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Décisions

CA Rouen, ch. civ. et com., 15 septembre 2011, n° 10-04492

ROUEN

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Carrefour Proximité France (SAS)

Défendeur :

Batard (Epoux)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Brunhes

Conseillers :

Mmes Vinot, Bertoux

Avoués :

SCP Lejeune Marchand Gray Scolan, SCP Colin Voinchet Radiguet Enault

Avocats :

Mes Charlet, Brouard

T. arb., du 17 juill. 2002

17 juillet 2002

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 8 mars 1994, un contrat de franchise d'une durée de sept années a été conclu entre la société Prodim, franchiseur, et les époux Batard, franchisés pour l'exploitation d'un fonds de commerce sous l'enseigne "Shopi", situé à Songeons dans l'Oise.

Par lettre recommandée en date du 30 juillet 1999 Monsieur Batard a procédé à la rupture unilatérale anticipée du contrat au 31 août 1999, reprochant à la société Prodim un manquement à ses obligations contractuelles, notamment son refus du passage à l'enseigne "Shopi nouveau concept" lui proposant en lieu et place l'enseigne "8 à Huit", l'invitant par ailleurs, dans l'hypothèse où elle entendrait poursuivre le contrat de franchise, à remplir ses obligations pour la transmission de son savoir-faire.

Par courrier recommandé du 16 août 1999, la société Prodim a confirmé sa volonté de voir le contrat de franchise se poursuivre jusqu'à son terme.

Une procédure d'arbitrage s'en est suivie, conformément à la clause compromissoire stipulée au contrat.

Dans une sentence avant dire droit du 25 janvier 2002, le tribunal arbitral a rejeté la demande d'expertise sollicitée par les époux Batard, ordonné la communication de diverses pièces et fixé un calendrier de procédure.

Puis par une sentence arbitrale en date du 17 juillet 2002 le tribunal arbitral :

- a constaté que les franchisés n'ont déposé aucun mémoire ni aucune pièce pour soutenir leurs demandes au fond,

- a rejeté l'ensemble de leurs demandes,

- a déclaré abusive la rupture du contrat de franchise par ces derniers,

- les a condamnés à payer à Prodim à ce titre la somme de 22 500 € et, à titre de dommages et intérêts celles de 38 000 € pour le trouble commercial causé par la rupture du contrat, 70 000 € du chef de l'apposition de l'enseigne Coccinelle en violation du contrat, et 20 000 € pour procédure abusive, outre celles de 4 229,35 € au titre des cotisations de franchise demeurées impayées, et de 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par un arrêt irrévocable du 26 février 2004, la Cour d'appel de Caen, statuant sur le recours en annulation formé par les franchisés contre cette sentence ainsi que sur le recours en annulation formé par le franchiseur contre l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 15 octobre 2002 :

- a totalement infirmé cette ordonnance,

- a partiellement annulé, pour défaut de motifs, la sentence arbitrale du 17 juillet 2002 en ce qu'elle a condamné les époux Batard à payer à Prodim les sommes de 20 000 €, 38 000 € et 70 000 €,

- a ordonné pour le surplus l'exequatur de cette sentence,

- a ordonné la réouverture des débats sur les points annulés et invité les parties à conclure sur ceux-ci, à savoir l'existence et le montant d'une part d'un préjudice procédural non réparé par l'indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, d'autre part d'un préjudice commercial non réparé par la clause pénale, ainsi que sur la validité de la clause de non-réaffiliation figurant au contrat de franchise et sur l'existence et le montant d'un préjudice résultant de la violation de celle-ci)

- a renvoyé l'affaire à la mise en état.

La société Prodim a conclu le 16 septembre 2004.

Par arrêt du 19 mai 2005, la Cour d'appel de Caen a annulé l'ordonnance de clôture du conseiller de la mise en état rendue le 24 janvier 2005 sans que les époux Batard n'aient conclu, et a rouvert les débats.

Les époux Batard ont alors conclu le 30 juin 2005 et la société Prodim le 28 juin 2005.

Par arrêt du 29 septembre 2005, la Cour d'appel de Caen a déclaré nulle la clause de non-réaffiliation insérée au contrat de franchise et débouté la société Prodim de ses demandes.

La société Prodim a formé un pourvoi à l'encontre de ces deux arrêts.

Par arrêt du 23 octobre 2007, la Cour de cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 19 mai 2005, remis en conséquence les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et les a renvoyées devant cette cour autrement composée, et par arrêt du même jour, en application de l'article 625 du Code de procédure civile, constaté l'annulation par voie de conséquence de l'arrêt du 29 septembre 2005.

La société Prodim a procédé à la reprise de l'instance le 22 novembre 2007 et, par acte du 4 février 2008, a fait signifier aux époux Batard copie de la déclaration de reprise d'instance et des conclusions déposées par elle le 16 septembre 2004 en invoquant le bénéfice de l'ordonnance de clôture rendue le 24 janvier 2005 et en se prévalant de l'irrecevabilité des conclusions déposées postérieurement à cette date.

Devant la Cour d'appel de Caen autrement composée, la société Prodim a déposé des conclusions récapitulatives le 13 novembre 2008, soutenant notamment que du fait de la cassation l'ordonnance de clôture du 24 janvier 2005 avait retrouvé tous ses effets, tandis que les époux Batard, dans leurs écritures du 12 novembre 2008, prétendaient à titre principal que celle-ci se trouvait anéantie et que les parties se retrouvaient en l'état de l'arrêt rendu le 26 février 2004, et sollicitaient à titre subsidiaire sa révocation.

Par arrêt du 15 janvier 2009 rendu sur renvoi de cassation, la Cour d'appel de Caen, statuant au vu des conclusions déposées le 17 septembre 2004 pour la société Prodim, le 23 novembre 203 pour les époux Batard, et des pièces communiquées avant l'ordonnance de clôture du 24 janvier 2005, a dit n'y avoir lieu à la révocation sollicitée par les époux Batard, et déclaré irrecevables les conclusions prises postérieurement à l'ordonnance de clôture du 24 janvier 2005, débouté la société Prodim de l'ensemble de ses demandes de dommages et intérêts, dont celle du chef de la violation de la clause de réaffiliation déclarée nulle.

La société Prodim s'est pourvue en cassation.

Par arrêt du 28 septembre 2010, la chambre commerciale de la Cour de cassation, a, au visa de l'article 1134 du Code civil, cassé et annulé l'arrêt mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande de la société Prodim en indemnisation de son préjudice résultant de la violation de la clause de non-réaffiliation.

Le 13 octobre 2010, la société Carrefour Proximité France, venant aux droits de la société Prodim a saisi la Cour d'appel de Rouen, juridiction de renvoi.

Des conclusions ont été signifiées le 2 mars 2011 par la société Carrefour Proximité France par lesquelles elle demandait de condamner les époux Batard à lui payer les sommes de 70 000 € à titre de dommages et intérêts du chef de l'apposition de l'enseigne "Coccinelle" en violation de la clause de non-réaffiliation, 38 000 € au titre du trouble commercial subi et à titre de dommages et intérêts, outre celle 50 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par conclusions signifiées le 27 avril 2011, les époux Batard demandaient à la cour de communiquer le dossier au parquet général en vertu de l'article L. 442-6 du Code de commerce afin qu'il donne son avis sur la présente procédure et le cas échéant, prenne toute décision de nature à faire cesser les agissements illicites, de débouter la société Carrefour Proximité France de sa demande de rejet des écritures échangées devant la cour vu l'arrêt de la Cour de cassation du 23 octobre 2007, de recevoir les époux Batard en leurs conclusions déposées au cours de l'instruction devant la cour de renvoi, à titre subsidiaire, si la cour devait considérer que l'ordonnance de clôture n'est pas atteinte par l'arrêt de la Cour de cassation, de révoquer l'ordonnance de clôture conformément aux dispositions de l'article 784 du Code de procédure civile, recevoir les époux Batard en leurs présentes conclusions, saisir l'Autorité de la concurrence pour avis sur la conformité de la clause de non-réaffiliation prévue au contrat de France de la société Prodim avec les interdictions posées par les articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce, en tout état de cause, déclarer la clause de non-réaffiliation nulle et de nul effet, débouter la société Carrefour Proximité France de l'intégralité de ses demandes dirigées à l'encontre des époux Batard, condamner la société Carrefour Proximité France au paiement d'une somme de 50 000 € par application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.

Par conclusions du 18 mai 2011, la société Carrefour Proximité France demandait de déclarer irrecevables les prétentions des époux Batard comme étant émises postérieurement à l'ordonnance de clôture intervenue, dire n'y avoir lieu en toute hypothèse à révoquer l'ordonnance de clôture, condamner les époux Batard à payer à la société Carrefour Proximité France la somme de 70 000 € à titre de dommages et intérêts du chef de l'apposition de l'enseigne "Coccinelle" en violation de la clause de non-réaffiliation, condamner les époux Batard à la somme de 38 000 € au titre du trouble commercial subi et à titre de dommages et intérêts, condamner les époux Batard à la somme de 20 000 € pour procédure abusive et déloyale, déclarer irrecevables les prétentions des époux Batard, à titre subsidiaire, en ce qu'elles se heurtent à l'autorité de la chose jugée, et à titre infiniment subsidiaire en ce que les époux Batard ne peuvent se contredire au détriment d'autrui, à titre infiniment subsidiaire, débouter les époux Batard en toutes leurs demandes, fins et conclusions, débouter les époux Batard de leur demande de saisine de l'Autorité de la concurrence, condamner solidairement les époux Batard au paiement de la somme de 75 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel exposés devant la Cour d'appel de Caen et devant la Cour d'appel de Rouen.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 3 juin 2011.

Le même jour, les époux Batard signifiaient de nouvelles conclusions reprenant les demandes telles qu'exposées ci-dessus.

Par conclusions du 8 juin 2011, la société Carrefour Proximité France demandait de révoquer l'ordonnance de clôture rendue le 3 juin 2011 ;

Subsidiairement de déclarer irrecevables les conclusions signifiées par les époux Batard et les pièces par eux communiquées le 3 juin 2011, avant de reprendre les prétentions ci-dessus énoncées.

SUR CE

- Sur la révocation de l'ordonnance de clôture rendue le 3 juin 2011 dans le cadre de l'instruction devant la cour d'appel de renvoi

A l'appui de sa demande de révocation de l'ordonnance de clôture, la société Carrefour Proximité France fait valoir la signification par les époux Batard de conclusions le 3 juin 2011, soit le jour du prononcé de la clôture, qui appelait une réplique de sa part.

A défaut, elle sollicite le rejet de ces écritures et des pièces sur le fondement des articles 15 et 16 du Code de procédure civile.

Les parties ont été avisées le 18 mai 2011 de ce que la procédure serait clôturée le 3 juin 2011.

La révocation de la clôture implique la constatation d'une cause grave.

Or la demande de révocation faite par la société Carrefour Proximité France pour répondre à des écritures de dernière heure ne constitue pas en elle-même une cause grave.

Il convient par conséquent de la débouter de sa demande.

Les époux Batard ont déposé le jour du prononcé de l'ordonnance de clôture des conclusions aux termes desquelles ils sollicitent, pour la première fois, une demande d'expertise. Celle-ci, qui n'est pas énoncée au dispositif de leurs écritures, ne peut être prise en compte par la cour en application de l'article 954 du Code de procédure civile.

Les intimés y développent par ailleurs une nouvelle argumentation sur l'absence d'autorité de la chose jugée de la sentence arbitrale rendue le 25 janvier 2002, qui, en raison de sa technicité, nécessite, par contre, un délai pour y répondre.

De même, les 10 nouvelles pièces communiquées par les époux Batard, parmi lesquelles des décisions rendues par la Cour de cassation et d'autres cours d'appel ainsi qu'un avis de l'Autorité de la Concurrence du 7 décembre 2010, exigent également, en raison de leurs natures et teneurs, un délai pour pouvoir les examiner et les discuter éventuellement.

Le dépôt de conclusions et la communication de pièces, le jour de l'ordonnance de clôture, alors qu'elles appelaient, pour les motifs ci-dessus indiqués, un délai pour en prendre connaissance et y répondre, est contraire au principe de la contradiction, l'adversaire ne disposant d'aucun délai pour ce faire.

Les conclusions signifiées et les pièces communiquées par les époux Batard le 3 juin 2011 doivent par conséquent être déclarées irrecevables.

Il sera par conséquent statué au vu des conclusions déposées le 18 mai 2011 par la société Carrefour Proximité France et le 27 avril 2011 par les époux Batard.

Pour l'exposé des moyens des parties, il sera renvoyé auxdites écritures.

- Sur la recevabilité des prétentions des époux Batard

A titre principal, la société Carrefour Proximité France demande de déclarer irrecevables les prétentions des époux Batard exprimées postérieurement à l'ordonnance de clôture du 24 janvier 2005.

Devant la juridiction de renvoi, l'instruction est reprise en l'état de la procédure non atteinte par la cassation. Celle-ci n'affecte que l'arrêt et l'ordonnance de clôture.

Jusqu'à ce qu'une nouvelle clôture soit prononcée, les parties peuvent alors invoquer de nouveaux moyens, des faits nouveaux ou de nouvelles preuves à l'appui de leurs prétentions.

Des demandes nouvelles, qui n'ont pas pour effet de méconnaître l'autorité de la chose jugée qui s'attache à la première décision de ses chefs non atteints par la cassation, peuvent également être formulées.

En l'espèce, l'arrêt de la Cour d'appel de Caen du 15 janvier 2009 a partiellement été cassé sur le fond par la Cour de cassation "seulement en ce qu'il a rejeté la demande de la société Prodim en indemnisation de son préjudice résultant de la violation de la clause de non-réaffiliation".

Par suite, l'ordonnance de clôture du 24 janvier 2005 rendue par cette juridiction a cessé de produire ses effets sur ce point.

Par l'effet combiné de l'annulation partielle par la Cour d'appel de Caen du 26 février 2004 de la sentence arbitrale du 17 juillet 2002, en ce qu'elle a condamné les franchisés à payer au franchiseur diverses sommes à titre de dommages et intérêts telles que rappelées ci-dessus, de la réouverture des débats sur les points annulés portant notamment sur la validité de la clause de non-réaffiliation figurant au contrat de franchise et sur l'existence et le montant du préjudice résultant de la violation de celle-ci par les franchisés, et de la cassation partielle de l'arrêt du 15 janvier 2009 du chef uniquement de l'indemnisation du franchiseur de son préjudice résultant de la violation de la clause de non-réaffiliation par le franchiseur, la cour de renvoi n'est saisie que de ce seul point.

Sur ce point, la cour de renvoi doit par conséquent statuer au vu des dernières écritures échangées entre les parties devant elle.

Dès lors les prétentions des époux Batard qui demandent à cette juridiction de prononcer la nullité de la clause de non-réaffiliation et de débouter de sa demande de dommages et intérêts de ce chef, sont recevables.

A titre subsidiaire, la société Carrefour Proximité France demande de déclarer les époux Batard irrecevables, en se prévalant tout d'abord de l'autorité de la chose jugée attachée à la sentence arbitrale du 25 janvier 2002, puis de l'atteinte au principe de cohérence, dit de l'estoppel, qui les empêchent désormais de contester le savoir-faire et sa transmission, ces questions ayant été définitivement tranchées, pour résister à la demande de dommages et intérêts.

Il appartient effectivement à la présente cour de renvoi, ensuite de l'annulation de la sentence arbitrale, de statuer conformément aux dispositions des articles 1485 et suivants du Code de procédure civile, comme l'indique la société Carrefour Proximité France. Il lui appartient en conséquence de trancher la question de la validité de la clause de non-réaffiliation qui conditionne la demande de dommages et intérêts formée au titre de sa violation.

Dans sa sentence avant dire droit du 25 janvier 2002, après avoir rappelé que l'analyse des obligations contractuelles incombe au juge et ne relève pas d'une mesure d'expertise, le tribunal arbitral a rejeté cette demande, en l'absence de pièce susceptible d'étayer une prétendue défaillance du franchiseur ou de commencement de preuve, en application de l'article 146 du Code de procédure civile, la mesure d'instruction ne pouvant se substituer à l'administration de la preuve, dont la charge incombe au demandeur.

Contrairement à ce que soutient la société Carrefour Proximité France, les arbitres ont rejeté la demande d'expertise au regard de la carence des époux Batard dans l'administration de la preuve leur incombant quant à un début de preuve des griefs invoqués de nature à justifier la mesure d'instruction. En revanche, dans leur motivation comme dans leur dispositif, le tribunal arbitral n'a pas tranché la question de fond de la réalité des griefs invoqués par les époux Batard, et plus particulièrement celui de l'absence d'un savoir-faire et de sa transmission par le franchiseur.

Il est exact que de façon définitive, la sentence arbitrale du 17 juillet 2002 a constaté et prononcé la rupture du contrat de franchise aux torts exclusifs des époux Batard.

La cour de renvoi ne saurait effectivement réexaminer l'ensemble des relations contractuelles des parties ni apprécier leurs comportements réciproques, sauf en ce qu'ils auraient eu une incidence directe sur la validité de la clause de non-réaffiliation, et de ses éventuelles conséquences pécuniaires par suite de sa violation.

Devant le tribunal arbitral aucun mémoire, ni aucune pièce, n'ont été déposés par les époux Batard, notamment pour venir remettre en cause le savoir-faire de la société Carrefour Proximité France. Par ailleurs, la sentence arbitrale du 17 juillet 2002 ne contient aucune motivation au fond sur ce point.

Par conséquent, les moyens soulevés relatifs à la question du savoir-faire et de sa transmission, dans le cadre de la présente instance par les franchisés ne se heurtent aucunement à l'autorité de la chose jugée, et sont dès lors recevables.

La Cour d'appel de Caen, dans son arrêt du 24 février 2004, a fait partiellement droit à la demande d'annulation formée par les époux Batard, et notamment sur la question des dommages et intérêts réclamés par la société Carrefour Proximité France résultant de la violation de la clause de non-réaffiliation, et réouvert les débats notamment sur la question de la validité de ladite clause.

Au préalable, il est utile de rappeler que l'annulation d'une clause d'un contrat ne remet pas pour autant en cause la validité du contrat lui-même.

En l'espèce, la signature par les époux Batard du contrat de franchise et l'absence de critique de leur part pendant plus de cinq ans ne les privent pas davantage, dans le cadre de la présente instance relative à des dommages et intérêts pour violation d'une clause de non-réaffiliation dont la question de sa validité doit préalablement être tranchée, de remettre en cause le savoir-faire, moyen soulevé en défense à cette demande devant la cour de renvoi, ces critères devant s'apprécier au regard de la seule validité de la clause litigieuse, et ce sans violer le principe élémentaire de loyauté des débats.

Les demandes des époux Batard, qui ne se heurtent pas à l'autorité de la chose jugée, et ne violent pas le principe de l'estoppel, sont dès lors recevables.

- Sur la demande de communication au parquet général

Dans le cadre de la mise en état, le dossier a été transmis pour avis au parquet général en date du 5 mai 2011 qui a indiqué s'en rapporter le 18 mai 2011.

Il y a lieu, dans ces conditions, de débouter les époux Batard de cette demande.

- Sur la saisine de l'Autorité de la concurrence

S'agissant en l'espèce d'une demande d'annulation d'une clause contenue dans un contrat de droit privé, celle-ci ne relève pas de la compétence d'attribution de l'autorité de la concurrence chargée de sanctionner les pratiques anticoncurrentielles, son avis ne pouvant avoir aucune incidence sur le présent litige.

Il convient de débouter les époux Batard également de cette demande.

- Sur la validité de la clause

L'article 6 du contrat de franchise signé le 8 mars 1994 stipulait que : "En cas de rupture de la présente convention avant son terme et sans préjudice de l'exercice de la clause pénale et de toute demande de dommages et intérêts complémentaires, le franchisé s'oblige à ne pas utiliser directement ou indirectement, personnellement ou par personne interposée, en société ou autrement, durant une période de un an à compter de la date de résiliation du présent contrat, une enseigne de renommée nationale ou régionale déposée ou non et à ne pas offrir en vente des marchandises dont les marques sont liées à ces enseignes (marques propres) ceci dans un rayon de cinq kilomètres du magasin Shopi faisant l'objet du présent contrat."

Il n'est pas contesté que le réseau de franchise "Shopi" reste exclusivement français et ne comporte aucun point de vente établi sur le territoire d'un autre Etat membre de la communauté européenne. Aucune incidence de ce réseau sur le commerce intra-communautaire n'est démontré.

Dès lors, l'article 85-1, devenu 81 du Traité de Rome du 25 mars 1957 instituant la communauté économique européenne, qui interdit les pratiques concertées susceptibles d'affecter la concurrence entre les Etats membre ou qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur de la CEE, ne trouve pas à s'appliquer audit contrat de franchise. La validité de la clause litigieuse doit par conséquent s'apprécier au regard du seul droit interne.

En l'espèce, la clause litigieuse se distingue d'une clause de non concurrence en ce qu'elle ne vise pas à interdire à l'ex franchisé d'exercer son activité commerciale pendant une durée déterminée et dans un espace donné mais restreint uniquement sa liberté d'affiliation à un autre réseau, qui ne constitue que l'une des modalités d'exercice d'une activité commerciale, l'ex franchisé pouvant la poursuivre sous une enseigne locale ou sa propre enseigne. Elle doit par conséquent être qualifiée de clause de non-réaffiliation.

La clause litigieuse n'étant contraire ni à la loi, ni aux bonnes mœurs, il convient d'en apprécier sa licéité au regard de l'ordre public.

La clause prévoit d'une part une obligation de non affiliation à une enseigne de renommée nationale ou régionale, et d'autre part une interdiction d'offrir à la vente les marques propres liées à cette enseigne, ce qui constitue une atteinte à la liberté de commerce.

Dans ces conditions, même si la clause de non-réaffiliation est moins restrictive pour le franchisé qu'une clause de non concurrence, elle doit néanmoins, pour être valable, non seulement être limitée dans le temps et dans l'espace, mais également être dictée par la nécessaire protection d'un intérêt légitime de la part du franchiseur et rester proportionnée à l'objectif qu'elle poursuit, et ce au regard de la branche d'activité commerciale visée, soit en l'espèce la distribution alimentaire de proximité.

La franchise est généralement définie comme la réitération d'une réussite commerciale grâce à la mise en œuvre d'un savoir-faire commercial qui est considéré comme un élément essentiel.

La clause de non-réaffiliation stipulée par le franchiseur doit, par conséquent, être nécessaire à la protection de ce savoir-faire.

En l'espèce, au vu du contrat de franchise, celui-ci consiste en des prestations relatives à l'organisation générale de l'activité du magasin (agencement, politique commerciale, budgets d'investissement souhaitables et aux comptes d'exploitation prévisionnels, actions promotionnelles à mener), à la formation du personnel, à la gestion commerciale, administrative et financière, dont la fourniture de prix de vente aux consommateurs conseillés, en une politique de communication et de publicité autour de l'enseigne, l'organisation de réunions sur les perspectives d'évolution de l'enseigne.

Il s'agit d'un savoir-faire professionnel indéniable.

Cependant, il est constitué pour partie d'éléments, qui, s'ils ne sont pas observables, sont néanmoins communs à toutes les enseignes et indispensables à l'exercice de la profession de commerçant, telles la formation aux techniques commerciales et administratives, l'expérience de gestion du franchiseur, éléments dont l'ex franchisé peut au demeurant continuer à faire usage, mettant à profit dans le cadre de la poursuite de son activité, les conseils prodigués par le franchiseur pendant l'exécution du contrat.

D'autres éléments peuvent être facilement remarqués au sein du magasin, notamment dans son agencement, l'implantation des produits, qui, de plus, présentent un caractère général et sont et de consommation courante.

Enfin, les éléments spécifiques à l'enseigne, comme le savoir-faire relatif à la politique de promotion de l'enseigne, sont, dans les faits, abandonnés par l'ex franchisé, dès lors qu'il quitte le réseau pour adopter ceux transmis par le nouveau réseau.

Au demeurant, et surtout, il s'avère que la clause de non-réaffiliation n'est en réalité pas liée à la crainte de la fuite d'un savoir-faire vers des groupes de distribution concurrents, puisqu'elle n'a vocation à s'appliquer qu'en cas de rupture anticipée, alors que ce risque est encouru d'égale manière à l'échéance prévue au contrat.

Il n'est pas contesté que l'activité de distribution alimentaire de proximité s'exerce de manière quasi systématique dans le cadre de réseaux de franchise organisés et avec des enseignes de renommée nationale, ou régionale, qui permet de bénéficier d'une pratique commerciale et d'une image de marque attractives, que par ailleurs la vente de produits portant la marque de distributeur représente en moyenne plus de 20 % des références de tout supermarché de proximité.

Le fait d'être affilié à un groupe de distribution constitue donc, dans le secteur de la distribution alimentaire de proximité, un élément nécessaire et indispensable à l'exercice de cette activité commerciale.

En l'espèce, la surface de vente de la supérette exploitée par les époux Batard dans un petit chef-lieu de canton de l'Oise exclut toute possibilité économiquement viable pour eux, d'un approvisionnement autre que celui en provenance d'un réseau ou d'une centrale d'achat permettant du fait du regroupement, l'accès à des prix compétitifs.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la clause de non-réaffiliation n'est pas nécessaire à la protection du savoir-faire attaché à l'enseigne "Shopi" et s'avère en outre totalement disproportionnée aux intérêts économiques qu'elle est censée protéger puisqu'elle rend quasi impossible pendant une année la poursuite de l'exploitation du fonds de commerce, privé du support d'un réseau structuré, éprouvé et notoirement connu, dans des conditions garantissant sa rentabilité, la possibilité pour l'ex franchisé d'exercer son activité hors de tout réseau étant purement formelle. Elle constitue ainsi une atteinte illégitime à la liberté de commerce et n'est donc pas valable.

La société Carrefour Proximité France sera par conséquent déboutée de sa demande de dommages et intérêts au titre de la violation de la clause de non-réaffiliation.

- Sur les demandes relatives aux dommages et intérêts pour trouble commercial et pour procédure abusive

Ces points ont été définitivement tranchés par la Cour d'appel de Caen dans sa décision du 15 janvier 2009, la cassation ne portant que sur le point de l'indemnisation du préjudice résultant de la violation de la clause de non-réaffiliation.

- Sur l'indemnité de procédure devant la cour d'appel de renvoi

L'équité commande d'allouer aux époux Batard la somme de 15 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : Déboute la société Carrefour Proximité France de sa demande de révocation de l'ordonnance de clôture prononcée le 3 juin 2011, Déclare irrecevables les conclusions déposées et les pièces communiquées le 3 juin 2011 par les époux Batard et le 8 juin 2011 par la société Carrefour Proximité France, Déclare recevables les prétentions des époux Batard formulées dans les conclusions déposées par eux au cours de l'instruction devant la cour de renvoi, Déboute les époux Batard de leur demande de communication au Parquet général, Déboute les époux Batard de leur demande de saisine de l'autorité de la concurrence pour avis sur la conformité de la clause de non-réaffiliation prévue au contrat de franchise signé le 8 mars 1994, Déclare nulle et de nul effet la clause de non-réaffiliation stipulée audit contrat, Déboute la société Carrefour Proximité France de sa demande de dommages et intérêts résultant de la violation de ladite clause annulée, Condamne la société Carrefour Proximité France à payer aux époux Batard la somme de 15 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Carrefour Proximité France aux entiers dépens dont droit de recouvrement au profit des avoués de la cause conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.