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Décisions

CA Angers, 1re ch. A, 18 octobre 2011, n° 10-02672

ANGERS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

SFR (SA)

Défendeur :

UFC - Que Choisir Sarthe

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Verdun

Conseillers :

Mme Rauline, M. Travers

TI Le Mans, du 22 juill. 2010

22 juillet 2010

EXPOSE DU LITIGE

Le 21 octobre 2006, Monsieur Stéphane B a souscrit auprès de la société Neuf Cegetel l'offre de téléphonie gratuite "Planète Neuf" et une offre d'accès à Internet comprenant un forfait de 20 heures par mois moyennant le prix de 13,80 euro par mois. Il a résilié le contrat téléphoniquement le 7 avril 2007, résiliation réitérée par lettre recommandée avec accusé de réception du 10 avril. Le 18 mai suivant, Neuf Cegetel a pris acte de la résiliation de l'offre téléphonie.

La société Neuf Cegetel ayant continué à facturer l'accès à Internet, Monsieur B qui refusait d'acquitter les factures, a reçu des lettres de rappel. Par courrier du 27 février 2008, elle lui a indiqué avoir procédé à la résiliation de la ligne et à la régularisation de son compte et lui a présenté des excuses. Monsieur B a continué à recevoir des lettres de relance et des mises en demeures de la société Effico Soreco et de la SCP F-M, huissiers de justice au Mans.

Par acte d'huissier en date du 30 avril 2008, Monsieur B a fait assigner la société Neuf Cegetel et la société Effico Soreco devant le Tribunal d'instance du Mans pour voir prononcer la résiliation du contrat pour inexécution, faire injonction à la société Effico Soreco de cesser toute démarche en vue du recouvrement de sommes qui ne sont pas dues sous peine d'une astreinte de 500 euro par infraction constatée et de condamner solidairement les deux sociétés à lui payer 6 200 euro en réparation de ses préjudices matériel, moral et de jouissance ainsi qu'une indemnité de procédure.

L'UFC - Que Choisir Sarthe est intervenue volontairement le 19 septembre 2008 pour voir condamner les deux sociétés à lui payer 5 000 euro à titre de dommages-intérêts au titre du préjudice collectif subi par les consommateurs et une indemnité de procédure et voir ordonner la publication du jugement à intervenir.

La société SFR, venant aux droits de la société Neuf Cegetel, a conclu au débouté des demandes formées par Monsieur B et, à l'égard de l'UFC - Que Choisir, à l'incompétence du tribunal d'instance au profit du tribunal de grande instance, subsidiairement, à l'irrecevabilité des demandes au motif qu'il s'agit d'une intervention principale et non d'une intervention accessoire.

La société Effico Soreco a conclu au débouté des demandes et réclamé 3 000 euro à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et une indemnité de procédure.

Par un jugement du 22 juillet 2010 assorti de l'exécution provisoire, le tribunal a :

- constaté la résiliation du contrat pour inexécution par la société Neuf Cegetel de ses obligations,

- condamné la société SFR venant aux droits de cette dernière à payer, à Monsieur B, les sommes de 4 000 euro en réparation de ses préjudices moral et matériel, et à l'UFC - Que Choisir Sarthe, la somme de 1 000 euro en réparation du préjudice causé à l'intérêt collectif des consommateurs,

- débouté Monsieur B et l'UFC - Que Choisir Sarthe de leurs demandes contre la société Effico-Soreco,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- condamné la société SFR à payer 1 000 euro à Monsieur B et 400 euro à l'UFC - Que Choisir Sarthe en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.

La société SFR a interjeté appel de cette décision le 25 octobre 2010. Monsieur B et l'UFC - Que Choisir Sarthe ont relevé appel incident.

Les parties ont conclu. L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 septembre 2011.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par conclusions du 15 mars 2011, la société SFR demande à la cour d'infirmer le jugement et de :

- dire que Monsieur B ne rapporte pas la preuve d'un dysfonctionnement et d'une faute imputable à Neuf Cegetel ni d'un préjudice réparable en relation avec un prétendu manquement de ce dernier, en conséquence, le débouter de toutes ses demandes,

- dire que le tribunal d'instance était incompétent au profit du tribunal de grande instance pour statuer sur la demande de l'UFC - Que Choisir Sarthe en raison du caractère indéterminé de la demande de publication,

- en toute hypothèse, dire que son intervention s'analyse comme une intervention principale, que l'article 3 de ses statuts ne l'autorise qu'à appuyer les actions de consommateurs et que ses demandes se heurtent au principe nul ne plaide par procureur, en conséquence, dire que la cour n'est pas valablement saisie des demandes de l'UFC - Que Choisir Sarthe, en tout état de cause, les déclarer irrecevables,

- à titre subsidiaire, dire que l'UFC - Que Choisir Sarthe ne rapporte pas la preuve d'une faute et d'un préjudice causés par Neuf Cegetel et la débouter de ses demandes,

- en tout état de cause, condamner Monsieur B et la société UFC - Que Choisir Sarthe à lui payer 1 000 euro chacun en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel.

Elle expose qu'elle avait compris que Monsieur B sollicitait uniquement la résiliation du service téléphonie, que ce dernier n'a pas répondu à sa lettre du 18 mai 2007 qui le précisait mais attendu février 2008 pour se manifester, qu'elle a alors procédé à la résiliation de l'ensemble des contrats et régularisé son dossier sans que cela constitue une reconnaissance de responsabilité. Elle estime que les dispositions du Code de la consommation ne sont pas applicables en l'espèce car le fonctionnement du service fourni par Neuf Cegetel n'est pas en cause. A défaut, elle invoque le dernier alinéa qui l'exonère de responsabilité lorsque l'inexécution ou la mauvaise exécution est imputable au consommateur. Elle considère qu'elle n'est pas être tenue des agissements de la société de recouvrement. Elle qualifie de punitive la condamnation prononcée par le tribunal alors que la responsabilité civile a pour but de réparer un dommage. Elle fait observer que Monsieur B a attendu neuf mois avant d'élever une contestation et qu'elle a alors immédiatement procédé à une régularisation.

Elle soutient que l'intervention de l'UFC Que Choisir est une intervention principale puisqu'elle forme des demandes à son profit. En outre, l'article 3 de ses statuts l'autorise uniquement à appuyer des actions individuelles de consommateurs, ce qui correspond à la définition de l'action accessoire au sens de l'article 330 du Code de procédure civile.

Elle considère que les arguments de cette dernière, dénonçant de manière générale l'attitude des "FAI", contreviennent à la règle selon laquelle, en France, nul ne plaide par procureur. Subsidiairement, elle estime que l'UFC procède par voie d'accusations générales et que la demande de dommages-intérêts à hauteur de 5 000 euro est injustifiée et disproportionnée avec l'objet du litige.

Par conclusions du 15 juin 2011, Monsieur Stéphane B et l'UFC - Que Choisir Sarthe demandent à la cour de débouter la société SFR de son appel, d'accueillir leur appel incident, d'infirmer le jugement et de :

- condamner la société SFR à payer à Monsieur B 6 200 euro en réparation de ses préjudices matériel et moral,

- condamner la société SFR à payer à l'UFC - Que Choisir Sarthe 5 000 euro au titre du préjudice collectif subi par les consommateurs,

- ordonner la publication de tout ou partie de la décision à intervenir dans le journal Ouest France aux frais avancés de SFR,

- condamner la société SFR à payer la somme de 3 000 euro à Monsieur B et à l'UFC - Que Choisir Sarthe en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens d'appel.

Monsieur B expose qu'après avoir résilié son contrat, il a continué à recevoir des factures et des lettres de relance et ce malgré deux appels téléphoniques pour signaler qu'il s'agissait d'une erreur, que l'appelante l'a admis mais qu'il a continué à recevoir des mises en demeure et des menaces de poursuite.

Ils estiment que l'appelante a commis une faute en omettant d'aviser ses mandataires de ce qu'ils devaient immédiatement cesser les poursuites. Selon eux, une erreur est peu probable et en tout état de cause, elle ne saurait l'exonérer de sa responsabilité

Monsieur B invoque un préjudice matériel (nombreux appels téléphoniques et envois de recommandés) et un préjudice moral et psychologique lié au comportement inadmissible de l'opérateur et de son mandataire, déclarant avoir eu l'impression de "se heurter à un mur".

L'UFC - Que Choisir Sarthe répond que la demande de publication est accessoire à la demande principale et ne détermine donc pas la compétence du tribunal saisi, qu'elle était limitée à 10 000 euro et qu'en tout état de cause, l'exception d'incompétence n'a aucun intérêt devant la cour d'appel qui évoque l'affaire. Elle rappelle qu'elle a intérêt et qualité à agir en vertu des dispositions légales régissant l'action en justice des associations de défense des consommateurs et qu'une jurisprudence constante l'autorise à se joindre à une action individuelle pour défendre l'intérêt collectif des consommateurs, une telle action étant accessoire. Elle se prévaut d'un arrêt de la cour de cassation du 13 novembre 2008 faisant état de la recrudescence des dossiers relatifs aux dysfonctionnements à Internet, ce dont il résultait que l'intérêt collectif des consommateurs se trouvait lésé. Elle indique qu'elle a connu de 185 litiges en 2007 et que l'augmentation des dossiers avec les opérateurs l'a obligée à recruter un juriste à temps partiel pour les traiter, outre le temps passé par d'autres personnels à les suivre. Elle dénonce la méthode consistant à ignorer les réclamations des clients et à saisir une société de recouvrement qui multiplie les méthodes intimidantes et à facturer des frais de poursuite illégaux, attitude qui caractérise une atteinte grave à l'intérêt collectif des consommateurs. Elle considère que la publication de la décision de condamnation participe de la défense de cet intérêt car les consommateurs finissent par payer ce qui leur est demandé face à de tels agissements.

MOTIFS

Les dispositions relatives à la mise hors de cause de la société Effico-Soreco sont définitives.

1°) Sur les demandes de Monsieur B

Monsieur B a résilié le contrat le 7 avril 2007 et la société Neuf Cegetel en a pris acte par un courrier du 18 mai suivant. En conséquence, le contrat étant résilié, Monsieur B ne pouvait en solliciter la résiliation judiciaire sur le fondement de l'article 1184 du Code civil ni le premier juge "constater" celle-ci.

Il fonde sa demande de dommages-intérêts sur l'article 1147 du Code civil en invoquant des fautes de l'opérateur qui aurait tardé à résilier le contrat d'accès à Internet, continué à lui envoyer des factures et saisi la société de recouvrement et l'huissier de justice alors qu'il n'était redevable d'aucune somme.

Il ressort des pièces versées aux débats que :

- le 10 avril 2007, Monsieur B résilie son contrat en spécifiant "pour la connexion à Internet" ; l'opérateur lui répond qu'elle résilie "l'offre téléphonie" ;

- après avoir reçu une facture correspondant à l'accès Internet le 11 août suivant, Monsieur B prend l'attache téléphonique de l'opérateur qui mentionne dans son dossier "retard résiliation non prise en compte" (cf. la copie d'écran retraçant l'historique du dossier) ;

- trois nouvelles factures lui sont adressées les 11 octobre, 11 décembre et 11 février, la somme due s'élevant alors à 55,20 euro, ainsi qu'une lettre de rappel le 27 novembre 2007, et deux mises en demeure de la société Effico Soreco les 1er et 18 février 2008 ;

- le 20 février 2008, Monsieur B adresse en recommandé un courrier de réclamation à Neuf Cegetel et justifie de cinq appels téléphoniques entre le 8 et le 21 février ; le 27 février, ce dernier lui notifie la résiliation de son contrat Internet et la régularisation de sa situation et lui présente ses excuses ;

- le 10 mars 2008, l'huissier de justice lui adresse une lettre de menace de poursuite devant le tribunal et de saisie de ses biens pour un montant de 75,23 euro à laquelle Monsieur B répond en adressant une copie de la lettre de l'opérateur du 27 février ; le 14 avril, la société Effico Soreco lui envoie de son côté une lettre le menaçant de saisir le tribunal ;

- le 25 avril 2008, Neuf Cegetel envoie à Monsieur B une seconde lettre d'excuse et s'engage à ce qu'il ne reçoive plus de lettre de relance du service recouvrement ;

- les 11 juin et 11 août 2008, Neuf Cegetel facture à nouveau à Monsieur B l'abonnement de 13,80 euro et lui envoie une lettre de relance le 21 septembre ; les 11 octobre et 11 décembre 2008, la société SFR, repreneur de Neuf Cegetel, lui adresse de nouvelles factures puis la société Effico Soreco le met en demeure de les payer par des courriers des 10 et 26 décembre 2008, ce dernier étant ainsi rédigé : "Cette affaire a beaucoup trop duré. Vous n'avez jamais essayé de redresser la situation" ;

- le 24 août 2009, Monsieur B a fait constater par maître P, huissier de justice au Mans, que la société Effico Soreco avait déposé deux messages sur la messagerie vocale du mobile de sa compagne les 19 décembre 2008 et 29 mars 2009 lui demandant de la rappeler au sujet du dossier Neuf Cegetel.

Dans un mémoire du 25 mars 2008, Monsieur B indique que l'opérateur de téléphonie, la société de recouvrement et l'huissier de justice "se renvoyaient mutuellement la balle", que les conseillers de l'opérateur ne lui donnaient jamais la même réponse et que la société de recouvrement lui a demandé de l'argent "pour effacer la dette" et lui a "raccroché au nez" à deux reprises.

Il résulte de ces éléments, d'une part, que l'appelante a réclamé des factures indues à Monsieur B pendant deux ans alors qu'il avait notifié la résiliation de son contrat dans des termes dépourvus d'ambiguïté, d'autre part, qu'elle n'a cessé de le harceler de rappels, relances, mises en demeure et menaces de poursuite malgré les nombreuses mises au point de ce dernier. La société SFR est malvenue à lui reprocher de ne pas avoir immédiatement réagi à l'erreur contenue dans son courrier du 18 mai 2007 car il s'agit d'une gestion inconséquente d'une demande de résiliation qui ne pouvait se limiter à l'abonnement de téléphonie gratuit. Elle met en cause la compétence des services de l'opérateur et engage à ce titre sa responsabilité. De même, ce dernier doit répondre du défaut de coordination entre ses services, la société de recouvrement, saisie nonobstant la résiliation, et les huissiers de justice en application des règles du mandat, contrairement à ce que la société SFR prétend. Enfin, elle ne peut se retrancher derrière ses deux lettres d'excuses qui apparaissent dérisoires au regard de la situation vécue par l'intimé.

Ce comportement caractérise une faute engageant la responsabilité contractuelle de l'appelante, faute qui a occasionné à Monsieur B un indéniable préjudice d'ordre matériel et moral. La somme allouée par le premier juge est néanmoins excessive. Il convient de lui accorder une indemnité de 800 euro, toutes causes de préjudices confondues.

2°) Sur les demandes de l'UFC - Que Choisir de la Sarthe

Contrairement à ce que soutient l'appelante, l'intervention de l'UFC - Que Choisir Sarthe, agréée par un arrêté du préfet de ce département du 23 mai 2008, fondée sur les articles L. 421-7 et L. 421-9 du Code de la consommation, est une intervention accessoire au sens de l'article 330 du Code de procédure civile en ce qu'elle vise à défendre un intérêt collectif. L'UFC - Que Choisir Sarthe a été saisie en 2007 de 300 dossiers avec des opérateurs de téléphonie sur un total de 886, ces derniers représentant le plus fort taux des réclamations (33,52 %), la société Neuf Cegetel venant en première position sur les quinze opérateurs concernés. Le présent litige, par sa nature, est susceptible d'intéresser l'ensemble des consommateurs. L'intervention de l'UFC - Que Choisir est donc recevable.

Le but de l'intervention étant d'étendre l'instance à un tiers qui devient partie, le moyen pris de l'incompétence du tribunal d'instance au profit du tribunal de grande instance est inopérant.

Il est admis que l'association puisse réclamer des dommages-intérêts en réparation du préjudice à l'intérêt collectif des consommateurs (Cassation civile 1re 5 octobre 1999). Il s'agit d'un préjudice d'ordre moral mais également d'ordre patrimonial en ce que l'association doit faire face à des dépenses spécifiques pour le suivi et le traitement de ces dossiers. Le premier juge a exactement apprécié la réparation de ce préjudice en allouant à l'intimée une indemnité de 1 000 euro. Cette disposition du jugement sera confirmée.

Il le sera également en ce qu'il a débouté cette dernière de sa demande de publication du jugement en raison de l'ancienneté du litige, les informations communiquées sur les litiges avec les opérateurs de téléphonie concernant uniquement les années 2007 et 2008.

3°) Sur les autres demandes

Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront confirmées.

Il convient d'allouer aux intimés une indemnité de 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.

L'appelante succombant en ses prétentions sera déboutée de sa demande à ce titre et condamnée aux dépens d'appel.

Par ces motifs : Statuant publiquement et contradictoirement : Infirme partiellement le jugement déféré, Statuant à nouveau, Condamne la société SFR à payer à Monsieur Stéphane B la somme de 800 euros à titre de dommages-intérêts, Confirme les autres dispositions du jugement, Y ajoutant, Condamne la société SFR à payer à Monsieur Stéphane B et à l'UFC - Que Choisir Sarthe la somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société SFR aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.