Livv
Décisions

Cass. crim., 22 janvier 2014, n° 13-80.576

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Louvel

Rapporteur :

Mme de la Lance

Avocat général :

M. Sassoust

Avocats :

SCP Waquet, Farge, Hazan

Cass. crim. n° 13-80.576

22 janvier 2014

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par la société X, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles, 9e chambre, en date du 18 octobre 2012, qui, pour infractions à la réglementation sur la liberté des prix et de la concurrence, l'a condamnée à 15 000 euros d'amende ; - Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 9 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789, 111-4 du Code pénal, L. 441-2-1 du Code de commerce, 1er du décret n° 2005-524 du 20 mai 2005, préliminaire et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré la société X coupable d'obtention de remise, rabais, ristourne ou rémunération de service de coopération commerciale par distributeur ou prestataire de service sans contrat conforme avec le fournisseur en matière de produits agricoles ;

"aux motifs propres qu'aux termes de l'article L. 441-2-1 du Code de commerce dans sa version en vigueur à l'époque de la prévention : "pour les produits agricoles périssables un distributeur ne peut bénéficier de remises, rabais et ristournes, que si ceux-ci sont prévus dans un contrat écrit portant sur la vente de ces produits par le fournisseur. Ce contrat comprend notamment des clauses relatives aux engagements sur les volumes, aux modalités de détermination du prix en fonction des volumes et des qualités des produits et des services concernés et à la fixation d'un prix. Il indique les avantages tarifaires consentis par le fournisseur au distributeur au regard des engagements de ce dernier" ; que l'article R. 441-2 du même Code précise que les produits agricoles auxquels s'appliquent les dispositions de l'article L. 441-2-1 sont les fruits et légumes destinés à être vendus à l'état frais au consommateur ; que la prévenue soutient en premier lieu que ce texte ne s'applique pas à l'espèce, dans la mesure où il ne se serait pas agi de fruits et légumes destinés à être vendus à l'état frais au consommateur ; qu'en effet la société X achetait des fruits et légumes pour les revendre : en premier lieu, à des entreprises de restauration collective, soit à la restauration collective autogérée, soit à des brasseries et restaurants indépendants et des chaînes de restauration, qui eux-mêmes les revendaient à l'état brut ou les transformaient, les préparaient, les cuisinaient en les intégrant dans une prestation globale de restauration à destination de leurs propres clients, en second lieu à des grandes et moyennes surfaces comme fruits et légumes frais et comme fruits et légumes crus prêts à l'emploi, après avoir été lavés, découpés, emballés et éventuellement conservés sous atmosphère modifiée ; qu'ainsi, il est constant qu'une partie des produits ainsi acquis, qui ne peut être identifiée par le producteur notamment à la lecture de son contrat, est destinée à être vendue à l'état frais au consommateur final ; que la société X qui n'est pas en mesure au moment où elle passe commande de savoir si la marchandise achetée finira comme produit frais ou comme produit transformé, reproche à la Direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de ne pas faire une enquête pour identifier dans les circuits de livraison et de revente l'usage final des fruits et légumes en cause ; qu'au-delà du caractère bien irréaliste d'une telle exigence à l'égard du service de contrôle, il est certain qu'une partie des fruits et légumes achetée, impossible à identifier au moment de la commande au fournisseur, sera servie au consommateur final comme frais à l'achat ou dans le cadre d'un repas ou d'un service de restauration ; que, faute par l'acquéreur de s'être donné les moyens d'appliquer la réglementation uniquement à ceux qui seront vendus frais au consommateur final, le distributeur se doit de l'appliquer indistinctement à l'ensemble des fruits et légumes en cause ; (...) que les contrats dits de référencement régissent les ventes futures de "produits fruits et légumes frais, secs et transformés" auxquels s'engage le distributeur cocontractant envers des établissements secondaires et des filiales de la société X représentés audit contrat par leur mandataire, à savoir la direction des achats fruits et légumes de ladite société ; que ces contrats de référencement stipulent une "remise inconditionnelle égale à 4 % du prix d'achat convenu hors taxe" ; qu'il est établi comme cela ressort des explications qui précèdent que ces ventes sont pour partie destinées à la vente comme fruits et légumes frais au consommateur ; que, par ce contrat, le fournisseur se trouve dans l'obligation de satisfaire aux commandes du distributeur et de respecter ce rabais, sans bénéficier de la garantie prévue en contrepartie par le texte litigieux à savoir une clause relative aux engagements sur les volumes ; que pour échapper à l'obligation de prévoir celle-ci, il suffisait de ne pas intégrer dans le contrat de référencement la remise de 4 % ; qu'en intégrant d'emblée, dès le contrat de référencement, une telle remise en sa faveur, la société X prive les fournisseurs de la faculté de négocier ce pourcentage au stade de la commande en fonction de l'engagement de volume ; que le contrat de référencement s'analyse donc comme un contrat écrit portant sur la vente de fruits et légumes pour partie servis achetés frais par le consommateur, prévoyant des remises et soumis dans la lettre du texte comme dans son esprit à l'article L. 421-2- 1 du Code de commerce ; (...) que la société X connaît nécessairement la loi en sa qualité de professionnel, d'autant plus qu'il s'agit d'un groupe important bénéficiant des moyens nécessaires pour la suivre et la respecter sans faille ; que, d'ailleurs, cette conscience de l'obligation qui pèse sur elle est traduite par les mentions reprenant les termes de la loi pour mieux en écarter l'application, puisqu'elle introduit dans ses contrats de vente la formule : "Dans le métier des fruits et légumes, le volume est par définition variable, notamment en fonction des aléas climatiques, de la situation du marché, de la qualité des produits et de leurs adéquations aux besoins. En conséquence il n'est pas défini d'engagement de volume" ; que les contrats visés dans la prévention sont bien des contrats relatifs à la vente de fruits et légumes destinés à être vendus à l'état frais au consommateur, stipulant une remise en faveur du distributeur, sans prévoir d'engagement de volume ; que la prévenue a donc été retenue à juste titre dans les liens de la prévention par les premiers juges ;

"et aux motifs adoptés que l'ensemble des contrats visés dans les préventions, lesquelles ont pour base le nombre des contrats examinés et considérés comme contrevenants aux exigences légales par les agents de la Direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, prévoient effectivement et dans leur ensemble l'existence de remises inconditionnelles pour le distributeur, ce qui n'est aucunement contesté par la société X ; qu'il est également constant que ces contrats ne prévoient nullement un engagement de la société X quant au volume d'achat ; (...) que la société X soutient toutefois, et en premier lieu, qu'il n'est pas établi que les fruits et légumes négociés dans le cadre des contrats de l'espèce étaient destinés à être vendus à l'état frais au consommateur ; qu'elle fait ainsi valoir que les fruits et légumes qu'elle achète ne sont pas destinés à être vendus à des consommateurs mais à des entreprises de restauration collective, à des brasseries et des restaurants et à des chaînes de restauration, ces produits étant alors revendus soit à l'état brut soit transformés et ce à destination des clientèles d'entreprises ou à des particuliers ; qu'elle précise qu'un autre circuit de diffusion est celui de la vente à la grande et moyenne surface soit comme fruits et légumes frais, soit comme fruits et légumes de la 4e catégorie (produits crus prêts à l'emploi) et de la 5e catégorie (produits cuits prêts à l'emploi) ; que le décret du 20 mai 2005 fixant la liste des produits agricoles mentionnés à l'article L. 441-2-1 du Code de commerce prévoit effectivement que ces produits agricoles sont les fruits et légumes, à l'exception des pommes de terre de conservation, destinés à être vendus à l'état frais au consommateur ; que, cependant, le choix d'un circuit de distribution appartient exclusivement au grossiste qu'est la société X sans que la détermination d'un tel circuit n'apparaisse comme condition des relations avec le fournisseur ; que les modalités de la revente ne peuvent, dès lors, intervenir au moment du contrat avec le fournisseur et qu'il n'apparaît pas qu'elles doivent nécessairement être connues à ce stade ; que les circuits de distribution de la société X incluent la revente à l'état frais au consommateur, notamment par le biais de la GMS ; que, dans ces conditions, il ne peut qu'être retenu que les contrats conclus avec ses fournisseurs doivent effectivement être soumis aux exigences de l'article L. 441-2-1 du Code de commerce ;

"1) alors que l'article L. 441-2-1 du Code de commerce, dans sa rédaction alors applicable, complété par l'article 1er du décret n° 2005-524 du 20 mai 2005, n'incrimine pénalement les remises ou ristournes en l'absence d'engagement sur les volumes dans les contrats de vente entre un distributeur et un fournisseur portant sur des fruits et légumes que si ceux-ci sont destinés à être vendus à l'état frais au consommateur ; que la société X exerçant une activité de grossiste exclusivement auprès de clients professionnels et aucune activité de vente au consommateur, les contrats conclus par elle avec ses fournisseurs ne pouvaient tomber sous le coup des dispositions légales ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les textes précités par fausse application, ensemble l'article 111-4 du Code pénal par refus d'application ;

"2) alors que l'article L. 441-2-1 du Code de commerce, dans sa rédaction alors applicable, complété par l'article 1er du décret n° 2005-524 du 20 mai 2005, n'incrimine pénalement les remises ou ristournes en l'absence d'engagement sur les volumes dans les contrats de vente entre un distributeur et un fournisseur portant sur des fruits et légumes que si ceux-ci sont destinés à être vendus à l'état frais au consommateur ; que le contrat conclu entre un grossiste et un producteur portant sur la vente de fruits et légumes destinés au circuit de la restauration hors domicile et éventuellement susceptibles d'être servis au consommateur final comme frais, non pas à l'achat, mais dans le cadre d'un repas ou d'un service de restauration, n'entre pas dans les prévisions légales ; que la cour d'appel a violé les textes précités par fausse application, ensemble l'article 111-4 du Code pénal par refus d'application ;

"3) alors qu'ayant elle-même constaté que la société X n'est pas en mesure au moment où elle passe commande de savoir si la marchandise achetée finira comme produit frais ou comme produit transformé et admis, s'agissant d'une exigence qualifiée d'"irréaliste" que la Direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes n'avait pas fait d'enquête pour identifier l'usage final des fruits et légumes dans les contrats objet des poursuites, en se fondant dès lors sur le seul fait que, en tant que grossiste, la société X dispose aussi de circuits de distribution destinés à des grandes et moyennes surfaces qui incluent la revente à l'état frais au consommateur ainsi que de circuits dans la restauration qui peuvent inclure la revente à l'état brut par des restaurateurs, pour en déduire qu'il est certain qu'une partie des fruits et légumes achetée est destinée à la vente comme fruits et légumes frais au consommateur puis que les contrats visés à la prévention sont bien des contrats relatifs à la vente de fruits et légumes destinés à être vendus à l'état frais au consommateur, l'arrêt attaqué, qui a présumé de la destination finale des produits dans les contrats particuliers et spécifiquement visés à la prévention à partir de l'activité générale de la société X et de sa possible clientèle, a violé la présomption d'innocence ;

"4) alors que la destination finale des fruits et légumes acquis auprès des fournisseurs signataires des contrats, objet de la prévention, n'ayant à aucun moment été concrètement vérifiée, le doute aurait dû bénéficier à la société X ; que la cour d'appel a derechef violé la présomption d'innocence ;

"5) alors que la contradiction de motifs équivaut à leur absence ; qu'ayant constaté que la société X n'est pas en mesure au moment où elle passe commande de savoir si la marchandise achetée finira comme produit frais ou comme produit transformé, que l'identification, dans les circuits de livraison et de revente, de l'usage final des produits frais serait irréaliste et que la part de fruits et légumes qui sera servie à l'état frais est impossible à identifier au moment de la commande, la cour d'appel ne pouvait, sans se contredire, faire grief à la société X de ne pas s'être donné les moyens d'appliquer la réglementation à ceux des fruits et légumes qu'elle acquiert qui seront vendus frais au consommateur final et de priver volontairement les producteurs de la faculté de négocier un engagement de volume" ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la société X, spécialisée dans le secteur agro-alimentaire, exerce une activité de grossiste auprès de clients professionnels de la restauration hors domicile, de commerces spécialisés ou de grandes et moyennes surfaces ; que, selon des procès-verbaux dressés les 5 décembre 2007 et 30 juin 2008, la Direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a constaté qu'avaient été conclus avec des fournisseurs de fruits et légumes des contrats octroyant à cette société une remise de 3 à 5 % sans engagement sur un volume d'achat ;

Attendu que, pour confirmer le jugement et condamner la société X pour avoir, en méconnaissance de l'article L. 441-2-1 du Code de commerce, conclu 130 contrats avec remise portant sur des fruits et légumes, sans engagement sur un volume d'achat et sans identification de celles de ces marchandises qui n'entraient pas dans les prévisions de ce texte pour ne pas avoir été vendues au consommateur à l'état frais, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;

Attendu qu'en statuant ainsi, et dès lors qu'il appartenait à l'acquéreur distributeur bénéficiant d'avantages tarifaires de justifier de la destination des produits invoquée pour échapper à l'application des dispositions en vigueur, la cour d'appel a justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

Rejette le pourvoi.