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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 2, 19 novembre 2013, n° 12-06974

DOUAI

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Coopérative d'Utilisation de Matériel Agricole en Commun de Lentigny

Défendeur :

Legrand (SA), Etablissements Foyatier Frères (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mmes Valay-Brière, Barbot

Avocats :

Mes Congos, Leduc, Daniel, Levasseur

T. com Boulogne-sur-mer, du 6 juin 2012

6 juin 2012

Le 10 mai 2006, la coopérative d'utilisation de matériel agricole en commun de Lentigny (la Cuma) a acquis auprès de la SARL Etablissements Foyatier Frères (la société Foyatier) un plateau fourrager fabriqué par la société Legrand, moyennant le prix de 6 107 euros.

La Cuma alléguant des dysfonctionnements rendant le plateau inutilisable, deux expertises amiables ont été réalisées entre les parties, les 8 septembre 2008 et 5 décembre 2008 ; ces expertises ont révélé que la remorque était affectée de défauts.

Par acte du 22 décembre 2009, la Cuma a fait assigner la société Legrand et la société Foyatier en résolution de la vente et en remboursement du prix.

Suivant jugement du 6 juin 2012, le Tribunal de commerce de Boulogne-sur-mer a débouté la Cuma de sa demande, considérant que son action était prescrite, et il l'a condamnée à payer aux sociétés Legrand et Foyatier une indemnité procédurale de 1 000 euros chacune.

La Cuma a interjeté appel dudit jugement le 12 novembre 2012 à l'encontre des sociétés Legrand et Foyatier.

PRETENTIONS DES PARTIES :

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 16 septembre 2013, la Cuma demande à la cour de :

dire son appel recevable et fondé,

y faisant droit, prononcer la résolution de la vente,

en tout état de cause, constatant la reconnaissance par le fabricant de vices affectant le matériel livré, condamner la société Foyatier au paiement des sommes suivantes :

6 107,97 euros,

3 000 euros de dommages et intérêts,

2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

très subsidiairement : ordonner avant dire droit une expertise technique.

Elle fait valoir que l'expertise amiable de 2008 a révélé l'existence de dommages dont l'ampleur excluait la réparation et rendait la remorque impropre à son utilisation et dangereuse pour un usage sur la voie publique ; qu'en vertu de l'article 1184 du Code civil, elle est en droit de demander la résolution de la vente pour manquement de la société Foyatier à son obligation de délivrance, en raison du défaut de conformité du matériel vendu à l'usage auquel il était destiné ; qu'en tout état de cause, le fabricant, la société Legrand, et le vendeur, la société Foyatier, n'ont jamais contesté les défauts de la chose vendue, et la société venderesse n'a jamais pu obtenir la délivrance d'un certificat des mines en raison du défaut de conformité du matériel vendu ; qu'à défaut de ce certificat, le matériel ne peut être utilisé sur la route et n'a aucune utilité.

La Cuma demande donc le montant du prix d'acquisition du matériel, ainsi qu'une somme de 3 000 euros correspondant au préjudice lié à l'impossibilité de disposer de la remorque et au temps passé à tenter d'obtenir sa réparation.

Subsidiairement, elle indique que le fabricant et le vendeur ayant reconnu les vices affectant le matériel, la prescription ne peut lui être opposée.

Aux termes de ses conclusions signifiées le 17 avril 2013, la société Legrand demande à la cour de :

confirmer le jugement entrepris,

y ajoutant, condamner la Cuma à lui payer une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi que les dépens de première instance et d'appel.

Elle fait valoir que la Cuma a engagé une action sur le fondement des articles 1184 et suivants du Code civil, alors qu'elle invoque l'existence de vices cachés ; qu'ainsi, l'action engagée n'est pas une action en non-conformité, laquelle n'est en tout état de cause pas étayée, mais une action en garantie des vices cachés fondée sur les articles 1641 et suivants du Code civil ; que cette action devait donc être engagée dans les deux années à compter de la découverte du vice, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

Selon ses écritures signifiées le 12 avril 2013, la société Foyatier demande à voir :

vu l'article 906 du Code de procédure civile, écarter des débats les pièces 1 à 3 visées aux conclusions de l'appelante, faute de communication,

vu les conditions générales de vente, les articles 1641 et 1648 du Code civil,

dire que l'action engagée par la Cuma est prescrite,

en conséquence, débouter la Cuma de son appel,

confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

débouter la Cuma de toutes ses demandes plus amples ou contraires,

condamner la Cuma au paiement d'une indemnité de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens, en ce compris la taxe d'appel de 150 euros.

Elle fait d'abord valoir que la Cuma ne lui ayant pas communiqué les pièces visées à son bordereau, en violation de l'article 906 du Code de procédure civile, ces pièces doivent être écartées des débats.

Ensuite, sur le fond, elle fait valoir que le matériel vendu, d'occasion, ne bénéficiait pas de la garantie contractuelle, de sorte que seule la garantie légale est applicable en l'espèce ; que selon les pièces produites, la chose vendue était atteinte de malfaçons relevant de la garantie de l'article 1641 du Code civil ; qu'ainsi, l'action de l'acquéreur devait être intentée dans les deux ans de la découverte du vice en application de l'article 1648, soit en l'espèce dans les deux années suivant le 22 mars 2007 ; que ce délai de deux ans n'a jamais été interrompu par un acte ; que le jugement entrepris doit donc être confirmé.

SUR CE,

Attendu que de nouveau en cause d'appel, la Cuma soutient que son action ne peut s'analyser en une action résolutoire pour vices cachés, mais comme une demande de résolution de la vente pour non-respect par le vendeur de son obligation de délivrance ;

Qu'outre la circonstance que la Cuma n'articule aucun moyen de droit qui lui permettrait d'obtenir la condamnation de la société Legrand qui n'est pas son vendeur mais fabricant du plateau, en toute hypothèse, il convient de rappeler la distinction qui existe entre résolution pour manquement à l'obligation de délivrance du vendeur, et action résolutoire pour vices cachés ; Qu'en effet, le vendeur n'exécute son obligation de délivrance qu'en livrant à l'acheteur une chose conforme, dans sa nature, à la chose convenue, et si la chose délivrée est d'une autre qualité ou ne possède pas les qualités convenues, l'inexécution de cette obligation de délivrance peut être sanctionnée sur le fondement de l'article 1184 du Code civil ;

Qu'en revanche, si la demande de résolution repose sur un vice de conception ou de fabrication de la chose vendue, l'acheteur est tenu d'exercer l'action rédhibitoire en garantie des vices cachés prévue par l'article 1641 du Code civil ;

Attendu qu'en l'occurrence, le contrat de vente passé entre la Cuma et la société Foyatier prévoyait la livraison d'un plateau fourrager PL 90-9T de marque Legrand, type PL 90, ref. PL 90, roues 15 X 22,5 OCC (cf facture du 10/5/2006, pièce n° 1 de la société Foyatier) ;

Qu'il est établi qu'un plateau répondant à l'ensemble de ces caractéristiques techniques a été livré à la Cuma le 11 mai 2006, sans que cette dernière n'émette les moindres réserves lors de cette livraison (cf pièce n° 3 de la société Foyatier) ;

Que ce n'est que près d'un an plus tard, le 22 mars 2007, que la Cuma a déploré l'apparition de dysfonctionnements rendant, selon elle, le plateau impropre à l'usage auquel il est destiné ;

Que si elle soutient que la société Foyatier n'a jamais été en mesure de lui délivrer le certificat des mines homologuant cette remorque, cependant, la Cuma ne le démontre pas au moyen des trois pièces qu'elle a communiquées à la société Legrand, et encore moins à l'encontre de la société Foyatier, non destinataire de ces pièces ;

Qu'il résulte donc de ce qui précède que c'est à tort que la Cuma prétend que la société Foyatier aurait manqué à son obligation de délivrance et demande la résolution du contrat sur la base de l'article 1184 du Code civil, et, à l'inverse, que les premiers juges ont estimé à bon droit que l'action devait être intentée sur le fondement des vices cachés ;

Attendu qu'en vertu de l'article 1648 du Code civil, l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice ;

Que pour échapper à la prescription prévue par ce texte, la Cuma se borne à soutenir, sans plus développer son argumentation sur ce point, que la reconnaissance, par le fabricant et le vendeur, des vices affectant le matériel livré interdirait à la société Foyatier et à la société Legrand d'invoquer la prescription ;

Qu'il appartenait à la Cuma d'expliciter son raisonnement juridique sur ce point ; qu'à supposer que, ce faisant, elle ait implicitement entendu se prévaloir d'une interversion de la prescription au sens de l'article 2231 du Code civil, toutefois, il est douteux qu'une telle solution soit admissible depuis que le délai de l'action en garantie est déterminé dans sa durée (depuis la modification de l'article 1648 par l'ordonnance du 17 février 2005) ;

Qu'en tout état de cause, la Cuma ne démontre pas que le vendeur du plateau, la société Foyatier, et son fabricant, la société Legrand, auraient expressément reconnu l'existence de vices cachés dans le délai prévu par l'article 1648 ;

Que dès lors, il convient de faire application du délai de deux ans fixé par ce texte ;

Attendu que la date de la découverte du vice par la Cuma remonte au 22 mars 2007, date de sa première réclamation ; que toutefois, elle n'a délivré ses assignations à l'encontre des sociétés Foyatier et Legrand qu'en décembre 2009, de sorte qu'il est incontestable que son action est prescrite ; qu'il s'ensuit que la Cuma est irrecevable à agir, la prescription constituant une fin de non-recevoir justifiant le rejet d'une demande sans examen au fond, en vertu de l'article 122 du Code de procédure civile ;

Que dès lors, il convient de rectifier le dispositif du jugement en ce qu'il a débouté la Cuma de ses demandes - ce qui sous-entend, à tort, que sa demande aurait été examinée sur le fond - et de dire que ses demandes sont irrecevables ;

Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile :

Attendu que, succombant de nouveau devant la cour, la Cuma sera condamnée aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer aux société Foyatier et Legrand une indemnité procédurale complémentaire de 1 000 euros chacune ; qu'elle sera à l'inverse déboutée de sa propre demande à ce titre ;

Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement entrepris, sauf à dire que la Coopérative d'utilisation de matériel agricole en commun de Lentigny n'est pas "déboutée " de l'intégralité de ses demandes mais que ses demandes sont irrecevables pour cause de prescription ; Condamne la Coopérative d'utilisation de matériel agricole en commun de Lentigny à payer à la SARL Etablissements Foyatier Frères et à la SA Legrand une indemnité complémentaire de 1 000 euros chacune sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, au titre de la procédure d'appel ; - Condamne la Coopérative d'utilisation de matériel agricole en commun de Lentigny aux dépens d'appel en ce compris la taxe d'appel de 150 euros supportée par chacun des intimés, et Autorise Maître Virginie Levasseur à recouvrer directement ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.