CA Angers, 1re ch. A, 17 mai 2011, n° 10-01124
ANGERS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Allo Diagnostic (Sté)
Défendeur :
UFC Que Choisir
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Delmas-Goyon
Conseillers :
Mmes Verdun, Rauline
Avoués :
SCP Chatteleyn, George, Me Vicart
Avocats :
Mes de Mascureau, Franck
FAITS ET PROCÉDURE
Tout vendeur d'immeuble à usage d'habitation est désormais tenu, aux termes de l'article L. 271-4 du Code de la construction et de l'habitation, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2005-655 du 8 juin 2005, de faire établir un dossier de diagnostic technique destiné à informer objectivement l'acquéreur sur les risques inhérents au bien vendu et susceptibles d'attenter à la santé humaine (amiante, plomb), à la pérennité de l'ouvrage et de ses équipements (termites, installations intérieures de gaz et d'électricité) ou aux principes de développement durable (installations d'assainissement non collectif). A défaut, il ne peut s'exonérer de la garantie des vices cachés inhérente à chacun de ces risques, en eut-il ignoré l'existence.
La réalisation de ces diagnostics a été confiée à des professionnels ayant les compétences, organisation et moyens appropriés et soumis, depuis le décret n° 96-97 du 7 février 1996, aux exigences d'indépendance et d'impartialité. La portée de l'indépendance et de l'impartialité de la personne chargée d'établir le dossier de diagnostic technique est définie à l'article L. 271-6 du Code de la construction et de l'habitation, issu de l'ordonnance du 8 juin 2005, en ces termes :
"Elle ne doit avoir aucun lien de nature à porter atteinte à son impartialité et à son indépendance ni avec le propriétaire ou son mandataire qui fait appel à elle, ni avec une entreprise pouvant réaliser des travaux sur les ouvrages, installations ou équipements pour lesquels il lui est demandé d'établir un des documents mentionnés au premier alinéa".
L'article R. 271-4 du Code de la construction et de l'habitation punit de l'amende prévue pour les contraventions de 5e classe le fait d'établir un diagnostic technique sans respecter "les conditions d'impartialité et d'indépendance exigées à l'article L. 271-63".
A la suite d'un contrôle réalisé en 2006 par la DGCCRF sur les pratiques tarifaires et la qualité des diagnostics techniques immobiliers et signalant l'émergence de pratiques abusives dans ce secteur d'activités, l'Union Fédérale des Consommateurs (UFC) Que Choisir, association régulièrement déclarée et ayant pour objet statutaire spécifique la défense des intérêts des consommateurs, s'est intéressée aux pratiques incitatives mises en œuvre en 2008 par les société Tulip et Tulipanjou, exerçant l'activité de diagnostiqueurs immobiliers à Champteuse sur Baconne (Maine et Loire). Ces pratiques reposaient sur un programme de fidélisation des négociateurs immobiliers professionnels, et visaient à récompenser, au moyen de points cadeaux crédités lors du règlement du prix par le client, ceux d'entre eux qui leur passaient commande d'un diagnostic immobilier.
Estimant que ce programme dénommé "Fidélité diag's" contrevenait aux dispositions des articles L. 271-6 et R. 271-4 du Code de la construction et de l'habitation, l'UFC Que Choisir, exerçant l'action d'intérêt collectif prévue aux articles L. 421-1 et suivants du Code de la consommation devant la juridiction civile, a, par actes d'huissier de justice du 26 mai 2008, fait assigner les sociétés Tulip et Tulipanjou devant le Tribunal de grande instance d'Angers aux fins :
principalement qu'il leur soit enjoint de cesser sous 8 jours, et passé ce délai, sous astreinte de 10 000 euro par jour de retard, la pratique de commissionnements destinés à fidéliser les agences immobilières,
qu'elles soient condamnées solidairement au paiement d'une somme de 50 000 euro à titre de dommages et intérêts, en réparation de l'atteinte portée par ces pratiques illicites à l'intérêt collectif des consommateurs,
qu'elles soient condamnées à la publication d'un communiqué judiciaire dans trois journaux nationaux, ainsi qu'à l'envoi, sous astreinte, de lettres circulaires à l'ensemble de leurs partenaires agents immobiliers qui reprennent les termes de ce communiqué judiciaire.
Les sociétés Tulip et Tulipanjou ont contesté que ces demandes revêtent les caractères d'une action d'intérêt collectif, dans les termes de l'article L. 421 du Code de la consommation, et conclu à leur irrecevabilité ou à leur rejet dès lors que :
la pratique dénoncée est autorisée en matière commerciale, domaine dont relève la profession de diagnostiqueur immobilier,
l'UFC Que Choisir ne dénonce aucune infraction pénale, le fait de ristourner les agents immobiliers qui incitent leurs mandants à faire appel à leur services, n'attentant en rien à l'impartialité et à l'indépendance des diagnostiqueurs dont les rapports sont fiables et conformes à la réalité,
cette impartialité est d'autant plus préservée que les ristournes sont accordées par des services commerciaux totalement autonomes des services techniques chargés de réaliser les diagnostics,
le Conseil National de la Concurrence, dans ses recommandations sur les exigences d'impartialité et d'indépendance, ne prohibent pas la pratique de ces ristournes en faveur des agents immobiliers, en contre-partie de leur prestation d'apporteurs d'affaires.
Par un jugement en date du 22 mars 2010, le Tribunal de grande instance d'Angers a déclaré recevable l'action d'intérêt collectif de l'UFC Que Choisir en retenant qu'elle réunissait les deux conditions requises par l'article L. 421-1 du Code de la consommation, à savoir :
1 une infraction caractérisée des diagnostiqueurs à leur obligation d'impartialité et d'indépendance, pénalement réprimée par l'article R. 271-3 (contravention de 5e classe),
2 d'où résulte une atteinte aux intérêts collectifs des consommateurs puisque ces faits touchent à l'objectivité et la fiabilité de diagnostics en relation avec des risques humains ou environnementaux.
Sur le fond, le tribunal a estimé que l'infraction était caractérisée et prononcé l'ensemble des mesures d'interdiction et de publicité requises par l'UFC Que choisir, sauf à accorder un délai d'un mois aux diagnostiqueurs pour mettre un terme à la rémunération des agents immobiliers comme apporteurs d'affaires, et à réduire l'astreinte à 5 000 euro par jour. Il a, en outre, accordé à l'UFC Que Choisir, une indemnité réparatrice de 15 000 euro ainsi qu'une somme de 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, et ordonné l'exécution provisoire de sa décision.
La SAS Allo Diagnostic déclarant venir aux droits des sociétés Tulip et Tulipanjou par suite d'une opération de fusion-absorption du 3 novembre 2008, a relevé appel de cette décision, par déclaration du 27 avril 2010. Elle a sollicité l'arrêt de l'exécution provisoire auprès du Premier Président de cette cour, lequel a rejeté cette demande par une ordonnance de référé en date du 26 mai 2010.
L'UFC Que Choisir a constitué avoué et formé un appel incident.
Un décret n° 2010-1200 du 11 octobre 2010, modifiant les dispositions de l'article R. 271-3 du Code de la construction et de l'habitation, a interdit aux diagnostiqueurs immobiliers la pratique d'avantages ou de rétributions, sous quelle que forme de ce soit, en faveur des intermédiaires visés à l'article 1er de la loi du 2 janvier 1970. Les parties ont conclu sur l'incidence de l'adoption de ce décret sur la solution du litige, toutes deux convenant qu'il n'avait pas valeur interprétative et n'avait pas vocation à s'appliquer à des faits commis avant son entrée en vigueur.
La clôture de l'instruction de la procédure d'appel a été prononcée le 3 mars 2011.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions déposées par la SAS Allo Diagnostic, venant aux droits des sociétés Tulip et Tulipanjou, le 15 février 2011, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens en application des articles 455 et 954 du Code de procédure civile, et aux termes desquelles elle demande à la cour :
d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
de déclarer l'action intentée par l'UFC Que Choisir irrecevable en ce qu'elle ne revêt pas les caractères d'une action en réparation d'un dommage causé par une infraction pénale, au sens de l'article L. 421-1 du Code de la consommation, en l'absence de faits précis et circonstanciés invoqués contre les sociétés Tulip et Tulipanjou et susceptibles de caractériser un manquement objectif et matériel à leur obligation d'impartialité, l'infraction étant déduite d'une pratique commerciale de commissionnement licite en l'état de la législation applicable en 2008,
subsidiairement, de débouter l'UFC Que Choisir de ses demandes, au constat que la preuve n'est pas apportée que les diagnostiqueurs incriminés aient manqué à leur obligation d'indépendance et d'impartialité telle qu'elle était définie par la législation en vigueur à l'époque des faits, l'activité de diagnostiqueur revêtant un caractère commercial, qui est compatible avec la pratique du commissionnement des agents immobiliers en qualité d'apporteurs d'affaires conformément à la réponse ministérielle du Ministre du logement du 12 mars 2009 indiquant que le commissionnement des agents immobiliers par les diagnostiqueurs n'était pas une pratique pénalement répréhensible, du moins jusqu'à l'entrée en vigueur du décret du 11 octobre 2010,
très subsidiairement, de juger que cette réponse ministérielle, laissant croire en toute bonne foi aux diagnostiqueurs qu'ils pouvaient commissionner ou ristourner les agents immobiliers comme apporteurs d'affaires, constitue une erreur de droit invincible au sens de l'article 122-3 du Code pénal, de nature à dégager la SAS Allo Diagnostic de toute responsabilité pénale, l'élément matériel de l'infraction fut-il constitué,
plus subsidiairement encore, de débouter l'UFC Que Choisir de l'ensemble de ses demandes au constat que les pratiques de commissionnement des sociétés Tupli et Tulipanjou n'étaient pas anormales, n'ont engendré aucun surcoût pour les consommateurs et restaient fiscalement transparentes,
de décharger, par conséquent, les sociétés Tulip et Tulipanjou de toutes condamnations prononcées contre elles et d'ordonner toutes restitutions,
d'ordonner la publication aux frais de l'UFC Que Choisir d'un communiqué judiciaire dans trois journaux nationaux expliquant que le commissionnement pratiqué par les sociétés exerçant sous l'enseigne "Allo Diagnostic" était licite en regard de la législation en vigueur à l'époque des faits reprochés,
de condamner l'UFC Que Choisir à lui verser une somme de 7 500 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile,
de la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Vu les dernières conclusions déposées par l'UFC Que Choisir le 1er mars 2011, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens en application des articles 455 et 954 du Code de procédure civile, et aux termes desquelles elle sollicite :
le rejet de l'appel principal, au constat que le programme de fidélisation conçu par la SAS Allo Diagnostic pour fidéliser les agents immobiliers créait un lien de dépendance susceptible d'influer à la fois sur la liberté de choix du consommateur-vendeur immobilier et sur l'indépendance et l'impartialité du diagnostiqueur tentés, pour s'assurer la clientèle des négociateurs intéressés à la réalisation de l'opération immobilière en vue de laquelle ils les consultaient, de rendre des diagnostics favorables ou de complaisance, ce qui suffisait à caractériser l'infraction prévue à l'article R. 271-4 du même Code, dans sa rédaction issue du décret du 19 décembre 2008,
le rejet de la cause exonératoire prise d'une erreur de droit invicible dès lors qu'une réponse ministérielle ne s'insère pas dans les normes de droit et n'engage pas le juge qui, eu égard au principe d'indépendance, reste maître du sens qu'il entend donner aux textes, de sorte que l'erreur induite par une telle réponse ne peut être regardée comme invincible et insurmontable,
le rejet de l'argumentation prise de ce que la nécessité de prendre un décret prohibant les commissionnemements et ristournes incriminées démontre que ces faits n'étaient pas pénalement repréhensibles lorsqu'ils ont été commis, dès lors que le décret du 11 octobre 2010 n'a modifié que l'article R. 271-3 du Code de la construction et de l'habitation et non le texte d'incrimination qui demeure inchangé et qui permettait de réprimer le non-respect des exigences d'impartialité et d'indépendance prescrites par l'article L. 271-1 du même Code, support légal de l'incrimination demeuré inchangé,
l'infirmation du jugement en ce qu'il a limité le montant des dommages et intérêts réclamés, nonobstant l'impact important des pratiques illicites de la SAS Allo Diagnostic sur l'intérêt collectif des consommateurs,
l'allocation d'une indemnité réparatrice de 50 000 euro,
l'octroi d'une somme de 6 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
la condamnation de la SAS Allo Diagnostic aux entiers dépens.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I) Sur les conditions de recevabilité de l'action d'intérêt collectif
Attendu que la SAS Allo Diagnostic persiste à affirmer, devant la cour, que ce programme de fidélisation "Diag's" ne recélant aucun agissement pénalement répréhensible, ne permettait pas à l'UFC Que Choisir d'exercer l'action d'intérêt collectif visée à l'article L. 421-1 du Code de la consommation, laquelle suppose nécessairement que les faits reprochés soient constitutifs d'une infraction pénale ; que l'association objecte désormais que la recevabilité de son action, qui vise à obtenir de la juridiction civile les mesures propres à faire cesser une pratique commerciale contrevenant aux dispositions légales régissant l'activité de diagnostiqueur immobilier, ne serait pas subordonnée à l'existence d'une infraction pénale ; qu'il suffirait que l'agissement dénoncé soit illicite et susceptible de causer un préjudice à l'intérêt collectif des consommateurs dans les termes de l'article L. 421-2 du Code de la consommation, ce qui est le cas des commissions versées par le diagnostiqueur aux intermédiaires professionnels de la vente immobilière ; que, subsidiairement, l'UFC Que Choisir reprend les motifs dont le tribunal a déduit que le programme de fidélisation des intermédiaires professionnels caractérisait l'infraction pénale prévue par l'article L. 271-6 du Code de la construction et de l'habitation et réprimée par l'article R. 271-3 du même Code ;
Attendu qu'il est exact que l'article L. 421-1 du Code de la consommation autorise les associations de consommateurs régulièrement déclarées à "exercer les droits reconnus à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs", et que ces termes supposent que le fait dommageable dont la réparation est poursuivie devant la juridiction civile ou pénale, revête les caractères d'une infraction pénale ; que l'article L. 421-2 du même Code accorde à ces mêmes associations le droit de faire cesser un agissement illicite ou supprimer la clause illicite d'un contrat proposé aux consommateurs, action spécifique dont la Cour de cassation a consacré l'autonomie, au visa conjugué des articles L. 421-2 et L. 421-6 du Code de la consommation -ce dernier texte étant issu de l'ordonnance n° 2001-741 du 23 août 2001 qui a transposé en droit interne la directive CE du 19 mai 1998 -, en jugeant que, pour l'application de ces deux textes, il n'était pas nécessaire que l'agissement illicite dont la cessation est demandée soit constitutif d'une infraction pénale (Civ. 1re, 25 mars 2010, B. 76) ;
Qu'ainsi, la recevabilité de l'action d'intérêt collectif exercée par l'UFC Que Choisir qui tend moins à réparer le dommage causé à un groupe de consommateurs lésés par la commission d'une infraction pénale déterminée, qu'à mettre un terme, pour l'avenir, à des agissements professionnels illicites susceptibles d'attenter directement ou indirectement à l'intérêt de la collectivité des consommateurs, est une action préventive, qui ne suppose pas que ces agissements soient pénalement répréhensibles contrairement à ce qu'affirme la SAS Allo Diagnostic ; qu'au demeurant, les agissements illicites reprochés s'inscrivent également dans le champ d'application de l'action en cessation d'agissements illicites prévue à l'article L. 421-6 du Code de la consommation, dont l'UFC Que Choisir se prévaut en cause d'appel, et dont il est désormais acquis qu'elle ne se cantonne pas aux seuls domaines d'activité visés par les directives annexées à celle du 19 mai 1998 (Civ. 1re, 3 février 2011, n° 08-14.402, en cours de publication, JurisData n° 2011-000999) ;
Qu'il s'ensuit que les moyens pris par l'appelante de ce que :
la pratique commerciale incriminée ne revêtirait aucune qualification pénale, affirmation au demeurant inexacte puisque l'article R. 271-4 du Code de la construction et de l'habitation punit de l'amende prévue pour les contraventions de 5e classe le fait d'établir un diagnostic technique sans respecter "les conditions d'impartialité et d'indépendance exigées à l'article L. 271-6",
une telle infraction méconnaîtrait la règle de la légalité des délits et des peines, argument tout aussi fallacieux dès lors que le texte d'incrimination, à savoir l'article L. 271-6 du Code de la construction et de l'habitation, est de source législative,
la loi pénale, d'interprétation stricte, impliquerait la preuve d'un manquement réel aux obligations de partialité et d'indépendance, ayant eu pour effet de conduire à l'établissement d'un diagnostic partial,
ou que la directive ministérielle du 12 mars 2009 aurait induit chez elle une erreur de droit invincible au sens de l'article 122-3 du Code pénal, faisant obstacle à sa condamnation pénale,
peuvent être tenus pour inopérants ;
Que surabondamment, la cour ne peut qu'adopter les motifs pertinents dont le tribunal a déduit que l'action était recevable dès lors que les faits dénoncés paraissaient relever d'une violation de l'article L. 271-6 du Code de la construction et de l'habitation, réprimée par l'article L. 271-3 du même Code, et étaient susceptibles d'attenter à une disposition du Code de la consommation visant à la protection des acquéreurs immobiliers, sans qu'il soit besoin de s'attacher à démontrer ses chances de succès au fond au stade de la recevabilité de l'action ;
Que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a jugé l'action d'intérêt collectif engagée par l'UFC Que Choisir recevable ;
II) Sur le fond
A- Les pratiques incitatives incriminées
Attendu qu'il ressort des pièces produites par l'UFC Que Choisir qu'en 2008, l'enseigne Allo Diagnostic a lancé une opération promotionnelle en direction des intermédiaires professionnels de l'immobilier, sous la forme d'un programme "Fidélité diag's 2008", accessible en ligne sur son site Internet ; que ces intermédiaires se voyaient proposer de devenir un "diager", ou encore un "partenaire privilégié" de l'enseigne en cumulant des points à chaque diagnostic "effectué grâce à eux" ; qu'il leur suffisait, pour participer à ce programme, de s'identifier à chaque prescription de diagnostic technique auprès de l'agence, laquelle se chargeait ensuite, à réception du règlement par le client, de créditer les points obtenus sur un compte personnel, ouvert gratuitement au nom de l'intermédiaire et consultable en ligne sur un site Extranet dédié ; que le nombre de points variait en fonction du coût du diagnostic commandé, chaque commande d'expertise engendrant un gain de 30 "diag's" par tranche de 100 euro HT payée par le client, chaque règlement sur place et chaque commande de pack complet étant, en outre, gratifiée de 20 "diag's" supplémentaires ; que ces points cumulés pouvaient être convertis à la fin de chaque trimestre soit en chèques carburant soit en chèques cadeaux donnant accès à des enseignes connues (FNAC, La Redoute, Le Printemps, Conforama...), 50 "diag's" ouvrant droit à un chèque cadeaux de 5 euro ;
Qu'ainsi, à titre d'exemple, pour la commande d'un pack complet comprenant les diagnostics plomb, DPE, amiante, ERNT d'une valeur de 310 euro pour une maison ancienne d'une surface de 40 m², l'intermédiaire se voyait systématiquement gratifié de (30 x 3 + 20) 110 diag's, potentiellement augmentés à 130 diag's, s'il parvenait à convaincre son client de régler l'équipe du diagnostiqueur le jour même de son intervention ; que la rémunération s'élevait alors, pour un chiffre d'affaires généré de 310 euro, à 10 euro + 20 diag's, soit un équivalent en chèque-cadeaux de 12 euro ;
Que ces rétributions pouvaient atteindre jusqu'à 7 % du chiffre d'affaires généré par la commande, avec des périodes de "challenge", durant lesquels les intermédiaires étaient invités à "se surpasser", en faisant vendre en sept jours un nombre déterminé de "packs vente ancien, récent ou loc", "sans remise tarif et réglé sur place" (pièce de l'UFC Que Choisir N° 17) ; que l'enjeu de ces "challenges" était de gagner des Smart Box ;
B- L'illicéité de ces agissements
Attendu que la SAS Allo Diagnostic ne conteste pas avoir, par le biais de ce programme de fidélisation, rémunéré les négociateurs immobiliers qui convainquaient leurs clients de lui confier la réalisation des diagnostics techniques de leur immeubles, qualifiant même cette rémunération de rétrocession de commission ; qu'elle estime, en revanche, que cette pratique commerciale s'inscrivant dans l'exercice d'une activité de diagnostiqueur immobilier qualifiée de commerciale et s'appliquant entre commerçants, serait licite, qu'elle n'aurait rien d'abusif, n'influerait pas sur le coût payé par le client et n'attenterait ni à l'indépendance ni à l'impartialité de ses équipes techniques, chargées de réaliser les diagnostics ;
Que la SAS Allo Diagnostic reproche également au tribunal d'avoir estimé que son programme de fidélisation la plaçait en position de dépendance économique envers son donneur d'ordre, en raison du flux de client potentiel qu'elle générait, alors que cette analyse, déduite de simples supputations, serait contraire :
à la position officielle du Conseil national de la concurrence, dont les recommandations finales n'ont pas repris l'interdiction de toute contrepartie financière d'un donneur d'ordre que proposait le collège de consommateurs,
ainsi qu'à la réponse du ministre du Logement du 12 mars 2009 à une question écrite d'un parlementaire qui dénonçait les dérives tarifaires et l'émergence de pratiques déloyales nées de la pratique du commissionnement des intermédiaires apporteurs de clients, et rappelant que cette pratique était autorisée ;
Qu'elle soutient, enfin, que la rémunération des intermédiaires était un élément neutre, qui ne la plaçait pas en situation de dépendance économique envers le prescripteur, et qui n'augmentait pas la tentation de minimiser ou de taire un diagnostic défavorable, inhérente au fait que le diagnostiqueur technique est rémunéré par le vendeur ;
Mais attendu qu'il ressort clairement de l'analyse des pratiques incriminées que le programme "Diag's" et les challenges "Allo's" avait pour objectif de créer un véritable partenariat commercial avec les professionnels de la vente immobilière, en les intéressant directement au chiffre d'affaires qu'ils pouvaient générer s'ils parvenaient à persuader leurs mandants de recourir aux services des agences Tulip et Tulipanjou ; qu'un tel programme, dont il convient de rappeler qu'il s'inscrivait dans le contexte d'une crise du marché de l'immobilier, amenait ces intermédiaires confrontés à la réduction de leurs propres activités, à recommander le diagnostiqueur technique en raison non plus de sa compétence, de la fiabilité de ses rapports ou de la compétitivité de ses prix, mais du pourcentage de commission qu'il s'engageait à lui rétrocéder ; qu'un tel partenariat ayant pour but d'augmenter le courant d'affaires habituel existant entre le diagnostiqueur et l'intermédiaire professionnel, crée un lien juridique et économique de nature à faire naître un doute objectif sur l'indépendance et l'impartialité du diagnostiqueur qui, en commissionnant le mandataire professionnel, l'incite à faire prévaloir ses intérêts personnels sur ceux de son mandant, qui pourtant le rémunère aussi ;
Que ce doute s'accentue quand on constate que le programme de fidélisation Diag's s'accompagnait de mesures incitatives dont l'unique objectif était de faire entrer l'intermédiaire dans un rôle d'apporteur d'affaires, tenté de générer le plus de chiffre d'affaires possible dans un temps record (points liquidables par trimestre, semaines de "challenge") ; que la SAS Allo Diagnostic lui fournissait même des objectifs en accordant des gratifications pour chaque commande des packs complets, les plus chers, sans remise tarifaire et payés immédiatement ; que ces pratiques sont d'autant plus déloyales qu'elles avaient pour effet d'influer sur les choix d'un vendeur néophyte qui, ignorant l'existence de ces "rétro-commissions" et confronté à une obligation légale dont il mesurait mal la portée, avait naturellement tendance à s'en remettre aux conseils de son mandataire de vente ;
Attendu qu'il serait excessif d'en déduire, comme l'a fait le tribunal, que ces pratiques plaçaient nécessairement la SAS Allo Diagnostic et ses équipes techniques en position de dépendance économique, ce que dément la position de leader national de ce groupe et les résultats florissants qu'il affiche ; qu'il paraît également aléatoire d'en déduire que ce programme de fidélisation incitait les équipes techniques à minimiser leurs constatations ou à taire un diagnostic défavorable, affirmation qui fait peu de cas de la responsabilité civile professionnelle qu'encourt le diagnostiqueur dans un tel cas ; qu'il n'en demeure pas moins que l'instauration d'un partenariat commercial de ce type, destiné à provoquer un afflux croissant de clientèle et à orienter ses choix sur les diagnostics les plus coûteux, et à en présenter le tarif comme forfaitaire, concurrentiel et non négociable, contrevient manifestement aux obligations d'impartialité et d'indépendance professionnelle du diagnostiqueur, qui tente ainsi d'influer, en amont, et de manière insidieuse, sur la liberté de choix d'un consommateur captif et d'échapper aux effets modérateurs de la libre concurrence ;
Qu'en l'état de ces éléments, le tribunal a pu retenir que le programme de fidélisation par points, instauré par la SAS Allo Diagnostic en 2008, et enrichi en 2009, de "challenges" attractifs, ayant pour cible les opérateurs économiques professionnellement chargés des transactions immobilières, contrevenait aux dispositions de l'article L. 271-6 du Code de la construction et de l'habitation et constituait, par conséquent, une pratique illicite dans les termes de l'article L. 421-2, voire de L. 421-6 du Code de la consommation ;
III) Sur les réparations accordées
A- Les réparations en nature
Attendu que la SAS Allo Diagnostic soutient que le montant des astreintes assortissant ses obligations de cesser les pratiques de commissionnement et d'informer l'ensemble des agences immobilières clientes du réseau "Allo Diagnostic" des termes du communiqué de presse reproduisant cette condamnation, seraient démesurées, en regard du risque objectif encouru ; qu'elle demande que ces astreintes soient réduites à un montant plus raisonnable ce à quoi l'UFC Que Choisir s'oppose au motif que la SAS Allo Diagnostic ne se serait pas acquittée intégralement des condamnations du jugement ;
Mais attendu qu'en accordant au diagnostiqueur un délai d'un mois pour cesser les pratiques illicites auxquelles elle recourait depuis plus de deux ans, le tribunal a pris en compte les difficultés d'exécution d'une telle réparation, parfaitement proportionnée à l'atteinte portée à l'intérêt collectif des consommateurs ; qu'il n'y a donc pas lieu de réduire les astreintes prononcées, qui sont à la mesure des bénéfices que la SAS Allo Diagnostic pouvait tirer de la poursuite de ces pratiques illicites ; que le jugement sera donc confirmé sur l'ensemble des réparations en nature qu'il a ordonnées ;
B- Sur les dommages et intérêts
Attendu que l'UFC Que Choisir est appelante incidente sur ce point, demandant que l'indemnité de 15 000 euro accordée en première instance soit portée à la somme de 50 000 euro, tandis que la SAS Allo Diagnostic conclut au débouté pur et simple de cette prétention, au motif que la preuve n'est pas apportée d'un dommage concret à la mesure de la réparation, forfaitairement allouée par le tribunal ;
Attendu que l'UFC Que Choisir poursuit la réparation d'un préjudice qui, s'il ne se mesure pas à la somme des préjudices individuellement subis par chacun des consommateurs qui, en vendant leur maison ou en louant leur appartement, se sont laissés convaincre par l'agent immobilier auquel ils s'étaient adressés, de régler un pack de diagnostic complet, coûteux et partiellement inutile, sans réclamer de remise sur un prix présenté comme forfaitaire et non négociable, il n'en demeure pas moins que ces pratiques, contraires à une disposition impérative du Code de la consommation, attentent nécessairement à l'intérêt collectif des consommateurs ;
Attendu que pour limiter l'indemnité accordée à l'UFC Que Choisir à la somme de 15 000 euro, le tribunal a retenu qu'il s'agissait d'un préjudice d'ordre moral, distinct du préjudice personnel de la victime directe d'une infraction ;
Mais attendu que ce préjudice collectif revêt également un aspect financier, dès lors que l'intéressement des intermédiaires au chiffre d'affaires du diagnostiqueur et les mesures incitatives dont il s'accompagnait ont généré un flux financier artificiel au profit de la SAS Allo Diagnostic et au détriment de consommateurs, dont elle captait la clientèle par le biais de leur mandataire de vente ; qu'il suffit, pour s'en convaincre, de constater qu'en 2007, soit avant que le programme de fidélisation "Diag's", mis en œuvre en 2008, ne produise ses fruits, les commissions versées à l'un des agents immobiliers partenaire de l'agence Tulipanjou (agence Zambon) ont atteint la somme de 1 815 euro, ce qui, sur la base d'un commissionnement moyen de 6 %, permet de reconstituer le chiffre d'affaire généré par ce seul intermédiaire à 30 250 euro tandis que les deux agences "Allo Diagnostic" de Maine et Loire ont versé, pour cette même année un total de commissions de 72 514 euro, ce qui représente un chiffre d'affaires reconstitué, sur le même taux de commissionnement, de 1 208 566,60 euro ; que les agissements illicites incriminés n'ont pu qu'accroître encore ces résultats pour l'année 2008 dont la déclaration fiscale n'a pas été produite ;
Qu'en regard de ces éléments, la somme de 50 000 euro, inférieure au montant des commissions dont la SAS Allo Diagnostic a répercuté le coût sur les consommateurs qui générant son chiffre d'affaires, en obtenant la prescription de diagnostics partiellement inutiles et en dissuadant leurs mandataires de négocier des remises de prix ou de recourir à la concurrence, n'est nullement excessive ; qu'il convient, en conséquence, d'infirmer le jugement sur ce seul point et d'accorder à l'UFC Que Choisir l'indemnité réparatrice qu'elle réclame ;
Attendu qu'enfin il n'existe aucune considération d'équité qui permette de dispenser la SAS Allo Diagnostic de contribuer aux frais irrépétibles que son adversaire a dû exposer pour défendre à son appel infondé ; qu'il lui sera fait application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, dans les limites prévues au dispositif ;
Par ces motifs : Statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement déféré hormis en ce qu'il a limité l'indemnité réparatrice à l'intérêt collectif des consommateurs à la somme de 15 000 euro ; L'infirmant dans cette limite, Condamne la SAS Allo Diagnostic, venant aux droits des sociétés Tulip et Tulipanjou, à payer à l'UFC Que Choisir la somme de 50 000 euro en réparation des atteintes morales et économiques portées à l'intérêt collectif des consommateurs ; Y ajoutant, Condamne la SAS Allo Diagnostic à verser à l'UFC Que Choisir une indemnité complémentaire de 3 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile, en cause d'appel ; La Condamne aux entiers dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.