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Décisions

CA Paris, Pôle 6 ch. 6, 5 février 2014, n° 12-01599

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Blitte

Défendeur :

Groupe TSF (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme de Liège

Conseillers :

Mmes Colas, Brunet

Avocats :

Mes Smadja, Castanet

Cons. prud'h. Bobigny, du 30 nov. 2011

30 novembre 2011

Les faits :

M. Yann Blitte a été engagé le 4 avril 1997 en qualité de chef d'atelier, suivant contrat à durée indéterminée, par la SA TSF, spécialisée dans la location de matériel technique pour le cinéma et la télévision.

Le 26 novembre 2009 M. Yann Blitte, qui ne faisait pas partie des salariés dont le poste était supprimé dans le cadre du PSE, candidatait, toutefois, pour un départ volontaire de la société Groupe TSF, les parties envisageant alors une CRP dans le cadre du PSE en cours, proposition, que M. Yann Blitte signait le 14 décembre 2009, l'employeur lui remettant le 17 décembre une attestation Assedic non signée.

Le 21 décembre la société Groupe TSF adressait au salarié une lettre de rejet de sa demande de départ volontaire, décision que contestait M. Yann Blitte par courrier du 22 décembre.

Le 30 décembre la société Groupe TSF adressait une nouvelle lettre au salarié lui disant qu'elle n'avait jamais donné son accord sur sa demande de départ volontaire et qu'il faisait donc toujours partie des effectifs de la société Groupe TSF.

À compter du 4 janvier 2009, M. Yann Blitte ne se présentait plus sur son lieu de travail.

Le 7 janvier il était convoqué à un entretien préalable fixé au 19 suivant.

Par LRAR du 29 janvier 2010, il était licencié pour faute lourde et pour faute grave.

Contestant un licenciement pour motif économique en l'absence d'énonciation d'un tel motif et contestant également les motifs du licenciement, pour faute lourde (participation à des faits graves de concurrence déloyale au profit d'une société concurrente) mais aussi pour faute grave (abandon sans justification de ses fonctions depuis le 4 janvier 2010), M. Yann Blitte saisissait alors le Conseil de prud'hommes de Bobigny le 7 octobre 2010.

Celui-ci par jugement du 30 novembre 2011, section encadrement, considérant qu'il ressortait des pièces produites aux débats que M. Yann Blitte avait participé à la diffusion d'informations confidentielles sur l'entreprise et son savoir-faire au profit d'une société concurrente Panavision afin d'aider celle-ci à créer une filiale Panalux, spécialisée dans l'éclairage pour la production cinématographique, faits caractérisant des agissements déloyaux d'une particulière gravité, retenait une faute lourde, et déboutait le salarié de l'ensemble de ses demandes, déboutant également la société, faute d'éléments sur l'ampleur de son préjudice, de sa demande de dommages et intérêts pour concurrence déloyale.

M. Yann Blitte a régulièrement formé le présent appel contre cette décision.

Il demande à la cour de :

à titre principal, de :

- dire et juger que le contrat de travail de Monsieur Yann Blitte a été rompu d'un commun accord des parties le 17 décembre 2009, à l'expiration du délai de réflexion de 21 jours d'adhésion à la convention de reclassement personnalisé,

- dire et juger que la société TSF a été défaillante dans l'exécution de ses obligations découlant de l'accord de rupture,

- dire et juger qu'en l'absence d'énonciation d'un motif économique lors de la rupture, celle-ci constitue un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

- condamner la société TSF au paiement de la somme de 20 351,50 euros nets au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement, avec intérêt au taux légal à compter du 22 décembre 2009, ou, à tout le moins, à compter de la saisine du Conseil de prud'hommes de Bobigny,

- condamner la société TSF au paiement de la somme de 3 900 euros bruts au titre de l'indemnité de préavis, outre 390 euros bruts au titre des congés payés afférents, avec intérêt au taux légal à compter du 22 décembre 2009, ou, à tout le moins, à compter de la saisine du Conseil de prud'hommes de Bobigny,

- condamner la société TSF au paiement de la somme de 3 427,20 euros bruts à titre d'indemnité de congés payés, avec intérêt au taux légal à compter du 22 décembre 2009, ou, à tout le moins, à compter de la saisine du Conseil de prud'hommes de Bobigny,

- condamner la société TSF au paiement de la somme de 56 800 euros nets à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

à titre subsidiaire de :

- dire et juger que le licenciement notifié à Monsieur Blitte le 29 janvier 2010 est dépourvu de cause réelle et sérieuse, la faute lourde et la faute grave n'étant pas établies.

En conséquence,

- condamner la société TSF au paiement de la somme de 2 235,48 euros bruts à titre de rappel de salaire correspondant à la période de mise à pied conservatoire injustifiée du 7 au 29 janvier 2010, outre 223,54 euros bruts au titre des congés payés afférents,

- condamner la société TSF au paiement de la somme de 16 954,58 euros nets au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

- condamner la société TSF au paiement de la somme de 11 700 euros bruts au titre d'indemnité de préavis, outre 1 170 euros bruts au titre des congés payés afférents,

- condamner la société TSF au paiement de la somme de 3 427,20 euros bruts à titre d'indemnité de congés payés,

- condamner la société TSF au paiement de la somme de 56 800 euros nets à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

en toute hypothèse de,

- confirmer le jugement du Conseil de prud'hommes de Bobigny du 30 novembre 2011 en ce qu'il a débouté la société TSF de sa demande de dommages et intérêts à l'encontre de Monsieur Blitte,

- ordonner la remise de bulletins de paie, d'une attestation Pôle Emploi et d'un certificat de travail conformes sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la décision,

- condamner la société TSF au paiement de la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société TSF aux entiers dépens de l'instance.

La société Groupe TSF a formé appel incident.

Elle demande à la cour de :

- Constater que la société Groupe TSF n'a pas fait droit à la demande de départ volontaire de Monsieur Blitte.

- Constater que Monsieur Blitte s'est livré à des agissements constitutifs d'une concurrence déloyale au profit de la société Panavision et au détriment de la société TSF.

- Constater que le licenciement de Monsieur Blitte repose sur une faute lourde et sur une faute grave.

En conséquence :

- Confirmer la décision du conseil des prud'hommes en ce qu'elle a débouté Monsieur Blitte de l'ensemble de ses demandes.

- Infirmer la décision du conseil des prud'hommes en ce qu'elle a débouté la société Groupe TSF de sa demande de condamnation de Monsieur Blitte à lui verser la somme de 60 000 € de dommages et intérêts pour actes de concurrence déloyale.

- Infirmer la décision du conseil des prud'hommes en ce qu'elle a débouté la société Groupe TSF de sa demande de condamnation de Monsieur Blitte à verser 3 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

- Ordonner l'exécution provisoire du jugement.

à titre subsidiaire :

- constater que le contrat de travail de M. Yann Blitte a été rompu d'un commun accord avec la société Groupe TSF le 17 décembre 2011.

- constater que la rupture d'un commun accord du contrat de travail n'était pas soumise aux obligations du licenciement pour motif économique,

- condamner en conséquence la société Groupe TSF à verser à M. Yann Blitte :

* 16 954,58 euros d'indemnité conventionnelle de licenciement.

* 3239,80 euros d'indemnité de congés payés.

- le débouter de l'ensemble de ses autres demandes.

- le condamner à verser à la société Groupe TSF 60 000 € de dommages et intérêts pour actes de concurrence déloyale.

- le condamner à verser 3 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'entreprise compte environ 110 salariés.

Le salaire brut moyen mensuel de M. Yann Blitte est de 3 857,50 €.

La convention collective des entreprises techniques au service de la création audiovisuelle est applicable à la relation de travail.

Les motifs de la cour :

Vu le jugement du conseil de prud'hommes, les pièces régulièrement communiquées et les conclusions des parties, soutenues oralement à l'audience, auxquels il convient de se référer pour plus ample information sur les faits, les positions et prétentions des parties.

Sur le contexte de la rupture

Selon le salarié, il avait engagé une procédure de départ volontaire le 26 novembre 2009 dans le cadre d'un PSE. L'employeur lui a alors remis une proposition de CRP, accepté par le salarié, la rupture intervenant le 17 décembre 2009 avec délivrance des documents sociaux.

Cependant, le 21 décembre, la société Groupe TSF revenait sur la rupture et le 7 janvier 2010, fixait un entretien préalable au 16 janvier 2010 pour concurrence déloyale et absence injustifiée.

Le salarié plaide qu'il s'agit en fait d'un licenciement pour motif économique, qui n'a à aucun moment été motivé comme tel.

Selon la société Groupe TSF, quand M. Yann Blitte lui a remis la lettre de départ volontaire, elle lui a donné, pour information, les documents relatifs à la CRP.

Le 14 décembre M. Yann Blitte après avoir contacté Pôle emploi et après une réunion d'information avec l'organisme chargé par ses soins de suivre les salariés concernés par le PSE, serait revenu avec son document partiellement complété et un bulletin d'adhésion signé de sa main.

L'employeur, qui n'a pas apposé son cachet sur le bulletin d'adhésion restitué par le salarié, dit ne pas avoir donné suite car, parallèlement, il découvrait que Mme Collet, numéro 2 de la société et M. Yann Blitte étaient en train de créer une société Panalux, directement concurrentielle de sa propre activité.

Selon l'employeur, faute pour lui avoir accepté la CRP, celle-ci n'est pas entrée en vigueur, il en conclut que le contrat de travail a été rompu ultérieurement par la lettre de licenciement du 27 janvier 2010.

Sur la rupture du contrat de travail de M. Yann Blitte

La question qui est posée est donc de savoir si le contrat de travail a été rompu par la CRP dès le mois de décembre 2009, - thèse du salarié - ou l'a été ultérieurement le 27 janvier 2010, - thèse de la société Groupe TSF -, par la lettre de licenciement pour faute lourde et faute grave.

Il ressort du dossier et des débats, que :

- le 26 novembre 2009 M. Yann Blitte a remis en main propre à son employeur une demande de départ volontaire de la société Groupe TSF dans le cadre du PSE de licenciement pour motif économique, étant pourtant relevé que son poste n'était pas supprimé par le PSE.

- le même jour, l'employeur a remis au salarié un "document d'information" correspondant à sa demande, document auquel était annexé un "bulletin d'acceptation de la convention de reclassement personnalisé" précisant que le salarié disposait d'un délai de réflexion de 21 jours, soit jusqu'au 17 décembre 2009 pour l'accepter, et était également annexé un dossier de plusieurs pages à remplir par les parties destiné à Pôle Emploi.

M. Yann Blitte a signé ce document le 14 décembre 2009.

Selon les dispositions de l'article L. 1233-65 du Code du travail dans les entreprises non soumises à obligation de proposer le congé de reclassement prévu à l'article L. 1233-71, l'employeur propose, à chaque salarié dont il envisage de prononcer le licenciement pour motif économique, une convention de reclassement personnalisé. Cette convention lui permet de bénéficier après la rupture du contrat de travail d'actions de soutien psychologique d'orientation d'accompagnement etc.

L'article L. 1233-67 dispose que "si le salarié accepte la convention de reclassement personnalisé, le contrat de travail est réputé rompu d'un commun accord entre les parties. Cette rupture du contrat de travail, qui ne comporte ni préavis, ni indemnité de préavis, ouvre droit à l'indemnité de licenciement prévue à l'article 1234-9 ainsi que, le cas échéant, au solde de ce qu'aurait été l'indemnité de préavis si elle avait correspondu à une durée supérieure à 2 mois (...)."

Toutefois, en l'espèce, la cour relèvera plusieurs éléments concernant le bulletin d'adhésion :

- L'exemplaire du bulletin d'adhésion produit par les deux parties, en tête duquel est indiqué en petits caractères "à remplir par le salarié et à compléter par l'employeur qui le transmettra au Pôle Emploi avec le dossier de demande d'allocation", s'il porte la signature de M. Yann Blitte sous la date du 14 décembre 2009 ne porte pas le cachet de l'employeur prévu aux côtés de la signature du salarié.

- De même, s'agissant du document destiné à Pôle Emploi, le salarié l'a complété mais ce document n'a pas été rempli ni renseigné par l'entreprise, notamment la page qui doit être signée de l'employeur qui doit porter le cachet de l'entreprise certifiant exacts les renseignements indiqués sur l'attestation.

- En particulier, la page du formulaire destiné à l'Unedic qui reprend les mêmes éléments relatifs aux salaires et à ses accessoires pendant les 12 derniers mois, que ceux portés ordinairement sur les attestations Pôle Emploi avec la reprise des salaires versés au cours des 12 derniers mois, n'est pas remplie par l'employeur.

- En revanche le salarié produit, sur document séparé, une attestation Assedic datée du 17 décembre 2009 dont il affirme qu'elle a été "remise" par l'employeur, document qui n'est, selon la société Groupe TSF, qu'un "projet" d'attestation, qui n'est d'ailleurs effectivement pas signé, et selon la comptable de l'établissement a été remis "par erreur" au salarié alors qu'il devait faire l'objet d'une validation hiérarchique (pièce C29).

De l'ensemble de ces éléments il résulte que la simple remise du document d'une page (pièce B8), signé par le salarié à la date du 14 décembre 2009, mais ne portant pas le cachet de l'employeur et auquel était annexé un questionnaire dans lequel seules les parties à remplir par le salarié sont renseignées, l'employeur n'ayant ni renseigné, ni signé ce qui relevait de sa responsabilité, ne saurait être assimilé à une "convention" de CRP en bonne et due forme.

En effet si le document B8, porte, de l'écriture du salarié, la date de remise au salarié du document d'information (26.11.2009) et la date de fin de délai de réflexion, 21 jours après la remise de document (le 17.12.2009) ce document, en revanche, n'apporte aucune des autres informations requises telles que la date de la rupture du contrat de travail, en cas d'acceptation, et le cas échéant le motif de la rupture et le rappel du droit du salarié à la priorité de réembauche.

Il en résulte que trop incomplète, la proposition de l'employeur n'en était pas une, la "cause" de la convention entre les parties restant trop imprécise, mais ne constituait qu'une hypothèse qui n'a en fin de compte jamais été finalisée entre les parties, l'employeur ayant commencé entre-temps (le 10 décembre comme expliqué ci-dessous) à découvrir des agissements de deux de ses salariés parmi lesquels M. Yann Blitte, agissements sur lesquels il a dû développer une enquête dans les jours qui ont suivi.

La cour considère donc :

- que, lorsque le 21 décembre 2009 l'employeur a adressé un courrier lui disant "nous vous confirmons que notre société n'est pas en mesure de donner une suite favorable à votre demande de départ volontaire dans le cadre de la procédure de licenciement économique actuellement mise en œuvre", la CRP n'avait pas encore été validée par l'employeur, sa simple "proposition", par la remise d'un document vierge et qu'il n'a jamais renseigné n'étant pas assimilable à une acceptation de CRP.

- que le contrat de travail ne se trouvait donc pas encore rompu pour motif économique, comme le confirme d'ailleurs l'employeur dans sa lettre du 30 décembre 2009.

- qu'en conséquence, la société Groupe TSF, qui dit avoir découvert entre-temps les agissements fautifs de son salarié, avait la possibilité d'engager une procédure de licenciement pour faute, ce qu'elle a fait par courrier du 7 janvier 2010 en convoquant M. Yann Blitte à un entretien préalable.

Il en résulte que le contrat de travail s'est poursuivi au-delà du 17 décembre 2009 et ne s'est effectivement trouvé rompu, pour fautes, que le 27 janvier 2010.

Il convient en conséquence, conformément à la demande formulée à titre subsidiaire par M. Yann Blitte d'examiner le bien-fondé de ce licenciement pour faute.

La lettre de licenciement adressée le 27 janvier 2010 à M. Yann Blitte est rédigée comme suit :

"Nous faisons suite à l'entretien préalable que nous avons eu ensemble le 19 janvier dernier et au cours duquel vous vous êtes présenté seul.

Nous sommes au regret de vous notifier votre licenciement pour faute lourde et pour faute grave.

S'agissant de la faute lourde, nous venons de découvrir que pendant l'exécution de votre contrat de travail, vous avez commis des faits de concurrence déloyale au préjudice de la société Groupe TSF.

Nous vous reprochons notamment d'avoir participé, avec une ancienne salariée de la société, à la diffusion d'informations confidentielles et en tout cas non publiques, concernant l'activité et le savoir-faire technique et commercial de la société Groupe TSF, auprès du groupe américain Panavision à l'occasion de son projet de création d'une nouvelle filiale française, spécialisée dans l'éclairage pour la production cinématographique, directement concurrente à la société Groupe TSF.

Ces faits sont d'autant plus graves qu'ils sont de nature à affaiblir la position de la société Groupe TSF qui connaît déjà de sérieuses difficultés économiques.

En conséquence, nous considérons que vos agissements révèlent de votre part, une évidente intention de nuire à votre employeur, justifiant que soit retenue à votre encontre une faute lourde.

S'agissant de la faute grave, nous vous reprochons d'avoir abandonné sans justificatif valable vos fonctions depuis le lundi 4 janvier 2010 et donc de ne plus vous être présenté à votre travail.

Nous vous rappelons, une nouvelle fois à ce sujet, que jamais la société ne vous a donné son accord pour votre départ volontaire dans le cadre de la procédure de licenciement économique mise en œuvre.

Nous contestons bien entendu l'entier contenu de votre LRAR du 21 courant dont les allégations et le compte-rendu de notre entretien préalable sont totalement fantaisistes et sans rapport avec la réalité incontournable des faits qui vous sont reprochés."

Pour qu'un licenciement soit fondé il doit reposer sur un ou plusieurs griefs, imputables au salarié, qui doivent être objectifs, c'est-à-dire matériellement vérifiables, établis et exacts c'est-à-dire constituant effectivement la cause réelle de ce licenciement.

La cause doit également être sérieuse, en ce sens que les faits invoqués doivent être suffisamment pertinents pour fonder le licenciement.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits constituant une violation des obligations du contrat de travail, d'une importance telle qu'elle rend immédiatement impossible le maintien dans l'entreprise. La preuve doit en être rapportée par l'employeur ; la lettre de licenciement circonscrit les limites du litige.

La faute lourde est un fait imputable au salarié rendant impossible le maintien du contrat de travail et commis dans l'intention de nuire à l'employeur ou à l'entreprise.

Ce licenciement pour faute s'inscrit tout à la fois dans un contexte de crise économique globale et de restructuration du secteur des industries techniques du cinéma.

Ce marché en France était pour l'essentiel tenu par la société Groupe TSF et une autre société américaine Panavision.

Dans un contexte de mutation technologique, la société Groupe TSF a été la première entreprise du secteur à opter pour une offre globale de prestations segmentées en plusieurs divisions d'activité (TSF caméra, TSF lumière et ciné Lumière de Paris, TSF machinerie, TSF véhicule, TSF studio).

Dans un premier temps Panavision a limité son activité à la fourniture de caméras et accessoires s'appuyant sur la Transpalux, principal concurrent dans ce secteur de TSF, pour lui fournir les moyens "lumières". Ces deux sociétés ont rompu leurs liens en juin 2009.

Des pourparlers se sont alors développés entre TSF et Panavision pour envisager un rapprochement des entreprises dans ce secteur ; ils n'ont pas abouti.

Selon TSF, Panavision, aurait alors envisagé de développer une filiale en France sous le nom de Panalux engageant pour ce faire dès le mois d'août 2009 des échanges techniques et des pourparlers avec Mme Collet directrice de la division lumière de TSF. Les pièces C13, 15 à 18 démontrent des échanges de mails fréquents entre le responsable Panavision France et Mme Collet.

La pièce C19, du 12 novembre 2009 correspond à l'envoi de la fiche de "directeur technique" rédigée par Mme Collet elle-même, pour le poste qui serait ensuite attribué à M. Yann Blitte au sein de Panalux.

Les pièces 16 et 17 démontrent que celui-ci, chef de l'atelier lumière et plus proche collaborateur de Mme Collet, était la personne qui, à la demande de celle-ci, préparait et/ou validait les informations et les documents techniques destinés à Panalux.

Plusieurs des mails litigieux impliquaient également M. P Rouallen, présenté dans le jugement du Conseil de prud'hommes de Bobigny du 16 novembre 2011 opposant la société Groupe TSF à Mme Collet, comme le compagnon de cette dernière, également salarié de la société SA TSF.

Le 21 octobre 2009 Mme Collet donnait sa démission à la société Groupe TSF, demandant à être "libérée de ses fonctions dans les plus brefs délais".

Le 27 novembre un article de presse spécialisée annonçait "Panalux débarque en France" annonçant l'ouverture pour le début 2010.

La veille, 26 novembre, M. Yann Blitte avait fait savoir il se portait candidat pour bénéficier d'une CRP.

Toutefois, le 10 décembre 2010, M. L.K. qui succédait à Mme Collet, transmettait à son employeur M. de Segonzac un mail (P C 26) par lequel il l'informait avoir découvert dans le système Outlook de l'ordinateur de celle-ci, des échanges entre elle-même, M. Yann Blitte et Panavision, ce qui amenait la société Groupe TSF à solliciter immédiatement la saisie par huissier des éléments litigieux, étant précisé que ces éléments trouvés dans l'ordinateur professionnel de Mme Collet n'étaient pas identifiés comme présentant un caractère professionnel (constats réalisés par huissier les 15 et 28 décembre 2009).

Cette découverte d'éléments constitutifs, selon la TSF, d'actes de concurrence déloyale explique le changement de position de la société Groupe TSF quant à une éventuelle rupture du contrat de travail de M. Yann Blitte pour motif économique.

Aux yeux de la cour, il ressort clairement de ces éléments, que M. Yann Blitte a développé personnellement et activement, en lien notamment avec sa supérieure hiérarchique, à l'encontre de son employeur, la société Groupe TSF, des agissements déloyaux constitutifs d'une concurrence elle-même déloyale, au moment où précisément la société Groupe TSF qui l'employait, confrontée à des difficultés économiques s'engageait dans un PSE.

Le grief de faute lourde est donc justifié.

Il n'est donc pas nécessaire selon la cour d'examiner de manière approfondie la faute grave également invoquée, correspondant à une absence injustifiée de M. Yann Blitte au-delà du 4 janvier 2010, absence qui n'est d'ailleurs pas contestée par l'intéressé mais qu'il explique par le fait qu'il considérait que le contrat de travail avait été rompu pour motif économique après son acceptation de la CRP. La cour se bornera sur cette question à adopter purement et simplement les motifs pertinents et fondés du conseil de prud'hommes.

La cour confirmera donc la décision du Conseil de prud'hommes de Bobigny rendu le 30 novembre 2011 retenant un licenciement pour faute lourde.

Valablement licencié pour faute lourde le salarié sera débouté de ses demandes de paiement des salaires correspondant à la mise à pied conservatoire, de paiement de l'indemnité conventionnelle de licenciement et de l'indemnité compensatrice de préavis, ainsi que de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse.

M. Yann Blitte fait valoir qu'au moment de la rupture de son contrat de travail, il avait droit à 20 jours de congés payés.

Toutefois, la qualification de licenciement pour faute lourde retenue par la cour entraîne également privation des droits à congés payés. Il en sera donc également débouté.

L'employeur devra remettre au salarié une attestation Pôle emploi et un certificat de travail et un bulletin de salaire conformes à la présente décision sans qu'aucun élément ne justifie d'ordonner une astreinte.

Sur la demande de dommages et intérêts pour concurrence déloyale

Il ressort sans ambiguïté des nombreuses pièces versées aux débats que M. Yann Blitte, responsable de l'atelier lumière, s'est livré, tout comme Mme Marie-José Collet qui exerçait dans la société Groupe TSF des fonctions de directrice d'exploitation, à des actes de concurrence déloyale particulièrement graves, comme le transfert d'informations confidentielles de nature financière, commerciale et technique ainsi que d'informations détaillées sur l'activité de la société TSF, son organisation, ses procédures, son matériel, ses clients facilitant ce faisant, le "démarrage", dès le premier semestre 2010 de l'entreprise concurrente Panalux, délivrant des prestations similaires au département "ciné Lumière" de la société Groupe TSF et entraînant, ce qui n'est pas discuté, le débauchage de plusieurs salariés de la société Groupe TSF au bénéfice de la société Panalux.

Le détournement potentiel de parts de marché au détriment de la société Groupe TSF avait été estimé par Mme Collet, (pièce C 15) le 2 septembre 2009, à 1 800 000 euros.

En fait, le chiffre d'affaire mensuel de TSF après le démarrage de La société Panalux, est tombé de 306 000 € en mai 2009 à 130 000 € en mai 2010, conservant ensuite un niveau nettement inférieur à celui réalisé avant l'apparition de la société Panalux.

La perte annuelle de chiffre d'affaires s'est confirmé pour un montant proche de celui estimé par Mme Collet.

De manière indéniable, ces faits auxquels a largement participé M. Yann Blitte, dans le cadre de son contrat de travail, mais qu'il a su dissimuler jusqu'à la fin de l'année 2009, au point de quasiment obtenir de son employeur une rupture du contrat de travail sur la base d'une CRP, ont, de par leur caractère profondément déloyal, et s'agissant de l'aide à la création en France d'une filiale, dénommée Panalux, d'une importante société américaine, directement concurrente de la société Groupe TSF sur le marché français, occasionné à la société TSF, qui rencontrait déjà des difficultés de nature économique, un grave préjudice.

Ces circonstances, qui caractérisent une concurrence déloyale, justifient de condamner M. Yann Blitte à verser à son ancien employeur la société Groupe TSF la somme de 20 000 € à titre de dommages et intérêts.

La décision du conseil de prud'hommes sera donc infirmée à cet égard.

Sur les dépens et la demande de dommages et intérêts au titre de l'article 700 du Code de procédure civile

M. Yann Blitte qui succombe supportera la charge des dépens.

La cour considère que, compte tenu des circonstances de l'espèce, il n'apparaît pas inéquitable que chaque partie supporte la charge de la totalité des frais de procédure qu'elle a été contrainte d'exposer.

Décision de la cour :

En conséquence : LA COUR, Confirme la décision du conseil de prud'hommes en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté la société Groupe TSF de sa demande de dommages et intérêts pour concurrence déloyale, Et statuant à nouveau sur cette demande et y ajoutant : Condamne M. Yann Blitte à verser à la société Groupe TSF la somme de 20 000 € de dommages-intérêts concurrence déloyale, somme avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision. Dit que l'employeur devra délivrer à M. Yann Blitte une attestation Pôle Emploi, un bulletin de salaire et un certificat de travail conformes à la présente décision. Déboute les parties de leurs demandes complémentaires ou contraires. Condamne M. Yann Blitte aux entiers dépens de l'instance.