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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 9, 30 janvier 2014, n° 12-21686

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Serrano (ès qual.), Ellea (SARL)

Défendeur :

Adveo France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Franchi

Conseillers :

M. Picque, Picard

Avocats :

Mes Lallement, Bonzy, de Balmann

T. com. Bobigny, 5e ch., du 16 oct. 2012

16 octobre 2012

Ayant souscrit un contrat de franchise du réseau "Plein Ciel" le 21 mai 2010 avec la société Spicers France, la SARL Ellea a ouvert son magasin de fournitures de bureau le 1er juillet suivant à Meylan en périphérie de Grenoble. Dès le 25 janvier 2011 elle a sollicité le bénéfice d'une sauvegarde, convertie en redressement judiciaire le 31 mai 2011, puis en liquidation judiciaire le 12 juillet 2011.

Le 4 août 2011, Maître Philippe Serrano, agissant ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Ellea, a attrait la société Spicers devant le Tribunal de commerce de Bobigny aux fins (dans le dernier état des prétentions formulées en première instance) :

- à titre principal, de prononcer la nullité du "contrat d'adhésion du 21 mai 2010 et de son avenant, au motif que la société Spicers aurait manqué à son obligation pré-contractuelle d'information, et de lui verser ès qualités diverses sommes totalisant 186 393,40 euro en remboursement des redevances versées, du droit d'entrée, de la perte du capital et des comptes courants d'associés, outre des dommages et intérêts aux titres des "packages" architecture, merchandising, et communication, et une indemnité de 544 334,25 euro en réparation du préjudice résultant "des dettes contractées pour les besoins de l'exploitation arrêtées à la date de la cessation d'activité",

- subsidiairement, de prononcer la résiliation du "contrat d'adhésion" du 21 mai 2010 et de son avenant aux torts exclusifs de la société Spicers, au motif que celle-ci aurait manqué à ses obligations contractuelles, et de lui verser les mêmes sommes que celles réclamées à titre principal.

Le tribunal, par jugement contradictoire du 16 octobre 2012, a déclaré la demande de Maître Serrano ès qualités recevable mais, ayant estimé que la preuve de manquements aux obligations, tant pré-contractuelles que contractuelles, de la société Spicers n'était pas rapportée, il a débouté le liquidateur judiciaire ès qualités en le condamnant à verser 1 000 euro de frais non compris dans les dépens.

Vu l'appel interjeté le 29 novembre 2012, par Maître Serrano ès qualités et ses ultimes écritures télé-transmises le 27 novembre 2013, réclamant 4 500 euro de frais irrépétibles et poursuivant la confirmation du jugement en ce qu'il l'a déclaré recevable, mais sa réformation pour le surplus en renouvelant ses demandes, principales et subsidiaires, antérieurement formulées en première instance, outre les intérêts au taux légal à compter de l'assignation et leur capitalisation, en les dirigeant désormais à l'encontre de la société Adveo France venant aux droits de la société Spicers France ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 15 novembre 2013, par la société Adveo France (ayant antérieurement précisé, dans des conclusions de procédure télé-transmises le 12 février 2013, qu'elle avait absorbé la société Spicers intimée), réclamant 8 000 euro de frais non compris dans les dépens et poursuivant :

- à titre principal, l'infirmation du jugement, en soulevant à nouveau l'irrecevabilité des demandes du liquidateur judiciaire de la société Ellea, ou, à défaut, la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté Maître Serrano ès qualités en faisant à nouveau valoir que la société Spicers ne s'est pas rendue coupable des manquements qui lui sont imputés et que "Monsieur Pierre Moulin (dirigeant de la société Ellea) ne saurait transférer sur la société Spicers (...) la charge de sa propre et exclusive responsabilité dans la survenance de la liquidation judiciaire de la société Ellea",

- subsidiairement, le rejet des demandes de Maître Serrano ès qualités en ce que les montants réclamés ne sont pas justifiés et qu'il n'existe pas de lien de causalité entre les manquements allégués et les préjudices invoqués ;

Sur ce, LA COUR :

Considérant liminairement que la société Adveo France soulève l'irrecevabilité de la demande de nullité du contrat en soutenant qu'il résulterait de l'admission de la créance de la société Spicers (au titre des factures impayées émises au titre du contrat) par l'ordonnance du 11 octobre 2011 du juge-commissaire, que cette admission "postule implicitement mais nécessairement que le contrat était valable" (conclusions page 11) ;

Mais considérant que le juge-commissaire de la liquidation judiciaire de la société Ellea n'étant pas le juge du contrat litigieux ayant existé entre les sociétés Spicers et Ellea, l'admission des créances au passif est sans incidence sur la présente instance portant, au fond, sur la validité du contrat ;

Considérant que le liquidateur judiciaire de la société Ellea invoque les dispositions de l'article L. 330-3, alinéa 1 du Code de commerce en estimant (conclusions page 8) que son administrée était liée par une exclusivité ou une quasi-exclusivité résultant des articles 5-7 (obligation de non-concurrence d'activité) et 5-8 (engagement de volume d'achats) du contrat du 21 mai 2010 ;

Qu'en rappelant les "principes fondamentaux de la franchise" (conclusions page 12), la société Adveo ne dément pas l'analyse de son adversaire et admet implicitement que le contrat litigieux est une franchise nonobstant l'article 3 (savoir-faire) dudit contrat qui stipule qu'il n'est pas un contrat de franchise ;

Qu'il convient dès lors de relever que :

- la société Spicers a mis à disposition de la société Ellea notamment l'enseigne et les accessoires "Plein Ciel" avec les éléments utiles de signalisation (article 4.3), une gamme de produits réservés aux membres du réseau "Plein Ciel" (article 4.6),

- la société Ellea s'est notamment engagée :

. à ne pas exposer dans ses locaux des panonceaux, enseignes, matériels publicitaires, catalogues de réseaux, groupements ou de distributeurs de papeterie sans l'accord préalable écrit de la société Spicers (article 5.2),

. à ne pas adhérer à tout réseau ou groupement de papeterie ou de fournitures de bureaux ou d'avoir des intérêts dans une entreprise concurrente au réseau "Plein Ciel",

. à réaliser un chiffre d'affaires annuel minimum de 275 K euro (article 5.8 du contrat et 4 des conditions particulières) ;

Qu'il s'en déduit que la société Spicers a mis à disposition de la société Ellea une enseigne en exigeant un engagement d'exclusivité pour l'exercice de son activité, au sens de l'article L. 330-3 du Code de commerce (issu de la loi n° 89-1008 (dite "Doubin") du 31 décembre 1989) ;

Considérant que Maître Serrano invoque ès qualités l'absence de communication à la société Ellea des informations obligatoires (conclusions pages 9 et suivantes) pour en déduire la nullité du contrat ;

Mais considérant qu'en se bornant à poursuivre la nullité du contrat du 21 mai 2010 au seul motif que l'information pré-contractuelle n'aurait pas été délivrée à la société Ellea, le liquidateur judiciaire de celle-ci n'allègue pas, et a fortiori ne démontre pas, que le consentement de son administrée aurait été vicié du fait du seul défaut allégué de communication d'une partie des informations pré-contractuelles prévues par l'article R. 330-1 du Code de commerce (issu du décret n° 91-337 du 4 avril 1991) ;

Qu'en conséquence les demandes principales d'annulation du contrat du 21 mai 2010 et de son avenant du même jour et les différentes indemnités en découlant ne seront pas accueillies ;

Considérant, par ailleurs, que le liquidateur judiciaire de la société Ellea fait aussi valoir qu'au jour de la souscription du contrat de franchise, son administrée n'a pas été informée de la présence d'une société concurrente sur la même zone de chalandise, résultant de la cession, fin 2009, d'une branche d'activités par une société membre du réseau Plein Ciel à un autre membre dudit réseau, pour en déduire tout à la fois :

- "une perte de chance" de déterminer exactement l'impact correspondant (conclusions page 17),

- une réticence dolosive ;

Mais considérant que Maître Serrano n'a pas contesté ès qualités que la société BSM, cédante de la branche d'activités, était mentionnée, au titre des concurrents d'une surface inférieure à 300 m2 implantés sur la zone de chalandise, en page 32 de l'étude de faisabilité "Proscop" remise le 22 février 2010 au dirigeant de la société Ellea, soit antérieurement à la souscription du contrat avec la société Spicers, de sorte que, contrairement à ce qu'affirme le liquidateur judiciaire, la société Ellea a été en mesure d'apprécier l'impact de l'opération sur sa zone de chalandise avant de s'engager auprès de la société Spicers, l'exploitation par un autre membre du réseau, de l'activité pré-existante concurrente de BSM, ne modifiant pas significativement l'état antérieur de la concurrence sur ladite zone de chalandise ;

Considérant, encore, qu'au soutien de sa demande subsidiaire de résiliation du contrat du 21 mai 2010 et de son avenant aux torts exclusifs de la société Spicers, Maître Serrano ès qualités fait aussi valoir que la société Spicers n'aurait pas respecté ses engagements concernant la façade personnalisée du magasin et l'approvisionnement, les produits livrés étant obsolètes et les codes-barres étant erronés ;

Mais considérant qu'il résulte du paragraphe "a" de l'avenant du 21 mai 2010, que la société Spicers s'est engagée à fournir notamment le guide architectural incluant façade type, en spécifiant expressément qu'il était à adapter par l'adhérent ;

Que c'est dès lors à juste raison que la société Adveo fait valoir qu'il appartenait à la société Ellea de prévoir les adaptations de la façade du magasin avec les réglementations locales, aucune faute n'étant démontrée de ce chef à la charge de la société Spicers ;

Qu'en outre, les défauts d'approvisionnements sont allégués mais nullement démontrés ;

Considérant que succombant dans son recours, Maître Serrano ès qualités ne saurait prospérer dans sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile mais qu'il serait, en revanche, inéquitable de laisser à la charge définitive de la société Adveo, la totalité des frais irrépétibles supplémentaires qu'elle a dû exposer en cause d'appel ;

Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges, Confirme le jugement en toutes ses dispositions, Condamne Maître Serrano ès qualités aux dépens et à verser à la société Adveo France une indemnité complémentaire d'un montant de 2 000 euro au titre des frais irrépétibles d'appel, Admet Maître Rémi de Balmann, avocat postulant, au bénéfice de l'article 699 du Code de procédure civile.