CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 12 février 2014, n° 11-06486
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Gaastra France (SA)
Défendeur :
Carlyssim (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cocchiello
Conseillers :
Mmes.Luc, Nicoletis
Avocats :
Mes Garnier, Janiszek, Lebert, Bensimhon
Vu le jugement rendu le 18 mars 2011, dans lequel le Tribunal de commerce de Paris a dit n'y avoir lieu à surseoir à statuer, débouté la société McGregor France de sa demande de résiliation unilatérale du contrat de franchise aux torts et griefs exclusifs de la société Carlyssim, débouté la société McGregor France de sa demande au titre du préjudice subi pour pertes commerciales et pour préjudice d'image, condamné la société Carlyssim à payer à la société McGregor France la somme de 8 372 euros au titre des redevances marketing de 2006 ainsi que les redevances marketing des années 2007 jusqu'à la fin du contrat, débouté la société McGregor France de ses demandes au titre des aménagements, condamné la société Carlyssim à payer à la société McGregor France la somme de 77 440,06 euros au titre des approvisionnements non réglés, majorée des intérêts au taux légal à compter du 1er avril 2009, ainsi que celle de 2 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu l'appel interjeté le 5 avril 2011 par la société McGregor France (dont la nouvelle dénomination est Gaastra France) et ses conclusions du 22 novembre 2013, dans lesquelles elle demande à la cour de constater la résiliation unilatérale du contrat de franchise aux torts exclusifs de la société Carlyssim, dire que la société Carlyssim a engagé sa responsabilité par son comportement fautif envers elle, la condamner à l'indemniser de l'intégralité de ses préjudices, à savoir 336 076 euros pour pertes commerciales, 25 687,92 euros pour les pertes sur redevances marketing ainsi que 50 000 euros pour préjudice d'image, et à lui payer diverses sommes qu'elle lui devrait en vertu du contrat de franchise (8 372 euros au titre des redevances de 2006, 21 528 euros pour la valeur comptable résiduelle de sa participation à l'aménagement de la boutique, 28 106 euros au titre de sa participation à l'aménagement, et 77 440,06 euros au titre des approvisionnements non réglés) et enfin condamner la société Carlyssim à lui payer la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu les conclusions du 5 septembre 2011 de la société Carlyssim dans lesquelles elle demande à la cour de confirmer partiellement le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société McGregor France de sa demande de résiliation unilatérale du contrat de franchise, de sa demande au titre du préjudice subi sur les pertes commerciales et de sa demande au titre du préjudice d'image, infirmer partiellement le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée à payer à la société McGregor France la somme de 8 372 euros au titre des redevances marketing de 2006 ainsi que celles dues pour les années 2007 jusqu'à la fin du contrat sur la base du chiffre d'affaires réalisé, le réformant partiellement, limiter sa condamnation au titre des redevances marketing de 2006 à la somme de 3 813, 58 euros HT, et condamner la société McGregor France à lui verser la somme de 100 000 euros en réparation de son préjudice, avec intérêts au taux légal et anatocisme, et, en toute hypothèse, la condamner à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
SUR CE,
Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants :
Le 13 septembre 2005, la société McGregor France (ci-après McGregor, dont la nouvelle dénomination est Gaastra France) a conclu avec la société Carlyssim un contrat de franchise d'une durée de cinq années, portant sur un fonds de commerce situé à Rouen, 111 rue de Carmes, à compter du 1er février 2006.
Un mail du 12 février 2007 retrace un contact entre les deux sociétés sur l'éventualité d'un rachat de la boutique par la société McGregor ou d'une vente du fonds à la Caisse Régionale de Crédit Agricole.
Le 12 mars 2007, la société Carlyssim a informé par courrier la société McGregor d'un projet de cession de son droit au bail à la Caisse Régionale du Crédit Agricole et lui a offert de faire jouer son droit contractuel de préférence. La société McGregor a notifié son intention d'exercer ce droit de préférence, par acte du 12 avril 2007.
La société McGregor, considérant que ladite cession avait entraîné de facto la résiliation anticipée du contrat de franchise, a, le 2 mai 2007, mis la société Carlyssim en demeure de lui payer les sommes qu'elle estimait lui être dues, d'un montant global de 532 940 euros se décomposant comme suit : 281 000 euros HT au titre des pertes d'exploitation jusqu'en 2010 inclus, 54 000 euros au titre des redevances marketing jusqu'en 2010, 18 000 euros HT au titre de l'article 27.2 du contrat de franchise (valeur comptable résiduelle de la participation à l'aménagement), 23 500 HT (factures d'aménagement), 50 000 euros pour préjudice d'image et enfin 99 440 euros de factures impayées.
Par courrier du 28 mai 2007, l'avocat de la société Carlyssim s'est opposé à cette demande, faisant valoir que le contrat n'était pas résilié du seul fait du projet de cession, que le fonds était toujours en activité, selon constat de Maître Mariscal des 22 à 24 mai 2007 et enfin que la société McGregor ne pouvait pas exercer de droit de préférence.
C'est dans ces conditions que, par assignation du 8 juin 2007, la société McGregor a demandé au Tribunal de commerce de Paris de constater la résiliation unilatérale du contrat de franchise aux torts et griefs exclusifs de la société Carlyssim et de dire que la responsabilité de cette dernière était engagée par son comportement fautif envers elle et, en conséquence, de la condamner à l'indemniser de l'intégralité de ses préjudices.
Le 6 juillet 2007, la société McGregor sommait le franchisé de régulariser la cession du droit au bail et constatait par courrier du 16 juillet 2007 l'absence de régularisation de l'acte de cession.
La Caisse Régionale du Crédit Agricole prétendait que McGregor n'avait pas exercé son droit de préférence, n'ayant pas répondu à une lettre recommandée de la Caisse du 12 juillet 2007, Mc Gregor se retranchant, quant à elle, derrière l'absence de réponse de la société Carlyssim.
Le 19 septembre 2007, la société McGregor s'est vue assigner par la Caisse Régionale du Crédit Agricole devant le Tribunal de commerce de Rouen, aux fins de constater l'absence de droit de préemption à son profit, s'agissant d'une cession de droit au bail, et non d'une cession de fonds de commerce, et l'absence d'exercice de ce droit de préemption. Par jugement du 4 janvier 2008, le tribunal a constaté que la cession du droit au bail de la société Carlyssim intervenue au profit de la Caisse Régionale du Crédit Agricole n'était pas rendue caduque par le droit de préférence de la société McGregor et a constaté la réalisation de la vente.
Par acte du 25 février 2008, la société McGregor a interjeté appel contre ce jugement. La société McGregor a acquiescé au jugement, ne souhaitant pas reprendre le fond et la Caisse Régionale du Crédit Agricole, de son côté, a renoncé au bénéfice du jugement. Par arrêt du 2 avril 2009, la Cour d'appel de Rouen a confirmé le jugement rendu le 4 janvier 2008 par le Tribunal de commerce de Rouen en ce qu'il s'était dessaisi au profit du Tribunal de commerce de Paris sur les demandes entre les sociétés McGregor et Carlyssim, et a infirmé le jugement pour le surplus en constatant que la société McGregor avait exercé régulièrement son droit de préférence et que la cession du droit au bail n'avait pas eu lieu entre la Caisse Régionale du Crédit Agricole et la société Carlyssim. Par conclusions déposées à l'audience du tribunal de commerce de Paris, du 18 septembre 2008, la société Carlyssim a demandé, quant à elle, que le Tribunal de commerce de Paris prononce un sursis à statuer dans l'attente de l'arrêt à intervenir de la cour d'appel de Rouen, à titre principal, déboute la société McGregor de sa demande de constatation de la résiliation anticipée du contrat de franchise et, en conséquence la déboute de ses demandes d'indemnisation, à titre subsidiaire, si le tribunal constatait la résiliation du contrat de franchise de son fait, elle demandait que lui soit accordé le plus large délai de paiement, enfin, à titre reconventionnel, elle sollicitait la condamnation de la société McGregor à lui verser la somme de 100 000 euros en réparation de son préjudice, et, en toute hypothèse, la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Le tribunal, statuant après l'arrêt de la Cour d'appel de Rouen, n'a pas sursis à statuer. Il a constaté que le contrat n'avait pas été régulièrement résilié par la société McGregor et a débouté cette société de la plupart de ses demandes.
Sur la demande de rejet des conclusions et pièces signifiées par la société McGregor France le 22 novembre 2013
Considérant que si la société Carlyssim demande le rejet des conclusions et pièces signifiées par la société McGregor France le 22 novembre 2013, quelques jours seulement avant l'ordonnance de clôture du 26 novembre 2013, elle n'avance à l'appui de cette demande aucun élément de nature à établir en quoi ce dépôt tardif aurait porté atteinte à ses droits de la défense ; que cette demande sera donc rejetée ;
Sur la résiliation du contrat
Considérant que si la société McGregor prétend que le projet de cession du contrat a entraîné de facto la résiliation anticipée du contrat de franchise, il convient de noter que la société Carlyssim a fait bénéficier son franchiseur du droit de préférence prévu au contrat, dont celui-ci a usé, par exploit d'huissier du 12 avril 2007 ; que le même jour, le franchiseur a informé la Caisse Régionale de Crédit Agricole de son intention de faire jouer son droit de préférence ; qu'il a été définitivement jugé, par la Cour d'appel de Rouen, le 2 avril 2009, que la cession du droit au bail à la Caisse Régionale du Crédit Agricole projetée était caduque, nonobstant la renonciation par McGregor à son intention de reprise du fonds ; qu'ainsi, le contrat de franchise n'a jamais été résilié du fait du franchisé ; que la société McGregor échoue à démontrer que la société Carlyssim l'aurait empêchée d'exercer son droit de préférence, en laissant dépérir le fonds ; que le jugement entrepris sera confirmé sur ce point et en ce qu'il a rejeté les demandes présentées sur ce fondement ;
Sur l'exécution du contrat
Considérant que, contrairement aux allégations de la société McGregor, le contrat a été exécuté par la société Carlyssim, au moins jusqu'en avril 2009, ainsi qu'en attestent de nombreuses pièces du dossier ; qu'en effet, les rapports d'activité envoyés par la société Carlyssim à la société McGregor démontrent cette poursuite jusqu'en juillet 2008 ; que le procès-verbal de constat réalisé du 16 au 23 septembre 2008 par Maître Mariscal, fait état d'un magasin encore en activité à ces dates ; que des commandes de réassort ont été passées durant l'hiver 2007/2008, l'été 2008, l'hiver 2008/2009 et l'été 2009 ; qu'en avril 2009, le franchiseur a refusé d'approvisionner son franchisé ; que le constat de Maître Chavoutier, du 11 juin 2012, attestant que le fonds est exploité sous l'enseigne "l'Atelier du chocolat" et que l'enseigne McGregor a disparu "depuis plusieurs années" n'est pas contradictoire avec l'exploitation du fonds, jusqu'au moins avril 2009 ; que le ralentissement de son activité, dû à des difficultés déjà signalées en février 2007 au franchiseur, sans que celui-ci ne prenne aucune mesure pour soutenir son franchisé, ne saurait être assimilé à un dépérissement fautif du fonds ; qu'aucune faute du franchisé n'est établie par la société McGregor, qui n'a, au demeurant, jamais usé de sa faculté de résiliation anticipée du contrat de franchise ;
Sur les demandes de la société McGregor
Considérant que le franchiseur ne saurait revendiquer le paiement de la marge brute qu'il aurait pu réaliser lui-même, si les prévisions du contrat de franchise avaient été réalisées par lui-même ; qu'en effet, ces chiffres ne constituaient que des prévisions et non des objectifs déterminés ; qu'il n'est au surplus nullement démontré que ces chiffres étaient réalistes ; que le franchiseur n'a pas repris le fonds de commerce et que c'est cette abstention, et non l'exploitation fautive du fonds par la société Carlyssim, qui est la cause de cette perte de chance ; qu'ainsi, aucun dommage ni aucun lien de causalité entre un prétendu dommage et une faute du franchisé ne sont établis ; que cette demande sera donc rejetée, comme elle l'avait été par les premiers juges ;
Considérant que les redevances marketing sont dues, sur le fondement de l'article 16 du contrat de franchise ; que, rapportées aux chiffres d'affaires réalisés de 2006 à 2009 par la société Carlyssim, elles s'élèvent à, respectivement, 3 813,58 euros (2 % de 190 679), 4 616,55 euros (3 % de 153 885) et 4 250 euros (5% de 85 000), soit à la somme globale de 12 679 euros ; que le jugement entrepris sera infirmé sur le quantum ;
Considérant que la société McGregor ne rapportant la preuve d'aucun préjudice d'image, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande ;
Considérant que les dispositions de l'article 27.4 du contrat de franchise, relatives à une indemnité sur les frais d'aménagement, en cas de résiliation anticipée du contrat, seront écartées, faute de preuve de ces dépenses ; que la demande relative à la participation de la société Carlyssim au mobilier commercial, fondée sur l'article 4.1 du contrat, n'est étayée d'aucune pièce et sera donc également rejetée ; qu'en effet, la pièce destinée à démontrer les dépenses de McGregor est relative à des dépenses effectuées dans le magasin de Versailles de la société Carlyssim, et non dans celui de Rouen, concerné en l'espèce ;
Considérant que le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Carlyssim à régler les factures impayées relatives aux approvisionnements, ces factures n'étant pas contestées, soit la somme globale de 77 440, 06 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 1er avril 2009 ;
Considérant que le jugement déféré sera également confirmé, en ce qu'il a accordé un délai de douze mois à la société débitrice pour s'acquitter de ses dettes ;
Sur la demande reconventionnelle de la société Carlyssim
Considérant que si l'ancien franchisé fait état d'une insuffisance d'informations pré contractuelles, il échoue à démontrer, d'une part, cette insuffisance ou le caractère erroné des informations transmises et, d'autre part, en quoi ce défaut aurait vicié son consentement ; que le jugement entrepris sera donc confirmé et sa motivation adoptée par la cour, en ce qu'il a débouté l'intimée de sa demande reconventionnelle ;
Par ces motifs - Rejette la demande de la société Carlyssim tendant à obtenir le rejet des conclusions et pièces signifiées par la société Gaastra France (anciennement dénommée McGregor France) le 22 novembre 2013, - Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a condamné la société Carlyssim à payer à la société Gaastra France la somme de 8 372 euros au titre des redevances marketing de 2006 ainsi que les redevances marketing des années 2007 jusqu'à la fin du contrat, - L'infirme sur ce quantum, - Et, statuant à nouveau, - Condamne la société Carlyssim à payer à la société Gaastra France la somme de 12 679 euros au titre des redevances marketing de 2007 à 2009, - Condamne la société Gaastra France aux dépens d'appel qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, - Condamne la société Gaastra France à payer à la société Carlyssim la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.