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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 15 janvier 2014, n° 12-21303

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Avantage Finance (Sté)

Défendeur :

In&Fi France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cocchiello

Conseillers :

Mmes Luc, Nicoletis

Avocats :

Mes Rioux, Blumberg-Mokri, Dissaux, Fisselier, Feschet

T. com. Paris, 19e ch., du 24 oct. 2012

24 octobre 2012

La société à responsabilité limitée In&Fi créée en 2001 est une société d'intermédiaires en opérations de banque. Elle a créé un réseau de franchise d'agences de courtage en crédit et d'assurance.

Fernando Gonzales s'est trouvé intéressé et a créé la société à responsabilité limitée Avantage Finance.

Après avoir reçu le 11 octobre 2004 un document d'information précontractuelle, la société Avantage Finance a conclu le 7 décembre 2004 avec la société In&Fi un contrat de franchise pour une durée de cinq ans renouvelable par tacite reconduction. L'activité était exercée à Toulon.

La société In&Fi a reproché à la société Avantage Finances plusieurs fautes contractuelles (non-paiement des redevances et non-communication des T BE et des bilans) et a saisi le 8 septembre 2009 le centre de médiation et d'arbitrage de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris selon les termes du contrat (article 16.2). La réunion avec le médiateur le 13 novembre 2009 n'a pas abouti.

Par acte du 5 février 2010, la société Avantage Finance a assigné la société In&Fi devant le Tribunal de commerce de Paris.

Par jugement du 24 octobre 2012, le Tribunal de commerce de Paris a :

- débouté la société In&Fi de ses demandes de nullité et de résolution du contrat de franchise, de ses demandes de dommages-intérêts,

- prononcé la résolution du contrat de franchise aux torts de la société Avantage Finance au premier mars 2010,

- condamné la société Avantage Finance à payer à la société In&Fi :

- la somme de 8 582,11 euro au titre des redevances, outre les intérêts au taux de 1,5 % par mois à compter du 29 juin 2009

- la somme de 27 000 euro à titre de dommages-intérêts pour résiliation abusive du contrat,

- débouté la société In&Fi de sa demande de production de pièces sous astreinte,

- condamné la société Avantage Finance à payer à la société In&Fi la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné la société Avantage Finance aux dépens.

La société Avantage Finance a interjeté appel du jugement.

Par jugement du 6 mai 2013, la société Avantage Finance a été placée en liquidation judiciaire et maître Rioux a été désignée Mandataire liquidateur.

Par conclusions du 24 juin 2013 à auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé plus ample des moyens, la société Avantage Finance, représentée par son liquidateur, Maître Rioux demande à la cour de :

Vu les articles 1108, 1109, 1116, 1131, 1134, 1147, 1149 et 1184 du Code civil ;

Vu les articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce ;

Vu les articles 325 et suivants du Code de procédure civile ;

- d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 24 octobre 2012 par le Tribunal de commerce de Paris ;

- statuant à nouveau,

A titre principal :

- prononcer la nullité du contrat de franchise conclu le 7 décembre 2004 entre les sociétés In&Fi France et Avantage Finance pour absence de cause d'une part, dol d'autre part ;

- condamner en conséquence la société In&Fi France à restituer à la société Avantage Finance, représentée par Me Rioux, es qualité, la somme de 47 596,08 euro au titre des restitutions ;

- condamner au surplus la société In&Fi France à verser à la société Avantage Finance, représentée par Me Rioux, es qualité, une somme de 88 890,64 euro à titre de dommages et intérêts complémentaires ;

A titre subsidiaire :

- constater la résolution du contrat de franchise conclu le 7 décembre 2004 aux torts exclusifs de la société In&Fi France ;

- condamner en conséquence la société In&fi France à verser à la société Avantage Finance, représentée par Me Rioux, es qualité, la somme de 76 486, 72 euro à titre de 19 septembre 2013 dommages et intérêts au titre des sommes versées au franchiseur et des investissements réalisés,

- condamner en outre société In&Fi France à verser à la société Avantage Finance, représentée par Me Rioux, ès qualité, la somme de 60 000 euro au titre de dommages et intérêts au titre des gains manqués,

En tout état de cause,

- débouter In&Fi de toutes ses demandes.

- condamner la société In&Fi France à verser à la société Avantage Finance, représentée par Me Rioux, ès qualité la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre aux entiers frais et dépens, lesquels seront recouvrés par la SCP Blumberg & Janet Associés, dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Par conclusions du 19 septembre 2013 à auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé plus ample des moyens, la société In&Fi demande à la cour de :

- confirmer le jugement, sauf à relever que les demandes de la société Avantage Finance sont prescrites,

- constater la résiliation du contrat au premier mars 2010 aux torts de la société Avantage Finance,

- la condamner à lui payer :

- la somme de 8 582,11 euro au titre des redevances demeurées impayées outre les intérêts au taux de 1,5 % par mois à compter du 29 juin 2009

- la somme de 27 000 euro à titre de dommages-intérêts pour résiliation abusive du contrat,

- la somme de 5 000 euro à titre d'indemnité pour frais irrépétibles,

- débouter la société Avantage Finance de toutes ses demandes,

- condamner la société Avantage Finance à supporter les dépens qui seront recouvrés avec le bénéfice de l'article 699 du Code de procédure civile.

SUR CE

1) Sur la prescription :

Considérant que le 5 février 2010, la société Avantages Finances a assigné la société In&Fi devant le Tribunal de commerce à qui elle demandait de prononcer la nullité du contrat pour absence de cause et pour dol ;

Considérant que selon les dispositions des articles 1304 et 2224 du Code civil, le délai pour agir en nullité d'une convention lorsqu'elle n'est pas limitée à un moindre temps par une loi particulière, est de cinq ans ; que par ailleurs, la prescription de cinq ans d'une action personnelle court à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître le faits qui lui auraient permis de l'exercer ; que selon l'article 2238 du Code civil, la prescription est suspendue à compter du jour où, après la survenance d'un litige, les parties conviennent de recourir à la médiation... ;

Considérant que le document d'information pré-contractuel a été remis à la société Avantages Finances le 11 octobre 2004 ; que le contrat a été signé le 7 décembre 2004, qu'il a pris effet le premier mars 2005 ; que la société In&Fi a saisi le médiateur selon les termes de l'article 16.2 du contrat de franchise ("en cas de litige concernant notamment la formation, la validité, l'interprétation du contrat ou son exécution, les parties doivent avant d'engager une procédure devant le Tribunal de commerce de Paris, tenter de trouver un accord amiable, en mettant en œuvre la procédure de médiation"), le 8 septembre 2009 en raison du différend qui opposait les parties quant au paiement des redevances et à la communication de documents par le franchisé ; que la réunion du 19 novembre 2009 avec le médiateur n'a pas donné lieu à un accord ;

Considérant que la société In&Fi ne peut soutenir qu'elle a saisi le médiateur alors qu'il n'existait aucun litige : qu'elle même demandait l'exécution du contrat par le franchisé qui ne payait pas les redevances et ne transmettait pas les documents nécessaires, que de nombreux courriers lui avaient été adressés au cours de l'année 2009 dans lesquels la société Avantage Finance mettait en cause la réalité de son savoir-faire, sa notoriété, lui reprochait de lui avoir transmis des informations non sincères dans le DIP, et se plaignait des conditions d'exécution du contrat ; que d'ailleurs, la société In&Fi ne donne aucune précision sur le contenu effectif des discussions au cours de la médiation qui ont nécessairement porté sur ces diverses questions ;

Considérant encore que la société In&Fi ne peut invoquer les dispositions de l'article 18.7 du contrat qui n'aurait "nullement vocation à aménager le délai de prescription et donc a fortiori le suspendre" alors qu'elle n'explique pas quelle tolérance ou encore quelle "non-application de la convention" serait concernée par le jeu de la prescription et de la suspension en l'espèce ;

Considérant qu'il apparaît qu'il y a eu suspension du délai de prescription pendant la durée de la médiation et que cette période de suspension doit être prise en compte dans le calcul du délai de prescription ;

Considérant, pour l'action en nullité pour dol, que si les parties s'opposent sur le point de départ de la prescription, il apparaît que, contrairement à ce qui est soutenu par la société In&Fi, la connaissance du dol ne peut avoir eu lieu avant la prise d'effet du contrat soit le premier mars 2005 ;

Considérant, pour l'action en nullité pour absence de cause, que l'assignation du 10 février 2010 faite par la société Avantages Finances à la société in&Fi a été délivrée pendant le délai de prescription prorogé de la durée de la suspension ;

Considérant que la prescription n'est pas encourue ;

2) Sur la nullité du contrat :

Considérant que la société Avantages Finances reproche à la société In&Fi de ne lui avoir transmis aucun savoir-faire en matière de courtage aux professionnels et aux entreprises, et de ne pas avoir expérimenté son activité dans le cadre d'une "unité-pilote" ; que la société In&Fi s'en défend, exposant justifier d'un savoir-faire réel et reconnu, et indiquant que le franchisé pouvait parfaitement démarcher des professionnels et leur proposer des services en "accord avec les mandats bancaires dont ils sont titulaires" ;

Considérant au regard pièces versées aux débats :

- que selon les termes du "préambule" du contrat de franchise, le franchiseur rappelait qu'il avait conçu et systématisé des méthodes de promotion de services dans le secteur du courtage en crédits auprès de particuliers, des entreprises et des professionnels, que dans l'article 1, le "service" était défini comme le service de courtage en crédits auprès de particuliers, entreprises et professionnels ; qu'ainsi, le savoir-faire transmis par le franchiseur concernait les services de courtage pour les particuliers mais également ceux de courtage des entreprises et des professionnels,

- que la société Avantage Service a adressé de nombreux mails dès 2006, (31 mars, 7 septembre, 6 novembre) et 2007 (11 août ) à la société In&Fi lui indiquant qu'elle n'avait pas les outils nécessaires pour répondre aux sollicitations des professionnels, que la société In&Fi apportait les réponse suivantes : "Il existe des risques inhérents à l'approche du marché du financement professionnel qui sont à tout le moins différents, et (...) plus importants que pour les particuliers (...). Par ailleurs, le contrat de franchise et les outils développés par l'enseigne ne concernent que le financement du particulier" (mail du 8 septembre), "Cette question est l'occasion de rappeler que chacun de vous a signé avec l'enseigne In&Fi Crédits un contrat de franchise dont l'objet social est la recherche de financements auprès d'une clientèle de (...) particuliers. Je suis toujours surpris par le nombre de questions qui nous sont posées sur le marché des professionnels. Je tiens à vous rappeler que l'approche de ce marché nécessite des compétences et des connaissances qui ne sont pas dispensées par notre enseigne et que votre intervention sur ce type d'opérations pourrait, au-delà de la mise en cause pour défaut de conseil et sur des condamnations qui pourraient largement dépasser le montant des commissions encaissées, aussi porter préjudice à l'image professionnelle de notre enseigne auprès des prescripteurs et des partenaires bancaires. (...)" (mail du 27 novembre 2006) ou encore "Le traitement d'un dossier Pro nécessite des connaissances techniques, financières ou économiques qui n'ont rien à voir avec le marché du particulier. Il faut savoir analyser un bilan et un compte de résultats, se tenir au courant des analyses sectorielles d'activités (...) C'est un vrai métier à part. (...). Nos préconisations sont de vous rapprocher d'un partenaire IOB spécialisé en courtage Pro, ce qui vous permettra de traiter les demandes (...) sans prendre le risque réglementaire et de percevoir une rétrocession de commission nette. Non, pas de support prévu de la part de l'enseigne pour le financement Pro. Juste un stage qui sera proposé dans le catalogue des formations que je vais vous sortir pour la fin de l'année (...)." (mail du 13 août 2007),

- que par un courrier du 12 juillet 2010, la société in&Fi annonçait aux franchisés qu'elle lançait le service "In&Fi Crédit Pro", et que cette "nouvelle activité" serait développée sous licence de marque "In&Fi Crédits Pro" avec définition d'une zone de territorialité pour chaque agence, que les outils étaient ainsi mis à disposition des franchisés en 2010,

- que selon "Les Indiscrétions de l'Observatoire de la Franchise", sur les 20 agences initiales créées en 2004, il ne reste que quatre agences affiliées au réseau, que le taux de sortie sur la première génération d'agences est de 80 % ;

Considérant, que, de ces éléments rapportés, il peut être constaté que les services que devait pouvoir proposer le franchisé concernaient le courtage aux particuliers mais également aux professionnels et aux entreprises, que le franchiseur reconnaissait toutefois qu'il n'avait transféré aucun savoir-faire concernant ces services exigeant des compétences spécifiques ;

Considérant que si le contenu du "Livre de Politiques et Procédures" remis au candidat franchisé en 2004 ne concernait que les services des particuliers, cette circonstance ne pouvait toutefois avoir pour effet de restreindre contractuellement la transmission par la société In&Fi de son savoir-faire au seul domaine des services aux particuliers alors qu'elle s'était engagée en signant le contrat de franchise à fournir des services de courtage en crédits aux entreprises et professionnels ;

Considérant certes, comme le relève la société In&Fi, que rien ne limitait la société Avantage Finance dans sa prospection d'intermédiation ou dans sa possibilité de "négocier des accords avec des partenaires financiers sur des gammes professionnelles", que toutefois, il n'en demeure pas moins que c'était alors sans bénéficier d'aucun savoir-faire de la société In&Fi sur ce point ;

Considérant que peu importe alors que la société Avantage Finance ait pu, dès l'année 2006, développer un chiffre d'affaires convenable dès lors qu'il est le résultat de l'utilisation d'un savoir-faire transmis partiellement ; que si un savoir-faire certain qui a évolué peut être reconnu dans l'existence actuelle d'un réseau de franchise développé de la société In&Fi (90 agences en 2012), il en allait différemment lors de la signature par Avantage Finance en 2004 du contrat de franchise qui n'a pas donné lieu à la transmission d'un savoir-faire en matière de service de courtages aux entreprises et professionnels ;

Considérant enfin, que la société Avantage Finance reproche à la société In&Fi de lui avoir transmis des informations précontractuelles "lacunaires" sur l'état de la concurrence et du marché local, sur les données financières et le marché professionnel des entreprises qui ont vicié son consentement ; que la société in&Fi remarque que Monsieur Gonzales, gérant de la société Avantage Finance, ne rapporte pas la preuve d'un vice du consentement ;

Considérant que le document d'informations précontractuelles de huit pages remis à Monsieur Gonzales, gérant de la société Avantage Finance ne comporte aucun renseignement sur l'état local du marché des services faisant l'objet du contrat, aucun renseignement sur le marché du financement aux professionnels et entreprises que ce soit au niveau national ou au niveau local, contrairement aux dispositions de l'article R. 330-1 du Code de commerce ;

Considérant que l'enthousiasme de Monsieur Gonzales pour le projet proposé par In&Fi a été manifeste ; qu'il n'en demeure pas moins que son expérience professionnelle de "chef du département du développement commercial" n'en faisait pas un professionnel averti en matière de courtage en crédit aux particuliers et aux professionnels et ne pouvait affranchir la société In&Fi de son obligation de donner des informations complètes, que rien au surplus, ne permet de soutenir que Monsieur Gonzales qui avait travaillé dans le département de l'Aisne, connaissait le marché toulonnais ;

Considérant que Monsieur Gonzales a très vite adressé des doléances à la société In&Fi ;

Considérant que le DIP a pour objet d'éclairer le consentement du candidat à la franchise sur l'entreprise qu'il se propose de suivre ; que les lacunes ici révélées sont constitutives d'un dol par réticence et ont vicié le consentement de Monsieur Gonzales ;

3) Sur les conséquences de l'annulation :

a) demandes de la société Avantages Finances :

Considérant que la société Avantages Finances demande la restitution des sommes qu'elle a versées (en tout : 47 596,08 euro) en exécution du contrat et dont elle justifie (droit d'entrée : 14 500 euro HT + forfait formation initiale : 2 500 euro HT, redevances sur le chiffre d'affaires : 19 429,43 euro, redevances Fonds Media Com : 6 626,65 euro, et abonnement Horus : 4 540 euro), que la restitution est de droit ;

Considérant que la société Avantages Finances demande des dommages-intérêts complémentaires qui, selon elle, sont les pertes qu'elle a subies (4 188,64 euro pour des frais bancaires et 24 702 euro pour des insertions publicitaires sur "Pages jaunes") et également les gains manqués (60 000 euro sur cinq ans) ;

Considérant cependant que, comme le remarque justement la société In&Fi, la société Avantages Finances ne justifie pas avoir investi à perte ces fonds et subir ainsi un préjudice lié à la nullité du contrat ; que, par ailleurs, elle ne saurait demander une indemnité pour gains manqués en exécution d'un contrat sauf à ne pas tirer elle-même les conséquences de la nullité du contrat dont elle a fait état ;

b) demandes de la société In&Fi :

Considérant que la nullité du contrat exclut toute demande de la part de cette société au titre de l'exécution du contrat ;

Par ces motifs, LA COUR : Infirme le jugement, statuant à nouveau : Dit n' y avoir lieu à prescription de l'action en annulation, Annule le contrat de franchise conclu par les parties le 4 décembre 2004, Ordonne à la société In&Fi de restituer entre les mains de Maître Rioux, mandataire liquidateur, les sommes versées par la société Avantages Finances en exécution du contrat de franchise, soit la somme globale de 47 596, 08 euro, Déboute la société Avantage Finance du surplus de ses demandes, Déboute la société In&Fi de ses demandes, Dit n'y avoir lieu à indemnité pour frais irrépétibles, Condamne la société In&Fi aux dépens qui seront recouvrés avec le bénéfice de l'article 699 du Code de procédure civile.