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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 2, 21 janvier 2014, n° 11-00914

DOUAI

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

CF Distribution (SARL)

Défendeur :

Even Animations (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mmes Valay-Briere, Barbot

Avocats :

Mes Deleforge, Bastin, Laurent, Carlier, Quenson, Carrez

T. com. Arras, du 28 janv. 2011

28 janvier 2011

Se prévalant de ce que la SARL CF Distribution restait débitrice à son égard de factures impayées et avait brutalement rompu ses relations commerciales avec elle, la SARL Even Animations a assigné CF Distribution devant le Tribunal de commerce d'Arras qui, par jugement rendu le 28 janvier 2011, a condamné CF Distribution à payer à Even Animations la somme de 65 000 euros au titre des prestations accomplies, avec intérêts au taux légal à compter du 14 avril 2009, date de la mise en demeure, dit que la rupture des relations commerciales entre les parties s'est faite aux torts réciproques et a condamné CF Distribution au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société CF Distribution a interjeté appel de ce jugement.

Par conclusions remises au greffe de la cour le 16 septembre 2013, elle demande à la cour :

- à titre principal, de dire que la rupture du contrat est intervenue pour faute grave d'Even Animations et de condamner cette dernière au paiement de la somme de 166 930 euros de dommages et intérêts ;

- subsidiairement, de prononcer la résiliation judiciaire du contrat à la date du 17 mars 2009 du fait de la violation, par Even Animations, de ses obligations et de condamner cette dernière au paiement de la somme de 75 000 euros de dommages et intérêts ;

- plus subsidiairement, de dire n'y avoir lieu à prononcer une condamnation à l'encontre de CF Distribution compte tenu des sommes déjà perçues par Even Animations ;

- en toute hypothèse, de condamner Even Animations au paiement de la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Even Animations, par conclusions remises au greffe de la cour le 5 juillet 2011, demande à la cour de condamner CF Distribution :

- au titre du règlement des factures impayées, au paiement de la somme de 72 715,93 euros, outre intérêts à compter du 14 avril 2009 au taux conventionnel de 11 % ;

- au titre de la résistance abusive, au paiement de la somme de 5 000 euros de dommages et intérêts ;

- au titre de la rupture brutale, par CF Distribution, des relations commerciales, au paiement de la somme de 100 000 euros de dommages et intérêts ;

- en tout état de cause, au paiement de la somme de 8 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

DISCUSSION

Attendu que, le 18 septembre 2007, CF Distribution a confié à Even Animations la réalisation d'animations dans des supermarchés et hypermarchés pour favoriser la vente de disques produits par CF Distribution moyennant un prix de 210 euros HT par journée d'animation et une commission de 35 centimes d'euro, ou 45 centimes selon la collection, par CD vendu ; que, le 15 juillet 2008, les parties ont reconduit, pour une durée de 12 mois renouvelable par tacite reconduction, leur collaboration dans le cadre d'un contrat non exclusif de prestations stipulant un prix de 155 euros HT par journée d'animation et une commission d'un euro pour la collection CF, 1,25 euro pour la collection 990 et 1,50 euro pour la collection 23, par CD vendu ; que, le 11 mars 2009, CF Distribution a fait connaître à Even Animations sa décision de mettre un terme au contrat à compter du 18 mars 2009, résiliation confirmée par courrier de CF Distribution en date du 23 mars 2009 ; que, le 14 avril 2009, Even Animations a mis en demeure CF Distribution de lui payer la somme de 71 390 euros ; que, par acte du 29 septembre 2009 , Even Animations a assigné devant le Tribunal de commerce d'Arras en paiement de factures et en réparation du préjudice causé par la rupture brutale des relations commerciales ; que CF Distribution s'est portée reconventionnellement demanderesse en résiliation judiciaire du contrat et condamnation à dommages et intérêts ; que, par arrêt avant dire droit en date du 13 février 2012, la cour a ordonné une mesure d'expertise ; que, le 22 mai 2013, l'expert a rendu son rapport en l'état ;

Sur la demande principale d'Even Animations

Sur la demande de paiement de factures

Attendu qu'Even Animations réclame le paiement de la somme de 72 715,93 euros, dont elle indique qu'elle correspond à un solde impayé de commissions sur les ventes de disques pour 71 390,67 euros + 1 325,17 euros au titre d'une animation réalisée entre les 24 et 28 février 2009 ;

Attendu que l'article 1315 du Code civil dispose que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver ; qu'Even Animations ne communique, à l'exception de ses propres factures faisant état d'un nombre de CD vendus contesté par CF Distribution, aucun élément propre à corroborer son mode de calcul des commissions réclamées sur les ventes de disques ; qu'Even Animations n'établit pas, dans ces conditions, l'existence de l'obligation dont elle demande l'exécution et sera déboutée de sa demande sur ce point ;

Attendu par ailleurs que la réalité de l'animation réalisée entre les 24 et 28 février 2009 par Even Animations n'est pas contestée par CF Distribution ; qu'il sera donc fait droit à la demande de paiement de la somme de 1 325,17 euros, avec intérêts au taux conventionnel de 11 % à compter du 14 avril 2009, date de la mise en demeure; que le jugement entrepris sera réformé en ce sens ;

Sur la rupture brutale et abusive du contrat

Attendu que, par lettre en date du 17 mars 2009, CF Distribution a notifié la résiliation immédiate du contrat la liant à Even Animations pour fautes graves; que ce courrier fait état des "mauvais résultats sur les derniers mois", de "l'existence de nombreux retours" de marchandises, "des ventes catastrophiques dans les magasins de Marne la Vallée, Mulhouse, Montesson", de "l'obstination d'Even Animations à effectuer des prestations les lundis, mardis, mercredis et jeudis dès lors qu'il est constaté que ces journées ne sont pas florissantes en termes de vente" et de "la prise de commissionnement sur des produits où ce commissionnement n'était pas dû" ;

Attendu que l'article 8 "Résiliation" du contrat du 15 juillet 2008 stipule que "sauf faute grave, le présent contrat ne pourra être résilié par les parties qu'après un préavis d'un mois avant la date d'anniversaire du contrat, par lettre recommandée avec avis de réception" ;

Attendu qu'il résulte des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce "qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels" ; que seuls des manquements dans l'exécution du contrat présentant une particulière gravité peuvent justifier une rupture sans préavis des relations commerciales ;

Attendu que ne présente en l'espèce un degré de gravité suffisant :

- ni le niveau de vente des disques - dont CF Distribution n'établit au demeurant pas le caractère "catastrophique", dès lors que le contrat du 15 juillet 2008 ne fixe aucun objectif de vente ;

- ni l'organisation d'animations à des dates autres que les vendredis et samedis, CF Distribution ne démontrant ni que les dates arrêtées n'aient pas été imposées par les supermarchés concernés, comme le soutient Even Animations, ni qu'elle ait contesté, auprès d'Even Animations, les dates d'animation retenues ;

- ni un commissionnement indû, point sur lequel CF Distribution ne développait, dans sa lettre de résiliation, aucun grief précis ;

Attendu qu'en l'absence de justification de faute d'une gravité suffisante, CF Distribution n'était pas autorisée à rompre sans préavis les relations commerciales entretenues avec Even Animations ; que l'ancienneté des relations (du 18 septembre 2007 au 17 mars 2009) justifiait un préavis d'une durée de deux mois ; qu'Even Animations est fondée à obtenir la condamnation de l'auteur de la rupture brutale à des dommages et intérêts compensant la perte, non de chiffre d'affaires durant le préavis, mais de marge ; qu'il appartient à Even Animations de rapporter la preuve de la perte de marge subie du fait de la rupture brutale ; que, ne faisant état d'aucun élément propre à déterminer la marge réalisée avec CF Distribution, elle ne rapporte nullement cette preuve ; que le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de ce chef ;

Sur la résistance abusive

Attendu qu'Even Animations sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive, la preuve ni d'un comportement fautif - la seule contestation des conditions d'exécution d'une prestation étant en soi insuffisante à caractériser un abus - ni, en tout état de cause, d'un préjudice autre que celui indemnisable au titre de l'article 700 du Code de procédure civile n'étant en l'espèce rapportée ;

Sur la demande reconventionnelle de CF Distribution

Attendu que les devis et factures émis par Even Animations ont donné lieu à paiement par CF Distribution de la somme totale de 275 489,42 euros TTC ; que, si cette dernière conteste a posteriori au moins pour partie les factures d'Even Animations, l'accord donné aux devis et le paiement sans contestation, ni réserve, des factures émises vaut acceptation des montants facturés ; que CF Distribution n'est donc pas fondée à critiquer les factures réglées ;

Attendu que CF Distribution demande la condamnation d'Even Animations à des dommages et intérêts en réparation des manquements de cette dernière à ses obligations contractuelles ; qu'elle invoque les mauvais résultats de ventes de disques, l'absence d'exécution des animations, les retours de disques invendus à l'issue des animations, la surfacturation du forfait journalier, la double facturation d'une même animation, des dégradations de disques et l'absence de prestation de démarchage commercial ;

Attendu que, si Even Animations ne démontre pas le nombre de disques de CF Distribution vendus dans le cadre des animations réalisées - les quantités portées par ses soins sur ses propres factures ne constituant pas une preuve - CF Distribution n'établit pas pour autant en quoi les résultats atteints auraient été insuffisants, alors que le contrat du 15 juillet 2008 ne fixe aucun objectif de vente et que CF Distribution ne rapporte pas la preuve pas qu'un volume minimum de 100 disques par jour, comme elle le prétend, aurait été convenu entre les parties ;

Que c'est à CF Distribution, qui conteste l'exécution des animations facturées en décembre 2008 et en 2009, qu'incombe la preuve de l'absence de prestation; que toutefois CF Distribution, nécessairement informée des dates d'animation convenues, ne soutient pas avoir interrogé Even Animations quant à l'absence des animations prévues ; qu'Even Animations prouve la réalité des animations en cause en produisant les bulletins de salaire et notes de frais des prestataires intervenus aux dates indiquées ; que CF Distribution ne rapporte donc pas la preuve de l'absence de prestation ;

Que CF Distribution ne saurait davantage déduire des reprises des disques invendus à l'issue des animations la volonté d'Even Animations de créer l'illusion de résultats performants, le seul volume des commandes de réassorts ne pouvant constituer la preuve d'une prétendue malveillance du prestataire ;

Que CF Distribution n'établit pas qu'Even Animations ait procédé à une surfacturation du forfait journalier au titre de la majoration du forfait dimanches et jours fériés, les factures incluant ce forfait majoré ayant été payées sans contestation, ni réserve par CF Distribution (pièces n° 33 et 34 communiquées par Even Animations, pièce n° 60 communiquée par CF Distribution) ;

Que le grief de double facturation d'une même animation n'est pas davantage fondé, Even Animations rapportant la preuve de l'annulation de la double facturation établie pour les animations des supermarchés Auchan Douai des 3 au 5 avril 2008 et Auchan Mont Saint Martin des 4 au 12 avril 2008 ;

Que CF Distribution ne démontre pas plus les dégradations de disques dont elle n'établit ni la réalité, ni en toute hypothèse leur imputabilité à Even Animations;

Qu'enfin, si CF Distribution invoque, au titre d'une facture en date du 20 mars 2009 relative au démarchage commercial, une demande indue de 10 996,93 euros sur un montant réclamé de 11 250,65 euros, la facturation intervenue n'a en tout état de cause causé aucun préjudice à CF Distribution qui ne soutient pas avoir réglé cette facture (pièce n° 60 communiquée par CF Distribution) ;

Attendu en conséquence qu'en l'absence de faute démontrée d'Even Animations susceptible d'engager sa responsabilité, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté CF Distribution de sa demande de dommages et intérêts ; que la cour dira n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile ; que, chaque partie succombant partiellement, la cour fera masse des dépens d'appel et dira qu'il seront répartis par moitié entre les parties ;

Par ces motifs : Infirme le jugement entrepris, Statuant à nouveau, Condamne la SARL CF Distribution à payer à la SARL Even Animations la somme de 1 325,17 euros, avec intérêts à compter du 14 avril 2009 au taux conventionnel de 11 %, Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile, Fait masse des dépens d'appel et dit qu'il seront répartis par moitié entre les parties.