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Décisions

CE, sect. du contentieux, 23 décembre 2013, n° 363702

CONSEIL D'ÉTAT

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Métropole Télévision (Sté), TF1 (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Sauvé

Rapporteur :

M. Odinet

Rapporteur public :

M. Daumas

Avocats :

SCP Lyon-Caen, Thiriez, SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard, SCP Piwnica, Molinié

CE n° 363702

23 décembre 2013

LE CONSEIL : - Vu, 1°, sous le n° 363702, la requête, enregistrée le 5 novembre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la société Métropole Télévision (M6), dont le siège est 89, avenue Charles de Gaulle à Neuilly-sur-Seine Cedex (92575), représentée par ses représentants légaux ; la société M6 demande au Conseil d'Etat : 1) d'annuler pour excès de pouvoir la décision n° 12-DCC-101 du 23 juillet 2012 de l'Autorité de la concurrence relative à la prise de contrôle exclusif des sociétés Direct 8, Direct Star, Direct Productions, Direct Digital et Bolloré Intermédia par les sociétés Vivendi Universal et Groupe Canal Plus ; 2) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative ; elle soutient que la décision attaquée est entachée d'un vice de procédure dès lors que l'Autorité de la concurrence, qui avait consulté les tiers sur les deux premières propositions d'engagements des parties, ne les a pas consultés sur la dernière proposition ; que l'Autorité de la concurrence a commis une erreur de qualification juridique en estimant que l'opération notifiée donnait à la société Groupe Canal Plus un contrôle exclusif sur les sociétés Direct 8 et Direct Star alors qu'elle donnait aux groupes Canal Plus et Bolloré un contrôle conjoint sur ces sociétés ; que l'Autorité de la concurrence a commis une erreur de qualification juridique et une erreur de droit en estimant que l'opération notifiée ne créait pas d'effet anticoncurrentiel vertical sur le marché de la publicité télévisée ; que l'Autorité de la concurrence a commis une erreur de qualification juridique en estimant que l'opération notifiée ne produirait pas d'effets anticoncurrentiels propres résultant de l'effet de spirale d'audience ; que l'Autorité de la concurrence aurait commis une erreur de droit en n'adoptant pas des mesures permettant de supprimer totalement l'effet de levier identifié sur les marchés de droits de diffusion en clair de films et séries ; que les engagements acceptés par l'Autorité de la concurrence sont insuffisants pour prévenir les effets anticoncurrentiels résultant du verrouillage des marchés de droits de diffusion de films américains inédits en clair et de séries américaines récentes ; que les engagements acceptés par l'Autorité de la concurrence sont insuffisants pour prévenir les effets anticoncurrentiels résultant du verrouillage du marché des droits de diffusion de films EOF inédits en clair ; que les engagements sont insuffisants pour prévenir les effets anticoncurrentiels résultant du verrouillage de l'accès au marché des droits de diffusion de films de catalogue ; que les engagements sont insuffisants pour prévenir les effets anticoncurrentiels résultant du verrouillage du marché des droits de diffusion des événements sportifs d'importance majeure et des marchés des droits de diffusion des autres événements sportifs ;

Vu la décision attaquée ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 12 février 2013, présenté pour l'Autorité de la concurrence, qui conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la société M6 au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative ; elle soutient que la circonstance qu'elle ait procédé à une consultation des tiers sur les versions initiales des engagements ne lui imposait pas de procéder à une telle consultation sur les versions ultérieures ; qu'elle n'a pas commis d'erreur de qualification juridique en estimant que l'opération notifiée donnait à la société Groupe Canal Plus un contrôle exclusif sur les sociétés Direct 8 et Direct Star ; qu'elle n'a commis ni erreur de qualification juridique ni erreur de droit en estimant que l'opération notifiée ne créait pas d'effet anticoncurrentiel sur le marché de la publicité télévisée ; qu'elle n'a pas commis d'erreur de qualification juridique en estimant que l'opération notifiée ne produirait pas d'effets anticoncurrentiels propres résultant de l'effet de spirale d'audience ; qu'elle n'a pas commis d'erreur de droit en acceptant des engagements ne supprimant pas totalement l'effet de levier identifié sur les marchés de droits de diffusion en clair de films et séries dès lors que les engagements limitant cet effet de levier permettent d'assurer le maintien d'une concurrence suffisante ; que les engagements annexés à sa décision sont de nature à assurer le maintien d'une concurrence suffisante sur les marchés affectés par l'opération ;

Vu les observations, enregistrées le 11 mars 2013, présentées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 15 mars 2013, présenté pour la société Bolloré, qui conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 10 000 euros soit mise à la charge de la société M6 au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative ; elle soutient que l'Autorité de la concurrence n'était pas tenue de consulter les tiers sur les dernières versions des engagements ; que l'Autorité de la concurrence n'a pas commis d'erreur de qualification juridique en estimant que l'opération notifiée donnait à la société Groupe Canal Plus un contrôle exclusif sur les sociétés Direct 8 et Direct Star ; que l'Autorité de la concurrence n'a commis ni erreur de qualification juridique ni erreur de droit en estimant que l'opération notifiée ne créait pas d'effet anticoncurrentiel sur le marché de la publicité télévisée ; que l'Autorité de la concurrence n'a pas commis d'erreur de qualification juridique en estimant que l'opération notifiée ne produirait pas d'effets anticoncurrentiels propres résultant de l'effet de spirale d'audience ; que l'Autorité de la concurrence n'a pas commis d'erreur de droit en acceptant des engagements ne supprimant pas totalement l'effet de levier identifié sur les marchés de droits de diffusion en clair de films et séries ; que les engagements acceptés par l'Autorité de la concurrence sont de nature à assurer le maintien d'une concurrence suffisante sur les marchés affectés par l'opération ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 10 avril 2013, présenté pour la société M6, qui reprend les conclusions de sa requête et les mêmes moyens ; elle soutient en outre que la décision contestée a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière et adoptée en méconnaissance de l'article L. 430-7 du Code de commerce dès lors que l'Autorité de la concurrence n'a pas examiné collégialement la dernière version des engagements ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 13 mai 2013, présenté pour les sociétés Groupe Canal Plus et Vivendi Universal, qui concluent au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 8 000 euros soit mise à la charge de la société M6 au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative ; elles soutiennent que l'Autorité de la concurrence n'était pas tenue de consulter les tiers sur les dernières versions des engagements ; que, dès lors que les dernières versions des engagements correspondaient aux exigences émises par le collège de l'Autorité de la concurrence lors de sa délibération du 2 juillet 2012, il n'était pas nécessaire que celui-ci se réunisse à nouveau pour en débattre collégialement ; qu'un tel vice n'a pas, en tout état de cause, un caractère substantiel ; que l'Autorité de la concurrence n'a pas commis d'erreur de qualification juridique en estimant que l'opération notifiée donnait à la société Groupe Canal Plus un contrôle exclusif sur les sociétés Direct 8 et Direct Star ; que l'Autorité de la concurrence n'a commis ni erreur de qualification juridique ni erreur de droit en estimant que l'opération notifiée ne créait pas d'effet anticoncurrentiel sur le marché de la publicité télévisée ; que l'Autorité de la concurrence n'a pas commis d'erreur de qualification juridique en estimant que l'opération notifiée ne produirait pas d'effets anticoncurrentiels propres résultant de l'effet de spirale d'audience ; que les effets de levier identifiés par l'Autorité de la concurrence ne présentaient pas de risque significatif pour la concurrence ; qu'en tout état de cause, les engagements souscrits suffisent à remédier aux risques concurrentiels liés à ces effets ; que les engagements relatifs aux effets verticaux identifiés par l'Autorité de la concurrence sont de nature à assurer le maintien d'une concurrence suffisante sur les marchés concernés ;

Vu le nouveau mémoire en défense, enregistré le 15 mai 2013, présenté pour l'Autorité de la concurrence, qui reprend les conclusions de son précédent mémoire et les mêmes moyens ; elle soutient en outre que dès lors que les membres du collège s'étaient accordés sur les engagements nécessaires et que les parties avaient communiqué des engagements répondant à leurs attentes, la circonstance que le collège ne se soit pas réuni à nouveau pour confirmer formellement la décision attaquée n'a pas entaché celle-ci d'irrégularité ;

Vu le nouveau mémoire en défense, enregistré le 13 juin 2013, présenté pour la société Bolloré, qui reprend les conclusions de son précédent mémoire et les mêmes moyens ; elle soutient en outre que dès lors que les dernières versions des engagements correspondaient aux exigences émises par le collège de l'Autorité de la concurrence lors de sa délibération du 2 juillet 2012, il n'était pas nécessaire que celui-ci se réunisse à nouveau pour en débattre collégialement ; qu'un tel vice n'a pas, en tout état de cause, un caractère substantiel ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 12 juillet 2013, présenté pour la société M6, qui reprend les conclusions de sa requête et les mêmes moyens ; elle soutient en outre que l'engagement 2.1 annexé à la décision attaquée est contraire à l'injonction 1(b) figurant dans la décision n° 12-DCC-100 de l'Autorité de la concurrence du 23 juillet 2012 ;

Vu les pièces desquelles il ressort que les parties ont été invitées à indiquer au Conseil d'Etat quelles seraient les conséquences d'une annulation rétroactive de la décision attaquée et celles d'une annulation rétroactive, d'une part, de l'engagement 2.1 et des engagements 2.5 et 2.6 en tant qu'ils s'appliquent aux marchés de droits de diffusion en clair de films et séries américains récents, d'autre part, de l'engagement 2.2 en tant qu'il ne s'applique pas aux marchés de droits de diffusion de films français en deuxième et troisième fenêtres en clair ;

Vu le nouveau mémoire en défense, enregistré le 23 octobre 2013, présenté pour l'Autorité de la concurrence, qui reprend les conclusions de ses précédents mémoires et les mêmes moyens ; elle soutient en outre qu'une annulation rétroactive, totale ou limitée aux engagements 2.1, 2.5 et 2.6, de la décision attaquée aurait des effets manifestement excessifs ; qu'une annulation limitée à l'engagement 2.2 en tant qu'il ne s'applique pas à certains marchés n'aurait pas d'effets manifestement excessifs ; que l'adoption d'une nouvelle décision nécessiterait un délai de six mois ; que l'adoption d'une nouvelle décision ne se prononçant que sur certains aspects de l'opération notifiée pourrait toutefois avoir lieu dans un délai de trois mois ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 24 octobre 2013, présenté pour la société M6, qui reprend les conclusions de sa requête et les mêmes moyens ; elle soutient en outre que la décision attaquée est indivisible ; que l'annulation rétroactive de la décision attaquée aurait des conséquences manifestement excessives ; qu'il y a lieu d'enjoindre aux parties ayant procédé à la notification de s'abstenir de toute action entrant dans le champ d'application des engagements dont l'illégalité aura été retenue ; qu'il en va de même dans l'hypothèse d'une annulation partielle des engagements 2.1, 2.5 et 2.6 ; qu'en revanche, l'annulation partielle de l'engagement 2.2 en tant qu'il ne s'applique pas à certains marchés peut avoir un effet rétroactif sans entraîner de conséquences manifestement excessives ; que les délais nécessaires à l'adoption d'une nouvelle décision résultent des dispositions combinées des articles L. 430-3 et suivants et R. 430-9 du Code de commerce ;

Vu le nouveau mémoire en défense, enregistré le 25 octobre 2013, présenté pour les sociétés Groupe Canal Plus et Vivendi Universal, qui reprennent les conclusions de leurs précédents mémoires et les mêmes moyens ; elles soutiennent en outre qu'une éventuelle modulation dans le temps des effets de l'annulation de la décision attaquée devrait être symétrique de l'éventuelle modulation dans le temps des effets de l'annulation de la délibération du Conseil supérieur de l'audiovisuel du 18 septembre 2012 ; que l'annulation totale rétroactive et immédiate de ces décisions aurait des conséquences manifestement excessives ; qu'une annulation rétroactive et immédiate des engagements 2.1, 2.5 et 2.6 aurait également des conséquences manifestement excessives ; qu'une annulation rétroactive et immédiate de l'engagement 2.2 en tant qu'il ne s'applique pas à certains marchés serait susceptible, selon les motifs qui en seraient le support nécessaire, d'avoir des conséquence manifestement excessives ; que l'adoption d'une nouvelle décision nécessiterait un délai de six mois ; que dans l'hypothèse d'une annulation partielle, le délai nécessaire à l'adoption d'une nouvelle décision varierait en fonction de la portée de cette annulation mais ne pourrait probablement pas être inférieur à trois mois, le délai de prise de décision du Conseil supérieur de l'audiovisuel ne pouvant être inférieur à deux mois à compter de la décision de l'Autorité de la concurrence ;

Vu le nouveau mémoire en défense, enregistré le 29 octobre 2013, présenté pour la société Bolloré, qui reprend les conclusions de ses précédents mémoires et les mêmes moyens ; elle soutient en outre que l'annulation rétroactive de la décision attaquée aurait des conséquences manifestement excessives ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 31 octobre 2013, présenté pour la société M6, qui reprend les conclusions de sa requête et les mêmes moyens ;

Vu le nouveau mémoire en défense, enregistré le 6 novembre 2013, présenté pour les sociétés Groupe Canal Plus et Vivendi Universal, qui reprennent les conclusions de leurs précédents mémoires et les mêmes moyens ; elles soutiennent en outre qu'elles n'auront pas la capacité de faire jouer un effet de levier sur les marchés de droits de diffusion en clair de films et séries américains récents, ni celle de faire jouer un effet de levier sur les marchés de droits de diffusion de films français en deuxième et troisième fenêtres en clair ;

Vu les deux nouveaux mémoires, enregistrés le 10 décembre 2013, présentés pour la société M6, qui reprend les conclusions de sa requête et les mêmes moyens ;

Vu les pièces desquelles il ressort que la requête a été communiquée au Premier ministre, au ministre de l'économe et des finances et à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, qui n'ont pas produit d'observations ;

Vu, 2°, sous le n° 363719, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 5 novembre 2012 et 9 janvier 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société Télévision Française 1 (TF1), dont le siège est 1, quai du Point du Jour à Boulogne (92100), représentée par ses dirigeants en exercice ; la société TF1 demande au Conseil d'Etat : 1) d'annuler pour excès de pouvoir la décision n° 12-DCC-101 du 23 juillet 2012 de l'Autorité de la concurrence relative à la prise de contrôle exclusif des sociétés Direct 8, Direct Star, Direct Productions, Direct Digital et Bolloré Intermédia par les sociétés Vivendi Universal et Groupe Canal Plus ; 2) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative ; elle soutient que l'Autorité de la concurrence a insuffisamment motivé sa décision sur le caractère suffisant des engagements qu'elle a acceptés ; que l'Autorité de la concurrence a insuffisamment motivé son analyse du marché de la publicité télévisée ; que les engagements adoptés sont insuffisants pour prévenir les effets anticoncurrentiels résultant du verrouillage des marchés de droits de diffusion de films américains inédits en clair et de séries américaines récentes ; que les engagements adoptés sont insuffisants pour prévenir les effets anticoncurrentiels résultant du verrouillage du marché des droits de diffusion de films EOF inédits en clair ; que l'Autorité de la concurrence aurait commis une erreur d'appréciation en autorisant l'opération sans qu'aucun engagement ne garantisse que les acquisitions de droits en clair plafonnées en vertu des engagements 2.1 et 2.2 soient proportionnées à l'économie des chaînes et conformes aux pratiques du marché ; que l'Autorité de la concurrence a commis une erreur d'appréciation en acceptant les engagements relatifs aux effets de levier sur les marchés de droits de diffusion en clair de films et séries récents, dès lors que les plafonds fixés par les engagements 2.1 et 2.2 n'empêcheront pas les chaînes acquises d'augmenter substantiellement leur part d'audience et de créer ainsi une éviction dynamique des concurrents ; que les engagements adoptés sont insuffisants pour prévenir les effets anticoncurrentiels résultant du verrouillage de l'accès au marché des droits de diffusion de films de catalogue ; que les engagements adoptés seraient insuffisants pour prévenir les effets anticoncurrentiels résultant du verrouillage du marché des droits de diffusion des événements sportifs d'importance majeure et des marchés des droits de diffusion des autres événements sportifs ;

Vu la décision attaquée ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 12 février 2013, présenté pour l'Autorité de la concurrence, qui conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la société TF1 au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative ; elle soutient qu'elle a suffisamment motivé sa décision quant au choix d'adopter des engagements comportementaux ; qu'elle a suffisamment motivé son analyse du marché de la publicité télévisée ; que les engagements relatifs aux marchés de droits de diffusion en clair de films et séries américains permettent de maintenir un niveau de concurrence suffisant ; que les engagements relatifs au marché des droits de diffusion en clair de films EOF permettent de maintenir un niveau de concurrence suffisant ; que les engagements permettent de remédier suffisamment aux effets de levier identifiés par la décision attaquée ; que les engagements permettent de prévenir suffisamment tout verrouillage de l'accès aux films de catalogue français ; que les engagements permettent de prévenir suffisamment tout verrouillage des marchés de droits de diffusion des événements sportifs ;

Vu les observations, enregistrées le 11 mars 2013, présentées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 15 mars 2013, présenté pour la société Bolloré, qui conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 10 000 euros soit mise à la charge de la société TF1 au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative ; elle soutient que la décision attaquée est suffisamment motivée ; que les engagements acceptés par l'Autorité de la concurrence sont de nature à assurer le maintien d'une concurrence suffisante sur les marchés affectés par l'opération ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 13 mai 2013, présenté pour les sociétés Groupe Canal Plus et Vivendi Universal, qui concluent au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 8 000 euros soit mise à la charge de la société TF1 au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative ; elles soutiennent que la décision attaquée est suffisamment motivée quant à la justification des mesures correctives retenues et quant à l'exclusion d'un risque concurrentiel sur le marché de la publicité télévisée ; que les effets de levier identifiés par l'Autorité de la concurrence ne présentaient pas de risque significatif pour la concurrence ; qu'en tout état de cause, les engagements souscrits suffisent à remédier aux risques concurrentiels liés à ces effets ; que les engagements relatifs aux effets verticaux identifiés par l'Autorité de la concurrence sont de nature à assurer le maintien d'une concurrence suffisante sur les marchés concernés ;

Vu le nouveau mémoire en défense, enregistré le 13 juin 2013, présenté pour la société Bolloré, qui reprend les conclusions de son précédent mémoire et les mêmes moyens ;

Vu le mémoire en réplique et les nouveaux mémoires, enregistrés les 9 juillet, 5 septembre et 2 octobre 2013, présentés pour la société TF1, qui reprend les conclusions de sa requête et les mêmes moyens ; elle conclut en outre à ce que soit ordonnée la communication des documents définissant les " mesures et procédures internes " visées par l'engagement 2.6 annexé à la décision attaquée ; elle soutient en outre que l'Autorité de la concurrence a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte, dans son analyse concurrentielle, de l'impact des effets de levier sur les audiences des chaînes gratuites ; que les engagements relatifs aux achats de droits de diffusion en clair de films et séries américains récents et de films français inédits en clair sont contradictoires et, par suite, inapplicables ;

Vu les pièces desquelles il ressort que les parties ont été invitées à indiquer au Conseil d'Etat quelles seraient les conséquences d'une annulation rétroactive de la décision attaquée et celles d'une annulation rétroactive, d'une part, de l'engagement 2.1 et des engagements 2.5 et 2.6 en tant qu'ils s'appliquent aux marchés de droits de diffusion en clair de films et séries américains récents, d'autre part, de l'engagement 2.2 en tant qu'il ne s'applique pas aux marchés de droits de diffusion de films français en deuxième et troisième fenêtres en clair ;

Vu le nouveau mémoire en défense, enregistré le 23 octobre 2013, présenté pour l'Autorité de la concurrence, qui reprend les conclusions de ses précédents mémoires et les mêmes moyens ; elle soutient en outre qu'une annulation rétroactive, totale ou limitée aux engagements 2.1, 2.5 et 2.6, de la décision attaquée aurait des effets manifestement excessifs ; qu'une annulation limitée à l'engagement 2.2 en tant qu'il ne s'applique pas à certains marchés n'aurait pas d'effets manifestement excessifs ; que l'adoption d'une nouvelle décision nécessiterait un délai de six mois ; que l'adoption d'une nouvelle décision ne se prononçant que sur certains aspects de l'opération notifiée pourrait toutefois avoir lieu dans un délai de trois mois ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 23 octobre 2013, présenté pour la société TF1, qui reprend les conclusions de sa requête et les mêmes moyens ; elle soutient en outre qu'une annulation immédiate de la décision attaquée aurait des effets manifestement excessifs ; qu'il y a lieu d'adopter des mesures transitoires, telles que la désignation d'un mandataire ad hoc assurant la gestion des chaînes D8 et D17, durant les quatre à huit mois nécessaires à l'adoption d'une nouvelle décision ; qu'à défaut, le maintien de la décision attaquée jusqu'à l'intervention d'une nouvelle décision de l'Autorité de la concurrence permettrait d'encadrer les pratiques de la société Groupe Canal Plus sur les marchés concernés ; qu'eu égard aux illégalités de cette décision, il y aurait cependant lieu de faire jouer de manière variable la modulation dans le temps des effets de l'annulation ;

Vu le nouveau mémoire en défense, enregistré le 25 octobre 2013, présenté pour les sociétés Groupe Canal Plus et Vivendi Universal, qui reprennent les conclusions de leurs précédents mémoires et les mêmes moyens ; elles soutiennent en outre qu'une éventuelle modulation dans le temps des effets de l'annulation de la décision attaquée devrait être symétrique de l'éventuelle modulation dans le temps des effets de l'annulation de la délibération du Conseil supérieur de l'audiovisuel du 18 septembre 2012 ; que l'annulation totale rétroactive et immédiate de ces décisions aurait des conséquences manifestement excessives ; qu'une annulation rétroactive et immédiate des engagements 2.1, 2.5 et 2.6 aurait également des conséquences manifestement excessives ; qu'une annulation rétroactive et immédiate de l'engagement 2.2 en tant qu'il ne s'applique pas à certains marchés serait susceptible, selon les motifs qui en seraient le support nécessaire, d'avoir des conséquence manifestement excessives ; que l'adoption d'une nouvelle décision nécessiterait un délai de six mois ; que dans l'hypothèse d'une annulation partielle, le délai nécessaire à l'adoption d'une nouvelle décision varierait en fonction de la portée de cette annulation mais ne pourrait probablement pas être inférieur à trois mois, le délai de prise de décision du Conseil supérieur de l'audiovisuel ne pouvant être inférieur à deux mois à compter de la décision de l'Autorité de la concurrence ;

Vu le nouveau mémoire en défense, enregistré le 29 octobre 2013, présenté pour la société Bolloré, qui reprend les conclusions de ses précédents mémoires et les mêmes moyens ; elle soutient en outre que l'annulation rétroactive de la décision attaquée aurait des conséquences manifestement excessives ;

Vu le nouveau mémoire en défense, enregistré le 6 novembre 2013, présenté pour les sociétés Groupe Canal Plus et Vivendi Universal, qui reprennent les conclusions de leurs précédents mémoires et les mêmes moyens ; elles soutiennent en outre qu'elles n'auront pas la capacité de faire jouer un effet de levier sur les marchés de droits de diffusion en clair de films et séries américains récents ; qu'elles n'auront pas la capacité de faire jouer un effet de levier sur les marchés de droits de diffusion de films français en deuxième et troisième fenêtres en clair et que l'opération litigieuse a un effet pro-concurrentiel sur ces marchés ;

Vu les pièces desquelles il ressort que la requête a été communiquée au Premier ministre, au ministre de l'économie et des finances et à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, qui n'ont pas produit d'observations ;

Vu le procès-verbal de l'audience d'instruction tenue par la 3ème sous-section le 19 septembre 2013 ;

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu le Code de commerce ;

Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;

Vu l'arrêté du 9 juillet 2009 pris en application de l'article 30-7 du Code de l'industrie cinématographique ;

Vu le Code de justice administrative ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 20 décembre 2013, présentée pour l'Autorité de la concurrence ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Guillaume Odinet, Auditeur,

- les conclusions de M. Vincent Daumas, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la société Métropole Télévision (M6), à la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de la Société Télévision Française 1, à la SCP Baraduc, Duhamel, avocat de l'Autorité de la concurrence, à la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard, avocat du Groupe Canal Plus et de la société Vivendi Universal, et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat du Groupe Bolloré ;

1. Considérant que les requêtes visées ci-dessus sont dirigées contre la même décision ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, par un protocole d'accord signé le 1er décembre 2011, le groupe Bolloré s'est engagé à apporter au groupe Vivendi 60 % du capital et des droits de vote des sociétés Direct 8 et Direct Star et 100 % du capital et des droits de vote des sociétés Direct Productions, Direct Digital et Bolloré Intermédia ; qu'en application de l'article L. 430-3 du Code de commerce, cette opération a été notifiée le 5 décembre 2011 à l'Autorité de la concurrence, qui a déclaré le dossier complet le 21 février 2012 ; qu'après un examen approfondi de l'opération, l'Autorité de la concurrence l'a, par décision n° 12-DCC-101 du 23 juillet 2012, autorisée sous réserve de la réalisation effective des engagements pris par les parties ; que les sociétés Métropole Télévision (M6) et Télévision Française 1 (TF1) demandent l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision ;

Sur la légalité externe de la décision attaquée :

3. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 430-7 du Code de commerce : " I. Lorsqu'une opération de concentration fait l'objet d'un examen approfondi, l'Autorité de la concurrence prend une décision dans un délai de soixante-cinq jours ouvrés à compter de l'ouverture de celui-ci. / II. Après avoir pris connaissance de l'ouverture d'un examen approfondi en application du dernier alinéa du III de l'article L. 430-5, les parties peuvent proposer des engagements de nature à remédier aux effets anticoncurrentiels de l'opération. S'ils sont transmis à l'Autorité de la concurrence moins de vingt jours ouvrés avant la fin du délai mentionné au I, celui-ci expire vingt jours ouvrés après la date de réception des engagements. / (...) / III. L'Autorité de la concurrence peut, par décision motivée : / - soit interdire l'opération de concentration et enjoindre, le cas échéant, aux parties de prendre toute mesure propre à rétablir une concurrence suffisante ; / - soit autoriser l'opération en enjoignant aux parties de prendre toute mesure propre à assurer une concurrence suffisante ou en les obligeant à observer des prescriptions de nature à apporter au progrès économique une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence. / (...) / IV. Si l'Autorité de la concurrence n'entend prendre aucune des décisions prévues au III, elle autorise l'opération par une décision motivée. L'autorisation peut être subordonnée à la réalisation effective des engagements pris par les parties qui ont procédé à la notification " ; qu'il résulte de ces dispositions que, dans le cadre de l'examen approfondi d'une opération de concentration, l'Autorité de la concurrence dispose de pouvoirs d'injonction, de prescription ou de subordination de son autorisation à la réalisation effective d'engagements pris devant elle par les parties ; qu'il lui appartient, par conséquent, d'examiner les engagements pris devant elle par les parties ; qu'à cette fin, lorsque les engagements sont transmis moins de vingt jours ouvrés avant l'expiration du délai dans lequel l'Autorité de la concurrence doit se prononcer en vertu du I de l'article L. 430-7, ce délai est alors prolongé de vingt jours ouvrés ; que, lorsque les parties transmettent successivement à l'Autorité de la concurrence plusieurs propositions d'engagements, plus de vingt jours ouvrés puis moins de vingt jours ouvrés avant la fin du délai prévu au I, le délai dans lequel l'Autorité doit prendre une décision expire alors vingt jours ouvrés après la date de réception de la première version des engagements transmise moins de vingt jours ouvrés avant l'expiration du délai prévu au I ;

4. Considérant, d'autre part, qu'il résulte des dispositions combinées des articles L. 430-7, L. 461-1 et L. 461-3 du Code de commerce que les décisions prévues à l'article L. 430-7 doivent être adoptées par l'Autorité de la concurrence siégeant soit en formation plénière, soit en sections, soit en commission permanente, mais ne peuvent être adoptées, contrairement aux décisions relatives à des concentrations ne faisant pas l'objet d'un examen approfondi, par le seul président ou un vice-président désigné par lui ;

5. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que l'examen approfondi de l'opération de concentration notifiée a été engagé par une décision du 17 avril 2012 ; qu'il a donné lieu à des échanges contradictoires entre les parties ayant procédé à la notification et les rapporteurs de l'Autorité de la concurrence ainsi qu'à la formulation, par les parties, de propositions d'engagements ; qu'au terme de ce processus s'est tenue, le 2 juillet 2012, la séance prévue par l'article L. 463-7 du Code de commerce, durant laquelle les parties ont été entendues par le collège de l'Autorité de la concurrence et les engagements qu'elles avaient proposés ont fait l'objet de discussions ; qu'à l'issue de la séance, le collège s'est réuni pour délibérer et a adopté une décision en se fondant sur les effets anticoncurrentiels de l'opération notifiée et les mesures correctives nécessaires à leur prévention et au maintien d'une concurrence suffisante sur les marchés affectés par l'opération ; qu'à ce titre, le collège a demandé des compléments et des précisions devant être apportés aux engagements qui avaient été proposés par les parties ; que le sens et les principaux éléments de cette délibération ont été communiqués aux parties qui avaient procédé à la notification par courrier du 3 juillet 2012 ;

6. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que les parties ont alors formulé une nouvelle proposition d'engagements le 9 juillet 2012 ; que, ces engagements ayant été regardés comme insuffisants, un projet de décision contenant des injonctions a été communiqué aux parties le 13 juillet 2012 ; que les parties ont présenté une nouvelle proposition d'engagements le 18 juillet 2012, et à nouveau le 20 juillet 2012 ; que cette dernière proposition d'engagements a été acceptée et intégrée à la décision attaquée, qui ne contient pas d'injonctions ;

7. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, et notamment du procès-verbal de l'audience d'instruction, que, d'une part, le président de l'Autorité de la concurrence et quatre des membres de la section qui avaient participé au délibéré du 2 juillet 2012 ont débattu collégialement de la teneur des engagements présentés le 18 juillet 2012 ; que, d'autre part, tous les membres de l'Autorité de la concurrence ayant participé au délibéré du 2 juillet 2012 ont été informés de la teneur ou du détail des engagements présentés le 20 juillet 2012 et ont estimé que ces engagements correspondaient à la position qu'ils avaient arrêtée collégialement ;

8. Considérant, toutefois, qu'il ressort des pièces du dossier, et n'est d'ailleurs pas contesté, que la formation de l'Autorité de la concurrence ayant délibéré le 2 juillet 2012 n'a pas délibéré collégialement sur la version des engagements présentée le 20 juillet 2012, qui se trouve pourtant intégrée dans sa décision du 23 juillet 2012, laquelle, contrairement à ce que soutient l'Autorité de la concurrence, ne se borne pas à prendre acte d'engagements pris par les parties pour se conformer aux exigences formulées dans la lettre du 3 juillet 2012 ; qu'ainsi la décision attaquée a été adoptée de manière irrégulière ;

Sur la légalité interne de la décision attaquée :

9. Considérant que, lorsque lui est notifiée une opération de concentration dont la réalisation est soumise à son autorisation, il incombe à l'Autorité de la concurrence d'user des pouvoirs d'interdiction, d'injonction, de prescription ou de subordination de son autorisation à la réalisation effective d'engagements pris devant elle par les parties, qui lui sont conférés par les dispositions des articles L. 430-6 et suivants du Code de commerce, à proportion de ce qu'exige le maintien d'une concurrence suffisante sur les marchés affectés par l'opération ; qu'il suit de là que l'Autorité de la concurrence n'est pas tenue, lorsqu'elle identifie un effet anticoncurrentiel de l'opération, d'adopter des mesures correctives de nature à le supprimer intégralement, pourvu que ces mesures permettent d'assurer le maintien d'une concurrence suffisante ;

10. Considérant que, si les parties ayant pris des engagements ne peuvent légalement, tout en assurant le respect formel des critères expressément prévus par un engagement, adopter des mesures ou un comportement ayant pour conséquence de le priver de toute portée et de produire des effets anticoncurrentiels qu'il entendait prévenir, il appartient toutefois à l'Autorité de la concurrence de n'accepter des engagements que s'ils sont suffisamment certains et mesurables pour garantir que les effets anticoncurrentiels qu'ils ont pour finalité de prévenir ne seront pas susceptibles de se produire dans un avenir relativement proche ;

11. Considérant que, pour prévenir un effet anticoncurrentiel congloméral consistant dans le verrouillage du marché des droits de diffusion en clair de films français récents, les parties se sont notamment engagées, en vertu de l'engagement 2.2, à ne pas acquérir, au cours d'une même année, les droits de diffusion en télévision payante et en clair d'un même film français récent inédit en clair pour plus de vingt films, dont au maximum deux films d'un devis de plus de quinze millions d'euros, trois films d'un devis compris entre dix et quinze millions d'euros et cinq films d'un devis compris entre sept et dix millions d'euros ; qu'en outre, elles se sont engagées, en vertu de l'engagement 2.6, à négocier de manière séparée leurs acquisitions de droits de diffusion en clair et leurs acquisitions de droits de diffusion en télévision payante pour l'ensemble des droits de diffusion de films français récents, à l'exception des droits de diffusion des vingt films prévus à l'engagement 2.2 ; qu'elles se sont également engagées, pour ces acquisitions séparées, à ne pratiquer aucune forme de couplage, de subordination, d'avantage ou de contrepartie entre les acquisitions de droits de diffusion en clair et les acquisitions de droits de diffusion en télévision payante ; que, pour garantir la mise en œuvre de cet engagement, elles se sont engagées à confier l'acquisition séparée de droits de diffusion en clair à une société juridiquement distincte de celle chargée des acquisitions de droits de diffusion en télévision payante, à conférer à cette société tous moyens nécessaires à son autonomie, y compris un personnel recruté directement par elle, et à prévenir tout échange d'informations relatives aux acquisitions, stratégies et négociations d'achats, conditions commerciales et contrats d'acquisition entre la société juridiquement distincte et le reste des activités de la société Groupe Canal Plus ;

12. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, et notamment du procès-verbal de l'audience d'instruction, que les détenteurs de droits français vendent, au stade du préfinancement des films, c'est-à-dire avant un premier cycle d'exploitation, les droits permettant la diffusion exclusive de ces films pour la deuxième et la troisième fois en clair durant des fenêtres de diffusion définies contractuellement ;

13. Considérant que la société TF1 soutient qu'à l'issue de l'opération et en dépit des engagements souscrits par les parties, la société Groupe Canal Plus pourra s'appuyer sur sa position de quasi-monopsone sur les marchés de droits de diffusion de films français en télévision payante pour conquérir une position dominante sur les marchés de droits de diffusion de films français en deuxième et troisième fenêtre en clair, grâce à un effet de levier consistant dans la liaison des acquisitions de droits exclusifs de diffusion en télévision payante et des acquisitions de droits exclusifs de diffusion en deuxième ou troisième fenêtre en clair ;

14. Considérant, en premier lieu, d'une part, qu'il ressort des termes mêmes de la décision attaquée que les engagements 2.2 et 2.6 ne portent pas sur les achats de droits de diffusion de films français en deuxième et troisième fenêtres en clair ;

15. Considérant, d'autre part, qu'en vertu de l'engagement 2.2, l'effet de levier mentionné au point 13 ne peut être mis en œuvre, au-delà des quotas fixés par cet engagement, qu'à condition que les droits de diffusion en première fenêtre en clair soient achetés par une chaîne concurrente ; que toutefois, il ressort des pièces du dossier que, dès lors que les éditeurs des autres chaînes gratuites sont en concurrence pour l'obtention des droits de diffusion en clair, ils ne disposeront pas effectivement d'un pouvoir de négociation leur permettant d'imposer aux détenteurs de droits de lier l'acquisition des droits de diffusion en première fenêtre en clair à l'acquisition des droits de diffusion en deuxième et troisième fenêtres en clair ou d'insérer dans les contrats d'acquisition des clauses de préemption permettant de bénéficier d'une priorité pour l'acquisition de ces derniers droits ; qu'ainsi, contrairement à ce que soutient l'Autorité de la concurrence, l'engagement 2.2 n'est pas de nature à priver la société Groupe Canal Plus de la capacité de faire jouer un tel effet de levier ;

16. Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier, et n'est d'ailleurs pas contesté, que la société Groupe Canal Plus sera incitée à mettre en œuvre un tel effet de levier, qui lui permettra d'obtenir des contenus attractifs susceptibles d'alimenter les grilles des chaînes acquises ;

17. Considérant, en troisième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier, et notamment du procès-verbal de l'audience d'instruction, que la mise en œuvre d'un tel effet de levier aurait pour effet d'ériger de fortes barrières à l'entrée sur les marchés de droits de diffusion de films français en deuxième et troisième fenêtres en clair ; que, par suite, cet effet de levier aurait des conséquences significatives sur la concurrence ;

18. Considérant, dès lors, que l'Autorité de la concurrence a commis une erreur d'appréciation en estimant que l'engagement 2.2 était de nature à prévenir les effets anticoncurrentiels de l'opération liés au verrouillage des marchés de droits de films français en deuxième et troisième fenêtres en clair ;

19. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les sociétés M6 et TF1 sont fondées à demander l'annulation de la décision attaquée ;

Sur les conséquences de l'illégalité de la décision attaquée :

20. Considérant que l'annulation d'un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n'être jamais intervenu ; que, toutefois, s'il apparaît que cet effet rétroactif de l'annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur, que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets, il appartient au juge administratif - après avoir recueilli sur ce point les observations des parties et examiné l'ensemble des moyens, d'ordre public ou invoqués devant lui, pouvant affecter la légalité de l'acte en cause - de prendre en considération, d'une part, les conséquences de la rétroactivité de l'annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d'autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l'annulation ; qu'il lui revient d'apprécier, en rapprochant ces éléments, s'ils peuvent justifier qu'il soit dérogé au principe de l'effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l'affirmative, de prévoir dans sa décision d'annulation, ou, lorsqu'il a décidé de surseoir à statuer sur cette question, dans sa décision relative aux effets de cette annulation, que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de sa décision prononçant l'annulation contre les actes pris sur le fondement de l'acte en cause, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l'annulation ne prendra effet qu'à une date ultérieure qu'il détermine ;

21. Considérant, en premier lieu, d'une part, que l'annulation prononcée par la présente décision a nécessairement pour conséquence que l'Autorité de la concurrence est tenue, en vertu de l'article R. 430-9 du Code de commerce et dans les délais prévus par ce Code, de réexaminer la concentration litigieuse et d'user, le cas échéant, de ses pouvoirs d'interdiction, d'injonction, de prescription ou de subordination de son autorisation à la réalisation effective d'engagements pris devant elle par les parties dans la mesure nécessaire au maintien d'une concurrence suffisante ; que l'annulation immédiate de cette décision aurait ainsi pour effet, sans remettre en cause, par elle-même, la réalisation de l'opération de concentration, d'ôter toute valeur contraignante aux engagements pris par les parties et contenus dans la décision d'autorisation ;

22. Considérant, d'autre part, que, si le maintien temporaire des effets de la décision de l'Autorité de la concurrence est de nature à permettre aux parties ayant procédé à la notification de porter atteinte à la concurrence, il appartiendra à l'Autorité de la concurrence, lorsqu'elle statuera à nouveau sur l'opération notifiée, de tenir compte de l'état des marchés à la date à laquelle elle se prononcera et d'user en conséquence de ses pouvoirs d'interdiction, d'injonction, de prescription ou de subordination de son autorisation à la réalisation effective d'engagements pris devant elle ; qu'en outre, en vertu de l'article L. 430-9 du Code de commerce, l'Autorité de la concurrence peut, en cas d'exploitation abusive d'une position dominante ou d'un état de dépendance économique, enjoindre aux entreprises concernées de modifier, compléter ou résilier tous accords et tous actes par lesquels s'est réalisée la concentration de la puissance économique, même s'ils ont fait l'objet d'une procédure d'autorisation de concentration ;

23. Considérant, dès lors, que compte tenu des effets excessifs pour l'ordre public économique d'une annulation immédiate de la décision attaquée, et au regard de l'intérêt général qui s'attache à la préservation d'une concurrence suffisante, il y a lieu, compte tenu des motifs de l'annulation et alors qu'aucun autre moyen n'est de nature à justifier l'annulation de l'acte attaqué, de différer l'annulation de la décision de l'Autorité de la concurrence jusqu'au 1er juillet 2014 ;

24. Considérant, en second lieu, que l'annulation rétroactive de la décision attaquée, qui serait de nature à priver l'Autorité de la concurrence de la capacité de sanctionner d'éventuels manquement aux engagements qui y sont annexés, aurait, dans les circonstances de l'espèce, des conséquences manifestement excessives ; que, dans ces conditions, sans qu'il y ait lieu de prononcer une mesure d'injonction, il y a lieu de limiter dans le temps les effets de l'annulation et de prévoir que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur son fondement, les effets de la décision attaquée antérieurement à son annulation doivent être regardés comme définitifs ;

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative :

25. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge des sociétés M6 et TF1, qui ne sont pas, dans les présentes instances, les parties perdantes ; qu'en revanche, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros chacune à verser à la société M6 et à la société TF1 à ce titre ;

DECIDE :

Article 1er : La décision n° 12-DCC-101 du 23 juillet 2012 de l'Autorité de la concurrence est annulée. Cette annulation prendra effet le 1er juillet 2014.

Article 2 : Sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur son fondement, les effets produits par la décision n° 12-DCC-101 du 23 juillet 2012 antérieurement à son annulation sont regardés comme définitifs.

Article 3 : L'Etat versera à la société M6 et à la société TF1 la somme de 5 000 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par l'Autorité de la concurrence, par les sociétés Groupe Canal Plus et Vivendi Universal et par la société Bolloré au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Métropole Télévision (M6), à la société Télévision Française 1 (TF1), à l'Autorité de la concurrence, au Conseil supérieur de l'audiovisuel, à la société Groupe Canal Plus et à la société Bolloré.

Copie en sera adressée pour information au ministre de l'économie et des finances.

La société Vivendi Universal sera informée de la présente décision par la SCP Barthélémy, Matuchansky, Vexliard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, qui la représente devant le Conseil d'Etat.