle fait valoir qu'elle a assigné la société Stas sur le fondement de l'article L. 442-6-I-5°) du Code du commerce, aux fins de voir sanctionner une rupture brutale de la relation commerciale et indemniser les pertes subies de ce fait, qu'une telle faute engage la responsabilité délictuelle de l'auteur qui ne rentre pas dans le champ d'attribution des clauses d'attribution de compétence contractuelle.

Elle soutient qu'en application de l'article 5 § 3 du règlement CE 44-2001 du 22 décembre 2000 dit "Bruxelles I", le tribunal compétent pour connaître d'une demande en responsabilité délictuelle est le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire, en l'espèce le lieu où se situe son siège social où la rupture a été subie ; qu'en application de l'article D. 442-3 du Code du commerce, la juridiction commerciale compétente pour la Cour d'appel de Limoges est le Tribunal de commerce de Bordeaux. Elle soutient qu'est inapplicable la clause attributive de compétence prévue à l'article 18 du contrat, l'unique texte visé par l'assignation étant l'article L. 442-6-1-5°) du Code du commerce, qui instaure, à l'exclusion de toute disposition contractuelle, un régime de responsabilité délictuelle à l'égard de l'auteur d'une rupture de relation commerciale ; qu'au demeurant son action n'est pas fondée sur l'application du dernier contrat ayant encadré la relation commerciale entre les parties qui n'entrait plus dans le cadre du contrat de "concession de vente " du 19 juillet 2007.

Par conclusions déposées le 22 octobre 2013 et soutenues oralement à l'audience, la société Konstriktiewerkuisen Stas NV demande à la cour de "confirmer", au visa des articles 48 du Code de procédure civile et 23 du règlement CE 44-2001, le jugement en ce qu'il a retenu l'incompétence du Tribunal de commerce de Bordeaux au profit des juridictions belges désignées par la clause attributive de compétence, de condamner la société Gap Industrie au paiement de la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers "dépens". A titre infiniment subsidiaire, vu les articles 16 et 89 du même code, elle demande à la cour d'ordonner la réouverture des débats afin de permettre aux parties de conclure au fond.

Elle soutient que la clause attributive de compétence dont elle se prévaut est spécifiée de façon très apparente dans la convention du 19 juillet 2007, que les parties l'ont acceptée en connaissance de cause, le contrat étant lisible et explicite, qu'il est de jurisprudence constante que la clause attributive de compétence doit être appliquée, alors même que, sur le fond du litige, des dispositions constitutives de lois de police françaises pourraient être appliquées. Elle soutient que, nonobstant le caractère délictuel de l'action, qu'elle ne conteste pas au demeurant, celle-ci doit obéir à la clause attributive par laquelle les parties ont clairement entendu régir leur relation commerciale en cas de litige. Elle fait valoir que la jurisprudence citée par la partie adverse a été rendue au visa des dispositions de l'article 5 du règlement attributives de compétence en matière délictuelle, en l'absence de certitude d'une clause attributive de compétence acceptée par les parties, mais que les règles de l'article 5 sont applicables de façon générale, les dispositions spécifiques de l'article 23 de la section 7 " Prorogation de compétence" primant et s'appliquant en l'espèce.

Sur ce, LA COUR

Considérant que l'article 5, section 2 "Compétences spéciales " du Règlement (CE) n° 44-2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dispose notamment que :

" Une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat membre peut être attraite, dans un autre Etat membre :

1) a) en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée ;

[...]

3) en matière délictuelle, ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire ;

[...]" ;

Considérant que l'article 23, section 7 "Prolongation de compétence " du même Règlement prévoit notamment :

" 1. Si les parties, dont l'une au moins a son domicile sur le territoire d'un Etat membre, sont convenues d'un tribunal d'un Etat membre pour connaître des différends ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet Etat membre sont compétents.

Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties. [...] " ;

Considérant en l'espèce que la société Gap Industrie et la société Stas ont entendu formaliser la relation commerciale initiée entre elles en 1994 en concluant le 19 juillet 2007, au siège de la société Stas, un contrat de "concession de vente", portant sur les semi-remorques bennes fabriquées en Belgique par cette dernière, convention paraphée et signée par les parties, conclue pour un an et renouvelable annuellement par tacite reconduction ;

Considérant que l'article 17 de ce contrat précise que : "le contrat et les annexes présentent la convention entière entre les parties, concernant son objet et remplacent toute autre négociation ou convention préalable. Sauf dérogation explicite, la convention et les annexes ne pourront être modifiées ou amendées que par une convention écrite, signée par les représentants dûment mandatés par les deux parties" ;

Que la cour constate qu'aucune convention écrite ne s'est substituée à celle conclue le 19 juillet 2007, résiliée par la société Stas par lettre recommandée avec avis de réception en date du 30 mars 2011 à effet au 19 juillet 2012 ;

Que la société Gap Industrie a saisi le 21 décembre 2011 la juridiction commerciale de Bordeaux sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, arguant d'une rupture brutale, partielle, de la relation commerciale à effet de janvier 2011 et de la rupture sans préavis suffisant de la relation commerciale, à effet au 19 juillet 2012, par dénonciation du contrat de concession ;

Qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que la convention intervenue le 19 juillet 2007 régit la relation contractuelle liant les deux sociétés et constitue dès lors la loi des parties ;

Considérant que le contrat de concession de vente conclu entre les parties prévoit en un article 18, intitulé "Droit applicable et tribunal compètent" la clause attributive de compétence suivante :

"18.1 Les parties conviennent explicitement que la présente convention sera réglée par, et interprétée selon le doit belge, nonobstant toute clause légale contraire.

18.2 Les tribunaux de Courtrai auront une compétence exclusive concernant tout litige entre parties qui résulterait des présentes. " ;

Considérant que cette clause, claire et précise, figure sur la dernière page de la concession de vente du 19 juillet 2007, signée par les deux sociétés et revêtue de leur cachet ;

Que cette clause, qui attribue compétence aux juridictions belges pour tout litige entre parties qui découlerait des relations contractuelles formalisées par le contrat de concession de vente, est suffisamment large et compréhensible pour s'appliquer à ceux découlant de faits de rupture brutale des relations commerciales établies entre les parties, invoquée par la société Gap Industrie, peu important à cet égard la nature délictuelle, non contestée en l'espèce, de la responsabilité alléguée sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce et le caractère d'ordre public en droit français de ces dispositions ;

Qu'il résulte de ces constatations et énonciations que la clause attributive de compétence, dont l'existence et le contenu ne sont pas contestés par les parties, a vocation à s'appliquer, en application de l'article 23 du Règlement (CE) n° 44-2001 du Conseil du 22 décembre 2000, à l'action en indemnisation du préjudice découlant, selon la société Gap Industrie, de la rupture brutale par la société Stas des relations commerciales les liant ;

Considérant que les tribunaux de Belgique, sont en conséquence exclusivement compétents pour connaître de cette instance, peu important au demeurant le droit applicable audit litige ;

Considérant que dès lors, il y a lieu de déclarer le contredit mal fondé et de renvoyer les parties devant les juridictions belges ;

Considérant que l'équité commande de faire droit à la demande de la société Stas présentée sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et de condamner la société Gap Industrie à lui verser de ce chef la somme visée au dispositif de la présente décision ; qu'eu égard aux circonstances de l'affaire, chacune des parties conservera la charge de ses dépens ;

Considérant que la demanderesse, succombant, supportera les frais du contredit et ne saurait prétendre à des frais irrépétibles ;

Par ces motifs : Déclare le contredit mal fondé, Renvoie les parties à mieux se pourvoir, Condamne la société Gap Industrie Cornitte SAS à payer à la société Konstriktiewerkuisen Stas NV la somme de 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Gap Industrie Cornitte SAS aux frais du contredit.