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Décisions

ADLC, 25 mars 2013, n° 13-A-09

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Avis

Concernant un projet de décret relatif aux tarifs réglementés de vente de gaz naturel

ADLC n° 13-A-09

25 mars 2013

L'Autorité de la concurrence (commission permanente),

Vu la demande d'avis du gouvernement présentée sur le fondement de l'article L. 462-2 du Code de commerce et enregistrée le 1er février 2013 et enregistrée sous le numéro 13/0007 A ; Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) ; Vu la directive 2009/73/CE du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence ; Vu le Code de l'énergie ; Le rapporteur, le rapporteur général adjoint, le commissaire du gouvernement et les représentants de la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) entendus lors de la séance du 13 mars 2013 ; Les représentants de la société GDF Suez, de l'Association UFC-Que Choisir et de l'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE) entendus sur le fondement des dispositions de l'article L. 463-7 du Code de commerce ;

Est d'avis de répondre à la demande présentée dans le sens des observations qui suivent :

I. Constatations

A. LA SAISINE

1. Par lettre enregistrée le 1er février 2013 enregistrée sous le numéro 13/0007A, l'Autorité de la concurrence a été saisie par le gouvernement d'une demande d'avis concernant un projet de décret portant sur les tarifs réglementés de vente de gaz naturel.

2. Ce projet de décret modifie le décret n° 2009-1603 du 18 décembre 2009 afin de mettre en œuvre les nouvelles modalités de fixation des tarifs réglementés du gaz naturel souhaitées par le gouvernement.

B. LE MARCHÉ DU GAZ ET L'OUVERTURE À LA CONCURRENCE

1. LA CONSOMMATION ET L'APPROVISIONNEMENT DE GAZ NATUREL EN FRANCE

3. En France, la consommation nationale de gaz a été quasiment multipliée par 5 entre 1970 et 2011. Depuis 2002, celle-ci est relativement stable et s'est élevée à 511 TWh en 2012.

4. Les usages du gaz naturel sont très variés : il est à la fois utilisé à des fins domestiques (chauffage et cuisson), industrielles, mais également, de manière croissante, pour la production d'électricité (centrales à gaz).

5. La France est dépendante des importations pour la quasi-totalité de sa consommation de gaz. En 2011, les sources d'approvisionnement français se décomposent de la manière suivante (1) : Norvège (36%), Pays-Bas (19%), Russie (15%), Algérie (13%), Qatar (6%), Egypte, Trinité et Tobago et Nigeria.

6. L'approvisionnement du gaz depuis l'étranger vers la France se fait soit par gazoducs (sous forme gazeuse), soit par méthaniers (sous forme liquéfiée). Si l'approvisionnement traditionnel par gazoducs reste majoritaire (72% en 2011), les importations sous forme de gaz naturel liquéfié (GNL) sont en croissance (28%). Ce dernier mode d'importation permet à la France de diversifier ses sources d'approvisionnement auprès de nouveaux producteurs et réduit ainsi la dépendance vis-à-vis des réseaux existant de gazoducs.

2. L'OUVERTURE DU MARCHÉ À LA CONCURRENCE

7. Sous l'impulsion de la Commission Européenne (2) , le marché français de la fourniture de gaz naturel a été ouvert progressivement à la concurrence depuis 2000. Cette ouverture a d'abord concerné les grands clients industriels consommant plus de 237 GWh/an, soit 600 sites de consommation représentant 20% de la consommation nationale. Ensuite, en 2003, le marché a été ouvert aux clients consommant plus de 83 GWh/an, soit 1200 sites représentant 37% de la consommation nationale. A partir de 2004, tous les consommateurs non-résidentiels (y compris les clients professionnels) ont eu la possibilité de choisir leur fournisseur de gaz, soit 640 000 sites professionnels représentant 70% de la consommation nationale. Puis, en 2007, ce fut le cas pour l'ensemble des consommateurs (résidentiels et non-résidentiels), soit plus de 11 millions de consommateurs.

8. Les pouvoirs publics français ont, en parallèle de cette ouverture à la concurrence, souhaité maintenir l'existence de tarifs réglementés de vente (TRV) pour le gaz naturel, pour l'ensemble des consommateurs français (résidentiels et non-résidentiels). En effet, l'article L. 410-2 du Code de commerce autorise une réglementation des prix concernant les marchés où la concurrence est limitée, ce qui est considéré être le cas pour la fourniture de gaz naturel en France.

9. Les consommateurs ont donc actuellement le choix, comme pour l'électricité, entre deux types d'offres de fourniture de gaz :

- les offres aux TRV qui sont proposées uniquement par les fournisseurs, dits " historiques " (les fournisseurs présents avant l'ouverture du marché à la concurrence) : principalement GDF Suez mais également Tégaz (Total) pour certains clients industriels ainsi que 22 entreprises locales de distribution (ELD) ;

- les offres de marché qui sont proposées à la fois par les fournisseurs historiques mais également par les nouveaux fournisseurs de gaz naturel, dits " fournisseurs alternatifs ".

C. LES MODALITÉS ACTUELLES DE FIXATION DES TRV

1. LES DISPOSITIONS RÉGLEMENTAIRES

10. Les modalités actuelles de fixation des TRV du gaz sont précisées dans le Code de l'énergie (articles L. 445-1 et suivants) et dans le décret n° 2009-1603 du 18 décembre 2009.

11. L'article L. 445-2 du Code de l'énergie mentionne que les TRV sont fixés conjointement par les ministres en charge de l'énergie et de l'économie, sur avis de la Commission de régulation de l'énergie (CRE). L'article L. 445-3 du Code de l'énergie rappelle quant à lui le principe de couverture des coûts de fourniture du gaz naturel par les TRV : " les tarifs réglementés de vente du gaz naturel sont définis en fonction des caractéristiques intrinsèques des fournitures et des coûts liés à ces fournitures. Ils couvrent l'ensemble de ces coûts ".

12. Les modalités d'application de ce principe général de couverture des coûts sont déclinées dans le décret n° 2009-1603 du 18 décembre 2009. Ce décret :

- apporte des précisions concernant le principe de couverture des coûts : " les tarifs réglementés de vente du gaz naturel couvrent les coûts d'approvisionnement en gaz naturel et les coûts hors approvisionnement " ;

- prévoit, pour chaque fournisseur historique, l'établissement d'une formule tarifaire qui " traduit la totalité des coûts d'approvisionnement en gaz naturel et des coûts hors approvisionnement et permet de déterminer le coût moyen de fourniture du gaz naturel à partir duquel sont fixés les tarifs réglementés de vente du fournisseur ". Les formules tarifaires sont fixées par les ministres de l'économie et de l'énergie, après avis de la CRE, à partir des propositions faites par les fournisseurs historiques ;

- dispose que, pour chaque fournisseur historique, un arrêté des ministres en charge de l'économie et de l'énergie, pris après avis de la CRE, fixe les barèmes des TRV, à partir des propositions du fournisseur. Ces barèmes sont réexaminés au moins une fois par an et révisés s'il y a lieu en fonction de l'évolution de la formule tarifaire. Pour rendre son avis, la CRE s'appuie notamment sur les éléments comptables produits par le fournisseur.

13. Enfin, un contrat de service public conclu entre GDF Suez et l'Etat le 23 décembre 2009 pour la période 2010-2013 vient apporter des précisions sur les modalités de fixation des TRV appliqués par GDF Suez en indiquant notamment le rythme de réexamen des composantes de la formule tarifaire et l'évolution des différents termes de cette formule. Ce texte précise notamment que, pour GDF Suez, les modifications tarifaires sont trimestrielles.

2. LES DIFFÉRENTES COMPOSANTES DES TRV

14. En vertu des dispositions réglementaires, les différentes composantes des TRV du gaz se décomposent actuellement de la manière suivante :

1. une part " approvisionnement " reflétant le coût d'achat du gaz et reposant en grande partie sur les contrats de long terme conclus entre le fournisseur historique et les producteurs étrangers ;

2. une part " hors approvisionnement " composée

- d'une part " transport " : le transport du gaz consiste à l'acheminer depuis la zone d'extraction jusqu'à la zone de consommation, afin d'alimenter les réseaux de distribution. Le réseau de transport du gaz est souvent comparé à une autoroute car il concerne de grands axes alors que les réseaux de distribution sont des axes plus courts acheminant le gaz directement chez le consommateur ;

- d'une part " stockage " : en stockant une partie du gaz extrait, les producteurs garantissent de pouvoir livrer des volumes stables de gaz tout au long de l'année. Pour les consommateurs, le stockage du gaz garantit un approvisionnement continu. Ainsi le gaz acheminé vers les zones de consommation n'est pas forcément utilisé tout de suite. Il est alors stocké pour être réutilisé dès que la demande le justifie ;

- d'une part " distribution " : les réseaux de distribution permettent d'acheminer le gaz depuis les réseaux de transport vers les consommateurs ;

- d'une part " commercialisation " : cette partie couvre les frais de fonctionnement du fournisseur et lui garantit une marge commerciale ;

- de la " contribution tarifaire d'acheminement " (CTA) : la CTA est une taxe relative aux prestations de transport et de distribution d'électricité et de gaz naturel et

- de la TVA.

<Emplacement graphique 1 >

D. LES PRINCIPALES DISPOSITIONS DU PROJET DE DÉCRET SOUMIS À L'EXAMEN DE L'AUTORITÉ

15. Il convient de souligner tout d'abord que le projet de décret mentionne qu'un certain nombre d'arrêtés devront être pris ultérieurement afin de préciser plusieurs modalités de fonctionnement du nouveau système (par exemple la fréquence de l'évolution des TRV pour chaque fournisseur historique). Si ces éléments semblent avoir été actés pour GDF Suez, cela ne semble pas encore être le cas pour les autres fournisseurs historiques (Entreprises Locales de Distribution). Dès lors, la description du dispositif ainsi que l'analyse concurrentielle porteront principalement sur les TRV proposés pour GDF Suez.

16. Le projet de décret soumis à l'avis de l'Autorité et les futurs arrêtés précisés dans le cadre de ce projet de décret apportent plusieurs modifications au dispositif actuel de fixation des TRV.

17. Premièrement, il est prévu que, chaque année, la CRE conduise un audit des coûts de chaque fournisseur historique (coûts approvisionnement et hors approvisionnement) et que cet audit soit remis au gouvernement pour le 15 mai de chaque année. Actuellement, cet audit n'intervient que ponctuellement, à la demande des ministres de l'économie et de l'énergie.

18. Deuxièmement, sur la base de ces audits annuels, il est proposé que les ministres de l'économie et de l'énergie prennent, chaque année, un arrêté concernant la formule tarifaire. Actuellement, la formule tarifaire n'évolue pas systématiquement chaque année mais ponctuellement, à la demande du gouvernement. Par ailleurs, la formule tarifaire permettra dorénavant de déterminer seulement les coûts d'approvisionnement, alors que, dans le décret de 2009, la formule tarifaire permettait de déterminer à la fois les coûts d'approvisionnement mais également les coûts hors approvisionnement.

19. Troisièmement, sur la base de la formule tarifaire, il est prévu que les arrêtés fixant les TRV appliqués par GDF Suez ne soient plus pris chaque trimestre mais chaque année (a priori le 1er juillet). Néanmoins, chaque fournisseur historique pourra faire évoluer ses TRV à des périodes infra-annuelles pour tenir compte de l'évolution de ses coûts d'approvisionnements, et ce au maximum une fois par mois, la fréquence devant être définie dans un arrêté. Dans le cas de GDF Suez, il est pour l'instant prévu que, chaque mois, la CRE examine l'évolution des coûts d'approvisionnement de GDF Suez et autorise une répercussion de l'évolution de ces coûts dans les TRV. Ces évolutions mensuelles auront lieu sans arrêté tarifaire.

20. Enfin, le projet de décret prévoit que le Premier ministre pourra, par décret, s'opposer à certaines augmentations mensuelles des TRV " en cas d'augmentations exceptionnelles des prix des produits pétroliers ou des prix de marché du gaz naturel ". Pour ne pas porter atteinte au principe de couverture des coûts mentionné dans la loi, le décret, pris après avis de la CRE, ne pourra que différer tout ou partie de cette hausse, sur une période maximale d'une année et conformément à des modalités et un calendrier qui devront être clairement établis.

II. Analyse concurrentielle

21. L'analyse concurrentielle portera, en premier lieu, sur la pertinence du maintien en France de tarifs réglementés de vente pour le gaz naturel et, dans un second temps, sur les principales dispositions du projet de décret soumis à l'avis de l'Autorité.

A. SUR LA PERTINENCE DU MAINTIEN DES TARIFS RÉGLEMENTÉS DE VENTE DU GAZ NATUREL

1. SUR L'ÉCHEC DE L'OUVERTURE DU MARCHÉ DE LA FOURNITURE DE GAZ NATUREL (HORS GRANDS CLIENTS INDUSTRIELS)

22. Au 30 septembre 2012, soit plus de 5 ans après l'ouverture total du marché du gaz à la concurrence, la part de marché des fournisseurs historiques, tous segments de marché confondus, reste très significative : 90 % (en nombre de sites) et 68% (en volume de consommation). Si les très grands sites de consommation industriels font jouer la concurrence (la part de marché des fournisseurs historiques s'élevant à 49% sur ce segment), c'est beaucoup moins le cas sur le segment des PME-PMI (72%) et c'est très rarement le cas pour les consommateurs résidentiels (90%) (3).

23. Cette très faible ouverture du marché du gaz est à mettre en perspective avec la connaissance encore très limitée qu'ont les consommateurs de l'ouverture à la concurrence de ce marché. Ainsi, selon un sondage publié par la CRE et le médiateur national de l'énergie (4), 52% des consommateurs ne savent pas qu'ils peuvent choisir leur fournisseur de gaz alors même que la consommation d'électricité et de gaz est un sujet de préoccupation pour 79% des consommateurs interrogés. Seulement 20% des personnes interrogées ont fait une démarche pour se renseigner sur les offres alternatives aux TRV de gaz et d'électricité. Enfin, 68% des consommateurs ignorent qu'EDF et GDF Suez sont deux entreprises différentes et concurrentes sur les marchés du gaz et de l'électricité.

24. Ce défaut d'information est très préjudiciable aux consommateurs. Alors même que le prix de la fourniture est l'élément majeur de différenciation des offres des fournisseurs, il est paradoxal de constater que le fournisseur alternatif qui se développe le plus actuellement (EDF) est également celui qui propose les seules offres de gaz plus onéreuses que les TRV. La part de marché des autres fournisseurs alternatifs plafonne à 3% du marché total, alors même que ces derniers sont en mesure de proposer des offres beaucoup plus compétitives que certains TRV (jusqu'a -15% sur certains segments).

25. Les fournisseurs alternatifs sont en mesure de proposer des offres compétitives car ils ont, en règle générale, des coûts d'approvisionnement et de fonctionnement inférieurs à ceux du fournisseur historique. Ainsi, ils peuvent conclure des contrats d'approvisionnement à des niveaux de prix plus compétitifs que ceux des contrats de long terme conclus par le fournisseur historique. Ceci provient notamment du fait que les contrats d'approvisionnement du fournisseur historique sont en règle générale fortement indexés sur l'évolution du prix des produits pétroliers, alors que les contrats d'approvisionnement de certains fournisseurs alternatifs comportent une indexation plus importante sur les marchés spot du gaz. Ces dernières années, un différentiel de prix assez marqué a pu être observé entre le prix des produits pétroliers et le prix du gaz sur les marchés spot européens en raison notamment de l'exploitation des gaz de schiste aux Etats-Unis. En effet, celle-ci a eu pour conséquence particulière d'augmenter les volumes de gaz disponibles pour l'Europe (gaz autrefois destiné au marché américain) sans que la consommation de gaz européenne n'augmente de la même manière (elle a même baissé au cours des dernières années du fait de la crise économique). Le prix du gaz sur les marchés spot européens a donc baissé de manière importante et les nouveaux fournisseurs ont pu plus facilement négocier des contrats d'approvisionnement indexés sur le prix des marchés spot du gaz auprès des producteurs étrangers ou s'approvisionner directement sur les marchés spot du gaz. En revanche, s'ils ont pu eux aussi négocier une augmentation de la part de leurs approvisionnements indexée sur les marchés spot du gaz, les fournisseurs historiques européens sont toujours tenus par des contrats de long terme majoritairement indexés sur les produits pétroliers.

26. En ce qui concerne le succès relatif d'EDF sur le marché du gaz, il convient de préciser que ce fournisseur recrute notamment ses nouveaux clients gaz lors des mises en service pour l'électricité, c'est-à-dire lorsque que le consommateur déménage dans un nouveau lieu de consommation. Quand le local est alimenté en gaz et que le consommateur contacte EDF pour faire la mise en service de son compteur électrique, EDF est en mesure de bénéficier du faible degré d'information du client en lui proposant une offre dite " duale " (gaz et électricité) où l'offre gaz est proposée à un prix supérieur au montant des TRV gaz. Il est probable qu'une large part de ces consommateurs n'est d'ailleurs pas consciente d'avoir quitté le régime des TRV, pensant encore être alimentée en gaz et en électricité par un hypothétique monopole " EDF-GDF ". EDF se trouve ainsi être le fournisseur alternatif le plus dynamique, alors même qu'il propose des prix de fourniture de gaz plus élevés que les TRV.

27. Il ressort de l'ensemble de ces éléments que le marché de la fourniture de gaz en France connaît actuellement des dysfonctionnements qui nuisent à la fois à la compétitivité des entreprises françaises et au pouvoir d'achat des ménages français.

2. LES TRV COMME PRINCIPAL FACTEUR DE DYSFONCTIONNEMENT DU MARCHÉ FRANÇAIS DE LA FOURNITURE DE GAZ

28. En 2009, les pouvoirs publics ont proposé de rendre plus transparente la fixation des TRV par le biais de l'établissement d'une formule tarifaire censée refléter les coûts d'approvisionnement et hors approvisionnement des fournisseurs historiques et qui servirait de base à la fixation des TRV. L'objectif de ce dispositif était de fixer les TRV en les arrimant aux coûts supportés par les fournisseurs historiques par le biais de l'application automatique d'une formule tarifaire. Son application devait permettre que les consommateurs paient leur gaz à un prix reflétant au mieux les coûts supportés par les fournisseurs historiques, que ceux-ci n'aient pas à connaître de pertes financières en fournissant du gaz aux TRV et que les fournisseurs alternatifs puissent avoir de la visibilité pour développer sur la durée des offres compétitives par rapport aux TRV.

29. Le gouvernement a toutefois été amené assez rapidement à s'écarter de cette logique de couverture des coûts. En effet, la composante des formules tarifaires représentant les coûts d'approvisionnement repose sur les contrats de long terme et ces contrats reposent sur une indexation importante au prix des produits pétroliers. Dès lors, l'augmentation de ces derniers aurait du avoir pour conséquence une augmentation sensible des TRV du gaz. Or, depuis 2009, le gouvernement n'a pas jugé opportun que les formules tarifaires soient appliquées : les montants des TRV ont donc été gelés ou leur hausse limitée, et ce à plusieurs reprises.

30. Ces gels et limitations de la hausse des TRV ont donné lieu à un important contentieux devant le Conseil d'Etat au cours des dernières années (5). Le Conseil d'Etat a annulé plusieurs arrêtés tarifaires et a enjoint aux ministres en charge de l'énergie et de l'économie de prendre de nouveaux arrêtés tarifaires qui soient conformes aux formules tarifaires des fournisseurs tout en organisant le rattrapage des gels et limitations du montant des TRV passés sur les futurs TRV.

31. Selon la CRE, à la suite du dernier rattrapage, au 1er janvier 2013, si les coûts de GDF Suez semblent globalement couverts par les tarifs sur les différents segments de marché, il apparaît que les tarifs s'adressant aux industriels (tarifs B2S et TEL) font l'objet d'une surcouverture des coûts alors que les tarifs s'adressant aux consommateurs plus petits (Base, B0, B1) font encore l'objet d'un déficit de couverture parfois très prononcé, pour ce qui concerne le tarif de base.

<Emplacement graphique 2>

32. Ainsi, comme le relève la CRE (6), " les tarifs réglementés, bien qu'ils couvrent depuis le 1er janvier 2013 les coûts de GDF Suez, sont déficitaires pour les petits clients (<6 MWh/an) et en particulier pour les clients de l'option Base correspondant à une utilisation dite " cuisson ". Le prix de cette option est de 30% inférieur aux coûts ce qui rend ce segment de clientèle quasiment inaccessible pour un fournisseur alternatif ".

33. Il ressort de l'ensemble de ces éléments que le dispositif mis en place en 2009 et qui avait pour objectif de fixer les TRV de manière transparente à partir d'une formule tarifaire qui devrait refléter les coûts n'a pas été mis en œuvre par les pouvoirs publics. Les TRV ont continué à être fixés sans lien avec les coûts, comme lors de la période précédant la mise en place du nouveau dispositif.

34. Les entreprises et associations de consommateurs auditionnées au cours de l'instruction ont mentionné que ce non-respect des règles du jeu fixées en 2009 a entraîné une véritable défiance des fournisseurs alternatifs vis-à-vis de l'interventionnisme gouvernemental concernant les TRV, ce qui les a dissuadés d'investir de manière massive le marché des petits consommateurs notamment. N'ayant qu'une visibilité très limitée sur les futures interventions gouvernementales, ces fournisseurs alternatifs n'ont pas pris le risque financier de conduire de coûteuses campagnes de publicité de grande ampleur dans lesquelles ils auraient pu s'engager sur des baisses de prix par rapport aux TRV en informant les consommateurs sur leurs possibilités de changer de fournisseur.

35. Les quelques fournisseurs alternatifs ayant investi le marché des petits consommateurs ont préféré avoir recours au démarchage à domicile pour leur développement commercial, jugé moins risqué en cas de revirements réglementaires car plus flexible (sous-traitance des commerciaux) et par quelques campagnes d'affichage et de sponsoring (moins coûteuses que des campagnes TV). Ce type de développement commercial n'a en revanche pas permis une information des consommateurs d'une ampleur similaire à des campagnes TV.

36. Par ailleurs, certains fournisseurs étrangers (EON, RWE, Nuon…), pourtant déjà présents dans plusieurs pays européens, se sont gardés d'investir le marché résidentiel français. Ceci est sans doute du au fait que les TRV sont largement perçus, depuis l'étranger, comme un instrument présentant un risque politique très important pour leur plan d'affaires.

37. Il ressort de ce qui précède que les consommateurs ont reçu très peu d'informations sur les offres des fournisseurs alternatifs. Ils continuent en particulier souvent de penser que le choix de se fournir sur le marché libre est irréversible, ce qui n'est pourtant plus le cas depuis 2010. Ce défaut d'information a été considérablement renforcé par la publicité gratuite faite, chaque trimestre, aux TRV, lorsque resurgit le débat sur la fixation de leur montant. Le fait que ce débat soit relayé auprès du grand public à travers l'ensemble des médias de masse renforce dans l'esprit de nombreux consommateurs l'idée qu'il n'y aurait qu'un seul prix du gaz en France, celui des TRV proposés par le fournisseur historique.

38. Ce défaut d'information les empêche ainsi de bénéficier des offres proposées par les fournisseurs alternatifs qui sont, pour certaines, beaucoup plus compétitives que les TRV. Ainsi, au 21 mars 2013, une comparaison des prix par le biais du site internet energie-info.fr (développé par la CRE et le médiateur de l'énergie) permet de mettre en évidence qu'un consommateur résidentiel peut faire jusqu'à 450 EUR d'économie sur sa facture annuelle de gaz (-12% par rapport aux TRV) (7). Ces offres compétitives restent largement méconnues des consommateurs.

39. Pour la minorité de consommateurs informés de leur capacité de changer de fournisseur, il est de plus extrêmement difficile de calculer les économies qu'ils peuvent faire en quittant le régime des TRV pour un fournisseur alternatif, car les TRV évoluent actuellement chaque trimestre tandis que leur évolution s'avère erratique (gel, limitation de hausse, puis, à la suite des arrêts du Conseil d'Etat, rattrapage des gels et limitations de hausses passées sur les TRV futurs).

40. Il ressort des éléments précédents que l'existence même des TRV est la principale raison des dysfonctionnements sur le marché du gaz. Les TRV dissuadent l'entrée des fournisseurs sur le marché ou, lorsqu'ils décident d'investir ce marché, entrave considérablement leur développement, les empêchant de faire connaître leurs offres à grande échelle. Par ailleurs, la publicité faite chaque trimestre autour des évolutions des TRV conforte les ménages dans l'idée que l'Etat protège les consommateurs en maintenant les prix du gaz bas et que les TRV sont systématiquement plus avantageux que les offres des fournisseurs alternatifs. Cette situation a pour conséquence de maintenir les consommateurs dans un degré important de méconnaissance des règles du marché. Les consommateurs restent donc majoritairement chez GDF Suez ou sont captés par EDF qui est en mesure de leur faire accepter, en jouant sur son image de " service public ", des offres plus chères que les TRV.

3. SUR LES CONSÉQUENCES DE L'EXISTENCE DES TRV SUR LE PRIX MOYEN DU GAZ EN FRANCE

41. Les TRV bénéficient auprès des consommateurs d'une image positive tenant à leur simplicité et à la confiance inspirée par la notoriété des fournisseurs qui peuvent les proposer. Ils sont en outre régulièrement présentés au grand public comme un rempart contre la cherté du gaz naturel.

42. Pourtant, si l'on compare le prix du gaz payé par les consommateurs résidentiels dans les plus grands pays consommateurs de gaz en Europe (Grande-Bretagne, Allemagne, Italie, France, Espagne), il peut être constaté, de façon constante depuis 2009, que le gaz est moins cher dans les pays qui ont supprimé toute réglementation des prix de détail (Grande-Bretagne et Allemagne) que dans les pays qui ont souhaité maintenir une réglementation des prix du gaz (Espagne, France, Italie).

43. Ainsi, selon les derniers chiffres publiés par Eurostat, l'évolution du prix du gaz dans ces différents pays est la suivante :

Prix du gaz hors taxes en EUR/kWh (consommation entre 20 et 200 GJ) / 2009 S2 / 2010 S1 / 2010 S2 / 2011 S1 / 2011 S2 / 2012 S1

France / 0,0499 / 0,0441 / 0,0482 / 0,0483 / 0,0538 / 0,0529

Espagne / 0,0462 / 0,046 / 0,0458 / 0,0454 / 0,0458 / 0,0573

Italie / 0,0349 / 0,0376 / 0,0498 / 0,0441 / 0,0562 / 0,0511

Union européenne (27 pays) / 0,0413 / 0,0398 / 0,0435 / 0,0431 / 0,0499 / 0,0491

Allemagne / 0,0435 / 0,0415 / 0,042 / 0,0435 / 0,0478 / 0,0476

Royaume-Uni / 0,0406 / 0,0386 / 0,0402 / 0,0405 / 0,0498 / 0,0497

<Emplacement graphique 3>

44. Il apparaît que, parmi les grands pays consommateurs européens, la France est l'un des pays où le gaz est le plus onéreux pour les consommateurs résidentiels, et ce en dépit des multiples gels et limitations de TRV des dernières années. Le prix français est également très nettement au-dessus de celui de la moyenne européenne, du prix allemand et du prix britannique.

45. Conscients du fait que le maintien de TRV avait des effets néfastes sur la concurrence et sur les prix, de nombreux pays européens ont d'ailleurs progressivement supprimé toute réglementation du prix de détail du gaz.

46. En ce qui concerne les PME et les grands consommateurs industriels, selon l'ERGEG (European Regulators Group for Electricity and Gas) (8), seul un tiers des pays de l'Union européenne ont décidé de conserver une réglementation des prix de détail (la Bulgarie, la France, la Grèce, l'Irlande, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, le Portugal et la Roumanie).

47. En ce qui concerne les petits consommateurs, si une majorité de pays ont décidé de conserver une réglementation des prix de détail (16 pays), il convient de constater que la Grande-Bretagne et l'Allemagne, qui constituent les marchés du gaz les plus importants en Europe, ont décidé d'abandonner toute réglementation des prix de détail pour les ménages depuis 1998. Dans ces deux pays, il est ainsi beaucoup plus facile de comparer les offres de fourniture entre elles car celles-ci sont souvent construites autour d'un prix fixe du kWh de gaz pendant une certaine durée (une à deux années). Les fournisseurs alternatifs peuvent ainsi mettre en valeur plus facilement leur avantage coût par rapport aux anciens fournisseurs et, ainsi, faire baisser la facture des consommateurs.

48. Concernant la Grande-Bretagne, le rapport Yarrow (9) a par ailleurs modélisé ce qu'aurait été le prix moyen du gaz en Grande-Bretagne si la réglementation du prix de détail avait été maintenue. Selon ce rapport, les prix en Grande-Bretagne auraient été plus élevés si la réglementation avait été maintenue. Il est en effet notamment démontré que la suppression du contrôle des prix a permis une réduction significative des marges commerciales des différents opérateurs, au bénéfice du consommateur final. Il convient de mentionner que ce rapport s'inscrit par ailleurs dans la lignée de nombreuses analyses économiques qui mettent en évidence le fait qu'une réglementation des prix est souvent facteur d'augmentation des prix payés par les consommateurs (10).

49. Il ressort de ce qui précède que, si les comparaisons de prix doivent être maniées avec précaution (le prix dépend également d'autres facteurs comme par exemple la densité de population du territoire analysé en raison des coûts de transport du gaz), elles sont une bonne illustration qu'une réglementation des prix de détail va rarement dans le sens d'une protection du pouvoir d'achat des consommateurs.

4. SUR LA JURISPRUDENCE DE LA COUR CONCERNANT LA COMPATIBILITÉ DES TRV AVEC LE DROIT COMMUNAUTAIRE

50. La Cour de justice a été amenée, en 2010, à se prononcer sur la conformité d'une réglementation des prix du gaz en Italie avec certaines dispositions de la directive 2003/55/CE relative au marché intérieur du gaz naturel (11).

51. Plus particulièrement, à la suite d'une demande de décision préjudicielle introduite par le tribunal administratif de Lombardie, la Cour a été amenée à examiner la compatibilité de l'imposition de prix de référence par le régulateur sectoriel italien pour la fourniture de gaz naturel aux consommateurs finals avec les dispositions de la directive relatives notamment aux " obligations de services public qui peuvent porter sur le prix de la fourniture " (article 3 de la directive).

52. Dans le cadre de son arrêt, la Cour de justice a dit pour droit que :

"Les articles 3, paragraphe 2, et 23, paragraphe 1, de la directive 2003/55, concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel, ne s'opposent pas à une réglementation nationale qui permet de déterminer le niveau du prix de fourniture du gaz naturel aux consommateurs finals par la définition de "prix de référence", après le 1er juillet 2007, à condition que cette intervention :

- poursuive un intérêt économique général consistant à maintenir le prix de fourniture du gaz naturel au consommateur final à un niveau raisonnable eu égard à la conciliation qu'il appartient aux États membres d'opérer, en tenant compte de la situation du secteur du gaz naturel, entre l'objectif de libéralisation et celui de la nécessaire protection du consommateur final poursuivis par la directive 2003/55 ;

- ne porte atteinte à la libre fixation des prix de la fourniture du gaz naturel après le 1er juillet 2007 que dans la seule mesure nécessaire à la réalisation d'un tel objectif d'intérêt économique général et, par conséquent, durant une période nécessairement limitée dans le temps, et

- soit clairement définie, transparente, non discriminatoire, contrôlable, et garantisse aux entreprises de gaz de l'Union européenne un égal accès aux consommateurs

(…) une telle intervention doit être limitée, pour ce qui concerne sa durée, à ce qui est strictement nécessaire pour atteindre l'objectif qu'elle poursuit afin, notamment, de ne pas pérenniser une mesure qui, par sa nature même, constitue une entrave à la réalisation d'un marché intérieur du gaz opérationnel (12)"

53. Ainsi, selon la Cour, le passage d'un marché administré à un marché concurrentiel du gaz peut nécessiter la mise en place de mesures étatiques visant à réglementer le prix de la fourniture aux clients finals. Néanmoins, la Cour insiste notamment : ".

- sur le fait que l'intervention étatique doit garantir un accès égal aux consommateurs pour tous les fournisseurs ;

- sur le caractère nécessairement limité dans le temps d'une telle mesure car elle constitue une entrave au marché intérieur de l'énergie.

54. Les dispositions relatives aux obligations de service public de la directive 2003/55/CE ont été conservées dans la directive 2009/73/CE13

- que certains TRV présentent actuellement un déficit de couverture des coûts parfois très significatif (tarifs applicables aux consommateurs résidentiels notamment), empêchant un accès égal aux consommateurs bénéficiant actuellement de ces TRV pour les entreprises de gaz de l'Union européenne et . A cet égard, il peut être constaté :

- qu'il n'est prévu aucune date d'extinction des TRV.

5. CONCLUSION

55. Il découle de ce qui précède que le maintien des TRV en France a une influence défavorable sur le fonctionnement de la concurrence sans pour autant contribuer positivement à la compétitivité des entreprises françaises et au pouvoir d'achat des ménages.

56. A la lumière de ce constat, il pourrait être proposé au gouvernement de mettre en place une feuille de route visant à supprimer, par étapes, les différents TRV en commençant par ceux applicables aux très grands clients industriels, puis ceux applicables aux PME-PMI et enfin ceux applicables aux petits consommateurs (résidentiels et professionnels). Cette suppression des TRV pourrait s'échelonner au cours des prochaines années.

57. A court terme, il pourrait être suggéré au gouvernement que, lors des prochaines évolutions de TRV, les surcouvertures et les défauts de couverture des coûts des TRV mentionnés plus haut dans l'analyse soient supprimés de manière à ce que les entreprises de gaz de l'Union européenne aient un égal accès aux consommateurs français.

58. Enfin, comme l'Autorité l'a mentionné dans son avis n° 12-A-03 relatifs aux tarifs sociaux du gaz et de l'électricité (14), il convient de souligner que les mesures préconisées ne s'opposent pas au maintien d'une protection effective des consommateurs vulnérables par le biais des dispositifs sociaux tels que le tarif spécial de solidarité du gaz naturel (TSS).

B. SUR LE PROJET DE DÉCRET SOUMIS À L'AVIS DE L'AUTORITÉ

59. Plusieurs observations peuvent être formulées concernant les trois principaux éléments du projet de décret : l'audit annuel de la CRE concernant les coûts d'approvisionnement et les coûts hors approvisionnement, l'évolution automatique des TRV à un rythme infra-annuel pouvant être mensuel et la clause de sauvegarde.

1. SUR LES AUDITS ANNUELS DE LA CRE ET L'ÉTABLISSEMENT DE LA FORMULE TARIFAIRE

60. Le projet de décret prévoit de systématiser chaque année la conduite d'audits par la CRE concernant les coûts d'approvisionnement et les coûts hors approvisionnement supportés par les fournisseurs historiques. Ces audits auront notamment vocation à fixer les formules tarifaires qui serviront de base à la détermination des TRV appliqués par chaque fournisseur historique. Le projet de décret prévoit par ailleurs que la CRE sera en mesure de proposer aux ministres de l'énergie et de l'économie de revoir à la fois la formule tarifaire (coûts d'approvisionnement) et la méthodologie d'évaluation des coûts hors approvisionnement. S'agissant des coûts d'approvisionnement, il prévoit également en l'état que la CRE " intègre notamment dans son analyse les possibilités d'optimisation du portefeuille d'approvisionnement de chaque fournisseur sur la période écoulée ".

61. La systématisation des audits chaque année est positive car elle permettra à la CRE de mieux connaître les coûts supportés par les fournisseurs historiques, ce qui aura pour effet de réduire l'importante asymétrie d'information classiquement constatée entre un régulateur et un régulé. Par ailleurs, la possibilité pour la CRE d'intégrer les possibilités d'optimisation du portefeuille d'approvisionnement et de proposer des modifications à la formule tarifaire et à la méthodologie d'évaluation des coûts hors approvisionnement est également une avancée positive.

62. Plusieurs observations peuvent être néanmoins formulées concernant ces nouvelles modalités.

63. Premièrement, il est indispensable que la CRE puisse être en mesure de conduire les audits dans les meilleures conditions possibles. A ce titre, GDF Suez a mentionné en séance que des " data rooms " (15) de trois jours seront organisées dans les locaux de GDF Suez de manière à ce que la CRE puisse auditer les contrats de long terme qui seront pris en compte dans la formule tarifaire. Ces conditions n'apparaissent pas suffisantes en l'état : la CRE doit pouvoir accéder aux informations contenues dans les contrats de long terme à tout moment et dans les conditions qu'elle estimera les plus propices à l'audit.

64. Deuxièmement, concernant la possibilité pour la CRE d'intégrer les possibilités d'optimisation du portefeuille d'approvisionnement et de proposer des modifications à la formule tarifaire, il apparaît que, quotidiennement, GDF Suez conduit de multiples arbitrages visant, de manière légitime, à optimiser ses profits. Dans le cadre de ces arbitrages, GDF Suez peut avoir intérêt à utiliser le gaz acheté par le biais des contrats de long terme et pris en compte dans la formule tarifaire pour alimenter non pas le marché français mais un autre marché étranger. Dans le même temps, GDF Suez pourrait s'approvisionner sur le marché spot pour alimenter ses clients français. GDF Suez a précisé en séance qu'il n'est pas prévu que la CRE puisse prendre en compte ce type d'arbitrage dans le cadre de la détermination de la formule tarifaire dans la mesure où cette dernière a vocation à refléter uniquement les coûts d'approvisionnement des contrats de long terme conclus entre GDF Suez et les producteurs étrangers. Dans un tel cas, la formule tarifaire ne prendrait pas en compte le fait que les consommateurs français ont été alimentés avec un gaz acheté sur le marché spot et donc à un prix moins cher que le gaz qui aura été acheté par le biais des contrats de long terme. Ceci pourrait avoir ainsi pour effet de majorer la composante relative aux coûts d'approvisionnement dans les TRV.

65. Il apparaît donc nécessaire que la formule tarifaire comporte une composante permettant de refléter les baisses de coût d'approvisionnement réalisées par le biais de ces arbitrages. La détermination de cette composante pourrait être conduite sur proposition de la CRE, à la suite de l'audit annuel des coûts d'approvisionnement et de son analyse des possibilités d'optimisation des portefeuilles d'approvisionnement. L'Autorité propose que le projet de décret soit précisé afin qu'il soit explicitement prévu que la CRE " peut proposer aux ministres de l'énergie et de l'économie de revoir la formule tarifaire, en intégrant notamment les possibilités d'optimisation du portefeuille d'approvisionnement du fournisseur,

66. Troisièmement, il peut sembler surprenant que la détermination actuelle des coûts d'approvisionnement ne contienne aucune composante incitative pour GDF Suez. En effet, l'approche actuelle revient en quelque sorte à " signer un chèque en blanc " à GDF Suez concernant ses coûts d'approvisionnement. Dans une telle situation, il n'est pas certain que GDF Suez soit suffisamment incitée à négocier au mieux ses contrats d'approvisionnement destinés au marché français. et la méthodologie d'évaluation des coûts hors approvisionnement, afin de prendre en compte l'évolution des coûts dans les tarifs ".

67. Ainsi, il peut être souligné que GDF Suez renégocie à intervalles réguliers les termes des contrats avec les producteurs dans le but d'augmenter la part indexée sur le prix du gaz naturel sur le marché de court terme, dont le niveau est actuellement moins élevé que celui des produits pétroliers. Lorsque GDF Suez négocie avec un producteur étranger particulier, la négociation va porter à la fois sur les contrats relatifs au marché français et sur les contrats relatifs à d'autres marchés. Dans le cadre d'une telle négociation, GDF Suez pourrait être incité à reporter autant que possible les baisses de prix d'achat du gaz qu'il obtiendra de ce producteur sur les contrats relatifs aux marchés où il doit affronter une concurrence importante. En revanche, GDF Suez sera sans doute moins incité à négocier des baisses de prix d'achat pour les contrats relatifs aux marchés où il est moins menacé par ses concurrents, comme le marché français où il jouit encore d'un très grand pouvoir de marché et où il bénéficie d'un marché relativement captif.

68. Sur le marché français, ce manque d'incitation est un risque d'autant plus sérieux que les modalités de fixation des TRV sont telles que GDF Suez profitera peu, en ce qui le concerne, des potentielles baisses du coût d'achat du gaz qu'il serait parvenu à négocier avec les producteurs, dans la mesure où, selon les modalités de fixation des TRV, toute baisse de son coût d'approvisionnement devra être répercutée sur le montant des TRV et que, selon la CRE, 39% des volumes de gaz écoulés en France, tous segments confondus, sont aux TRV (16).

69. Par ailleurs, les pouvoirs publics (CRE et gouvernement) n'assistent pas aux négociations entre GDF Suez et les producteurs étrangers : ils constatent ex post le résultat des négociations et ne semblent donc pas avoir de grandes marges de manœuvre pour remettre en cause l'issue des négociations entre GDF Suez et les producteurs étrangers.

70. A la lumière de ces éléments, il apparaît que l'approche qui a été choisie par les pouvoirs publics pour déterminer les coûts d'approvisionnement pourrait entraîner une majoration des TRV payés par les consommateurs français dans la mesure où elle ne semble pas suffisamment inciter GDF Suez à faire baisser les coûts d'approvisionnement pris en compte dans la formule tarifaire.

71. Le projet de décret pourrait, pour limiter cet inconvénient, introduire une méthode plus incitative pour contenir les coûts d'approvisionnement comme c'est déjà le cas concernant la détermination, dans les TRV, des coûts commerciaux et des coûts de transport et de distribution. A ce titre, il est préconisé d'introduire dans la formule tarifaire une composante à travers laquelle GDF Suez serait incitée à être plus performante concernant ses achats de gaz (en imposant, par exemple, une trajectoire de baisse des coûts d'achat).

2. SUR L'ÉVOLUTION AUTOMATIQUE DES TRV À UN RYTHME MENSUEL

72. Le projet de décret prévoit qu'une fois par an (a priori le 1er juillet), un arrêté fixera le montant des TRV pour l'année suivante et que, selon une fréquence définie par arrêté et au maximum une fois par mois, le fournisseur sera autorisé à faire évoluer les TRV en fonction de l'évolution de ses coûts d'approvisionnement, par application automatique de sa formule tarifaire et sous le contrôle de la CRE. Selon les représentants de la direction générale de l'énergie et du climat, l'objectif serait de lisser les variations du montant des TRV au pas mensuel sans qu'il y ait besoin de prendre un arrêté. Dans le cas de GDF Suez, il est à ce stade prévu que cette évolution s'effectuera selon une fréquence mensuelle.

73. L'évolution mensuelle des TRV apparaît positive pour assurer une meilleure couverture des coûts d'approvisionnement de l'opérateur historique. En effet, elle signifie que l'évolution des coûts d'approvisionnement pourrait être plus fidèlement répercutée dans les TRV, ce qui est positif pour le signal prix envoyé aux concurrents et aux consommateurs. De plus, cette répercussion interviendrait du fait de l'application mécanique de la formule tarifaire et non plus à la suite d'arrêtés tarifaires qui peuvent être politiquement sensibles à prendre, ce qui semble là encore plus favorable à la bonne couverture des coûts.

74. L'instruction a toutefois montré que le passage d'une évolution trimestrielle à une évolution mensuelle des TRV pourrait générer une difficulté pour les fournisseurs alternatifs utilisant le démarchage à domicile dans le cadre de leur développement commercial. En effet, l'évolution mensuelle des TRV pourrait rendre plus complexe la commercialisation des offres indexées aux TRV de type " TRV - x% " dans la mesure où les supports utilisés par les commerciaux devront être modifiés plus fréquemment.

75. Il apparaît également que le passage d'une évolution trimestrielle à une évolution mensuelle des TRV pourrait rendre plus complexe la facture des clients. Ainsi, si l'on prend l'exemple d'un client mensualisé et qui ne reçoit qu'une seule facture par an, il verra apparaître au moins 12 modifications tarifaires sur sa facture correspondant aux 12 évolutions de TRV passées. La facture corrigée a posteriori du consommateur est susceptible de devenir moins compréhensible, ce qui nécessitera vraisemblablement des explications supplémentaires.

76. A la lumière de l'ensemble de ces éléments, il semble cependant que les désagréments induits par le passage à une évolution mensuelle des TRV soient compensés par les bénéfices induits par l'application automatique, chaque mois, de la formule tarifaire.

77. L'Autorité est donc favorable à cette disposition du projet de décret.

3. SUR LA CLAUSE DE SAUVEGARDE

78. Le projet de décret prévoit que le Premier ministre pourra être en mesure de s'opposer à certaines augmentations mensuelles des TRV en cas d'augmentation exceptionnelle des prix des produits pétroliers ou des prix de marché du gaz naturel. Pour ne pas porter atteinte au principe de couverture des coûts mentionné dans la loi, le décret (pris après avis de la CRE) ne pourra que différer tout ou partie de cette hausse, sur une période maximale d'une année, conformément à des modalités et un calendrier qui devront être clairement établis.

79. Il est compréhensible que le gouvernement puisse être en mesure de prendre des mesures exceptionnelles dans le cas, par exemple, d'une crise majeure des approvisionnements pétroliers ou gaziers.

80. Néanmoins, il pourrait être recommandé que le caractère " exceptionnel " de l'augmentation du prix des produits pétroliers ou des prix de marché du gaz naturel permettant l'activation de la clause soit appliqué de manière stricte.

81. De plus, le projet de décret ne s'oppose pas à ce que le gouvernement puisse activer plusieurs fois par an cette clause, ce qui pourrait avoir pour effet de reporter sine die les augmentations des TRV (en cas d'échéances électorales par exemple) et aurait une influence néfaste sur le signal prix envoyé au consommateur. Afin d'éviter une telle situation, l'Autorité recommande d'introduire dans le texte du décret une clause précisant que les activations des clauses de sauvegarde doivent être espacées au minimum de 12 mois, de manière à éviter que le lissage de deux clauses de sauvegarde successives ne puisse se superposer.

82. Enfin, il ne peut être exclu, en l'état actuel du texte, que le report des augmentations des TRV appliqués aux petits consommateurs ne se fasse pas sur ces mêmes TRV, mais sur les TRV appliqués aux entreprises, pour des raisons politiques notamment. Afin d'éviter cette situation qui serait facteur de distorsions de concurrence, l'Autorité propose de mentionner dans le projet de décret que tout report de l'augmentation d'un TRV particulier se fasse bien sur le même TRV, de manière à ne pas créer de nouveaux déficits de couverture des coûts pour certains TRV et ne pas distordre à l'excès les signaux prix envoyés aux consommateurs.

83. Pour prendre en compte ces recommandations, la rédaction du projet de décret pourrait évoluer ainsi : " En cas d'augmentation exceptionnelle des prix des produits pétroliers ou des prix de marché du gaz naturel, sur le dernier mois ou sur une période cumulée de 3 mois, le Premier ministre peut, avant l'expiration du délai visé au troisième alinéa du présent article, s'il n'a pas déjà fait usage de cette faculté au cours des douze derniers mois et après avis de la Commission de régulation de l'énergie, s'opposer par décret à la proposition et fixer de nouveaux barèmes. Le décret précise les modalités et le calendrier, qui ne peut excéder un an à compter de son entrée en vigueur, de remise à niveau ultérieure d'un tarif particulier et de répercussion des montants non perçus durant la période considérée sur ce même tarif. Il précise les conditions dans lesquelles le fournisseur est autorisé à modifier le ou les tarifs réglementés concernés

III. Conclusion jusqu'à l'intervention d'un nouvel arrêté tarifaire pris en application de l'article 5 ".

84. A la lumière de l'analyse concurrentielle menée par l'Autorité, il est recommandé au gouvernement d'établir une feuille de route visant à supprimer, par étapes, l'ensemble des TRV au cours des prochaines années. A court terme, il semble également indispensable que chaque TRV couvre les coûts supportés par l'opérateur historique.

85. Concernant le projet de décret, l'Autorité est favorable à ce que la CRE conduise chaque année un audit concernant les coûts d'approvisionnement et les coûts hors approvisionnement et qu'elle puisse proposer des modifications de la formule tarifaire en fonction de cet audit, en intégrant notamment dans ces modifications les conclusions qu'elle tire de son analyse des possibilités d'optimisation du portefeuille d'approvisionnement. Concernant la formule tarifaire, l'Autorité préconise que les arbitrages de GDF Suez puissent être davantage pris en compte dans la formule tarifaire. De même, l'Autorité est favorable à ce qu'une nouvelle composante de la formule tarifaire puisse être introduite pour inciter GDF Suez à être plus performante concernant ses approvisionnements.

86. L'Autorité est favorable à ce que les TRV proposés par GDF Suez puissent évoluer chaque mois, en application de la formule tarifaire.

87. Enfin, l'Autorité estime légitime l'existence de la clause de sauvegarde. Néanmoins, elle recommande que le caractère exceptionnel de l'augmentation des prix des produits pétroliers et du gaz naturel soit défini de manière plus stricte et que les activations de deux clauses de sauvegarde successives soient espacées au minimum de 12 mois de manière à éviter que les lissages de deux clauses de sauvegarde successives ne puissent se superposer. De plus, il est primordial également que tout report d'une augmentation d'un TRV particulier soit appliqué sur le même TRV afin de ne pas créer de nouveaux déficits de couverture de coûts pour certains TRV.

Délibéré sur le rapport oral de M. Edouard Leduc, rapporteur, et l'intervention de M. Umberto Berkani, rapporteur général adjoint, par M. Bruno Lasserre, président, président de séance, Mmes Elisabeth Flüry-Hérard, et Claire Favre ainsi que M. Emmanuel Combe, vice-présidents.

Notes

1 Source : direction générale de l'énergie et du climat (DGEC).

2 Voir, notamment, la directive 2003/55/CE du 26 juin 2003 concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel.

3 Observatoire des marchés de détail du gaz de la CRE, parts de marché en volume de consommation.

4 6ème baromètre annuel Energie-Info sur l'ouverture des marchés du gaz et de l'électricité, enquête réalisée en septembre 2012.

5 Voir, par exemple, la décision du Conseil d'Etat du 30 janvier 2013 (recours GDF Suez et Uprigaz).

6 Rapport de la CRE sur le fonctionnement des marchés de détail de l'énergie, janvier 2013.

7 Economie réalisée par un consommateur particulier se chauffant au gaz dans un local de superficie supérieure à 200 m2.

8 Voir notamment Status Review of End-User Price Regulation as of 1 January 2010.

9 Regulatory Policy Institute, Report on the impact of maintaining price regulation (January 2008).

10 Voir, notamment, le rapport Stigler (1963).

11 Affaire C-265/08 Federutility e.a. contre Autorità per l'energia elettrica e il gas.

12 Soulignement ajouté.

13 Directive 2009/73/CE du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel.

14 Avis du 14 février 2012 concernant un projet de décret relatif à l'automatisation de la procédure d'attribution des tarifs sociaux du gaz et de l'électricité.

15 Une " data room " (chambre de données) sert à stocker, en un seul endroit, un volume important d'informations à caractère généralement confidentiel, afin que certaines personnes autorisées puissent les consulter.

16 Voir observatoire des marchés de la CRE du 4ème trimestre 2012