CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 9 octobre 2012, n° 12-03799
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
UFC Que Choisir
Défendeur :
Olympierre (SARL), NLSB Conseil (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bourquard
Conseillers :
Mmes Taillandier-Thomas, Maunand
Avocats :
Mes Fanet, Brasseur, Daunois, Berrih
L'association Union Fédérale des Consommateurs - Que Choisir (UFC) a fait assigner la SARL Olympierre exerçant sous l'enseigne "Century Olympierre" et la SARL NLSB exerçant sous l'enseigne "Alesia Montsouris" en cessation de pratiques illicites et provisions devant le juge des référés du Tribunal de grande instance de Paris, lequel, par ordonnance du 1er février 2012, a déclaré sa demande recevable mais a dit n'y avoir lieu à référé et à condamnation sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et dit que chacune des parties supportera la charge de ses dépens.
Appelante de cette décision, l'association UFC, par conclusions déposées le 3 juillet 2012, demande à la cour de dire recevables et bien fondées ses demandes, de constater les agissements illicites des agences intimées quant à la prévision et/ou la facturation d'honoraires indus (hors rédaction d'acte et/ou pour état des lieux) à l'encontre des locataires, en conséquence, dès la date de l'arrêt à intervenir, d'ordonner à chaque agence de modifier respectivement les documents d'information afin que soient supprimées les mentions illicites et ce sous astreinte d'un montant de 1 000 euro par infraction constatée ainsi que la cessation de telles pratiques, et notamment d'interdire toute perception illicite, telle que visée ci-dessus, par les deux agences intimées, et d'interdire l'usage de ces pratiques à l'avenir et ce sous astreinte d'un montant de 5 000 euro par jour de retard, de condamner les agences intimées à lui verser, à titre de provision sur dommages et intérêts en réparation des préjudices subis par la collectivité des consommateurs la somme de 25 000 euro chacune, d'ordonner la publication de la décision à intervenir, par extrait, à son initiative par voie de presse écrite, dans les journaux Le Monde, Le Parisien et Le Figaro, et à concurrence de 8 000 euro par insertion à la charge des défenderesses, in solidum, ainsi que le même extrait en tête de la page d'accueil de chacun des sites des défenderesses ("www.century21olympierre.com" & "www.century21-alesia-paris.com") et ce aux frais de chacune, et sur une durée de trois mois, et de condamner, enfin, les agences intimées à lui verser la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par conclusions déposées le 4 juin 2012, la SARL Olympierre demande à la cour de dire n'y avoir lieu à référé et de condamner l'association UFC à lui payer la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Suivant conclusions déposées le 7 juin 2012, la SARL NLSB Conseil demande à la cour, in limine litis, de dire et juger l'association UFC irrecevable à agir, en conséquence, d'infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a déclaré sa demande recevable, à titre principal, de confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé, à titre subsidiaire, de rejeter les demandes indemnitaires et de publication, à titre infiniment subsidiaire, de ramener le préjudice que l'association prétend avoir subi à la somme de l'euro symbolique et, en tout état de cause, de condamner l'appelante à lui payer la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
SUR CE, LA COUR
Considérant que l'association UFC fait valoir que les agences intimées annoncent aux candidats locataires, comme à leurs bailleurs mandants, que doivent être partagés par moitié les "honoraires de location" voire les frais d'état des lieux, et ce de la même manière que les frais de "rédaction d'acte", qu'elle facture ainsi vraisemblablement aux candidats locataires des honoraires qui sont dus exclusivement par le bailleur, que l'article 5 de la loi du 6 juillet 1989 prévoyant le partage par moitié des frais d'établissement d'un acte de location est d'interprétation stricte, que le professionnel de l'immobilier n'a pas, en outre, droit à d'autre rémunération que celle qu'il facture au bailleur, son mandant, en application de la loi du 2 janvier 1970 et de l'article 66 du décret du 20 juillet 1972, que la loi du 6 juillet 1989 prévoit le partage des frais d'état des lieux seulement si un huissier est nécessaire à défaut d'un constat amiable, qu'il résulte de l'arrêté du 29 juin 1990 que la rédaction du bail est indépendante des prestations de l'agence au profit du bailleur, que ces pratiques sont illicites et qu'elle est fondée à en demander la cessation sur le fondement de l'article 809 du Code de procédure civile et L. 421-2 du Code de la consommation ainsi que la réparation provisionnelle du préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs qu'elle représente en application des articles L. 421-1 et suivants du Code de la consommation ;
Considérant que la SARL Olympierre répond que le texte de loi s'abstient de définir celles des prestations assurées par l'agent immobilier qui entrent dans le périmètre du "concours à l'établissement de l'acte de location", qu'il ne limite par davantage ledit concours à la seule rédaction du bail d'habitation, qu'opter pour une interprétation restrictive du texte ou préférer l'interprétation extensive s'analyse comme une contestation sérieuse qui écarte la "compétence" du juge des référés, juge de l'évidence, et que l'appelante s'abstient de verser aux débats une quelconque facture au locataire de frais d'état des lieux amiable ;
Considérant que la SARL NLSB Conseil soutient que l'association UFC est irrecevable à agir sur le fondement de l'article L. 421-2 du Code de la consommation dont l'application est subordonnée à l'existence d'une infraction pénale, que l'article L. 421-6 du même Code n'est pas applicable en l'espèce, qu'il n'y a pas de trouble manifestement illicite ou d'obligation non sérieusement contestable en présence d'un texte de loi à interpréter et que l'article 5 de la loi du 6 juillet 1989 ne vise nullement les seuls honoraires afférents à la rédaction du contrat de bail mais, de manière plus générale, ceux relatifs à l'établissement de l'acte de location, ce qui peut comprendre les honoraires dits de location ;
Considérant que l'association UFC agit, en l'espèce, expressément et exclusivement en application de l'article L. 421-2 du Code de la consommation, lequel énonce que "les associations de consommateurs mentionnées à l'article L. 421-1 et agissant dans les conditions précisées à cet article peuvent demander à la juridiction civile, statuant sur l'action civile, ou à la juridiction répressive, statuant sur l'action civile, d'ordonner au défenseur ou au prévenu, le cas échéant sous astreinte, toute mesure destinée à faire cesser des agissements illicites ou à supprimer dans le contrat ou le type de contrat proposé aux consommateurs une clause illicite" ;
Considérant que l'agissement illicite au sens de cet article n'est pas nécessairement constitutif d'une infraction pénale ; que la fin de non-recevoir soulevée par la SARL NLSB Conseil doit dès lors être écartée ;
Considérant qu'aux termes de l'article 809 alinéa 1er du Code de procédure civile, sur lequel l'appelante fonde ses demandes, la juridiction des référés peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ;
Considérant que le trouble manifestement illicite désigne toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit ;
Considérant que l'article 3 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 énonce que le contrat de location est établi par écrit et qu'un état des lieux y est joint, établi amiablement, ou à défaut, par un huissier de justice à frais partagés par moitié entre le bailleur et le preneur ;
Considérant que l'article 4 répute non écrite toute clause qui impose au locataire la facturation de l'état des lieux dès lors que celui-ci n'est pas établi par un huissier de justice dans le cas prévu par l'article 3 ainsi que le versement, lors de l'entrée dans les lieux, de sommes d'argent en plus de celles prévues aux articles 5 et 22 ;
Considérant que l'article 5 énonce que la rémunération des personnes qui se livrent ou prêtent leur concours à l'établissement d'un acte de location d'un immeuble appartenant à autrui tel que défini à l'article 2 est partagée par moitié entre le bailleur et le locataire ;
Considérant que l'article 22 est relatif quant à lui au dépôt de garantie ;
Considérant que l'association UFC soutient que le partage annoncé, voire facturé, par les intimées entre bailleur et locataire par moitié d'honoraires excédant ceux de rédaction de l'acte de location constituerait un trouble manifestement illicite ;
Mais considérant que s'il appartient au juge d'interpréter la loi, le juge des référés, juge de l'évidence, ne saurait y procéder pour caractériser un trouble manifestement illicite ; que seule la violation flagrante d'une règle précise et indiscutable est de nature à constituer un tel trouble ; qu'il existe, en l'espèce, une divergence d'interprétation entre les parties et au-delà dans le débat public quant à la notion de "concours à l'établissement d'un acte de location" ; que le législateur n'a pas précisé si par établissement, il fallait entendre la seule rédaction du bail ou plus largement les actes effectués par l'agence en amont pour parvenir à la conclusion du contrat ; que la présente juridiction des référés ne saurait opter, en s'appuyant au besoin sur les autres dispositions législatives et réglementaires invoquées par l'appelante, pour une interprétation restrictive comme l'y invite cette dernière, plutôt que pour une interprétation extensive ; que seule la juridiction du fond peut trancher cette question ; que le trouble manifestement illicite n'est dès lors pas caractérisé, y compris du chef du partage des frais d'état des lieux ; qu'en effet, si ce partage est évoqué dans le "guide gestion location" édité par l'agence Century 21 Alésia Montsouris (pièce 4 de l'appelante) et dans la notice "votre projet" émise par l'agence Century 21 Olympierre (pièce 5), aucune facture n'est produite démontrant l'effectivité d'un tel partage opéré par les intimées relativement, qui plus est, au seul état des lieux établi amiablement, la facture non datée versée aux débats par l'appelante (pièce 6) émanant d'une agence sise à Alençon (61), distincte de celles concernées par la présente instance ; qu'en conséquence, les mesures sollicitées par l'association UFC ne seront pas ordonnées ;
Considérant que la faute des intimées et le préjudice en résultant pour l'intérêt collectif des consommateurs étant, dans ces conditions, sérieusement contestables, la demande de provision sur dommages intérêts sera rejetée ;
Considérant que l'association UFC, qui succombe, supportera les dépens d'appel ; que l'équité conduit, en revanche, à rejeter les demandes des intimées fondées sur l'application de l'article 700 du Code de procédure civile devant la cour ;
Par ces motifs : Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne l'association UFC aux dépens d'appel.