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Décisions

CA Reims, ch. civ. sect. 1, 7 janvier 2014, n° 12-01048

REIMS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Bourgey Montreuil Lux (SA)

Défendeur :

Spartech (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Maillard

Conseillers :

Mme Dias Silva Jarry, M. Wachter

Avocats :

SCP Genet, SCP Grand Auzas-Associés, Mes Mazaltov, Brocard

T. com. Sedan, du 17 janv. 2012

17 janvier 2012

La société Bourgey Montreuil Lux (BM Lux) a pendant plusieurs années effectué en permanence des transports routiers pour la société Spartech, qui est une filiale de la société de droit américain Spartech, et notamment des transports internationaux concernant une société Nova. Les liaisons effectuées vers la société Nova représentaient 90 % des commandes de la société Spartech. Le 11 juin 2008 la société Spartech a informé la société BM Lux de son intention de réduire très fortement ses commandes en raison d'une forte diminution de ses relations d'affaires avec la société Nova.

Par acte du 26 septembre 2008, la société BM Lux a fait assigner la société Spartech devant le Tribunal de commerce de Sedan sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6 I, 5 du Code de commerce aux fins de la faire condamner au respect d'un préavis de six mois, en faisant état notamment de la déloyauté de la société Spartech qui savait depuis longtemps que ses relations avec la société Nova allaient prendre fin.

La société Spartech a conclu au débouté de cette demande.

Par jugement du 17 janvier 2012, le Tribunal de commerce de Sedan a rejeté les demandes de la société BM Lux, en la condamnant aux dépens et au paiement d'une indemnité de procédure en considérant qu'il n'y a pas eu rupture du contrat mais une simple diminution des affaires concernant la société Nova.

La société BM Lux a interjeté appel.

Par conclusions du 8 mars 2013 elle demande à la cour, d'infirmer le jugement entrepris, de condamner la société Spartech à lui payer la somme de 134 678 euros HT correspondant au préavis de six mois, ou en cas de fixation du préavis à trois mois, la somme de 67 339 euros HT, la somme de 8 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, et les entiers dépens dont distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Par conclusions du 10 septembre 2012, la société Spartech conclut à la confirmation du jugement, subsidiairement à faire constater que le préjudice de la société BM Lux ne saurait être supérieur à la somme de 2 207,55 euros, au paiement de la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et des entiers dépens dont distraction au profit de son avocat.

Elle explique que c'est de manière brutale que sa cliente, la société Nova, a décidé de limiter son courant d'affaires avec elle et qu'elle n'a commis aucune faute à l'égard de la société BM Lux et que les contrats la liant à la société Nova d'une part et à la société BM Lux d'autre part sont indivisibles.

Sur ce, LA COUR :

Il n'est pas discuté que par contrat en date du 1er octobre 1998, la société Nova Chemical a conclu avec la société Spartech un contrat de "processing agreement" d'une durée indéterminée en vertu duquel elle confiait à la société Spartech la réalisation de certains matériaux ainsi que leur expédition sur les sites du client. La société Spartech sous-traitait à BM Lux le transport et la livraison des produits destinés aux sites de la société Nova et notamment, à la société Faurescia à Mlada Boleslav en République Tchèque, à la société Intier à Straubing en Autriche, la société Murdter à Mutlangen et la société IAC à Born. En l'absence de tout écrit les parties ont justement qualifié leurs relations commerciales de contrat à durée indéterminée sans exclusivité.

Par courrier du 22 novembre 2005, la société Nova a résilié le contrat la liant à la société Spartech à échéance du 1er juin 2007 ; ces deux sociétés ont néanmoins continué à travailler ensemble pour des volumes importants. Au cours du mois de juin 2008, la société Nova informait la société Spartech du fait que le courant d'affaires serait fortement diminué. Par message électronique du 11 juin 2008, la société Spartech a fait savoir à la société BM Lux "que de manière aussi imprévisible que brutale, ce client (la société Nova Chemical) a décidé d'orienter sa stratégie d'une manière différente et par conséquent de limiter notre courant d'affaire actuel. Cela impacte une majorité des livraisons qui vous sont confiées, à savoir nos clients Faurescia à Madla Boleslav, Intier à Straubing, Mürdter à Mutlangen et IAC à Born. A l'avenir ces destinations ne vous seront plus confiées qu'à titre occasionnel et l'activité vrac représentera environ trois livraisons par mois. Ces informations sont susceptibles d'évoluer dans les prochaines semaines et nous ne manquerons pas de tenir informé de l'état d'avancement de ce dossier. Nous savons, ô combien, cette décision peut être lourde de conséquence aussi bien pour vous que pour nous et regrettons d'autant plus que ce délai d'annonce est pour le moins très court".

La société BM Lux a par courrier du 12 juin 2008, protesté contre la brutalité de la résiliation du contrat en sollicitant le respect d'un préavis de six mois en faisant état de l'indépendance des contrats commerciaux de la société Spartech. Par message électronique du 24 juin 2008, la société Spartech constatait suite à une conversation téléphonique que la société BM Lux n'était plus en mesure d'assurer les livraisons vers la majorité de ses clients et notamment les clients Hensel et Nova.

L'article L. 442-6-5 du Code de commerce prévoit qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait par tout commerçant de rompre brutalement, même partiellement une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale, de la durée minimale du préavis déterminée en référence aux usages du commerce ou par des accords interprofessionnels.

La société Spartech soutient que ces dispositions ne sont pas applicables dans la mesure où elle n'a pas résilié le contrat, la diminution des livraisons étant liée à la décision de la société Nova de limiter ses commandes. La cour constate qu'il existait entre les parties une relation commerciale établie, que suite à la limitation de ses relations professionnelles avec la société Nova, la société Spartech a immédiatement fait savoir à la société BM Lux que le volume des transports qui lui était confié depuis de nombreuses années serait fortement réduit alors que ce dernier constituait à hauteur de 90 % le chiffre d'affaires qu'elle réalisait avec la société Spartech et qui était pour l'année 2007 de l'ordre de 240 000 euros. La cour constate, contrairement à ce qu'ont admis les premiers juges, que la forte réduction des transports confiés à la société BM Lux vidait le contrat les liant de sa substance en ne laissant subsister qu'une activité occasionnelle résiduelle représentant environ 10 % du chiffre d'affaires antérieur et constitue une rupture des relations commerciales des parties. La société Spartech ne peut en toute bonne foi soutenir que c'est la société BM Lux qui a refusé de poursuivre les relations commerciales et a pris l'initiative de la rupture alors qu'elle a dans son message du 11 juin 2008 indiqué à l'appelante, que la réduction d'activité concernerait la majorité des livraisons qui lui étaient confiées et qu'à l'avenir les transports vers les destinations habituelles ne lui seront confiés qu'à titre occasionnel et représenteront trois livraisons par mois.

Au surplus, la perte du client Nova ne constitue pas un cas de force majeure ; le contrat écrit liant la société Spartech à cette société avait d'ailleurs été résilié le 1er juin 2007 et se poursuivait sur la base d'une relation non écrite. Enfin en l'absence de toutes dispositions claires en ce sens et de toute simultanéité lors de la conclusion des contrats, il ne peut être soutenu que le contrat de sous-traitance et le contrat liant la société Spartech à la société Nova constituaient un ensemble contractuel indivisible et que les événements affectant l'un d'eux ont des effets sur l'autre. La société Spartech ne pouvait réduire de manière importante ses relations avec son sous-traitant la société BM Lux et se dispenser de maintenir les relations durant une période de préavis, au motif que le contrat la liant à la société Nova était caduc. La société BM Lux est fondée à se prévaloir des dispositions de l'article L. 442-6 5° du Code de commerce et à réclamer paiement d'une indemnité compensatrice du préjudice résultant de l'absence de préavis.

Compte tenu de la nature, de la durée des relations entretenues par les parties et des usages en matière de transport, la société Spartech aurait dû respecter un préavis de trois mois. Le préjudice subi par la société BM Lux est égal à la perte de marge brute sur le chiffre d'affaires qu'elle aurait pu réaliser en effectuant les transports qui lui étaient confiés par la société Spartech déduction faite des charges variables exposées (carburant, pneumatiques, entretien du matériel frais d'autoroutes). Il sera au vu des pièces versées aux débats justifiant de l'activité déployée au cours des six premiers mois de l'année 2008 et au cours de l'année 2007 et des charges variables supportées et de l'activité déployée, fixé à la somme de 30 000 euros. Le jugement déféré sera donc infirmé.

La société Spartech qui succombe supportera les entiers dépens et ses frais irrépétibles et paiera à la société BM Lux la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : Statuant publiquement et par arrêt contradictoire ; Infirme le jugement rendu le 17 janvier 2012 par le Tribunal de commerce de Sedan en toutes ses dispositions ; et statuant à nouveau ; Condamne la société Spartech à payer à la société Bourgey Montreuil Lux la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts ; Condamne la société Spartech à payer à la société Bourgey Montreuil Lux la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Spartech aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec pour ceux d'appel, possibilité de recouvrement direct, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.