Livv
Décisions

CA Caen, 2e ch. civ. et com., 21 novembre 2013, n° 12-03414

CAEN

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Industrielle des Attelages R.R, Les Mutuelles du Mans Assurances

Défendeur :

Amev Schadeverzekering

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Christien

Conseillers :

Mmes Beuve, Boissel Dombreval

Avocats :

Mes Mialon, Pajeot, Chanut, Roy, Balavoine, SELAFA Loyens & Loeff

T. com. Caen, du 28 janv. 2009

28 janvier 2009

EXPOSÉ DU LITIGE

Afin de satisfaire un marché de fourniture d'attelages conclu dans le courant de l'année 2001 avec le groupe PSA, la Société industrielle des attelages R.R. (la SIARR) a passé commande de pièces auprès de la société néerlandaise ACS Systems, devenue ACS Beheer ( la société ACS).

À la suite de plusieurs incidents de décrochages de remorques ou de caravanes signalés en mai 2002, il est apparu que les fourreaux livrés par la société ACS souffraient d'un défaut de géométrie, si bien qu'en juin 2002 le groupe PSA a lancé une campagne de rappel des véhicules équipés des attelages défectueux en répercutant les frais de changement d'attelage sur la SIARR.

Selon quittance du 31 décembre 2003, la société Les Mutuelles du Mans assurances (les MMA) a versé au titre de ce sinistre une indemnité de 121 108,99 euros à son assurée, la SIARR, laissant à cette dernière la charge de la franchise d'assurance et les frais de réexpédition des nouveaux fourreaux.

Par acte des 23 et 25 août 2004, la SIARR et les MMA firent assigner la société ACS et son assureur, la société néerlandaise AMEV Schadeverzekering (la compagnie AMEV), en garantie des vices cachés devant le Tribunal de grande instance de Dieppe.

Cependant, par arrêt rendu le 12 avril 2016 sur un contredit formé par les sociétés défenderesses, la Cour d'appel de Rouen a dessaisi cette juridiction au profit du Tribunal de commerce de Caen.

Par jugement du 28 janvier 2009, la juridiction de renvoi a :

dit qu'il n'y avait pas eu de transaction,

déclaré l'action en garantie des vices cachés recevable,

débouté les demanderesses en relevant que le vice était apparent et que la compagnie AMEV ne garantissait pas le dommage,

condamné la SIARR au paiement d'une indemnité de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.

La SIARR et les MMA ont relevé appel de cette décision le 7 avril 2009 mais, par arrêt du 23 septembre 2010, la Cour d'appel de Caen a constaté l'interruption de l'instance en raison de la procédure d'insolvabilité ouverte le 21 novembre 2006 aux Pays Bas contre la société ACS.

Le 26 octobre 2012, la SIARR et les MMA ont déclaré ne reprendre la procédure que contre la compagnie AMEV.

Agissant sur le fondement de la garantie des vices cachés, la non-conformité des produits livrés aux spécifications contractuelles et la garantie légale des produits défectueux, elles demandent à la cour de :

Condamner la société AMEV à payer à MMA la somme de 121 108,99 euros avec intérêts à compter du règlement ;

Condamner la société AMEV à payer à la société SIARR la somme de 11 125,23 euros ;

Condamner la société AMEV au paiement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamner la société AMEV aux entiers dépens.

La compagnie AMEV et la société ACS, intervenue volontairement à la procédure de reprise d'instance, concluent quant à elles en ces termes :

In limine litis, réformant la décision dont appel, constater que l'identité du requérant dénommé MMA n'est pas certaine et cause grief ;

En conséquence, prononcer la nullité des assignations délivrées les 23 et 25 août 2004 à l'encontre des sociétés ACS et AMEV ;

Sur le fond, constater que les sociétés MMA et SIARR sont irrecevables en ce qu'elles n'ont pas déclaré leurs créances à la procédure collective d'ACS et qu'elles n'ont pas mis en cause le liquidateur d'ACS ;

Constater que l'irrecevabilité des demandes à l'égard d'ACS emporte l'irrecevabilité des demandes à l'égard d'AMEV ;

En conséquence, prononcer l'irrecevabilité des demandes formulées par MMA et SIARR à l'égard des intimées, et les en débouter ;

Subsidiairement, pour le cas où l'irrecevabilité fondée sur la procédure d'insolvabilité d'ACS ne serait pas retenue, constater qu'ACS et SIARR ont transigé relativement à l'objet du litige ;

En conséquence, réformant la décision dont appel, prononcer l'irrecevabilité des demandes formulées par MMA et SIARR à l'égard d'ACS et les en débouter ;

À titre plus subsidiaire, constater l'absence de garantie due par ACS du fait que l'éventuelle irrégularité dont se prévaut était apparente,

En conséquence, confirmer la décision entreprise ;

Rejeter les demandes formulées par MMA et SIARR comme irrecevables à l'égard d'ACS et d'AMEV, et à tout le moins mal fondées ;

A titre très subsidiaire, constater la tardiveté de l'action diligentée sur le fondement des vices cachés par MMA et SIARR ;

En conséquence, dire et juger leur action irrecevable à l'égard d'ACS et les en débouter ;

À titre encore plus subsidiaire, constater l'absence de subrogation légale au bénéfice de MMA ;

En conséquence, dire et juger son action irrecevable à l'égard d'ACS et l'en débouter ;

À titre infiniment subsidiaire, dire et juger l'action de MMA et SIAAR en tout état de cause mal fondée que ce soit sur le fondement des articles 1641 et suivants du Code civil , 1604 et suivants du Code civil ou encore articles 1386-1 et suivants du Code civil ;

En conséquence, les débouter de l'intégralité de leurs demandes ;

Plus subsidiairement encore, constater l'absence de lien de causalité direct et l'absence de toute justification des dommages invoqués par MMA et SIARR ;

En conséquence, débouter MMA et SIARR de l'intégralité de leurs demandes ;

En tout état de cause, dire et juger que les dommages invoqués par SIARR et son assureur ne sont pas couverts par la police d'assurance souscrite par ACS auprès d'AMEV, les en débouter ;

Condamner conjointement et solidairement MMA et SIARR à payer à ACS la somme de 7 000 euros au titre de l' article 700 du Code de procédure civile ;

Condamner conjointement et solidairement aux dépens de première instance et d'appel.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour la SIARR et les MMA le 23 mai 2013, et pour la compagnie AMEV et la société ACS le 24 juin 2013.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Sur l'exception de nullité des assignations

La compagnie AMEV sollicite l'annulation de l'assignation introductive d'instance en faisant valoir qu'elle n'indique ni la forme sociale, ni le numéro d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés des MMA, de sorte que cette société ne serait pas identifiable.

Il résulte pourtant de la combinaison des articles 56 et 648 du Code de procédure civile que l'assignation délivrée par une personne morale doit comporter la forme sociale de la requérante, sa dénomination, son siège social et l'organe qui la représente légalement, mais nullement le numéro d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés.

D'autre part, il ressort des articles 114 et 115 du Code de procédure civile que la nullité d'un acte de procédure pour vice de forme ne peut être prononcée que si celui-ci a causé grief à la partie adverse et n'a pas été couvert par une régularisation postérieure.

Or, si l'acte introductif d'instance des 23 et 25 août 2004 ne mentionnait pas la forme sociale des MMA, les conclusions postérieures du 19 mai 2005 indiquaient que cette compagnie était une société d'assurance mutuelle, ce qui résultait en outre de ses statuts produits à la procédure et a de surcroît été réaffirmé dans sa déclaration et ses conclusions d'appel.

En outre, l'indication, par suite d'une erreur matérielle, d'un numéro de registre du commerce et des sociétés et d'une forme sociale erronée dans des conclusions postérieures du 19 juin 2007 n'a pu nuire à l'identification des MMA et à la défense des parties adverses, dès lors que cette erreur n'a causé aucune perturbation du cours normal de la procédure.

Il n'y a donc pas lieu à annulation de l'assignation introductive d'instance.

Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de déclaration de créance au passif de la liquidation judiciaire de la société ACS

La société ACS conclut à l'irrecevabilité de l'action exercée à son encontre, faute pour les MMA et la SIARR d'avoir déclaré leur créance et appelé à la cause le liquidateur.

Par arrêt du 23 septembre 2010, la cour a toutefois déjà tiré les conséquences de cette abstention en constatant, pour ces motifs, l'interruption de l'instance qui n'a été reprise par les MMA et la SIARR que contre la compagnie AMEV.

La compagnie AMEV soutient de son côté que la recevabilité de l'action directe exercée contre l'assureur étant calquée sur celle de l'action contre l'assurée, les demandes formées à son encontre seraient irrecevables.

Cependant, la victime d'un dommage trouve, dans le droit propre que lui confère l'article L. 124-3 du Code des assurances sur l'indemnité dont l'assureur est débiteur, la source d'une action directe qui lui permet d'agir contre l'assureur.

Et, si cette action directe n'est fondée que pour autant que l'assuré est responsable du dommage dont la réparation est poursuivie, sa recevabilité n'est pas subordonnée à la présence en la cause de l'assuré.

Dès lors, les MMA et la SIARR sont recevables à ne reprendre l'instance que contre l'assureur de la société ACS, peu important que l'instance soit interrompue à l'égard de cette dernière.

Sur le défaut de qualité à agir des MMA

La compagnie AMEV prétend que les MMA n'auraient pas qualité à agir, aux motifs qu'elles ne démontreraient, ni avoir payé l'indemnité d'assurance, ni l'avoir fait en exécution de son contrat d'assurance.

Pourtant, les MMA produisent une quittance du 31 décembre 2003 par laquelle la SIARR "reconnaît avoir reçu de la Mutuelle du Mans Assurances IARD/MMA IARD SA la somme de 12 108,99 euros".

En dépit de la mention du nom d'une autre société du groupe auquel appartient l'assureur, la cour constate que la compagnie demanderesse à la procédure a, par la production de cette quittance, apporté la preuve suffisante du paiement de l'indemnité.

Par ailleurs, les MMA versent au débat la police d'assurance responsabilité civile souscrite par la SIARR, dont l'objet est de garantir l'assurée contre toutes les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile qui peut lui incomber en raison des dommages corporels, matériels et immatériels causés à un tiers et imputables à l'activité qui a été déclarée, notamment les 'frais de retrait de produits' exposés par l'assurée "à la suite de dommages corporels et/ou matériels causés par des produits défectueux, pour procéder au retrait des produits atteints du même défaut en vue de prévenir la survenance d'autres dommages".

Dès lors, les MMA, qui ont payé l'indemnité d'assurance en exécution de la police, se trouvent bien subrogés, jusqu'à concurrence du montant de l'indemnité versée, dans les droits et actions de leur assurée en application de l'article L. 121-12 du Code des assurances.

Sur la fin de non-recevoir tirée de la transaction

La compagnie AMEV soutient encore que la SIARR et les MMA seraient privées du droit d'agir en raison d'une transaction qui aurait été négociée entre les parties dès juin 2002 et entérinée par un échange de courriels des 15 et 31 janvier 2003.

Cependant, pour qu'une transaction ait autorité de la chose jugée en application de l'article 2052 du Code civil et entraîne ainsi l'irrecevabilité de toute action judiciaire, il est nécessaire que les parties se soient engagées par écrit à régler leur différend par des concessions réciproques.

Or, les pièces produites ne révèlent nullement l'existence d'un tel accord, l'échange de courriels des 15 et 31 janvier 2003 ne portant que sur une remise commerciale consentie par la société ACS sur des fournitures de pièces de rechange, dont l'acceptation par la SIARR ne vaut nullement transaction sur le différend survenu entre les parties et abandon de toute réclamation financière concernant notamment les frais de rappel de véhicules dans plusieurs pays européens.

Sur le vice caché et le défaut de conformité

Après avoir exclusivement fondé leur action sur la garantie des vices cachés, la SIARR et les MMA invoquent en outre en cause d'appel le défaut de conformité des produits livrés par la société ACS aux spécifications contractuelles relatives au dimensionnement des pièces fournies.

Il convient cependant de rappeler que ces deux actions ne peuvent se cumuler, le défaut de conformité de la chose vendue à sa destination normale ne ressortissant qu'à la garantie des vices cachés qui constitue donc alors l'unique fondement possible de l'action exercée contre le fournisseur.

Or, en l'occurrence, il ressort des rapports d'expertise de M. Tichit, commis par les MMA et produits par les appelantes au soutien de leurs demandes, que, pour faire face à une augmentation des volumes de commandes, la société ACS est passée au cours de l'année 2002 d'un procédé de fabrication mécano-soudé à la fourniture de pièces forgées et que, si ces dernières ont d'abord été exemptes de vice, la montée des cadences en usine a fait apparaître des irrégularités dans la géométrie des pièces de l'attelage qui peuvent provoquer, dans certaines conditions, un décrochage de la remorque.

Ce défaut n'est donc pas une non-conformité aux dimensions contractuellement spécifiées, mais un vice rendant le produit livré impropre à sa destination et relevant du régime de l'article 1641 du Code civil.

À cet égard, il résulte de l'article 1648 du même Code, dans sa rédaction antérieure au 17 février 2005 applicable à la cause, que l'action résultant des vices cachés doit être intentée à bref délai à compter de la découverte du vice par l'acquéreur.

En l'occurrence, il ressort de l'analyse des pièces produites que, dès le signalement, en mai 2002, de quelques cas de décrochages de remorque ou de caravane, le groupe PSA s'est rapproché de la SIARR et de la société ACS afin de rechercher la cause précise des incidents.

Il résulte ainsi d'un compte-rendu de la réunion organisée le 3 juin 2002 par le groupe PSA avec la participation de la SIARR et de la société ACS que, dès cette époque, la cause des décrochages de remorque était imputée à une évolution du procédé industriel mis en œuvre par la société ACS ayant provoqué une dérive de la géométrie des pièces.

Étant par ailleurs observé que le groupe PSA a mis en œuvre sa campagne de rappel des véhicules équipés des attelages défectueux au mois de juin 2002, il est établi que la SIARR avait connaissance de l'existence du vice dès cette époque, les appelantes prétendant à tort que le vice ne leur serait apparu qu'à réception du rapport d'intervention de l'expert des MMA du 19 décembre 2003.

L'assignations des 23 et 25 août 2004 n'ayant été délivrée que plus de deux plus tard, il s'en déduit que l'action n'a pas été exercée dans le bref délai de l'article 1648 du Code civil applicable à la cause.

L'action en garantie des vices cachés est donc irrecevable.

Sur la responsabilité du fait des produits défectueux

Les appelantes invoquent enfin, au soutien de leurs prétentions, les dispositions des articles 1386-1 et suivants du Code civil relatifs à la responsabilité du producteur du fait des produits défectueux.

Cependant, pour engager la responsabilité du fabricant sur ce fondement, la défectuosité du produit doit consister en un défaut de sécurité ayant causé un dommage à une personne ou à un bien autre que le produit défectueux lui-même.

Tel n'est pas le cas en l'espèce, le défaut de géométrie des attelages n'ayant causé aucun dommage aux biens ou aux personnes, le préjudice dont la réparation est réclamée résultant des frais de rappel et d'échange de pièces sur les véhicules équipés des attelages défectueux.

Sur les frais irrépétibles

Il serait enfin inéquitable de laisser à la charge de la compagnie AMEV l'intégralité des frais exposés par elle à l'occasion de l'instance d'appel et non compris dans les dépens, en sorte qu'il lui sera alloué une somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement attaqué en ce qu'il a déclaré l'action en garantie des vices cachés recevable ; Vu l'arrêt interrompant l'instance à l'égard de la société ACS Beheer, Statuant à nouveau sur le tout à l'égard de la société AMEV Schadeverzekering, Dit n'y avoir lieu à annulation de l'assignation ; Rejette les fins de non-recevoir tirées du défaut de déclaration de créance au passif de la liquidation judiciaire de la société ACS, de l'autorité de chose jugée attachée à la transaction et du défaut de qualité pour agir de la société Les Mutuelles du Mans assurances, Déclare l'action en garantie des vices cachés prescrite ; Déboute la Société industrielle des attelages R.R. et la société Les Mutuelles du Mans assurances de leurs actions fondées sur la non-conformité des produits livrés aux spécifications contractuelles et sur la garantie légale des produits défectueux ; Condamne in solidum la Société industrielle des attelages R.R. et la société Les Mutuelles du Mans assurances à payer à la société AMEV Schadeverzekering une somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne in solidum la Société industrielle des attelages R.R. et la société Les Mutuelles du Mans assurances aux dépens d'appel ; Accorde à société civile professionnelle Grammagnac, Ygouf, Balavoine et Levasseur le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.