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Décisions

ADLC, 11 mars 2013, n° 13-A-08

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Avis

Relatif aux conditions de mutualisation et d'itinérance sur les réseaux mobiles

ADLC n° 13-A-08

11 mars 2013

L'Autorité de la concurrence (commission permanente),

Vu la lettre enregistrée le 2 novembre 2012 sous le numéro 12/0097 A, par laquelle le ministre du redressement productif et la ministre déléguée chargée des PME, de l'innovation et de l'économie numérique ont saisi l'Autorité de la concurrence pour avis, sur le fondement de l'article L. 462-1 du Code de commerce ; Vu les articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence ; Vu le Code des postes et des communications électroniques ; Vu l'avis de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ci-après ARCEP) n° 2012-1627 en date du 20 décembre 2012 ; Vu les autres pièces du dossier ; Les rapporteurs, le rapporteur général adjoint et le commissaire du Gouvernement entendus lors de la séance du 20 février 2013 ; Les représentants de l'ARCEP, des sociétés Bouygues Telecom, SFR, France Télécom/Orange et Free Mobile entendus sur le fondement de l'article L. 463-7 du Code de commerce ;

Est d'avis de répondre à la demande présentée dans le sens des observations qui suivent :

I. Introduction

1. Le marché de la téléphonie mobile a connu récemment d'importantes évolutions, notamment avec l'introduction d'un quatrième opérateur de réseau. Il fait également face à un besoin d'investissements important lié à l'introduction d'une nouvelle technologie, la " 4G " (dite " quatrième génération "). Après avoir brièvement rappelé les principes d'une concurrence par les infrastructures (A), qui a sous-tendu l'historique des déploiements des opérateurs et doit continuer à rester le modèle de référence (B), un éclairage sera donné sur les récentes évolutions du marché de détail au cours des deux dernières années (C). La demande d'avis des ministres sera, enfin, présentée (D).

A. LA CONCURRENCE PAR LES INFRASTRUCTURES : UN MODÈLE À CONSERVER

2. De manière générale et théorique, il est usuel de distinguer deux paradigmes de concurrence dans le secteur des télécommunications :

- une concurrence par les infrastructures, consistant pour chaque opérateur de réseau à construire et posséder sa propre infrastructure de télécommunications ;

- une concurrence par les services, reposant en aval sur l'usage de ressources déjà en place, accessibles sur un marché de gros.

3. Dans le secteur des communications électroniques, la concurrence par les infrastructures a été le type de concurrence privilégié de façon constante jusqu'à aujourd'hui, même si une concurrence par les services a pu être promue de manière accessoire et complémentaire. Soit parce que cette dernière répond à un besoin temporaire ou géographiquement circonscrit, dans l'attente du déploiement d'infrastructures alternatives. Soit lorsqu'il existe une contrainte exogène telle que la limitation du patrimoine de fréquences. Soit, enfin, parce que l'on peut attendre une animation concurrentielle d'opérateurs sans réseau (les MVNO), notamment dans l'exploration de nouveaux segments de la demande : l'Autorité a insisté dans ses avis 08-A-16 du 30 juillet 2008 et 13-A-02 du 21 janvier 2013 sur l'importance de ce facteur.

4. Ainsi que le relève l'ARCEP, " le déploiement de plusieurs réseaux mobiles permet aux opérateurs de se faire concurrence durablement. Dans la limite de l'interopérabilité, il favorise l'autonomie économique, technique et commerciale de chaque opérateur, dans un contexte d'évolution rapide en matière de technologies et d'usages. Cela encourage ainsi l'innovation, la différenciation et l'apparition d'une variété de services sur le marché de détail. Cela permet à chaque opérateur de décider de sa propre stratégie en matière de couverture et de qualité de service, qui sont des éléments importants de différenciation entre opérateurs et de choix pour le consommateur ".

5. La concurrence par les infrastructures constitue le cœur des politiques d'ouverture à la concurrence dans le secteur des communications électroniques en Europe et particulièrement en France.

6. Ce modèle permet de poursuivre plusieurs objectifs, parmi lesquels la mise en place d'une concurrence pérenne entre opérateurs de réseaux, ainsi que la promotion de l'innovation et de la différenciation. C'est ainsi que la directive 2009/140/CE invite à " préserver la concurrence au profit des consommateurs et promouvoir, s'il y a lieu, une concurrence fondée sur les infrastructures " ainsi qu'à " promouvoir des investissements efficaces et des innovations dans des infrastructures nouvelles et améliorées ".

7. Non seulement la concurrence par les infrastructures est porteuse d'une dynamique compétitive plus pérenne et plus intense, mais elle est aussi celle qui - dans un contexte économique où tous les gisements de croissance doivent être explorés et favorisés - stimule le plus l'emploi et l'investissement. La demande d'avis ministérielle insiste à juste titre sur la nécessaire prise en compte de ces deux derniers facteurs dans l'appréciation générale qu'il convient de porter sur le modèle de développement du marché mobile en France. De ce point de vue, la position de l'Autorité de la concurrence est claire. Elle réaffirme son attachement à la concurrence par les infrastructures, qui suppose que chacun s'appuie à terme sur son propre réseau, au terme d'un déploiement le plus rapide et le plus volontariste possible, qui est un des vecteurs de la concurrence par les mérites.

8. A cet égard, le pire serait sans doute de changer de modèle de concurrence subrepticement, sans avoir posé clairement les enjeux, en se laissant entraîner par une sorte de fatalisme ou de renoncement devant une situation de fait accompli que l'écoulement du temps consoliderait d'année en année. Ce serait dommageable pour les politiques publiques, qui doivent s'appuyer sur des choix assumés, explicites, et débattus de manière transparente. Ce serait inéquitable à l'égard des trois premiers opérateurs, auxquels ce nouveau modèle " mixte " n'a pas été proposé lorsqu'ils ont construit leur réseau. Ce serait, enfin, regrettable au regard de la confiance que tous les acteurs du marché doivent placer dans une régulation juste, impartiale et incitative.

9. Le modèle de la concurrence par les infrastructures reste donc d'actualité dans la téléphonie mobile, même s'il fait par ailleurs l'objet de deux questionnements reflétés par la demande d'avis. A l'heure où tous les opérateurs sont amenés à investir massivement dans des réseaux de quatrième génération, des voix s'élèvent pour savoir comment concilier ce modèle de concurrence - qu'il faut donc conserver - avec les besoins de nouveaux investissements. Une consolidation du secteur par rachat ou fusion d'opérateurs n'étant à priori ni possible ni souhaitable, une mutualisation de l'effort d'investissement est-elle cependant envisageable ? D'autres voix - ou les mêmes - contestent avec force l'avantage concurrentiel dont bénéficierait le nouvel entrant du fait du contrat d'itinérance qu'il a conclu : peut-il s'affranchir ainsi des règles du jeu qui président à une vraie concurrence par les infrastructures, au risque de déséquilibrer le marché ?

10. L'Autorité s'attachera dans son avis à vérifier en quoi la mutualisation des réseaux, d'une part, et le recours à l'itinérance, d'autre part, sont compatibles avec le modèle de concurrence qui vient d'être décrit, ou si au contraire ils induisent un changement de paradigme concurrentiel. En effet, un recours excessif à la mutualisation ou à l'itinérance risque d'amoindrir les incitations des acteurs à innover et à se différencier : mal maitrisé, il pourrait remettre en cause la diversité des offres pour les consommateurs et à terme renforcer ou affaiblir excessivement certains opérateurs, au détriment de la concurrence en général.

11. Ce faisant, une mutualisation mesurée n'est pas incompatible avec les objectifs inhérents au modèle de concurrence par les infrastructures, tout en permettant de limiter la duplication de certaines parties de réseau qui pourrait s'avérer inefficace ; de même, l'itinérance peut, dans certaines conditions, apporter une fluidité nécessaire au marché, et s'avérer temporairement nécessaire à l'entrée d'un opérateur dès lors que ce dernier s'inscrit à terme dans un modèle de concurrence par les infrastructures.

12. Pour toutes ces raisons, la réponse ne peut être univoque.

B. HISTORIQUE DES DÉPLOIEMENTS

13. Les réseaux mobiles se déploient progressivement en France depuis de nombreuses années. Plusieurs technologies se sont succédé mais c'est véritablement avec le GSM que la téléphonie mobile a connu son essor au cours des années 1990.

14. En 1991, France Télécom (FTMS) et SFR se sont vu attribuer chacun des fréquences dans la bande des 900 MHz. En 1994, Bouygues Telecom a fait son entrée sur le marché mais dans la bande des 1800 MHz. L'entrée plus tardive de cet opérateur sur le marché et son recours à des fréquences plus hautes (1), impliquant un coût de déploiement supérieur, ont à ce titre justifié que Bouygues Telecom bénéficie d'une compensation financière par le biais de tarifs de terminaison d'appel supérieurs à ceux de Orange et SFR. D'autres blocs de fréquences ont, par la suite, été alloués aux opérateurs, en 900 MHz à Bouygues Télécom et en 1800 MHz à France Télécom et SFR afin de rééquilibrer les premières allocations.

15. C'est en 2001 que les fréquences de la bande des 2,1 GHz, destinées à la 3G (UMTS), ont été attribuées à France Télécom et SFR, Bouygues Télécom ne s'étant pas porté candidat au prix demandé. La procédure d'attribution des licences 3G en France prévoyait par ailleurs, comme dans d'autres pays européens, l'entrée sur le marché mobile d'un quatrième opérateur. Aussi, à la suite de la procédure d'attribution des licences 3G en 2001, ce sont deux des quatre licences qui ont été attribuées.

16. En 2002, un deuxième appel à candidatures a été organisé en vue d'attribuer les deux licences UMTS restantes, assorties de conditions financières plus favorables (2), qui ont été également appliquées, dans un souci d'équité, aux titulaires des deux licences déjà attribuées. Bouygues Telecom a candidaté à l'attribution d'une licence et a été retenu.

17. En 2007, les 15 MHz restants correspondant au 4ème lot de fréquences ont à nouveau été proposés via une procédure d'attribution. Free s'est porté candidat mais la licence ne lui a pas été attribuée, le candidat ne respectant pas les modalités financières requises (3).

18. En 2009, après un nouvel appel à candidatures proposant trois blocs de 5 MHz, un bloc de 5 MHz a finalement été attribué à Free, pour un montant de 240 millions d'euros (4), les deux autres blocs étant remportés aux enchères par SFR et Orange à respectivement 300 et 282 millions d'euros, contre Free dont l'offre était inférieure. Free, quatrième opérateur, commercialise ses services depuis le mois de janvier 2012.

19. En septembre 2011, quatre licences de quatrième génération dans la bande des 2,6 GHz ont été attribuées, puis en décembre 2011, trois licences ont été attribuées dans la bande des 800 MHz. Dans cette dernière bande de fréquences, les 30 MHz disponibles (5) ont été attribués en quantités égales à Orange, SFR et Bouygues Télécom, le montant des enchères proposé par Free n'ayant pas été suffisant pour qu'il puisse remporter l'un des quatre blocs de fréquences mis en jeu.

20. Pour pouvoir fournir un service à leurs clients, les opérateurs de réseau doivent installer divers équipements, et en particulier un réseau d'accès radio. Les équipements radio (antennes, stations de base) sont installés sur des sites dispersés sur l'ensemble du territoire. Fin 2011, Orange et SFR disposaient chacun de près de 20 000 sites contre 15 000 sites pour Bouygues Telecom.

21. La répartition des fréquences disponibles à ce jour pour chaque opérateur, pour l'ensemble des technologies, est rappelée en annexe 1.

C. LE MARCHÉ MOBILE FRANÇAIS EN FORTE ÉVOLUTION

22. Alors que le marché français de la téléphonie mobile s'était structuré autour de trois opérateurs de réseau, avec des parts de marché différentes mais relativement stabilisées, l'attribution d'une licence UMTS à un quatrième opérateur a bouleversé le secteur.

23. Douze mois après le lancement de son offre commerciale, Free Mobile est parvenu à conquérir 5,2 millions d'abonnés et à s'octroyer près de 8% de part de marché. Cette progression, inédite et spectaculaire, trouve son origine dans plusieurs facteurs : une offre simple et agressive en prix, un parc de clients haut débit déjà important, mais aussi, indéniablement, la possibilité de s'appuyer sur un accord d'itinérance nationale 2G et 3G conclu avec Orange qui lui a permis d'emblée d'offrir une qualité de service et une couverture élevées.

D. LA DEMANDE D'AVIS DES MINISTRES

24. C'est dans ce contexte que le ministre du redressement productif et la ministre déléguée chargée des PME, de l'innovation et de l'économie numérique ont saisi pour avis l'Autorité de la concurrence.

25. La demande d'avis porte, en premier lieu, sur l'accord d'itinérance dont bénéficie Free. L'Autorité est invitée à se prononcer sur les conditions de cet accord et sur l'éventuel avantage concurrentiel que Free pourrait en retirer. Le recours à l'itinérance dans les zones de déploiement prioritaires de la 4G est également envisagé.

26. L'Autorité de la concurrence est interrogée, en second lieu, sur les conditions dans lesquelles la mutualisation entre opérateurs pourrait être envisagée sans porter préjudice à la concurrence, à l'investissement et à l'emploi. Elle est invitée à examiner les cas particuliers de la mutualisation dans les zones peu denses et dans la bande 4G des 800 MHz mais aussi dans les zones les plus denses.

II. Le partage de réseaux : des modalités variées, une analyse concurrentielle nuancée

27. Il existe plusieurs modalités de partage de réseaux, revêtant chacune des caractéristiques propres et conduisant à une intégration plus ou moins importante des partenaires. Dans certaines circonstances, l'accord de partage de réseaux conduit les partenaires à créer une entreprise commune, opération qui peut être examinée au titre du contrôle des concentrations.

28. L'objectif est ici d'examiner les différentes modalités de partage de réseaux (II.A) grâce au cadre d'analyse fourni par les lignes directrices de la Commission sur l'applicabilité de l'article 101 du traité européen aux accords de coopération horizontale (II.B). En l'espèce, bien qu'il soit difficile de se prononcer a priori sur ces différentes formes d'accords, des conditions particulières de mise en œuvre peuvent être envisagées (II.C et II.D).

A. TYPOLOGIE DES ACCORDS DE PARTAGE

29. Le partage des réseaux peut être limité aux seuls éléments passifs du réseau. Il peut également être étendu aux éléments actifs. Enfin, les fréquences elles-mêmes peuvent être exploitées en commun.

30. Par ailleurs, on peut distinguer deux formes de partage. La première est symétrique, chaque opérateur étant sur un pied d'égalité et contribuant à la ressource commune : il s'agit des accords de mutualisation. La seconde est asymétrique, un opérateur produisant pour le compte d'un autre : on parle alors d'itinérance ou de " roaming ".

31. Chacune de ces modalités peut faire l'objet d'accords d'ampleur variée : elle peut concerner une partie plus ou moins importante du territoire national ; elle peut inclure un nombre plus ou moins élevé d'opérateurs.

1. MUTUALISATION PASSIVE

32. Le partage d'installations passives consiste en la mutualisation de sites entre opérateurs, c'est-à-dire en l'utilisation commune par les partenaires de tout ou partie des éléments passifs d'infrastructure tels que les pylônes ou les toits-terrasses, les " feeders " (câbles coaxiaux qui relient les antennes aux stations de base), les locaux, l'environnement technique des équipements réseaux (électricité, climatisation, le génie civil, et les servitudes). Sur chaque site utilisé en commun, chaque opérateur déploie ses propres équipements actifs et ses propres antennes, et utilise ses propres fréquences.

33. La mutualisation passive peut aussi donner lieu, en plus du partage d'équipements évoqué au paragraphe précédent, au partage du système antennaire.

34. La mutualisation passive favorise des économies de coûts fixes, tout en permettant à chaque opérateur de conserver une plus importante capacité de différenciation que les autres formes de mutualisation. Elle induit a priori également moins d'échanges d'informations sensibles.

2. MUTUALISATION ACTIVE

35. Le partage d'installations actives entre opérateurs constitue une forme plus avancée de partage, puisque s'ajoute à la mise en commun des installations passives la mutualisation d'équipements actifs.

36. Ainsi, les opérateurs peuvent utiliser en commun un seul réseau d'accès radioélectrique (" RAN sharing ", pour Radio Access Network), à savoir non seulement les sites et les antennes, mais également les équipements actifs correspondant aux stations de base (BTS ou node-B), aux contrôleurs de stations de base (RNC) et aux liens de transmission associés, reliant les stations de bases à leur contrôleur. Les opérateurs raccordent ensuite leur coeur de réseau à chacun des RNC concernés par l'accord de RAN sharing.

37. La mutualisation active, à divers degrés, permet des économies plus importantes que la mutualisation passive. Mais elle limite davantage la capacité de différenciation des opérateurs. Les informations échangées entre ces derniers sont de surcroît plus importantes et plus sensibles, ce qui peut induire un plus grand risque de restriction de la concurrence.

3. MUTUALISATION DE FRÉQUENCES

38. La mise en commun des fréquences s'appuie sur un accord de RAN sharing plus engageant puisqu'il consiste à mettre en commun les fréquences des différents partenaires de l'accord, en vue de leur exploitation combinée. Dans ce type de mutualisation par nature très poussée, les clients de chacun des opérateurs associés accèdent à l'ensemble des fréquences concernées.

39. Cette solution dite aussi " MOCN " (Multi Operator Core Network) implique également le partage du contrôleur de réseau radio et des stations de base. Sa mise en œuvre suppose que l'accord soit autorisé par l'ARCEP.

40. La mutualisation de fréquences est une forme très intégrée de mutualisation, qui ne laisse que peu de possibilité de différenciation sur la boucle locale radio. Un tel accord, appliqué sur une large part du réseau, pourrait avoir en pratique des effets comparables à ceux d'une véritable reconsolidation, par rachat ou fusion d'opérateurs (" concentration " en droit de la concurrence).

4. ACCORD ASYMÉTRIQUE : ITINÉRANCE

41. Dans le cas de l'itinérance, un opérateur hôte accueille sur son réseau les clients d'un autre opérateur qui, soit ne dispose pas de fréquences (par exemple : itinérance internationale ou accord avec un MVNO) ou alors en quantités insuffisantes, soit dispose de fréquences mais n'a pas de sites en propre (par exemple : couverture des zones blanches, accord d'itinérance de Free-Orange).

42. Hormis le cas des zones blanches, où l'itinérance croisée (réciproque) s'approche d'un accord de mutualisation (chaque opérateur construit ou acquiert une partie des sites et accueille les autres en itinérance), l'itinérance est une modalité de partage de réseau sensiblement différente de la mutualisation. En effet, l'itinérance est essentiellement asymétrique : l'un des partenaires, l'opérateur d'accueil, apporte l'ensemble des actifs, réseau et fréquences, alors que le second, l'opérateur accueilli, fait le choix de recourir à cette modalité précisément parce qu'il ne dispose pas d'un tel patrimoine, au moins temporairement. De plus, les accords d'itinérance sont réversibles et peuvent donc rester temporaires, contrairement aux accords de mutualisation qui s'inscrivent par nature dans des perspectives de long terme.

43. L'itinérance sera abordée, pour cette raison, dans une partie distinctive de l'avis (III).

5. EXEMPLES D'ACCORDS DE PARTAGE DE RÉSEAUX CONCLUS EN EUROPE

44. Les différentes formes de partage de réseaux, qui viennent d'être présentées, font d'ores et déjà l'objet d'accords entre certains opérateurs à l'étranger. En Europe, on observe une grande diversité des accords conclus, en termes de degré d'intégration et d'étendue géographique, voire de structure juridique, ainsi que l'illustre le tableau comparatif établi par l'ARCEP et figurant en annexe 2 du présent avis.

45. Les accords de partage de fréquences fournissent à ce titre l'exemple le plus contrasté, puisque de tels accords sont largement employés en Suède, alors qu'ils sont interdits en Autriche.

46. Il semble dès lors délicat de déduire de l'examen de la situation européenne une règle générale sur le caractère acceptable ou non des accords de partage de réseaux. L'analyse de ces accords doit prendre en compte les caractéristiques de chaque pays, par exemple en termes de densité, et de chaque marché national.

B. ANALYSE CONCURRENTIELLE : L'APPORT DES LIGNES DIRECTRICES EUROPÉENNES SUR LA COOPERATION HORIZONTALE

1. CADRE GÉNÉRAL

47. Les lignes directrices de la Commission européenne sur les accords de coopération horizontale fournissent un cadre d'analyse qui peut être appliqué aux différentes formes de partage de réseaux mobiles envisagées plus haut.

48. D'une manière générale, les accords de coopération horizontale entre entreprises peuvent produire des avantages économiques substantiels, en partageant des risques, en réalisant des économies de coûts, dans certaines configurations en augmentant les investissements réalisés, en améliorant la qualité ou en permettant davantage d'innovation. Mais ils peuvent aussi poursuivre un objet ou avoir des effets anticoncurrentiels, effectifs ou potentiels. Les rapprochements entre partenaires sont en particulier susceptibles de favoriser l'émergence de comportements collusifs.

49. Ces éléments sont rappelés dans le présent avis, qui portera une attention particulière à une catégorie bien précise d'accords de coopération horizontale, celle des accords de production, déclinée pour les télécommunications mobiles.

2. APPRÉCIATION AU REGARD DE L'ARTICLE 101, PARAGRAPHE 1, DU TRAITE EUROPÉEN

50. L'appréciation d'un accord horizontal, au titre du paragraphe 1 de l'article 101, " consiste à déterminer si un accord entre entreprises, qui est susceptible d'affecter le commerce entre États membres, a un objet anticoncurrentiel ou des effets restrictifs réels ou potentiels sur la concurrence " (6).

51. Les lignes directrices précisent que si en règle générale, les accords qui consistent à fixer les prix, à limiter la production ou à répartir les marchés ou les clients ont un objet anticoncurrentiel, tel n'est pas nécessairement le cas pour les accords de production, en particulier lorsque la fixation des quantités produites concerne la production directement liée à l'accord. Dans cette situation, c'est aux effets (7) des accords de production qu'il convient de s'intéresser, en vérifiant s'ils sont susceptibles d'avoir " une incidence défavorable sensible sur au moins un des paramètres de la concurrence sur le marché, tels que le prix, la production, la qualité ou la diversité des produits, ou l'innovation " (8)

52. Pour déterminer si l'accord sera susceptible, avec une probabilité raisonnable, d'avoir les effets anticoncurrentiels qui viennent d'être mentionnés, il convient d'examiner différents facteurs tels que " la nature et le contenu de l'accord, la mesure dans laquelle les parties, individuellement ou conjointement, possèdent ou obtiennent un certain pouvoir de marché et la mesure dans laquelle l'accord contribue à la création, au maintien ou au renforcement de ce pouvoir de marché ou permet aux parties de l'exploiter " (9).

53. Les lignes directrices invitent également à examiner si l'accord altère l'autonomie décisionnelle de l'une des parties, soit directement, du fait du dispositif de l'accord lui-même, soit indirectement, en modifiant les incitations de l'une des parties. Enfin, un accord doit être examiné au regard de son caractère indispensable ou non pour développer l'activité ou la production commune : il s'agit de rechercher si les partenaires auraient pu développer l'activité en question " avec des restrictions moins sévères " (10).

a) Nature et contenu de l'accord

54. Le contenu de l'accord peut être à l'origine d'effets anticoncurrentiels, potentiels ou réels, par exemple parce qu'il intègre des clauses d'exclusivité, parce qu'il limite l'autonomie décisionnelle d'un partenaire au moins, en rendant ainsi une coordination plus probable, plus solide et plus stable.

55. D'autres facteurs d'appréciation sont déterminants pour évaluer ce type d'accords : les conséquences de l'accord en matière de révélation ou d'échange d'informations et la mesure dans laquelle le modèle économique des partenaires se trouve modifié, en particulier dans le cas d'accords de production.

56. Les caractéristiques des informations échangées doivent ainsi être examinées. Les lignes directrices prennent ainsi en ligne de compte le caractère stratégique des informations échangées, si elles sont individuelles ou agrégées, si elles sont récentes ou non (11), la fréquence des échanges, le caractère public des informations et le caractère public de l'échange lui-même. Elles envisagent également le fait que les informations échangées puissent couvrir une partie substantielle ou non du marché ou le fait que les informations puissent être anciennes ou récentes. Les accords de partage des réseaux, en ce qu'ils peuvent nécessiter une coordination et un échange d'informations techniques qui peuvent s'apparenter à des informations commerciales (par exemple des prévisions de trafic détaillées) doivent être appréciés sous cet angle.

57. Par ailleurs, le risque de collusion est d'autant plus sérieux, dans le cas d'un accord de production, qu'une part importante des coûts de production est mise en commun, s'agissant notamment des coûts variables, qui sont en théorie plus directement répercutés dans les tarifs de détail.

58. Les conséquences et les implications de la conclusion d'un accord horizontal, au regard des critères qui viennent d'être rappelés ici, sont également modulées en fonction du pouvoir de marché détenu par les partenaires, individuellement ou collectivement. D'autres caractéristiques du marché peuvent enfin être prises en compte.

b) Pouvoir de marché et autres caractéristiques du marché

59. Ainsi que le rappellent les lignes directrices, " le pouvoir de marché se définit comme la capacité de maintenir avantageusement les prix à des niveaux supérieurs au niveau qui résulterait du jeu de la concurrence ou de maintenir avantageusement la production en termes de quantités, de qualité et de diversité des produits ou en termes d'innovation, à un niveau inférieur à celui qui résulterait du jeu de la concurrence, et ce pendant un certain laps de temps " (12).

60. La détention d'un pouvoir de marché peut découler des seuls mérites d'une entreprise, de sa capacité à innover ou d'une plus grande efficacité. Elle confère néanmoins à son détenteur une responsabilité particulière qui lui interdit d'utiliser ce pouvoir de manière abusive en vue notamment d'évincer un concurrent. Les lignes directrices rappellent également que le " pouvoir de marché requis pour la constatation d'une infraction au regard de l'article 101, paragraphe 1, dans le cas d'accords ayant pour effet de restreindre le jeu de la concurrence est inférieur à celui qui est requis pour un constat de position dominante au regard de l'article 102, lequel exige un degré élevé de pouvoir de marché " (13).

61. L'analyse du pouvoir de marché détenu par les entreprises a pour point de départ le marché affecté par l'accord. La faculté d'entrer librement sur ce marché est donc un élément essentiel de l'analyse, et bien qu'il faille accorder une importance particulière aux parts de marché actuelles, les évolutions récentes de celles-ci et leurs évolutions raisonnablement prévisibles peuvent être prises en compte.

62. Enfin, il convient d'examiner différentes caractéristiques du marché en cause, qui sont autant de facteurs favorables à l'émergence et à la stabilité d'une collusion telles que : la transparence du marché, le degré de concentration et la hauteur des barrières à l'entrée, la complexité de l'environnement de marché, la stabilité des parts de marché, ou encore le degré de symétrie dans la situation des entreprises (part de marché, niveau de la demande, coûts de production).

3. APPRÉCIATION AU REGARD DE L'ARTICLE 101, PARAGRAPHE 3, DU TRAITE EUROPÉEN

63. Les lignes directrices générales portant sur l'application de l'article 101, paragraphe 3, précisent que, lorsque qu'il est prouvé qu'un accord restreint la concurrence, qu'il s'agisse d'une restriction par objet ou par effet, il est possible pour les partenaires d'invoquer l'article 101, paragraphe 3, à titre de défense, c'est-à-dire l'existence d'effets favorables à la concurrence découlant de la mise en œuvre de la pratique. Les entreprises mises en cause sont alors tenues d'apporter la preuve que les différentes conditions nécessaires pour l'octroi d'une exemption sont remplies. Ces conditions cumulatives sont au nombre de quatre :

i. l'accord doit contribuer à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, c'est-à-dire entraîner des gains d'efficacité ;

ii. les restrictions doivent être indispensables pour atteindre ces gains d'efficacité ;

iii. les consommateurs doivent recevoir une partie équitable du profit qui en résulte, de façon à au moins dédommager ceux-ci des effets restrictifs de l'accord ; et

iv. l'accord ne doit pas donner la possibilité aux parties d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause.

64. L'échange d'informations dans le cadre d'un accord de production peut néanmoins faire l'objet d'une exemption individuelle si d'une part, les parties peuvent démontrer que " l'objet des données, leur caractère agrégé, leur ancienneté, leur confidentialité, de même que la fréquence et la portée des échanges présentent les risques les moins élevés indispensables pour obtenir les gains d'efficacité allégués " (14). Et si, d'autre part, elles peuvent démontrer que l'échange ne porte pas " sur des informations excédant les variables pertinentes aux fins de l'obtention de ces gains d'efficacité " (15), et que ces gains sont suffisamment répercutés aux consommateurs.

65. Dans le cas des accords de partage de réseaux, certains bénéfices spécifiques peuvent être attendus : une meilleure couverture de la population, dans les zones denses comme dans les zones moins denses, une rapidité accrue du déploiement, une amélioration de la qualité de service en cas de multiplication du nombre de sites et enfin, dans le cas spécifique des réseaux de quatrième génération (technologie LTE), des débits sensiblement accrus si des opérateurs s'accordent pour exploiter en commun deux blocs de fréquences contigus. Si l'accord conduit à restreindre le nombre de sites, des bénéfices environnementaux peuvent aussi être envisagés.

4. EXEMPTION PAR CATÉGORIE

66. En matière d'exemption d'accords de production, le pouvoir de marché est un facteur déterminant. En particulier, lorsque les parts de marché cumulées demeurent inférieures à un certain seuil l'accord est susceptible d'être éligible au règlement d'exemption par catégorie 1218/2010. Dans le cas contraire, il y a lieu d'examiner les effets restrictifs de concurrence.

67. Le seuil de part de marché cumulé est fixé à 20%, quel que soit le marché en cause.

68. Le règlement précise cependant que " en principe, les accords contenant certains types de restrictions graves de la concurrence, telles que la fixation des prix appliqués aux tiers, la limitation de la production ou des ventes, et la répartition des marchés ou de la clientèle, doivent être exclus du bénéfice de l'exemption prévue par le présent règlement, quelle que soit la part de marché des parties " (16).

69. Il apparaît qu'il n'existe actuellement aucune configuration sur le marché français des mobiles, susceptible de faire l'objet d'une exemption par catégorie. Ceci ne préjuge en aucun cas du fait qu'une exemption à titre individuel puisse être accordée, le cas échéant.

C. LES ACCORDS DE MUTUALISATION PASSÉS AU CRIBLE DE L'ANALYSE CONCURRENTIELLE

70. Les différentes modalités de partage de réseaux peuvent être mises en œuvre de plusieurs manières : par le biais de contrats entre les parties ou par la création d'entreprises communes, de plein exercice ou non.

71. Le choix retenu conduira les partenaires à renoncer à une plus ou moins grande partie de leur autonomie décisionnelle, qui est un facteur essentiel dans l'appréciation de l'accord de partage, du point de vue concurrentiel.

72. L'analyse des accords de partage de réseaux doit se faire en tenant compte des caractéristiques des marchés de la téléphonie mobile, qui incitent à une relative prudence dans l'approche de ces accords (1). Elle doit prendre en considération l'identité des parties à l'accord (2) ainsi que d'autres attributs de l'accord (3), et ce afin de pouvoir apprécier ses éventuels risques pour la concurrence (4).

1. LES CARACTÉRISTIQUES DES MARCHÉS DE LA TÉLÉPHONIE MOBILE

73. Comme il a été vu précédemment, le risque de voir apparaître des effets restrictifs de concurrence à l'occasion de la conclusion ou de l'exécution d'un accord de partage dépend, entre autres éléments, des caractéristiques du marché en cause (degré de concentration, transparence, stabilité, complexité,…).

74. Bien que le fonctionnement et les caractéristiques du marché de détail constituent des éléments importants, le point de départ de l'analyse se situe sur le marché sur lequel porte l'accord de partage, en l'occurrence le marché de gros amont. Or, ce marché est caractérisé par de très fortes barrières à l'entrée puisqu'il n'est pas possible d'y intervenir sans s'être vu attribuer des ressources en fréquences. Une concurrence " pour le marché " s'exerce certes à intervalles réguliers, lorsque l'ARCEP met en vente de nouveaux blocs de fréquences, mais en dehors de ces rendez-vous - espacés dans le temps - et des possibilités de réallocations décidées par le régulateur, le marché est totalement fermé.

75. Par ailleurs, compte tenu de la rareté des fréquences disponibles pour les usages de téléphonie mobile, dans les bandes basses plus particulièrement, le degré de concentration du marché est élevé et ce de manière durable.

76. D'autres facteurs doivent également être pris en compte. Le fait notamment que les MVNO soient en mesure d'animer le marché de détail et de constituer en quelque sorte une force de rappel, sans pourtant disposer de ressources en fréquences, est un élément important.

77. Il convient également de considérer que le marché de détail est un marché relativement transparent, en dépit de la multiplicité des offres et forfaits, et qu'il a longtemps été caractérisé par une assez grande stabilité - pendant un certain temps collusive - des parts de marché (17).

78. Bien que la situation concurrentielle ait évolué avec l'arrivée d'un quatrième opérateur, le marché mobile continue de présenter des caractéristiques intrinsèques qui maintiennent des risques élevés de collusion, en particulier en termes de concentration du marché ou de transparence. De plus, les quatre opérateurs de réseau sont également des acteurs majeurs dans le haut débit ; or, la présence de ces mêmes acteurs sur des marchés différents est aussi un facteur favorable à la stabilité d'une entente sur le marché. Dès lors, tout accord de coordination ou de production doit être examiné avec une grande vigilance.

2. L'IDENTITÉ DES PARTIES À L'ACCORD

79. Le pouvoir de marché des parties à l'accord de partage de réseaux est un élément fondamental à examiner, dans la mesure où il permet d'apprécier les effets que peut produire l'accord sur la structure même du marché. Sont ainsi à prendre en compte tant le pouvoir de marché que détiennent individuellement les partenaires de l'accord que celui qu'ils détiennent conjointement. Bien que le pouvoir de marché s'apprécie sur le marché sur lequel est conclu l'accord, il est nécessaire d'examiner l'impact sur le marché aval, dès lors que l'accord porte sur un produit qui est utilisé par les partenaires en tant qu'intrant sur ce marché où ils se trouvent en concurrence.

80. Il convient ainsi d'examiner dans quelle mesure le pouvoir de marché des partenaires sur le marché amont n'est pas renforcé au-delà de ce qui est admissible pour le maintien d'un niveau de concurrence suffisant en aval. Le pouvoir de marché détenu conjointement par les partenaires s'accroît sur le marché amont dès lors que chacun des partenaires dispose individuellement d'une part de marché importante. Il peut également s'élever pour l'un des opérateurs lorsque l'accord se trouve être asymétrique, par exemple dans une situation d'itinérance étendue, qu'il s'agisse de la part de trafic gérée par l'opérateur d'accueil ou de la portée géographique de l'accord, ou dans le cadre d'un accord de mutualisation conclu entre des opérateurs disposant de réseaux de tailles différentes.

81. L'augmentation du pouvoir de marché en amont constitue un critère important, mais la part de marché contrôlée conjointement en aval est, en l'espèce, également un critère fondamental : au-delà d'un certain seuil, ce pouvoir de marché peut permettre aux partenaires de s'abstraire progressivement de la concurrence, voire d'éliminer un concurrent. L'exploitation abusive de cette situation peut conduire à l'éviction d'un concurrent.

3. AUTRES CARACTÉRISTIQUES DE L'ACCORD

82. En dehors du facteur essentiel que constitue l'identité des parties à l'accord de partage de réseaux, d'autres caractéristiques de l'accord doivent être analysées, en particulier sa portée géographique, l'affectation de l'autonomie décisionnelle des parties à l'accord et le partage d'informations qu'il implique, la nature des coûts mis en commun et les éventuels gains d'efficacité spectrale qu'il permet.

a) Portée géographique de l'accord

83. Quelle que soit la modalité de partage de réseaux retenue par les partenaires, le risque pesant sur la concurrence sera d'autant plus grand que l'accord couvrira une part importante des réseaux des opérateurs et s'appliquera donc sur une large partie du territoire.

84. Un accord d'envergure nationale portera nécessairement en lui des risques concurrentiels substantiels, car c'est à l'échelle du pays que les partenaires devront renoncer à une partie plus ou moins importante de leur autonomie technique et commerciale, qu'ils devront s'échanger des informations sensibles, voire stratégiques, et qu'ils bénéficieront des gains de coût ou d'efficacité spectrale que peut permettre le partage de réseaux.

85. A l'inverse, les risques en matière de coordination ou d'éviction anticoncurrentielle, conséquences d'un accord de partage de réseau impliquant une intégration même importante des partenaires, peuvent rester mesurés et être compensés par les gains attendus de l'accord pour les parties et pour les consommateurs, dès lors que l'accord reste cantonné à une partie limitée du territoire. Dans ces conditions, l'essentiel de l'activité des partenaires demeure autonome, de sorte que les incitations à concourir et à innover sont préservées.

b) Autonomie décisionnelle

Autonomie financière

86. La conclusion d'un accord de mutualisation conduit les partenaires à s'engager à moyen ou à long terme d'autant plus fortement que l'accord concernera une partie substantielle du réseau de chacun. Ainsi, plus l'actif partagé représentera une part importante de l'investissement total consenti par un opérateur, et plus il verra son destin intimement lié à celui de son partenaire de manière peu réversible. Or cette communauté de destin accroît les risques de collusion.

87. Par ailleurs, les investissements consentis dans cette infrastructure commune sont autant de sources de financement qui ne sont plus mobilisables de façon autonome par l'opérateur. La mise en place d'un accord de partage de réseaux conduira donc nécessairement les partenaires à renoncer à une part plus ou moins grande de leur autonomie financière.

Autonomie technique

88. La conclusion d'un accord de partage de réseau et sa mise en œuvre peuvent contraindre sensiblement la stratégie de déploiement des partenaires. Qu'il s'agisse du déploiement d'un réseau nouveau ou de la mise en commun d'éléments existants, les partenaires peuvent être amenés à s'accorder sur plusieurs facteurs structurants tels que les choix d'implantation des sites, la densité de sites retenue, les fréquences utilisées ou les capacités mises en œuvre sur les équipements radio ou dans les liens de collecte des sites. Mais le degré de limitation de l'autonomie technique des parties à l'accord diffère sensiblement suivant le degré d'intégration, du partage des fréquences au simple partage des sites.

89. En particulier, dans un accord de partage de fréquences, le réseau d'accès radio est entièrement mutualisé, si bien qu'il n'est dès lors plus possible pour l'un des opérateurs de réaliser des investissements dans cette infrastructure, de densification par exemple, pour son seul compte. Toute évolution du réseau d'accès doit être convenue entre les parties à l'accord, qui ne font pas toujours face aux mêmes contraintes locales. Par ailleurs, ces contraintes ne semblent pas pouvoir être résolues en procédant à une répartition des capacités du réseau entre les partenaires, techniquement difficile aujourd'hui.

90. Bien que l'ingénierie d'un réseau en RAN sharing soit très similaire à celle d'un réseau en partage de fréquences, le RAN sharing laisse une plus grande latitude aux partenaires. Tout d'abord, les opérateurs parties à l'accord choisissent indépendamment d'exploiter une gamme plus ou moins large de fréquences, ce qui peut permettre une différenciation en termes de débit par exemple. Le RAN sharing ne s'oppose pas non plus à une mise en œuvre unilatérale d'évolutions sur les normes utilisées afin que leurs clients puissent bénéficier des améliorations de débits qu'elles apportent.

91. Un accord de partage de sites apportera plus de souplesse pour mettre en œuvre des modifications unilatérales sur le réseau. L'ingénierie radio n'étant pas indissociable, il est en particulier possible pour l'un des partenaires de densifier très sensiblement son réseau, indépendamment de l'accord de partage, dans la mesure où il dispose d'une certaine marge de manœuvre dans le réglage de ses antennes (en particulier leur orientation et leur hauteur). Ces investissements spécifiques peuvent lui permettre d'assurer sur une zone étendue une meilleure couverture, à l'extérieur ou à l'intérieur des bâtiments et, partant, d'aller au-delà de ce qu'est en mesure de proposer son partenaire.

Autonomie commerciale, innovation et différenciation

92. Il existe plusieurs façons de se faire concurrence sur un marché pour un opérateur. L'étendue de la couverture territoriale tout comme la qualité de réception à l'intérieur des bâtiments constituent à cet égard des facteurs qui ont joué un rôle primordial par le passé et qui, dans une moindre mesure, continuent à jouer un rôle aujourd'hui, les opérateurs en faisant toujours un axe de différenciation.

93. Mais il existe d'autres manières de se différencier aux yeux des consommateurs que celles reposant sur les qualités intrinsèques du seul réseau d'accès radio. Les opérateurs peuvent choisir d'investir dans la qualité de la relation clients, que ce soit avant ou après la souscription d'un forfait, de baisser leurs tarifs, de proposer des débits plus importants en dimensionnant très largement les liens de collecte vers les stations de base, ou en s'assurant une large bande passante vers Internet. Les innovations, la capacité à se différencier de ses concurrents, peuvent également provenir des plates-formes de services (suivis de consommation et recharge, par exemple), des terminaux ou même encore des cartes SIM.

94. S'agissant du réseau d'accès radio, l'intégration technique qu'impliquent les différents degrés de mutualisation limite dans une certaine mesure la capacité des partenaires à se différencier et, partant, réduit également leurs incitations à innover, mais de façon différente selon le degré de mutualisation.

95. Alors que la mutualisation de fréquences rend toute différenciation impossible sur le réseau d'accès, le RAN sharing maintient une certaine capacité de différenciation, qui reste toutefois limitée.

96. Les choix techniques faits en commun par les partenaires, et le caractère durable de ces choix, ont des conséquences directes sur les offres qui peuvent être proposées sur le marché de détail (débits proposés, qualité de la couverture indoor, implantation d'une évolution de la norme, 3G ou 3G+ par exemple).

c) Le partage d'informations

97. Le partage de réseaux conduit nécessairement les partenaires à échanger des informations pour déployer, configurer le réseau partagé puis l'exploiter. Les informations dont il s'agit ont une vocation technique nécessaire au dimensionnement et au paramétrage du réseau. Il peut s'agir en particulier d'informations sur les volumes de communications, le nombre de clients, leur comportement de consommation, etc. La quantité d'informations, leur niveau de détail et le caractère stratégique des informations échangées peuvent cependant varier selon le type de mutualisation retenue.

98. Il apparaît notamment que l'architecture du réseau mutualisé en zone peu dense relève uniquement d'une problématique de couverture alors que, dans les zones denses, l'architecture est avant tout guidée par une problématique de capacité. Ainsi, dans le premier cas, les informations échangées sont limitées à une dimension technique, puisqu'il n'est pas utile d'avoir des éléments relatifs à la clientèle (positionnement des antennes et couverture). En revanche, dans le second cas, les échanges d'informations sont par nature plus larges, car il est nécessaire de s'informer également sur les trafics prévisionnels (voix, SMS, data) et ce régulièrement de manière à déterminer de manière adéquate la densité de sites nécessaire.

99. Or, ces informations, qui sont en soi des informations sensibles et stratégiques, permettent, une fois rapprochées du nombre de clients, d'obtenir une information très précise sur la politique commerciale du concurrent, et notamment sur les débits qu'il entend offrir effectivement à ses clients.

100. D'une manière générale, les informations partagées dans les zones denses, à l'occasion de la mise en œuvre d'un accord portant sur des éléments de réseaux actifs, auront toujours nécessairement les caractéristiques aggravantes suivantes :

- il s'agit de données individuelles et non agrégées en ce sens qu'elles sont spécifiques à chaque entreprise,

- ces données peuvent être très précises sur le plan géographique, et éventuellement caractériser chaque cellule individuellement,

- les données échangées sont des données relativement récentes ou des données prospectives,

- la fréquence des échanges est importante.

101. Dans ces conditions, l'échange d'informations sensibles entre concurrents renforce significativement leur capacité à se coordonner, et donc les risques de collusion. Or, de tels risques sont de nature à remettre en cause l'appréciation globale qui peut être portée sur les accords de partage.

102. Afin de réduire ce risque, et d'éviter in fine que des effets restrictifs de concurrence importants ne se produisent, l'accord de partage de réseaux peut être mis en œuvre dans le cadre d'une entreprise commune, une " joint venture " par exemple, en charge de l'exploitation du réseau partagé. Ce dispositif peut permettre, lorsque toutes les précautions nécessaires sont prises, de limiter la circulation des informations relatives à l'exploitation du réseau à l'entreprise commune, qui doit faire en sorte qu'elles ne soient pas transmises aux sociétés-mères et à leurs divisions commerciales.

d) Nature des coûts mis en commun

103. La prise en compte de la nature des coûts mis en commun a un effet ambivalent sur l'examen concurrentiel des accords de partage.

104. L'analyse économique indique que, d'une manière générale, lorsque les coûts variables représentent une grande partie des coûts mis en commun, les partenaires auront tendance à adopter des politiques tarifaires convergentes. Au contraire, lorsque les coûts partagés sont essentiellement des coûts fixes, les partenaires disposent d'une plus grande latitude tarifaire.

105. Il s'en déduit que les économies réalisées sur les coûts variables sont plus directement retranscrites dans les tarifs, et donc rétrocédées aux consommateurs, tandis que les économies réalisées sur les coûts fixes le sont moins directement ou systématiquement. La nature des coûts mis en commun modifie la mesure dans laquelle les gains d'efficacité, ici les économies de coûts, sont rétrocédés aux consommateurs. Ainsi, dans le cas où les coûts partagés sont essentiellement des coûts fixes, il apparaît que la part des gains rétrocédée est susceptible d'être faible, alors qu'au contraire, lorsque les gains sont réalisés sur des coûts variables, la part rétrocédée au consommateur peut être plus importante.

106. Il convient par ailleurs de distinguer, du point de vue de la nature des coûts partagés, les zones denses des zones non denses. Si l'on considère que dans les zones non denses, les coûts partagés sont essentiellement des coûts de couverture, alors il s'agit essentiellement d'un partage de coûts fixes et les gains d'efficacité attendus peuvent être substantiels.

107. Si, dans ce cas, la restitution au consommateur sous forme de prix plus bas est incertaine, les économies de coûts fixes tendent néanmoins à déplacer le seuil de rentabilité des sites, et permettent au réseau mutualisé de couvrir une part plus grande du territoire. De ce point de vue, ces gains, favorables à l'aménagement du territoire, bénéficient de façon certaine aux consommateurs.

108. Dans le cas des zones denses, la constitution du réseau est avant tout dictée par sa densification, et donc par des coûts qui apparaissent plus variables. Compte tenu de la nature modulaire des équipements télécom, certaines économies sont attendues, mais il est difficile des les quantifier. Bien qu'éventuellement faibles, ces gains d'efficacité sont probablement largement restitués aux consommateurs.

e) Les éventuels gains de débits liés à une meilleure efficacité spectrale

109. L'examen de la modalité de mutualisation consistant à mettre en commun des fréquences présente un bilan négatif sur le plan concurrentiel. Il convient cependant de mettre en avant un avantage pour les consommateurs rendu possible par la mise en commun de fréquences, en particulier adjacentes, qui peut permet d'accroître sensiblement le débit crête (débit maximal autorisé par les équipements) offert aux utilisateurs.

110. A titre d'exemple, en LTE, une largeur spectrale de 10 MHz permettra un débit crête maximum de 72 Mb/s pour un client alors que l'utilisation d'un bloc de 20 MHz permettra un débit crête maximum de 150 Mb/s. Ce gain, qui peut être appréciable pour certains consommateurs, est donc à mettre en balance avec les risques que font peser les accords de partage de fréquences sur la concurrence.

4. L'ÉLIMINATION DE LA CONCURRENCE

111. Les différents éléments présentés précédemment sont à considérer de manière simultanée pour évaluer les effets potentiels des accords de partage de réseaux ainsi que leur probabilité. Ces accords peuvent atténuer la concurrence de deux manières, soit en limitant la concurrence entre les parties à l'accord, soit en conduisant à marginaliser, voire à évincer, les opérateurs tiers. Il convient ainsi de s'assurer que la mise en commun d'infrastructures ne se traduise ni par un affaiblissement de la concurrence entre les parties à l'accord, qui doivent conserver une incitation et une capacité à se différencier, ni par un risque de marginalisation ou d'éviction des opérateurs tiers, au point que le marché s'en trouverait déstabilisé dans sa structure.

D. LA MUTUALISATION : LES PRECONISATIONS DE L'AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

112. L'examen des différentes modalités de partage de réseaux, au regard des critères qui viennent d'être énoncés, permet de dégager un certain nombre de recommandations. Celles-ci varieront selon les zones : denses ou peu denses, zones de déploiement naturel ou au contraire zones identifiées par le régulateur sectoriel comme étant de déploiement prioritaire (ZDP). Les questions liées aux accords d'itinérance dont Free Mobile peut bénéficier seront abordées dans la partie III du présent avis.

113. En toute hypothèse, l'identité des parties à l'accord (§79 et s.) ainsi que la capacité des partenariats ainsi formés à marginaliser les concurrents ou à faire peser des risques sur la structure du marché sont des éléments essentiels d'appréciation. La grille de lecture donnée par l'Autorité ne peut, pour cette raison, que rester générale.

1. DANS LES ZONES PEU DENSES OU DANS LA ZDP

114. Dans les zones peu denses du territoire, il apparaît que l'ensemble des modalités de partage de réseaux est envisageable (partage d'infrastructures passives ou actives) dans la mesure où les gains attendus sont importants et qu'ils peuvent être rétrocédés aux consommateurs par le biais d'un déploiement plus rapide ou plus étendu des réseaux dans ces territoires : la mutualisation peut créer une émulation bénéfique autour d'un " mieux-disant territorial ".

115. Néanmoins, s'agissant des accords de partage de fréquences, il convient de rester prudent y compris s'agissant de la norme LTE, dans la mesure où les gains supplémentaires apportés par des débits crêtes supérieurs peuvent ne pas suffire à compenser les risques restrictifs liés à l'ampleur et à la nature des informations nécessairement échangées dans le cadre de ce type de partenariat. Par ailleurs, un risque additionnel apparaît puisque les informations sensibles qui peuvent être échangées sont des informations qui, même limitées géographiquement, peuvent permettre d'inférer des données valables sur le plan national. Il peut s'agir par exemple des classes de service affectées aux clients en fonction des gammes d'offres (pro, standard, low cost).

116. Sous réserve d'un examen détaillé au cas par cas, qui restera toujours nécessaire, l'Autorité de la concurrence se montre donc ouverte à la mutualisation des infrastructures, passives ou actives, dans les zones peu denses ou ZDP, à deux réserves près.

117. La première est de traiter à part d'éventuels accords de partage de fréquences, qui méritent une attention particulière dans la mesure où ils réduisent sensiblement l'autonomie décisionnelle des partenaires. Ces derniers devront donc mettre en avant de solides justifications - notamment techniques - pour y recourir. Il faut ajouter que de tels accords éventuels devront être soumis à l'accord de l'ARCEP, qui fait valoir dans son avis la nécessité d'examiner leur compatibilité avec les règles de non-cumul posées par les autorisations d'utilisation de fréquences.

118. Le second est de prendre, en toute hypothèse, des précautions particulières en ce qui concerne l'échange d'informations. A cet égard, la préférence pourra être donnée à la création d'une entreprise commune, chargée de piloter le réseau. La remontée des informations commerciales ou techniques sensibles échangées à l'intérieur de cette " joint venture " devra être prohibée vers les maisons-mère et notamment leurs divisions commerciales. Des clauses très strictes devront également être prévues dans les mandats des administrateurs et les contrats de travail des salariés, avec une surveillance effective.

2. DANS LES ZONES DENSES

119. Les zones en dehors des zones de déploiement prioritaires appellent une vigilance toute particulière, car elles sont le terrain naturel sur lequel les opérateurs sont amenés à se déployer de manière rentable, et sur lequel ils ont pu jusqu'à présent se livrer une concurrence fondée sur leurs propres infrastructures. La mutualisation d'équipements dans cette zone doit donc être plus encadrée, de manière à permettre certains gains d'efficacité au profit du consommateur mais en offrant des garanties plus importantes en termes de capacité de différenciation et d'absence d'échange d'information.

Une segmentation envisageable

120. A ce titre, il semble possible d'y distinguer deux sous-zones, selon que le déploiement obéit essentiellement à une problématique de couverture ou qu'il répond localement à une problématique de capacité.

121. Dans le premier cas, celui des zones " semi-denses ", le déploiement des infrastructures est moins conditionné par les hypothèses liées à la clientèle et à la consommation, qui peuvent s'apparenter à des informations commerciales sensibles, que par la géographie et les propriétés physiques des fréquences ou des équipements. L'échange d'informations pose donc des problèmes moins aigus.

122. Dans le deuxième cas, au contraire, il est essentiel, pour assurer une qualité de service aux clients, de disposer d'une information plus riche et plus fréquente sur la consommation de ses propres abonnés et de celle des abonnés de son partenaire, dans le but de dimensionner de manière adéquate les équipements.

123. C'est à l'aune de cette distinction entre les deux types de zones, dont la frontière peut varier au cours du temps, qu'il convient d'apprécier les types de mutualisation possibles.

Le champ du possible

124. Le partage des fréquences suscite, que l'on soit dans les zones " semi-denses " ou " denses ou très denses ", de fortes réserves.

125. Les gains d'efficacité additionnels permis par un tel accord, comparativement aux gains engendrés par des solutions moins restrictives, comme le RAN sharing par exemple (18), ne paraissent pas pouvoir contrebalancer les restrictions sévères liées à la nature, l'ampleur et la fréquence des informations échangées mais aussi à l'interdépendance très forte qui se crée entre les deux partenaires.

126. A l'autre extrémité, le partage d'installations passives, qui est d'ailleurs encouragé même dans les zones les plus denses, comporte des risques anticoncurrentiels faibles. Il nécessite peu d'échanges d'informations, laisse une grande latitude technique aux partenaires et n'emporte pas de conséquences dans leurs choix commerciaux. S'agissant enfin de l'étendue territoriale d'un tel accord, il convient de rappeler que plus l'accord porte sur une vaste portion du territoire, plus il est susceptible de lier les partenaires et d'altérer leur autonomie technique et financière. Il s'agit cependant de la modalité de partage la plus facilement acceptable, dans tous les types de zones.

127. Le " RAN sharing " se situe dans une position intermédiaire. Il procure de toute évidence des gains d'efficacité supérieurs à ceux qui peuvent raisonnablement être attendus d'un partage d'installations passives, tout en portant des risques plus élevés du point de vue du droit de la concurrence. Il implique une interdépendance technique très importante et un partage d'informations non négligeable, même s'il s'agit d'informations de nature principalement technique.

128. Lorsque ce type d'accord est mis en œuvre de manière contiguë sur une vaste portion des zones denses, il en découle en pratique que les partenaires utilisent véritablement un seul et même réseau d'accès radio. L'utilisation commune de cette infrastructure stratégique lie le destin des partenaires sur le long terme et contient une certaine forme d'irréversibilité. A terme, un tel accord peut déboucher sur des effets comparables à ceux d'une opération de concentration.

129. Dans les zones les plus denses du territoire, là où les économies liées au partage sont les plus faibles, les effets restrictifs liés aux accords de RAN sharing paraissent, a priori, trop importants par rapport aux éventuels gains d'efficacité. Dans les zones semi-denses cependant, une certaine forme de mutualisation active peut être avantageuse, s'il est démontré, in concreto, que les gains sont suffisants et sont, en pratique, restitués aux consommateurs sous la forme de prix plus bas ou d'une meilleure qualité de service. Les bénéfices environnementaux peuvent aussi être pris en compte.

130. D'autres gains pro-concurrentiels peuvent également être démontrés, dans le cadre d'un accord de RAN sharing, lorsqu'un opérateur nouvel entrant éprouve des difficultés à déployer un réseau en propre suffisamment dense, que cela vienne de contraintes internes (insuffisance du patrimoine de fréquences par exemple) ou externes (rareté des points hauts, obstacles environnementaux, etc…). En effet, le RAN sharing est la seule modalité de partage qui permette à un opérateur d'héberger un autre opérateur dans ses sites, sans qu'il soit nécessaire de renégocier les baux. Sous réserve que le déficit de sites soit de nature à limiter durablement la capacité du nouvel entrant à animer le marché, il apparaît que ce type d'accord est également susceptible, à condition d'apporter des justifications au cas par cas, de présenter un intérêt pour la concurrence.

III. Les accords d'itinérance

A. DÉFINITION

131. Selon la définition donnée par l'ARCEP (19), l'itinérance est une modalité de partage de réseaux entre différents opérateurs de télécommunication mobiles qui se distingue de la mutualisation par les fréquences qui sont exploitées. En effet, la mutualisation de réseaux ou des fréquences implique l'utilisation des fréquences de l'ensemble des opérateurs ayant mutualisé des infrastructures, actives ou passives, alors que l'itinérance se traduit par l'utilisation des fréquences du seul opérateur d'accueil.

132. De façon générale, un accord d'itinérance se traduit par une asymétrie caractérisée entre l'opérateur accueilli et l'opérateur d'accueil, en particulier en termes d'investissements. Par exemple, dans le cas d'un accord d'itinérance nationale entre un opérateur 1 et un opérateur 2, dans lequel l'opérateur 1 accueille sur l'ensemble du territoire l'opérateur 2, l'opérateur 1 doit disposer d'un réseau d'accès et de collecte déployé sur tout le territoire. En revanche, les investissements de l'opérateur 2 peuvent être limités à des équipements de coeur de réseau et d'interconnexion. Les infrastructures de l'opérateur 1 sont donc beaucoup plus importantes et diversifiées que celles de l'opérateur 2.

133. Cette asymétrie entre les deux opérateurs peut cependant être atténuée, voire disparaître, dans le cas d'une itinérance croisée, cas dans lequel l'opérateur 1 est accueilli en itinérance par l'opérateur 2 dans certaines zones tandis que l'opérateur 2 est accueilli en itinérance par l'opérateur 1 dans d'autres zones. Cette itinérance croisée a déjà pu être mise en œuvre dans les zones les moins denses du territoire dans le cadre du programme d'extension de la couverture mobile en zones blanches (cf. infra).

134. Un contrat d'itinérance crée par ailleurs une dépendance technique et opérationnelle de l'opérateur accueilli vis-à-vis de l'opérateur d'accueil dans les zones où l'itinérance est utilisée. Cette dépendance technique peut être univoque, notamment pour une itinérance nationale ; elle peut aussi être réciproque, comme dans le cas d'une itinérance croisée.

B. APPLICATIONS DE L'ITINÉRANCE EN FRANCE MÉTROPOLITAINE

135. L'itinérance a été mise en œuvre en France métropolitaine à plusieurs reprises et dans des cadres variés.

1. L'EXTENSION DE LA COUVERTURE MOBILE EN " ZONES BLANCHES "

136. Le 15 juillet 2003, une convention entre le ministre chargé de l'aménagement du territoire, l'association des maires de France, l'ART (devenue l'ARCEP) et les trois opérateurs mobiles 2G a mis en place un programme d'extension de la couverture des réseaux mobiles en 2G dans les communes qui n'étaient couvertes par aucun opérateur. Ce programme concerne environ 3300 communes et implique le déploiement de quelques 2200 sites.

137. Ainsi que le prévoit cette convention, " les zones blanches concernées par le plan d'action sont couvertes de manière prédominante selon la technique de l'itinérance locale. La solution consistant à mutualiser des infrastructures passives (chaque opérateur installant ses infrastructures actives) peut être utilisée, dans les zones où une telle solution s'avère économiquement ou techniquement justifiée ". L'itinérance locale consiste à ce qu'un seul opérateur déploie des équipements localement : il accueille alors sur ses équipements tant ses propres clients que les clients des opérateurs accueillis.

138. Dans la pratique, plus de 90% des centres-bourgs concernés par le programme " zones blanches " étaient couverts en 2G à la fin 2012. Dans les deux tiers des cas, la solution de l'itinérance locale a été utilisée par les opérateurs, sachant que les trois opérateurs parties à la convention ont déployé des sites. Il s'agit donc d'un cas d'itinérance croisée dans lequel les opérateurs sont, selon les sites, soit opérateur d'accueil, soit opérateur accueilli.

139. S'agissant de la 3G dans les zones blanches, un accord a été conclu en 2010 entre SFR, Orange et Bouygues Télécom, auquel Free Mobile s'est joint ultérieurement, prévoyant la mise en œuvre d'un partage de réseaux de type RAN sharing. Il ne met donc pas en jeu l'itinérance.

2. LES DROITS À L'ITINÉRANCE DE FREE MOBILE

140. Free Mobile dispose, pour certaines technologies de réseau, de conditions particulières, liées à son entrée tardive sur le marché de la téléphonie mobile, ou au patrimoine de fréquences qui lui a été attribué. Il a reçu des fréquences en 3G (5 MHz dans la bande des 900 MHz et 5 MHz dans la bande des 2,1 GHz) et en 4G (uniquement dans la bande des 2,6 GHz). Il ne dispose pas en revanche de fréquences 2G à ce jour.

141. S'agissant de la 2G, Free Mobile bénéficie d'un droit provisoire, d'une durée de six ans à compter de son autorisation d'exploitation de fréquences 3G, d'accès en itinérance aux réseaux 2G des autres opérateurs de réseau. Ces derniers ont en effet, en vertu de leurs licences 3G obtenues en 2001 (SFR et Orange) ou 2002 (Bouygues Télécom), l'obligation de faire droit à une demande d'accès en itinérance 2G du quatrième opérateur de réseau 3G. L'itinérance 2G avait notamment pour but de favoriser l'entrée de ce quatrième opérateur sur le marché en compensant son déficit de couverture. Le déploiement d'un réseau de téléphonie mobile à la couverture comparable à celle des autres opérateurs de réseau exigerait plusieurs années, compte tenu des taux de couverture élevés atteint par ces opérateurs. Aussi, ce droit à l'itinérance 2G, prévu en 2001 à une époque où les opérateurs installés disposaient d'une couverture 2G étendue mais pas encore d'une couverture 3G, devait permettre au quatrième opérateur de disposer, dès son lancement, d'une zone de couverture sensiblement équivalente à celle de ses concurrents et donc de ne pas souffrir d'un désavantage concurrentiel sur ce point.

142. En ce qui concerne la 3G, Free Mobile ne s'est pas vu accorder de droit particulier d'accès aux autres réseaux. C'est un point qu'avait souligné l'Autorité de la concurrence dans son avis 10-A-13 du 14 juin 2010 relatif à l'utilisation croisée des bases de clientèle fixes et mobiles. Examinant les effets potentiels d'éviction que pouvaient recéler les offres de convergence fixe-mobile que s'apprêtait à proposer France Télécom, l'avis avait indiqué que ces effets pouvaient être limités par l'entrée d'un quatrième opérateur mobile, à condition qu'il puisse rapidement et efficacement concurrencer les trois opérateurs déjà installés : la prestation d'itinérance 2G mais aussi 3G y était vue comme un levier puissant.

143. S'agissant de la 4G, Free Mobile dispose d'un droit durable d'itinérance dans la zone de déploiement prioritaire (ZDP), qui correspond aux zones les moins denses du territoire. La ZDP représente 18% de la population et un peu moins des deux tiers de la surface métropolitaine. Ce droit à l'itinérance vise à compenser un déséquilibre dans l'accès aux fréquences basses, qui permettent de couvrir un territoire avec un nombre de sites réduit, et qui pénètrent également mieux à l'intérieur des bâtiments. Selon l'ARCEP, ce dispositif vise à ce que Free Mobile " puisse fournir ses services et exercer une véritable concurrence sur l'ensemble du territoire " (20). Ainsi, SFR, qui a remporté deux blocs de fréquences 4G dans la bande des 800MHz, a l'obligation de faire droit à une demande d'accès de Free Mobile.

144. Free Mobile a signé un contrat d'itinérance nationale 2G et 3G avec Orange jusqu'en 2018, échéance qui va donc au-delà de l'obligation portant sur la 2G (2016). En revanche, selon Free Mobile, aucun contrat d'itinérance portant sur la 4G n'est, à ce jour, signé avec d'autres opérateurs.

C. ANALYSE INTERNE DE L'ITINÉRANCE : BILAN COÛTS-AVANTAGES DU POINT DE VUE DES OPERATEURS PARTIES A L'ACCORD

145. L'analyse de l'itinérance nécessite, au préalable, un examen des avantages et des inconvénients de l'itinérance - dont la portée est à analyser sur les plans technique et financier - du point de vue des parties à l'accord.

1. LES AVANTAGES RECHERCHES PAR L'OPÉRATEUR ACCUEILLI

146. S'agissant des avantages, on peut en relever quatre, qui concernent :

- l'extension de la zone de couverture,

- une facilitation du développement d'un opérateur de réseau en cours de déploiement et à terme la capacité à sous-dimensionner son propre réseau,

- une sécurisation du réseau : pour un opérateur qui aurait couvert une zone donnée du territoire, disposer d'un contrat d'itinérance sur cette zone permet de disposer d'une solution de substitution à son propre réseau en cas de besoin,

- la compensation des contraintes induites pour un opérateur par un patrimoine de fréquences insuffisant ou inadapté.

L'extension de la couverture

147. Disposer d'un contrat d'itinérance peut permettre à un opérateur d'étendre les zones dans lesquelles il propose des services à ses abonnés. Par exemple, en concluant un contrat d'itinérance nationale, un opérateur de réseau peut offrir des services tant dans les zones qu'il couvre via son propre réseau que dans les zones couvertes par son réseau d'accueil sans qu'il y ait nécessairement déployé lui-même.

148. En conséquence, l'itinérance permet au réseau qui en bénéficie de proposer des offres plus attractives, puisque les services sont accessibles dans une zone plus large. Elle permet, pour la même raison, d'élargir la clientèle qui peut être intéressée par les offres de cet opérateur. L'itinérance est clairement un facteur d'attractivité et de compétitivité pour l'opérateur qui en bénéficie, d'autant plus marqué d'ailleurs que les taux de couverture diffèrent entre l'opérateur accueilli et l'opérateur d'accueil : l'extension de la base géographique en sera d'autant plus forte. En particulier, disposer d'une itinérance nationale est un élément primordial de compétitivité pour un opérateur qui est à un stade précoce du déploiement de son réseau, a fortiori dans un contexte où les autres opérateurs affichent des taux de couverture très élevés.

149. L'itinérance, en tant que complément de couverture, présente aussi un intérêt pour l'opérateur accueilli, même si ce dernier a achevé son déploiement. En effet, un opérateur de réseau peut décider de ne pas couvrir lui-même certaines zones du territoire s'il lui apparaît qu'elles ne sont pas rentables. Néanmoins, la rentabilité recherchée dans la couverture d'une zone n'est pas la même pour tous les opérateurs, puisqu'elle dépend de plusieurs paramètres par nature différents entre concurrents, en particulier le portefeuille de fréquences, qui a une influence sur le nombre de sites à déployer pour couvrir une zone, le nombre de clients potentiels dans la zone, etc. Cela est illustré par l'existence de zones dites grises, qui ne sont couvertes que par une partie des opérateurs de réseau. Dès lors, un opérateur qui aurait achevé son déploiement peut trouver un intérêt à une sorte d itinérance " résiduelle ", si cette dernière lui permet de couvrir des zones qu'il ne comptait pas couvrir par lui-même, faute de fréquences basses limitant le coût de déploiement en zones peu denses ou faute d'un nombre suffisant de clients dans ces zones.

La facilitation du développement pour un opérateur en cours de déploiement

150. Pour un opérateur en cours de déploiement, l'itinérance offre une souplesse dans le déploiement et permet d'optimiser les investissements qui y sont consacrés.

151. En premier lieu, l'itinérance lève certaines contraintes auxquelles font face les opérateurs qui n'utilisent que leur réseau propre, en particulier la continuité territoriale de la couverture. Un opérateur qui ne peut s'appuyer que sur son propre réseau doit, pour couvrir une zone donnée, installer plusieurs sites à proximité les uns des autres. Un opérateur qui dispose d'un contrat d'itinérance, s'il veut proposer des services de téléphonie mobile dans cette même zone, pourra n'installer qu'un nombre réduit d'antennes, éventuellement éloignées les unes des autres, et s'appuyer, pour le complément, sur les antennes de son réseau d'accueil. Cette souplesse peut permettre par exemple de retarder le déploiement sur des sites posant des problèmes de disponibilité ou de coûts, ce qui conduit à optimiser les investissements de l'opérateur qui dispose de l'itinérance.

152. Sur ce dernier aspect, il convient de souligner qu'en bénéficiant d'un contrat d'itinérance, un opérateur de réseau peut trouver intérêt à limiter les investissements consacrés à la densification de son réseau et à ainsi déployer un réseau sous-dimensionné en termes de capacité. Dans le cas d'une zone dense par exemple, un opérateur de réseau ne disposant pas de l'itinérance doit densifier son réseau de façon à pouvoir absorber le trafic généré par ses clients. Le nombre d'antennes à déployer est alors directement dicté par la capacité nécessaire aux heures de pointe en termes de trafic. En dehors des heures de pointe, par nature, le réseau de cet opérateur est utilisé en-deçà de sa capacité maximale. Par contraste, un opérateur de réseau disposant d'un contrat d'itinérance sur une zone dense peut décider, si cela n'est pas contraire à ses engagements, de limiter la capacité de son réseau, par exemple au niveau du trafic moyen dans la journée, afin que les antennes installées aient un taux d'utilisation supérieur et affichent donc une meilleure rentabilité. Les antennes de l'opérateur ne pourraient pas nécessairement, dans un tel cas, accueillir la totalité du trafic généré par les clients, notamment aux heures de pointe : mais ce handicap est en réalité inopérant si la part du trafic qui ne peut transiter par son propre réseau est prise en charge par l'opérateur d'accueil. La perception qu'en auraient les clients ne serait alors pas dégradée, puisque la qualité de service fournie pourrait être alors comparable à celle du réseau de l'opérateur d'accueil. L'opérateur accueilli ne supporte pas ainsi les conséquences négatives en termes d'image du sous-dimensionnement de son réseau.

153. L'on pourra objecter à juste titre que cet avantage a une contrepartie : l'obligation de rémunérer l'itinérance. Cela est d'autant plus susceptible de se produire que le prix de l'itinérance prend en compte le fait que le trafic passant par l'opérateur d'accueil est concentré sur les heures de pointe, ce qui peut contraindre l'opérateur d'accueil à réaliser lui-même des investissements pour pouvoir absorber le trafic supplémentaire de son partenaire.

154. En deuxième lieu, un opérateur bénéficiant d'un contrat d'itinérance peut décider de se déployer prioritairement dans certaines zones, en particulier dans celles où il dispose d'un grand nombre d'abonnés. Cela présente l'intérêt que les antennes déployées accueilleront rapidement un trafic important, limitant ainsi de façon substantielle les sommes versées à l'opérateur d'accueil.

155. Disposer de l'itinérance permet donc à l'opérateur accueilli d'optimiser ses investissements de déploiement, en limitant leur montant et/ou en maximisant leur rentabilité.

156. Par ailleurs, utiliser l'itinérance sur certaines zones permet à l'opérateur accueilli de substituer à une partie de ses coûts de réseau le prix de l'itinérance. Or, les coûts de réseau pour un opérateur comprennent une part importante de coûts fixes. Rapportés au volume de minutes, de SMS ou de données, ils sont donc d'autant plus élevés que les volumes sont faibles, et donc, toutes choses égales par ailleurs, que la part de marché de l'opérateur est réduite. C'est la raison pour laquelle la répartition et la formation du prix de l'itinérance font l'objet de négociations entre l'opérateur accueilli et l'opérateur d'accueil ; ce prix peut comprendre une part variable en fonction des volumes de communications ou des débits.

157. L'itinérance peut donc permettre à l'opérateur accueilli de réduire ses coûts fixes de réseau et de substituer à une partie de ces coûts fixes des coûts variables correspondant à la facturation de l'itinérance, coûts variables qui ne sont dûs qu'en cas d'acquisition de clients. Cette structure de coûts comprenant une plus grande part de coûts variables peut être avantageuse dans une économie de coûts fixes, en particulier pour un opérateur dont la part de marché est réduite, ce qui est par nature le cas d'un opérateur nouvel entrant ou récemment entré sur le marché. Elle limite le désavantage qu'a naturellement un " petit " opérateur de réseau qui dispose de relativement moins économies d'échelle qu'un opérateur dont la part de marché est déjà substantielle.

La sécurisation du réseau

158. L'itinérance permet à l'opérateur qui en bénéficie de disposer d'une solution de secours pour pouvoir offrir des services de téléphonie mobile à ses clients, quand bien même son réseau propre rencontrerait des difficultés localement (défaillance d'un site, perte d'un bail, etc.). En effet, dans de telles situations, il est possible de recourir au réseau de l'opérateur d'accueil pour acheminer les communications des clients, qui ne ressentiront ainsi pas la dégradation du service offert. Cela permet d'éviter des situations commerciales délicates mais aussi d'être moins contraint pour les délais de remise en service du réseau.

159. Cette propriété de l'itinérance, ici vue comme un outil de sécurisation de réseau et comparable, en quelque sorte, à un mécanisme assurantiel, peut limiter les coûts pour l'opérateur accueilli. Elle peut inciter à limiter les dépenses liées au traitement des problèmes réseau. Etant moins contraint sur les délais de réparation du réseau, l'opérateur accueilli a moins besoin d'étoffer ses équipes de maintenance du réseau et/ou de multiplier les implantations de ces équipes.

160. En outre, en fonction de la structure et du niveau de sa tarification, l'itinérance peut éventuellement inciter l'opérateur accueilli à limiter certaines dépenses visant à prévenir les problèmes réseau, comme celles relatives aux mécanismes de sécurisation des infrastructures (redondance des équipements). Cela est cependant d'autant plus le cas que l'itinérance est appelée à être pérenne et durable. Dans le cas d'une itinérance temporaire en revanche, l'opérateur accueilli doit faire un arbitrage entre l'intérêt qu'il y a à reporter le déploiement de certains équipements - économie de trésorerie, éventuelle baisse du coût des équipements concernés - et l'éventuel surcoût de déploiement auquel il est exposé s'il reporte certains investissements : par exemple, si des équipements de sécurisation doivent être installés au niveau des sites eux-mêmes, installer ces équipements séparément des autres éléments du site installé peut créer des coûts supplémentaires, de génie civil ou autre.

La compensation des contraintes induites par un patrimoine de fréquences insuffisant ou inadapté

161. Un opérateur peut supporter certaines contraintes du fait de son patrimoine limité de fréquences, contraintes qui affectent les coûts de déploiement et d'exploitation d'un réseau en propre.

162. En premier lieu, un opérateur qui ne disposerait pas de fréquences basses est handicapé pour couvrir par lui-même les zones peu denses comme les zones denses du territoire, pour des raisons différentes. Les fréquences basses permettent de couvrir des zones peu denses avec un nombre réduit de sites, et donc de réduire sensiblement les coûts de déploiement dans ces zones. De plus, les fréquences basses ont la propriété de mieux pénétrer les bâtiments. Couvrir par lui-même les zones denses, en offrant un service de qualité dans les bâtiments, contraint l'opérateur à densifier son réseau propre. Or, cette densification augmente les coûts de réseau (déploiement et maintenance/évolution des sites) ; elle pose également des questions environnementales, et peut rencontrer des problèmes de faisabilité (disponibilité d'un nombre suffisant de sites). L'itinérance négociée auprès d'un opérateur qui dispose de fréquences basses permet de combler en tout ou en partie le handicap de cet opérateur, selon les modalités tarifaires de l'itinérance.

163. En second lieu, un opérateur qui dispose de ressources spectrales limitées en termes de quantité (largeurs de bandes faibles) par rapport à sa part de marché peut être amené, pour offrir un service de qualité à ses clients avec son seul réseau propre, à densifier son réseau. Il a été vu supra que cette densification rendait le déploiement plus difficile sur les plans financier et pratique. Une alternative à la densification peut être de conclure un accord d'itinérance avec un opérateur qui dispose d'une quantité de fréquences élevée relativement à sa part de marché. Un tel accord est de nature à permettre à l'opérateur accueilli de limiter le surcoût qu'il supporte du fait de ses ressources spectrales. Une telle itinérance apparaît alors comme un mécanisme susceptible de corriger des répartitions de fréquences entre opérateurs qui pourraient être transitoirement déséquilibrées, les réallocations de fréquences par le régulateur intervenant à des échéances qui peuvent être espacées dans le temps.

164. Quel que soit le type de contraintes qu'il supporte du fait de son patrimoine de fréquences, un opérateur peut donc avoir intérêt à avoir recours à l'itinérance afin de limiter ses coûts et de préserver sa compétitivité. Selon les anticipations qu'il fait, un opérateur pourrait ainsi avoir intérêt à limiter ses acquisitions de fréquences et vouloir compenser ce déficit par un recours à l'itinérance.

2. LES INCONVÉNIENTS DE L'ITINÉRANCE POUR L'OPÉRATEUR ACCUEILLI

165. Pour l'opérateur accueilli, l'itinérance présente, à l'inverse, certains inconvénients. Elle induit une dépendance vis-à-vis de l'opérateur d'accueil. Elle peut se révéler très coûteuse dans l'absolu. Enfin, selon la tarification retenue, une partie des avantages de l'itinérance décrits plus haut peuvent être amoindris, voire annulés.

La dépendance vis-à-vis de l'opérateur d'accueil

166. Le premier inconvénient de l'itinérance est qu'elle met l'opérateur accueilli dans une situation de dépendance vis-à-vis de l'opérateur d'accueil dans les zones que le premier ne couvre pas totalement par lui-même. En quelque sorte, l'opérateur d'accueil peut influer sur la qualité de service de l'opérateur accueilli.

167. Cette dépendance est opérationnelle, puisque l'opérateur accueilli dépend de l'opérateur d'accueil pour délivrer une partie des services offerts à ses clients. Cette dépendance opérationnelle induit des risques pour l'opérateur accueilli, par exemple en cas de résiliation anticipée d'un contrat d'itinérance ou de non-renouvellement d'un tel contrat, risques qui devraient contribuer à limiter l'incitation que pourrait avoir un opérateur accueilli à ne déployer dans certaines zones qu'un réseau sous-dimensionné ou insuffisamment sécurisé. En effet, un opérateur qui déploierait un réseau insuffisamment dimensionné ou sécurisé s'exposerait, en cas d'arrêt imprévu de l'itinérance, à ne pouvoir accueillir la totalité du trafic de ses clients et/ou à ne pouvoir réagir rapidement en cas de problème réseau. Dans les deux cas, la qualité de service de l'opérateur serait affectée, avec les risques que cela implique pour l'image et la compétitivité de l'opérateur.

168. Toutefois, il faut souligner que le risque induit par la dépendance est d'autant plus réduit que les parties à l'accord sont dans une situation symétrique. En particulier, il est moins crédible qu'un opérateur mette fin à un contrat d'itinérance dans le cas d'une itinérance croisée, puisqu'il s'exposerait à voir sa propre qualité de service dégradée. Le risque est également plus faible dans le cas où l'itinérance ne s'applique qu'à une part réduite du territoire : dans un tel cas, ne pas pouvoir, pour l'opérateur accueilli, garantir une qualité de service optimale sur une faible étendue du territoire pourrait avoir des conséquences limitées.

Le coût financier de l'itinérance

169. Ainsi que le relève l'ARCEP dans son avis, " l'itinérance étant une prestation onéreuse, l'opérateur accueilli doit malgré tout déployer son réseau (intégralement en propre ou en ayant recours le cas échéant à la mutualisation) afin de respecter ses obligations réglementaires mais aussi de réduire le plus rapidement possible les importants coûts liés à l'itinérance. " (21)

170. Le coût de l'itinérance dépend de plusieurs paramètres.

171. Tout d'abord, les conditions tarifaires de l'itinérance sont fixées dans le cadre d'une négociation contractuelle privée entre l'opérateur d'accueil et l'opérateur accueilli. Elles peuvent emporter une part fixe de tarification et/ou une part variable en fonction des cas. Les volumes de communications voix, SMS ou data peuvent être limités ou non.

172. Ensuite, la facture de l'itinérance dépend aussi de l'utilisation du réseau d'accueil que fait l'opérateur accueilli. Cette utilisation est elle-même fonction du déploiement de l'opérateur accueilli (nombre et densité des sites installés en propre) ainsi que de la clientèle de l'opérateur accueilli (nombre de clients et comportement de consommation, lui-même influencé par la nature des offres commerciales de l'opérateur accueilli).

173. Les modalités de tarification négociées entre opérateur d'accueil et opérateur accueilli influent sur les coûts de l'opérateur accueilli, en fonction des offres qu'il commercialise. Elles sont donc susceptibles d'influer sur la nature de ces offres.

174. La structure et le niveau de la tarification de l'itinérance sont donc décisifs pour inciter ou non à déployer un réseau, à le densifier et à le sécuriser.

175. De façon générale, plus la tarification de l'itinérance est élevée, plus l'opérateur accueilli a théoriquement intérêt à limiter le recours à l'itinérance pour la prise en charge du trafic de ses clients, et donc à déployer un réseau autonome, suffisamment dense et sécurisé.

176. La structure de la tarification, sa répartition entre part fixe et part variable, sont aussi, une fois qu'un accord d'itinérance a été conclu, des facteurs clés pour l'incitation à déployer. Cette dernière est directement liée au niveau de la part variable de la facturation de l'itinérance. Pour déterminer s'il est dans son intérêt d'installer un site donné, l'opérateur accueilli comparera les coûts liés au déploiement de ce site et à sa maintenance d'une part, et les sommes qu'il évitera de verser au titre de son accord d'itinérance, d'autre part. En d'autres termes, plus la part variable est importante, plus l'opérateur accueilli aura théoriquement intérêt à déployer un réseau propre étendu.

177. Avant qu'un accord d'itinérance ne soit signé, ou avant de le renouveler, l'opérateur accueilli sera plus enclin à déployer son propre réseau s'il anticipe que la tarification sera essentiellement variable. L'acceptation d'un accord comportant une part fixe importante l'incitera plus probablement à utiliser de façon intense son contrat d'itinérance, ce qui traduira une plus faible volonté de déploiement en propre.

3. ANALYSE DU POINT DE VUE DE L'OPÉRATEUR D'ACCUEIL

178. Pour l'opérateur d'accueil, la proposition d'un contrat d'itinérance peut constituer une démarche favorable après la prise en compte de différents éléments dans son calcul économique. Cela signifie alors que les recettes du contrat d'itinérance excèdent a minima les coûts incrémentaux qu'il supporte pour fournir cette prestation, et qu'elles sont aussi supérieures à la perte de revenus anticipée sur le marché de détail (effet de " cannibalisation "), qui elle-même dépend des anticipations de l'opérateur d'accueil sur la stratégie de l'opérateur accueilli.

179. La prise en charge du trafic d'un opérateur tiers sur son réseau a alors plusieurs conséquences :

- si le réseau n'est pas saturé, l'opérateur d'accueil voit son économie générale améliorée par les revenus supplémentaires ;

- si son réseau doit être renforcé pour prendre en charge le trafic supplémentaire, l'opérateur d'accueil devra tenir compte du risque d'interruption du contrat avant de réaliser les investissements nécessaires. Ceci l'incitera à favoriser une structure tarifaire de l'itinérance qui privilégie une part fixe importante, afin qu'il puisse s'assurer du recouvrement des coûts d'investissements induits.

180. D'une manière générale, la charge de trafic a des conséquences en termes de coûts très différentes selon qu'elle correspond à des zones où le réseau est peu saturé (en général les zones peu denses) ou à des zones où l'opérateur d'accueil fait face à des contraintes de capacité. L'opérateur d'accueil a ainsi normalement une propension à rechercher des prix plus élevés et plus forfaitaires en zones denses que dans les zones peu denses. Une telle propension ne converge pas nécessairement avec l'intérêt de l'opérateur accueilli, dont le déploiement est plus rentable en zone dense qu'en zone peu denses, où sa disposition à payer est donc plus grande. Une telle divergence dans les incitations réciproques peut justifier des négociations ardues, des remises en cause de l'équilibre contractuel à l'initiative de l'un ou l'autre des deux partenaires et des formules de prix qui peuvent évoluer au cours du temps.

D. ANAYLYSE CONCURRENTIELLE DE L'ITINÉRANCE

1. UN PRÉCÉDENT INTÉRESSANT : L'ITINÉRANCE NATIONALE POUR LA 3G ENTRE T-MOBILE ET O2 SUR LE MARCHÉ ALLEMAND

181. Ce précédent est particulièrement utile pour l'analyse concurrentielle de l'itinérance parce que l'accord en question, notifié en 2002 à la Commission européenne, a fait l'objet d'un examen détaillé de la part de cette dernière (décision du 16 juillet 2003.COMP/38.369). L'affaire a été portée ensuite devant le tribunal de première instance de l'Union européenne qui a validé et en partie corrigé l'argumentation retenue par la Commission pour évaluer l'impact de l'accord sur la concurrence (arrêt TIPCE, 2 mai 2006, affaire T-328/03).

182. L'on retiendra de ces décisions et arrêt que l'analyse dépend :

- des caractéristiques du marché sur lequel intervient l'accord (cf. §§73 et suivants du présent avis) ;

- de la capacité de l'accord à restreindre la concurrence entre opérateurs de réseau ou au contraire à permettre, dans certaines conditions, à l'opérateur le plus petit de concurrencer des acteurs plus puissants sur le marché de détail ou le marché de gros, en réduisant la dissymétrie des parts de marché ;

- du contenu même de l'accord : son encadrement dans le temps, la manière dont il cible les zones peu denses ou au contraire les zones urbaines, etc.

183. L'analyse menée confirme que le droit de la concurrence pose un regard ambivalent sur la prestation d'itinérance : celle-ci peut être un facteur d'animation concurrentielle, surtout si elle est temporaire et ciblée, comme elle peut perturber durablement la concurrence, si elle n'est pas encadrée.

2. L'ITINÉRANCE PEUT FAVORISER L'ANIMATION DE LA CONCURRENCE

184. Cet effet peut être attendu à trois titres.

185. En premier lieu, l'itinérance peut avoir une utilité dans les zones grises, c'est-à-dire les zones qu'il n'est pas rentable de couvrir par tous les opérateurs. Elle contribue alors à animer la concurrence dans ces zones. Elle a été aussi utilisée largement dans les zones blanches, dans lesquelles elle a créé une offre de services de téléphonie mobile.

186. En deuxième lieu, l'itinérance permet d'abaisser les barrières à l'entrée sur le marché de la téléphonie mobile. Compte tenu des délais de plusieurs années nécessaires au déploiement d'un réseau, sans itinérance, un opérateur entrant ne pourrait proposer d'offre compétitive dans un premier temps, faute d'une couverture suffisante. Ce désavantage compétitif est d'ailleurs d'autant plus fort que les autres opérateurs de réseau présents depuis plus longtemps sur le marché proposent une couverture élevée du territoire.

187. L'itinérance, en comblant ce déficit de couverture de l'opérateur entrant, est une solution pour limiter les difficultés d'entrée sur le marché et permettre à l'opérateur entrant d'animer rapidement et efficacement la concurrence sur le marché de détail. L'Autorité de la concurrence avait d'ailleurs insisté sur l'importance de l'itinérance pour que le quatrième opérateur " puisse concurrencer efficacement les trois opérateurs de réseaux mobiles déjà installés " (22). Pour remplir cette fonction, le besoin d'itinérance n'est que temporaire, le temps du déploiement du réseau du nouvel entrant.

188. En troisième et dernier lieu, ainsi que l'explique l'ARCEP dans son avis, l'itinérance peut être utilisée pour compenser un patrimoine de fréquences insuffisant ou contraignant. Elle peut par exemple limiter les surcoûts d'un opérateur qui n'aurait pas de fréquences basses ou qui aurait des quantités de fréquences faibles relativement à sa part de marché. L'itinérance permet alors d'éviter d'handicaper sensiblement et durablement un opérateur qui ne disposerait pas des ressources spectrales lui permettant de déployer un réseau autonome, ou alors pas à un coût raisonnable - une fois prise en compte l'éventuelle économie d'achat de fréquences - au moins dans certaines zones. En ce sens, elle participe à rendre l'opérateur accueilli plus compétitif sur le marché et donc plus susceptible d'animer la concurrence, au bénéfice des consommateurs. Il faut toutefois relever que cette compensation d'un patrimoine de fréquences contraignant par l'itinérance n'a pas nécessairement à être pérenne, le régulateur sectoriel pouvant procéder à des réallocations de fréquences entre opérateurs.

3. L'ITINÉRANCE PORTE AUSSI DES RISQUES CONCURRENTIELS, QUI PEUVENT PERTURBER LE MARCHE

189. Par définition, et comme l'a relevé la Commission européenne dans sa décision précitée sur l'accord conclu entre O2 et T-Mobile, qui prévoyait notamment une itinérance croisée entre ces opérateurs, l'itinérance restreint, sans l'éliminer, la capacité des opérateurs à se différencier sur certains paramètres de concurrence, en particulier la couverture, les débits ou la qualité de service. L'opérateur accueilli se trouve dépendant des choix de l'opérateur d'accueil pour les débits et la qualité de réseau, qui sont contraints par les choix techniques et de déploiement de l'opérateur d'accueil. L'itinérance peut donc, dans certains cas, restreindre la concurrence.

190. Les conséquences de ces restrictions seront plus fortes dans les zones où le déploiement de réseaux parallèles est possible et viable sur le plan économique, notamment dans les zones denses du territoire, que dans les zones les moins denses, où la viabilité d'un déploiement est plus problématique et où l'itinérance peut être la condition nécessaire de la présence de l'un et/ou l'autre des opérateurs parties à l'accord.

191. Dans l'absolu, la dépendance induite par l'itinérance est d'autant plus susceptible de créer des risques que la prestation est utilisée de manière importante et intense, en termes d'étendue des zones où elle s'applique ou de volumes de communications qui sont concernés.

192. De manière plus spécifique, les conditions définies dans l'accord d'itinérance peuvent avoir des conséquences importantes sur la conduite adoptée par l'opérateur accueilli. L'avis (§§174 et suivants) a déjà souligné que les conditions tarifaires de l'accord ont des incidences fortes sur l'incitation de l'opérateur accueilli à utiliser le réseau de l'opérateur d'accueil en itinérance ou au contraire à déployer son propre réseau. Cela sera d'autant plus le cas que l'opérateur d'accueil a un pouvoir de négociation, par exemple lorsqu'il est le seul opérateur de réseau à accepter de fournir une prestation d'itinérance. Dans une telle situation, si l'opérateur d'accueil juge qu'il est de son intérêt de fournir une prestation d'itinérance, ce qui suppose à l'évidence qu'il réalise une marge, il peut pousser à l'adoption de conditions tarifaires peu incitatives au déploiement de l'opérateur accueilli.

193. Par ailleurs, un accord d'itinérance modifie la structure des coûts et des revenus des opérateurs parties à l'accord, en creusant la différence avec celle des autres opérateurs. L'avis a déjà montré que l'opérateur accueilli peut réaliser des économies de coûts substantielles et que l'opérateur d'accueil peut augmenter sensiblement ses revenus nets, qui contribuent à renforcer sa position sur le marché.

194. Cette modification des équilibres est susceptible, dans certains cas, de remettre en cause à terme la structure même du marché. En particulier, lorsque l'opérateur d'accueil est un acteur majeur du marché, l'accord d'itinérance peut conduire à renforcer encore cet acteur, dont la taille lui permet déjà de réaliser d'importantes économies d'échelle : la compétitivité des autres opérateurs de réseau s'en trouve alors, d'un point de vue relatif, dégradée. Ces derniers doivent en effet continuer à investir sans bénéficier des retombées du contrat d'itinérance. De même, la modification des équilibres est d'autant plus sensible, et donc les conséquences sur la structure du marché d'autant plus probables et importantes, que l'accord d'itinérance est appliqué sur une part étendue du territoire et porte sur des volumes de communications élevés. Enfin, un effet sur la structure du marché est plus susceptible de se produire lorsque l'accord d'itinérance est durable et qu'il génère au profit de l'opérateur d'accueil des revenus récurrents sur une période longue.

195. L'itinérance est en définitive d'autant plus susceptible de présenter des risques concurrentiels qu'elle concerne des zones étendues du territoire, qu'elle est utilisée de manière intense, qu'elle est appliquée de manière durable et que l'opérateur d'accueil est un acteur important du marché.

196. L'importance du critère de la durée de l'accord d'itinérance a d'ailleurs été mise en évidence par le tribunal de première instance de l'Union européenne dans son arrêt précité de 2006. Le juge européen a apprécié le caractère restrictif de l'accord d'itinérance entre O2 et T-Mobile au regard du " paramètre essentiel que constitue la durée de l'accord, c'est-à-dire compte tenu du calendrier de suppression de l'itinérance prévu pour chaque zone " (point 93). De même, dans l'analyse de l'accord croisé conclu entre O2 et T-Mobile sur le marché britannique, la Commission européenne a décidé d'accorder une exemption d'une durée différente selon les zones concernées par l'itinérance. L'exemption a ainsi été plus longue dans les zones appartenant à une " divided area ", comprenant des zones relativement peu denses du territoire britannique, que dans les zones de l' " initial build area " couvrant des zones urbaines " où le potentiel de concurrence au niveau des infrastructures est le plus grand ".

4. BILAN CONCURRENTIEL DE L'ITINÉRANCE

a) Rappel des critères

197. Ainsi que cela a été dit précédemment, l'itinérance peut, sous certains aspects, limiter la concurrence entre opérateurs de téléphonie mobile, puisqu'en rendant l'offre de services de l'opérateur accueilli dépendante des caractéristiques du réseau de l'opérateur d'accueil, elle limite la capacité des opérateurs en cause dans l'accord d'itinérance à se différencier sur des paramètres importants de concurrence tels que la qualité de service, les débits ou la couverture. Elle peut également induire des risques pour la structure du marché. Toutefois, ces risques concurrentiels sont à apprécier en fonction de plusieurs critères, en particulier la durée de l'accord, son extension territoriale, l'intensité du recours à l'itinérance de l'opérateur accueilli et l'identité de l'opérateur d'accueil.

198. L'itinérance peut cependant aussi être un facteur favorable à la concurrence, en particulier lorsqu'elle permet l'émergence d'un opérateur de réseau nouvel entrant ou conduit à compenser, au moins partiellement, des handicaps d'un opérateur qui serait contraint par son patrimoine de fréquences (surcoûts de déploiement, difficulté voire impossibilité de déployer dans certaines zones).

199. Dès lors, il apparaît que l'itinérance ne peut être considérée comme constituant par principe un obstacle à la concurrence et qu'une analyse au cas par cas des accords d'itinérance s'impose. Cette analyse doit mettre en balance les risques qu'un accord d'itinérance fait peser sur la concurrence, en termes de structure du marché ou d'atténuation de la capacité des opérateurs à innover ou se différencier sur les débits ou la qualité de service par exemple, et la capacité de l'accord à contribuer à l'animation de la concurrence, notamment en améliorant l'attractivité de l'offre de l'opérateur accueilli.

b) Eclairages plus pratiques

200. Il est possible de donner quelques éclairages sur la façon dont l'Autorité pourrait apprécier en pratique certains accords d'itinérance.

Extension de la couverture à des zones non rentables

201. Tout d'abord, une itinérance dont le but est d'étendre la couverture de l'opérateur accueilli dans des zones qu'il ne serait pas rentable pour lui de couvrir en propre est peu susceptible de poser des problèmes concurrentiels. En effet, une telle itinérance favorise la pluralité de l'offre et donc le développement de la concurrence dans ces zones.

Compensation d'un handicap objectif

202. Ensuite, un accord d'itinérance qui viserait à atténuer un handicap objectif imputable à un patrimoine de fréquences qui imposerait des contraintes exceptionnelles à un opérateur, sans que ce dernier n'en soit à l'origine du fait de ses choix en matière d'acquisition de fréquences, peut, dans certaines conditions, présenter plus d'avantages que d'inconvénients pour la concurrence.

203. Pour ce type d'accord, l'Autorité apprécierait tout d'abord l'ampleur des difficultés pour l'opérateur accueilli à déployer par lui-même un réseau autonome, notamment en termes de capacité. Ces difficultés peuvent consister en des surcoûts de réseau (déploiement et maintenance du réseau) relativement aux autres opérateurs, ou en des difficultés pour trouver suffisamment de sites pour installer un réseau autonome. La mise en évidence d'un surcoût de déploiement implique toutefois de prendre en compte l'ensemble des éléments liés au coût de déploiement, y compris les coûts liés aux licences et les redevances d'utilisation des fréquences, puisque l'itinérance ne saurait avoir pour objet de pallier les désavantages d'un opérateur qui ne se serait pas porté acquéreur ou qui ne se serait pas donné les moyens financiers d'acquérir suffisamment de fréquences lorsque ces ressources hertziennes sont proposées.

204. L'Autorité étudierait également l'étendue territoriale de l'accord d'itinérance et vérifierait si l'opérateur accueilli supporte effectivement dans ces zones des handicaps importants du fait de son patrimoine de fréquences.

205. Enfin, un autre élément à prendre en compte serait l'identité de l'opérateur d'accueil.

206. Un accord d'itinérance limité aux seules zones où les handicaps de l'opérateur accueilli du fait de son patrimoine de fréquences sont importants et susceptibles de nuire de façon sensible à sa capacité à animer la concurrence et qui serait conclu avec un acteur au pouvoir de marché limité ne serait vraisemblablement pas considéré comme posant des problèmes de concurrence.

Itinérance nationale ou ciblée géographiquement

207. Enfin, certains accords peuvent porter sur une itinérance nationale. Ce type d'accord limite grandement la capacité des opérateurs impliqués à se différencier sur des paramètres comme la couverture ou les débits.

208. Pour pouvoir être immédiatement en mesure de proposer aux consommateurs une offre attractive, un nouvel entrant peut recourir à une offre d'itinérance nationale et bénéficier ainsi de la couverture du réseau d'accueil et d'un complément capacitaire. Si l'accord d'itinérance permet concrètement au nouvel entrant d'animer rapidement la concurrence avant qu'il ait achevé de déployer sa propre infrastructure, et qu'il se limite à la durée du déploiement, il peut présenter plus d'avantages que d'inconvénients pour la concurrence.

209. En revanche, si l'accord est durable (ou peut être renouvelé) et n'incite pas concrètement l'opérateur accueilli à déployer un réseau autonome, il présente des risques pour la concurrence qui peuvent surpasser l'intérêt qu'il y a à ce que la concurrence soit rapidement animée par le nouvel entrant. En particulier, ce type d'accord pourrait limiter durablement l'incitation des opérateurs à innover et à se différencier.

210. L'impact concurrentiel de l'itinérance peut également être apprécié sur le marché de gros de l'hébergement des MVNO. L'itinérance est, en soi, un instrument insuffisant pour garantir qu'un nouvel entrant puisse rapidement animer la concurrence sur ce dernier marché, à moins que la revente des prestations d'itinérance ne soit possible. Si cette revente n'est pas autorisée contractuellement, le nouvel entrant ne pourra proposer une offre crédible sur le marché de gros pendant sa phase de déploiement qu'à la condition que cette offre puisse être complétée géographiquement par l'offre de gros d'un autre opérateur de réseau. Il serait souhaitable que les offres des opérateurs de réseau n'interdisent pas la possibilité pour un MVNO de recourir au " multiroaming ", a minima lorsqu'il s'agit de compléter la couverture géographique d'un opérateur nouvel entrant en cours de déploiement.

Importance de la durée

211. Au final, il convient d'être particulièrement attentif aux accords d'itinérance nationale, en particulier en ce qui concerne leur durée, ainsi qu'avait pu le relever le tribunal de l'Union européenne, qui qualifiait ce paramètre d'essentiel. Une surveillance étroite et un suivi de ces accords peuvent aussi être utiles, dans la mesure où il n'est pas toujours dans l'intérêt tant de l'opérateur accueilli que de l'opérateur d'accueil de mettre fin à un accord d'itinérance nationale : comme cela a été vu précédemment, l'opérateur accueilli peut avoir un intérêt économique, en fonction des conditions tarifaires de l'itinérance, à avoir recours à l'itinérance plutôt qu'à densifier suffisamment son réseau ou à l'étendre dans des zones où il a peu de clients ; quant à l'opérateur d'accueil, qui tire de l'itinérance des revenus excédant largement les coûts que la prestation d'itinérance induit directement pour lui, il n'a pas d'intérêt à ce que l'accord d'itinérance prenne fin. Alors que l'accord d'itinérance permet aux deux parties de se renforcer, les opérateurs tiers risquent, par contraste, d'être affaiblis.

5. LE CAS DE FREEMOBILE : LES PRÉCONISATIONS DE L'AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

212. Compte tenu du patrimoine de fréquences ainsi que des droits à l'itinérance de Free, variables selon que l'on considère la technologie 2G, 3G ou 4G, une analyse spécifique peut être menée en fonction de chacune des trois technologies.

a) L'itinérance 3G

213. Rappelons que Free a conclu avec Orange un contrat d'itinérance nationale d'une durée de six ans, qui court donc jusqu'en 2018 mais peut être dénoncé, dans certaines conditions, deux ans avant. L'accord prévoit un volume maximal de communications pouvant transiter par l'opérateur d'accueil. L'inclusion de la 3G dans le contrat ne répondait pas à une obligation réglementaire : elle a été souscrite sur une base purement contractuelle, dont le contenu n'est pas public.

214. Ce contrat d'itinérance nationale a permis et permet à Free Mobile, nouvel entrant sur le marché de la téléphonie mobile, de disposer d'un complément à son réseau propre en termes de couverture et/ou de capacité. Ainsi que cela a été analysé dans la partie précédente, cette itinérance était nécessaire pour permettre à Free d'animer dès son entrée la concurrence sur l'ensemble du marché dans un contexte où la couverture des autres opérateurs de réseau en 3G était déjà particulièrement avancée.

215. Cela dit, l'analyse concurrentielle menée à l'égard des accords d'itinérance en général (cf. §§184-211) montre que si l'itinérance nationale peut être une réponse nécessaire et proportionnée à cette problématique du nouvel entrant, elle ne peut servir un tel objectif que si elle est strictement bornée dans le temps.

216. Mais comment ?

217. La première intuition serait de faire confiance aux seuls acteurs. Le coût de l'itinérance, couplé avec les engagements de couverture retranscrits dans la licence de Free (75% de la population en 2015 et 90% en 2018), ne peut-il constituer une incitation suffisante à déployer de manière rapide et volontariste un réseau en propre ? Si tel est le cas, la raison devrait conduire l'opérateur accueilli à demander de lui-même l'extinction de l'itinérance à l'échéance contractuelle ou même avant, sans que personne n'ait à intervenir.

218. Une comparaison rapide du coût de l'itinérance avec celui du déploiement d'un réseau pousserait à priori à une réponse positive.

219. Free estime entre 500 et 700 millions d'euros le coût annuel induit par les prestations d'itinérance. La tarification de l'itinérance se décompose en une part fixe et une part variable. Orange qualifie elle-même le modèle économique sous-jacent au contrat d'itinérance de " incitatif au déploiement ".

220. Le coût initial de déploiement d'un réseau couvrant 90% de la population est estimé, pour un opérateur qui disposerait du même patrimoine de fréquences que Free, à une somme comprise entre 1,0 et 1,5 milliard d'euros par les opérateurs qui ont pu en fournir une estimation ainsi que par l'ARCEP. A ce coût de déploiement initial, il convient d'ajouter les coûts opérationnels liés à la maintenance des sites, qui peuvent représenter plusieurs centaines de millions d'euros par an.

221. Ces estimations peuvent être corroborées par les éléments suivants. Selon les évaluations des opérateurs, le coût de déploiement d'un site est de l'ordre de 100 000 euros. Ce coût prend en compte tant les coûts de génie civil que les coûts liés aux infrastructures (émetteur, antenne, etc.). A ces coûts de déploiement, qui correspondent à des dépenses d'investissement en capital, s'ajoutent des dépenses d'exploitation (OPEX), qui peuvent être évaluées à environ 20 000 euros par site et par an. Pour couvrir 90% de la population, soit l'obligation de couverture de Free en 2018, l'opérateur devrait déployer au moins 10 000 sites. Ainsi, les investissements initiaux devant être consentis par Free se situeraient dans une fourchette dont la partie basse est de l'ordre d'un milliard d'euros. Les coûts opérationnels liés à l'entretien du réseau correspondraient pour leur part à environ 200 millions d'euros annuellement.

222. En termes purement financiers, le coût du déploiement initial d'un réseau 3G pour Free correspond donc à moins de trois années de facture d'itinérance. Quant aux coûts d'exploitation et de maintenance, de l'ordre de 200M€ par an, ils sont nettement moins élevés que ce que Free se voit actuellement facturer par Orange au titre de l'itinérance. Un rapide calcul indique donc que, si Free pouvait déployer immédiatement un réseau couvrant 90% de la population, il aurait un intérêt économique à le faire, plutôt que de recourir à l'itinérance, au bout de trois à cinq ans, en fonction des hypothèses retenues.

223. Il n'est pour autant pas certain que l'on puisse compter sur une réponse aussi simple. Et ceci pour trois raisons.

224. En premier lieu parce que le bilan coûts-avantages de l'itinérance pour l'opérateur accueilli ne se limite pas à une équation financière au sens strict : l'avis a relevé (cf. §§146 à 164) la variété des bénéfices tangibles, mais difficiles à quantifier (en termes de fiabilité, de sécurisation, de garantie de qualité et donc d'image, etc.), associés à l'itinérance.

225. En deuxième lieu parce que l'opérateur accueilli peut anticiper une baisse sensible du coût de l'itinérance au moment du renouvellement du contrat. L'intérêt collectif des trois premiers opérateurs de réseau est certes de ne pas avantager Free dans sa stratégie de " maverick ", qui repose en partie sur la force que lui confère l'itinérance. Mais l'intérêt individuel de chacun d'entre eux est de capter à son profit les recettes de cette itinérance, qui dégagent une marge élevée compte tenu du coup incrémental de la prestation. Un appel d'offres pour renouveler le contrat d'itinérance pourrait donc réserver d'heureuses surprises à celui qui mettrait en concurrence Orange et les deux autres opérateurs de réseau, dans un contexte macroéconomique particulièrement tendu…

226. En troisième lieu, et enfin, parce que l'itinérance permet à Free d'attendre pour mieux saisir les opportunités qu'une situation de marché aussi turbulente que celle que connait le secteur des mobiles en France pourrait provoquer : rachat ou fusion avec un concurrent, mutualisation des infrastructures souhaitée par un opérateur qui voudrait réduire ses coûts, etc. De telles perspectives peuvent encourager une stratégie attentiste.

227. Puisqu'il n'est pas certain qu'un simple calcul financier constitue une incitation suffisante à déployer, c'est donc qu'il faut, par l'intervention conjuguée des autorités de concurrence et de régulation, encadrer l'itinérance : préciser sa durée, régler les modalités de son extinction.

Durée

228. L'itinérance nationale ne doit pas être prolongée au-delà d'une échéance raisonnable : 2016 - date à laquelle expirera le droit à l'itinérance 2G, qui correspond aussi à la fenêtre de résiliation ouverte aux parties par le contrat d'itinérance Orange/Free - ou 2018 - échéance prévue par ce contrat. Il n'appartient pas à l'Autorité de la concurrence, en l'état des informations dont elle dispose, de choisir entre ces deux dates, mais l'une ou l'autre correspond à des étapes auxquelles Free aura réalisé une grande partie de son déploiement : selon les termes de sa licence, l'opérateur s'est engagé à couvrir, par son réseau propre, 75% de la population dès 2015 et 90% en 2018. Ce déploiement doit par ailleurs prendre en compte les obligations précises (23) souscrites par Free en termes de qualité de service vis-à-vis de ses propres clients mais également d'accueil des MVNO sur son réseau. Le besoin d'une itinérance nationale doit donc logiquement disparaître si ces engagements sont respectés. Seul demeurerait légitime le recours à une itinérance ciblée géographiquement sur les zones les moins rentables ou, à titre temporaire et exceptionnel, dans lesquelles Free ferait face à un handicap objectif du fait de son patrimoine de fréquences (cf. §§202-206), dans les conditions de droit commun ouvertes à tous les opérateurs de réseau.

Calendrier et modalités d'extinction

229. Pour s'assurer que ce calendrier sera tenu, l'Autorité de la concurrence suggère deux initiatives.

230. La première, dont la compétence relève de l'ARCEP, est d'user du pouvoir que reconnaît la jurisprudence du Conseil d'Etat (24) pour vérifier sans attendre que Free est sur une trajectoire d'investissement compatible avec les obligations de sa licence. Malgré les interrogations répétées des concurrents de ce dernier, les pouvoirs publics manquent d'éléments pour, objectivement, avoir des raisons d'en douter : l'opérateur, qui a commencé son déploiement en 2010, a déclaré avoir installé en janvier 2013 2300 sites mobiles, aujourd'hui en service ou en cours de finalisation. Mais plutôt que d'attendre les échéances de 2015 et 2018 pour vérifier que les déploiements en propre ont permis d'atteindre les taux de couverture s'imposant à l'une ou l'autre de ces dates, une action plus précoce du régulateur serait de nature à lever toutes les interrogations. La jurisprudence TF1 - déjà citée - autorise en effet le gardien d'une licence à adresser au titulaire de cette dernière une mise en demeure préalable de se conformer à ses obligations si la trajectoire de déploiement observée rend peu probable la satisfaction de celles-ci à terme. Tout semble indiquer que l'ARCEP est prête à user de ce pouvoir : il lui appartient d'indiquer quand et selon quelles modalités elle le fera.

231. L'autre initiative consiste à définir, à l'intérieur de l'espace de temps évoqué au § 228, les modalités d'une extinction progressive de l'itinérance nationale : celles-ci doivent mettre en relation la trajectoire de couverture de Free - vérifiée et éventuellement mise sous surveillance dans le cadre du pouvoir du régulateur sectoriel évoqué plus haut - avec celle de l'extinction de l'itinérance.

232. Deux modalités apparaissent possibles.

233. La première est de définir une maille territoriale pouvant correspondre par exemple à un département ou un ensemble de stations de l'opérateur d'accueil fédérées dans un même LAC (" Location Area Code "). Dès lors que Free sera réputé couvrir - au sens de l'instrument de mesure utilisé pour vérifier les obligations de sa licence - une part significative de la population présente dans une zone correspondante à la maille ainsi définie, l'itinérance sera mise en extinction dans la zone, dans un délai fixe.

234. La seconde est que soit défini, avec ou sans l'accord des parties au contrat, un calendrier d'extinction de l'itinérance tenant compte de la densité des zones concernées, comme la Commission européenne l'avait fait dans le cas, déjà évoqué, de l'itinérance T-Mobile/O2.

b) L'itinérance 2G

235. Comme indiqué supra, Free Mobile ne dispose pas actuellement de fréquences pour cette technologie. Les licences 2G des autres opérateurs courent, quant à elles, jusqu'en 2021.

236. A l'heure actuelle, environ la moitié des terminaux utilisés par les clients des opérateurs de réseau présents sur le marché métropolitain sont des terminaux 2G, cette proportion variant légèrement entre les différents opérateurs. Ces terminaux 2G, par nature, ne peuvent fonctionner qu'avec un réseau 2G. Il est délicat de prévoir la date à laquelle le parc de terminaux 2G deviendra résiduel, cette date pouvant être influencée par les politiques commerciales des opérateurs en termes de vente ou de subventionnement des terminaux, par les stratégies des canaux de distribution indépendants des opérateurs et par l'évolution du comportement de la demande (réutilisation d'anciens terminaux).

237. Il n'y aurait, selon l'ARCEP, " pas de sens technico-économique au déploiement d'un nouveau réseau 2G avec une couverture très large (…) alors que le parc de terminaux 2G, même s'il est encore important, est en décroissance ".

238. Ne s'ouvrent alors que deux possibilités pour Free s'il veut proposer des offres commerciales aux consommateurs disposant d'un terminal 2G :

- inciter ces derniers à acquérir des terminaux 3G ou 4G, qui fonctionneront sur son propre réseau 3G ou 4G ;

- obtenir le maintien d'une itinérance 2G tant que subsiste un parc significatif de terminaux 2G parmi ses abonnés.

239. La première solution présente l'avantage de favoriser le renouvellement des terminaux et donc la modernisation du parc. Elle peut aider à mieux rentabiliser les investissements faits par les opérateurs de réseau dans des infrastructures relativement récentes, notamment dans la 3G ou dans la 4G. Elle enrichit également les services accessibles aux consommateurs, puisque les terminaux 3G, et a fortiori 4G, permettent d'accéder à des plus hauts débits pour les services de données.

240. Mais une telle évolution ne saurait se faire contre la volonté des abonnés, dont beaucoup - surtout ceux ayant choisi les offres d'entrée de gamme - se satisfont de la voix et des SMS, accessibles par les terminaux 2G. Elle imposerait une révision en profondeur de la stratégie commerciale de Free qui repose sur des offres " SIM Only ", c'est-à-dire n'incluant pas de subvention du terminal. Un tel revirement serait en tout état de cause très coûteux quand on sait que les terminaux 3G d'entrée de gamme s'affichent aujourd'hui à des tarifs de l'ordre de 75 euros. Enfin, la contrainte pèserait seulement sur Free, qui se trouve objectivement dans une situation moins favorable que ses compétiteurs dont les licences 2G courent jusqu'en 2021.

241. Le recours - encadré - à une itinérance 2G peut donc apparaître comme une réponse pertinente à la nécessité d'adresser la part, aujourd'hui décroissante mais encore importante, des consommateurs qui possèdent un terminal 2G.

242. Il ne doit pas limiter l'incitation de Free à déployer un réseau 3G et 4G dimensionné pour couvrir l'intégralité des besoins de ses clients et des éventuels MVNO qu'il accueillerait : le risque est en effet que le quatrième opérateur utilise l'itinérance 2G " en débordement ", c'est-à-dire lorsque son réseau a atteint sa limite de capacité, pour satisfaire les besoins en voix et en SMS des clients équipés en terminaux 3G, voire 4G.

243. Ainsi que cela a été développé précédemment, afin d'inciter Free à déployer un réseau autonome et de donner une véritable portée à l'extinction progressive de l'itinérance 3G, l'Autorité de la concurrence considère que l'itinérance 2G, si elle devait être maintenue au-delà du droit qui est accordé jusqu'en 2016, devrait être limitée aux seuls clients disposant de terminaux 2G exclusifs, que Free ne peut techniquement accueillir sur son réseau. La mise en œuvre d'une telle solution pourrait à titre d'exemple reposer sur l'utilisation d'un Code réseau ou de cartes SIM spécifiques aux clients ayant un terminal 2G.

244. Cependant, ces développements sont nécessairement subordonnés à l'évolution du marché de détail, et à la proportion de terminaux 2G qui seraient toujours en service dans le parc de Free en 2016, date à laquelle l'opérateur ne pourra plus recourir de droit à une itinérance 2G. C'est à l'aune de cette évolution qu'il conviendra d'apprécier s'il est approprié de demander à Free de réaliser la migration de son parc avant les autres opérateurs, ou si une solution d'itinérance 2G encadrée est moins susceptible de fragiliser la dynamique concurrentielle.

c) L'itinérance 4G

245. A ce jour, Free n'a pas conclu de contrat d'itinérance 4G. Il dispose toutefois d'un droit à l'itinérance dans la zone de déploiement prioritaire auprès de SFR dans la bande des 800 MHz. Comme l'explique l'ARCEP dans son avis, ce droit vise à compenser un " déséquilibre entre opérateurs, Free Mobile n'ayant pas accès à des fréquences basses - indispensables pour la couverture des zones les plus rurales - pour le déploiement de son réseau 4G ".

246. Ainsi que cela a été expliqué précédemment, le fait pour un opérateur de ne pas disposer de fréquences basses est à l'origine d'un handicap objectif en termes notamment de coût de déploiement, plus particulièrement dans les zones peu denses. Sous réserve d'une analyse in concreto qu'il faudrait mener, l'Autorité de la concurrence serait prête à considérer que l'itinérance peut venir compenser de manière proportionnée un tel handicap dans les zones de déploiement prioritaire.

247. L'extension de l'itinérance 4G aux zones denses pose un problème beaucoup plus sérieux. D'abord parce qu'il est difficile de mesurer l'existence et l'ampleur éventuelle du handicap dont souffrirait Free du fait d'un déficit de fréquences basses (800 MHz), plus aptes que les fréquences hautes (2,6 GHz) à pénétrer les bâtiments. Ce handicap résulte en partie de l'arbitrage fait par Free lui-même lors de la mise aux enchères des blocs de fréquences 800MHz : si son offre d'acquisition n'a pas été retenue, c'est qu'elle était la moins-disante sur le plan financier. Le surcoût auquel est exposé Free pour déployer aujourd'hui la 4G - avec l'obligation de configurer un nombre de sites plus importants pour garantir une qualité de service équivalente à celle des autres opérateurs - doit donc être mis en balance avec les économies qu'il a réalisées en ne payant pas les redevances associées au fréquences 800MHz. Ensuite, si handicap il y a, il est préférable de le compenser par une réallocation des fréquences, permettant le déploiement de réseaux autonomes, qui devrait être facilitée par les réaménagements consécutifs aux demandes de " refarming " des fréquences 1800 MHz. Un tel " rééquilibrage " des ressources hertziennes, s'il apporte une réponse technique et économique acceptable, n'aurait pas les inconvénients, déjà décrits, d'une itinérance dans les zones denses et contribuerait pleinement à une concurrence par les infrastructures, à laquelle l'Autorité reste attachée.

IV. Conclusion

248. En conclusion, l'Autorité souhaite rappeler son attachement à la concurrence par les infrastructures, qui a historiquement structuré le développement du marché des mobiles et doit rester le modèle de référence. Parce que celui-ci est porteur de la dynamique concurrentielle la plus pérenne et la plus apte à stimuler l'innovation. Parce qu'il est le plus compatible avec l'allocation, par l'Etat, de ressources rares, les fréquences, dont les opérateurs de réseau doivent faire un usage strictement conforme aux engagements qui ont été pris dans l'intérêt général. Parce qu'il est, enfin, le plus favorable à l'emploi et à l'investissement, deux critères essentiels pour juger de la réussite du modèle français.

249. L'arrivée du quatrième opérateur de réseau il y a quinze mois, dont l'Autorité a défendu le principe depuis 2005, et la signature d'un contrat d'itinérance nationale, pour la 2G mais aussi la 3G, que l'Autorité, dans le silence des textes - qui auraient sans doute dû le prévoir, pour mieux l'encadrer - a également jugé utile pour favoriser le démarrage efficace de ce nouveau réseau, ne doivent pas contrarier ce modèle ni en créer subrepticement un autre. Elles sont l'une et l'autre des acquis qui doivent s'inscrire dans une concurrence par les mérites, loyale et durable, favorisée par une régulation qui garantit des chances égales à tous.

250. Les auditions auxquelles a procédé l'Autorité avant de rendre son avis ont révélé des interrogations profondes, des doutes et des inquiétudes répétées. Deux questions importantes sont revenues de manière constante : est-on, sans le vouloir, en train de changer de modèle ? Si oui, où nous mène t-il ?

251. L'Autorité de la concurrence n'est pas légitime pour apporter toutes les réponses. Mais elle a cru nécessaire de saisir l'occasion de cet avis qui lui a été demandé par le gouvernement pour faire un rappel que chacun comprendra : l'industrie des mobiles, qui a beaucoup investi et va devoir encore beaucoup investir dans les prochaines années, a besoin plus que jamais d'être orientée autour de règles du jeu claires et prévisibles.

252. C'est ce que s'efforcent de faire les développements de l'avis consacrés aux deux questions soulevées par la saisine ministérielle : la mutualisation d'une part, l'itinérance d'autre part.

253. Sur la mutualisation des infrastructures, l'Autorité, consciente que la reconsolidation du secteur, par rachat ou fusion entre opérateurs, signerait en grande partie l'échec du modèle concurrentiel construit depuis plusieurs années, ouvre des pistes et définit le champ du possible entre, d'une part, le partage de l'investissement, qui peut être source d'économies de coûts et de gains d'efficacité dont les consommateurs peuvent aussi bénéficier et, d'autre part, le maintien de la concurrence, que la coopération en amont ne saurait dégrader ou affaiblir. Elle livre sa grille de lecture, inspirée des lignes directrices européennes sur la coopération horizontale, et annonce les critères à l'aune desquels elle jugera les projets qui pourraient lui être présentés. Les critères convergent autour d'un " continuum " de solutions, du plus acceptable au plus difficile, en fonction de trois données : en premier lieu, l'intensité de la coopération entre les parties à l'accord (mutualisation des équipements passifs, mise en commun des infrastructures actives, ou RAN Sharing, partage des fréquences) ; en deuxième lieu, le pouvoir de marché acquis conjointement par les partenaires, qui dépend de la taille, de la puissance et de la complémentarité de ces derniers, ainsi que de la possibilité de réplique offerte individuellement ou collectivement aux autres acteurs du marché ; en troisième lieu, la nature des zones géographiques dans lesquelles la mutualisation est mise en place : zones peu denses ou zones de déploiement prioritaire, dans lesquelles l'ensemble des modalités de partage de réseaux est envisageable parce qu'elles peuvent toutes favoriser un déploiement plus rapide et plus étendu des réseaux dans les territoires (autour d'une logique de " mieux-disant territorial "), avec une attention particulière au partage des fréquences qui nécessite des précautions spécifiques ; zones denses, qui peuvent elles-mêmes être segmentées en deux catégories : zones " semi-denses ", dans lesquelles le déploiement des infrastructures est moins conditionné par les hypothèses liées à la clientèle et à la consommation que par la géographie et les propriétés physiques des fréquences ou des équipements (problématique de couverture) ; zones denses ou très denses, dans lesquelles le déploiement rend nécessaire une information plus riche et plus fréquente sur la consommation des abonnés (problématique de capacité). L'avis explore les possibilités de mutualisation qui pourraient s'ouvrir ou non dans ces différents types de zones (voir pages 21 à 24) et recommande, dans toutes les hypothèses, de strictes précautions pour éviter des échanges d'informations techniques ou commerciales sensibles entre partenaires : la création d'une entreprise commune est, à cet égard, préférable.

254. Sur l'itinérance, qui se traduit par un partage asymétrique des réseaux dans la mesure où seules sont utilisées les fréquences de l'opérateur d'accueil, l'avis passe en revue les avantages et inconvénients, du point de vue des opérateurs parties à l'accord, pour rechercher si, oui ou non, elle confère un avantage compétitif à ceux qui la mettent en œuvre.

255. D'un point de vue plus extérieur, il analyse l'impact concurrentiel de l'itinérance, qui est ambivalent : la prestation d'itinérance peut être un facteur d'animation concurrentielle du marché, surtout si elle est temporaire et ciblée, comme elle peut perturber la compétition, si elle n'est pas encadrée. Les critères de cette analyse sont rappelés et des éclairages pratiques sont donnés sur la façon dont l'Autorité pourrait apprécier certains accords d'itinérance. Justifiée lorsqu'elle a pour but d'étendre la couverture de l'opérateur accueilli dans des zones qu'il ne serait pas rentable pour lui de couvrir en propre ou de compenser un handicap objectif, imputable à un patrimoine de fréquences qui impose à l'opérateur des contraintes exceptionnelles, dont il n'est pas à l'origine du fait de ses choix en matière d'acquisition de fréquences, l'itinérance doit s'inscrire dans un cadre clairement défini.

256. Si, en particulier, la prestation d'itinérance nationale peut constituer une réponse nécessaire et proportionnée à la problématique du nouvel entrant, elle ne peut servir cet objectif que si elle est, d'une part, régulée et, d'autre part, bornée dans le temps. Régulée parce qu'elle confère à ceux qui l'organisent un pouvoir de quasi-direction du marché, par les incitations ou les désincitations résultant de l'accord (durée, niveau de la rémunération, structures et modalités de la tarification, etc…) : pouvoir si important que son encadrement doit être le fait de la régulation publique et non du seul contrat commercial entre deux concurrents, au surplus confidentiel. Bornée dans le temps parce que l'itinérance, loin d'être une variable permanente autour de laquelle peut s'organiser la concurrence, ne peut être qu'une solution temporaire et dûment justifiée, dont la surveillance et le suivi doivent veiller à ce qu'elle ne freine pas le rythme de déploiement du réseau de l'opérateur accueilli, dans le strict respect des exigences de la licence.

257. Revenant au cas de Free Mobile, l'Autorité de la concurrence fait une série de préconisations, propres à chacune des trois technologies dans lesquelles l'itinérance a été prévue, mise en place ou envisagée (2G, 3G, 4G) : elle prendra ses responsabilités quand celles-ci relèvent de sa compétence mais invite aussi le gouvernement et le régulateur à étudier les propositions précises qui sont faites dans la partie finale de son avis (voir pages 38 à 42).

Délibéré sur le rapport oral de MM. Sylvain Moll et Cédric Nouël de Buzonnière, rapporteurs et l'intervention de M. Nicolas Deffieux, rapporteur général adjoint, par M. Bruno Lasserre, président, président de séance, Mme Elisabeth Flüry-Hérard et MM. Patrick Spilliaert et Emmanuel Combe, vice-présidents.

Annexe 1 : Blocs de fréquences dont disposent les 4 opérateurs mobiles à la date de l'avis

Source ARCEP (consultation publique relative à la réutilisation de la bande 1800 MHz par des technologies autres que le GSM).

Annexe 2 - Dispositifs d'itinérance et de mutualisation mis en œuvre en Europe

Source ARCEP (avis n° 2012-1627 en date du 20 décembre 2012)

Notes

1 Les fréquences hautes sont caractérisées par une moins bonne propagation que les fréquences basses. La portée du signal est de fait moins grande pour les fréquences hautes que pour les fréquences basses ; de plus, les fréquences hautes pénètrent moins bien les bâtiments que les fréquences basses, de sorte que pour offrir une couverture et une qualité de service identiques, un opérateur qui ne dispose que de fréquences hautes doit implanter davantage de sites qu'un opérateur qui peut exploiter des fréquences basses. L'augmentation du nombre de sites à déployer se traduit par un surcoût financier qui peut être élevé.

2 619 millions d'euros pour 20 ans auquel s'ajoute un prélèvement annuel correspondant à 1% du chiffre d'affaires, contre 4,95 milliards d'euros pour 15 ans auparavant.

3 L'opérateur souhaitait que le règlement du montant puisse être étalé dans le temps.

4 Auquel s'ajoute un prélèvement annuel correspondant à 1% du chiffre d'affaires.

5 L'appel d'offre était organisé autour de 4 licences, 2 licences de 10 MHz et 2 licences de 5 MHz. En rassemblant 2 blocs de 5 MHz, la licence de SFR est assortie d'une obligation de faire droit à une demande d'itinérance de la part de Free Mobile, dans la zone de déploiement prioritaire.

6 Lignes directrices de la Commission sur l'applicabilité de l'article 101 TFUE aux accords de coopération horizontale, paragraphe 20.

7 Idem, paragraphe 160.

8 Idem, paragraphe 27.

9 Idem, paragraphe 27.

10 Idem, paragraphe 30.

11 Idem, paragraphe 90.

12 Idem, paragraphe 37.

13 Idem, paragraphe 42.

14 Idem, paragraphe 101.

15 Idem.

16 Règlement 1218/2010, paragraphe 11.

17 Il convient de rappeler que le Conseil de la concurrence a condamné en 2005 les trois opérateurs mobiles - Orange, SFR et Bouygues Télécom - à une amende de 534 millions d'euros pour avoir mis en œuvre une entente anticoncurrentielle.

18 Dans ce cas, le gain d'efficacité additionnel est limité à l'augmentation du débit crête.

19 Avis de l'ARCEP, p.13 (cote 357).

20 P.31 de l'avis de l'ARCEP (cote 375).

21 P.15 de l'avis (cote 359).

22 Avis 10-A-13 précité.

23 Sur son réseau propre, les taux de réussite des appels téléphoniques doivent être supérieurs à 90% à l'intérieur des bâtiments, 95% à l'extérieur des bâtiments, 92% en position de passager dans un véhicule, les taux d'accessibilité du service téléphonique de 96% à l'extérieur des bâtiments, et 93% en position de passager dans un véhicule. Le taux de messages (SMS) reçus dans un délai de 2 minutes doit être a minima de 98%, les taux de connexions réussies au service de données dans un délai inférieur à 1 minute de 96% et le débit médian être au moins de 500 kbit/s pour le téléchargement de fichiers et 200 kbit/s pour l'envoi de fichiers (décision n°10-0043 de l'ARCEP).

24 CE, 10 juillet 1995, TF1, n°141726