CA Rennes, 5e ch., 3 avril 2013, n° 12-02323
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Filaction (SAS)
Défendeur :
Fédération du Logement de la Consommation et de l'Environnement d'Ille-et-Vilaine
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Laurent
Conseillers :
Mmes Le Francois, d'Ardailhon Miramon
Avocats :
SCP Chatteleyn & George, Selarl Sevestre-Sizaret, Me Sirot
EXPOSE DU LITIGE
Le 17 mars 2010, Madame Holly Wilkinson a reçu de la société de recouvrement de créances Filaction deux mises en demeure de payer.
Par jugement du 20 février 2012, le Tribunal d'instance de Rennes :
- a déclaré l'action en cessation d'agissements illicites introduite par la Fédération du logement, de la consommation et de l'environnement d'Ille-et-Vilaine recevable et bien fondée, au visa de l'article L. 421-2 du Code de la consommation,
- a déclaré illicites les deux documents adressés par la SAS Filaction à Madame Holly Wilkinson le 17 février 2010 en ce qu'ils ne respectent pas l'article 4 du décret n° 96-1112 du 18 décembre 1996 applicable aux sociétés de recouvrement de créances,
- a ordonné la cessation immédiate de l'utilisation des lettres de mise en demeure du même type que celles mises en cause, en Ille et Vilaine, par la société Filaction, dans un délai d'un mois à compter de la signification de la décision et passé ce délai, sous peine d'astreinte de 300 euro par manquement constaté,
- a condamné la société Filaction à faire publier à ses frais, l'extrait suivant, en caractères gras de corps 16 dans le journal Ouest France, toutes éditions d'Ille-et-Vilaine, un samedi, en pages départementales :
"PUBLICATION JUDICIAIRE
Par jugement en date du 20 février 2012, le Tribunal d'instance de Rennes a déclaré illicites les courriers types de mise en demeure utilisés par la société de recouvrement amiable Filaction au motif :
- qu'ils omettent la mention obligatoire de l'activité amiable de recouvrement des créances exercée par la société Filaction,
- qu'ils font état de frais d'actes réclamés à la débitrice alors que ces derniers sont à la charge du créancier et doivent donc être comme tels, exclus du montant de la somme réclamée,
- qu'ils reproduisent les troisième et quatrième alinéas de l'article 30 de la loi du 9 juillet 1991 à un emplacement et en une typographie tels que cette mention doit être considérée comme inexistante"
- a dit que la publication devrait intervenir dans le mois suivant la date à laquelle le jugement sera exécutoire, et passé ce délai, sous astreinte de 500 euro, par jour de retard,
- s'est réservé la liquidation des astreintes,
- a condamné la société Filaction à verser à la Fédération du logement, de la consommation et de l'environnement d'Ille-et-Vilaine une somme de 2 000 euro à titre de dommages et intérêts ainsi que celle de 3 000 euro, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- a ordonné l'exécution provisoire du jugement sauf en ce qui concerne la mesure de publication,
- a débouté la Fédération du logement, de la consommation et de l'environnement d'Ille-et-Vilaine du surplus de ses demandes.
La SAS Filaction a fait appel de cette décision.
Elle conclut principalement à l'infirmation totale du jugement déféré et demande à la cour de :
- déclarer irrecevable l'action de la Fédération du logement, de la consommation et de l'environnement d'Ille-et-Vilaine,
- la débouter de son action tant sur le fondement de l'article L. 421-2 que de l'article L. 421-6 du Code de la consommation.
Subsidiairement, elle demande à la cour de :
- dire l'action sans objet depuis le 20 juillet 2010,
- plus subsidiairement, réduire le montant des dommages et intérêts à 1 euro symbolique,
- dire n'y avoir lieu à astreinte ou en fixer, à tout le moins, le point de départ à l'échéance du délai d'un mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,
- dire n'y avoir lieu à publication, tenue en tant que de besoin, pour une mesure excessive,
- condamner la Fédération du logement, de la consommation et de l'environnement d'Ille-et-Vilaine à lui payer une somme de 5 000 euro, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
La Fédération du logement, de la consommation et de l'environnement d'Ille-et-Vilaine conclut à la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf celle relative à la réparation du préjudice collectif des consommateurs qu'elle souhaite voir porter à la somme de 5 000 euro. Elle réclame également l'octroi d'une somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, en cause d'appel.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour renvoie aux dernières écritures notifiées le 17 janvier 2013 pour l'appelante et le 13 juillet 2012 pour l'intimée.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la recevabilité de l'action :
La Fédération du logement, de la consommation et de l'environnement d'Ille-et-Vilaine est une association de consommateurs agréée et a, à ce titre, le droit d'exercer les droits reconnus à la partie civile relativement à un fait portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs tel que prévu par l'article L. 421-1 du Code de la consommation.
L'article L. 421-2 du même Code dispose que "les associations de consommateurs mentionnées à l'article L. 421-1 et agissant dans les conditions précisées à cet article peuvent demander à la juridiction civile, statuant sur l'action civile, ou à la juridiction répressive, statuant sur l'action civile, d'ordonner au défenseur ou au prévenu, le cas échéant sous astreinte, toute mesure destinée à faire cesser les agissements illicites ou supprimer dans le contrat ou le type de contrat proposé au consommateur, une clause illicite".
La SAS Filaction soutient à tort que l'action prévue par cet article suppose l'exercice d'une action civile par la partie civile et donc l'existence d'une procédure pénale.
En effet, l'agissement illicite au sens de l'article L. 421-2 du Code de la consommation n'est pas nécessairement constitutif d'une infraction pénale et le choix que cet article propose est celui d'une action civile devant la juridiction pénale ou celui d'une action de nature civile devant la juridiction civile, indépendamment de toute action pénale antérieure.
Le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a déclaré l'action recevable.
Sur le bien-fondé de l'action :
L'association de consommateurs d'Ille-et-Vilaine se plaint d'un agissement illicite de la SAS Filaction au motif que cette dernière a adressé à Madame Wilkinson deux lettres de mise en demeure qui ne respectent pas les dispositions de l'article 4 du décret n° 96 du 18 décembre 1996 applicable aux sociétés de recouvrement de créances.
Cet article prévoit que :
"La personne chargée du recouvrement amiable adresse au débiteur un lettre qui contient les mentions suivantes :
1° Les nom ou dénomination sociale de la personne chargée du recouvrement amiable (...) et l'indication qu'elle exerce une activité de recouvrement aimable ;
2° (...)
3° Le fondement et le montant de la somme due en principal, intérêts et autres accessoires, en distinguant les différents éléments de la dette et à l'exclusion des frais qui restent à la charge du créancier en application du troisième alinéa de l'article 32 de la loi du 9 juillet 1991 ;
4° (...)
5° La reproduction des troisième et quatrième alinéas de l'article 32 de la loi du 9 juillet 1991 précitée"
Toute omission de l'une de ces mentions est, en vertu des dispositions de l'article 7 du même décret, passible d'une contravention de 5e classe, ce qui justifie du caractère illicite de leur non-respect.
Il ressort de la lecture des deux mises en demeure adressées le même jour à Madame Wilkinson qui sont libellées de manière identique que la SAS Filaction se présente comme une société de recouvrement sans indiquer qu'elle exerce une activité de recouvrement amiable.
De plus, elle indique "être mandatée par CIL Habitat Ouest pour recouvrer à l'amiable sous 48 heures ou par voie judiciaire" une somme d'argent.
Une telle rédaction mettant en caractères majuscules et gras la voie judiciaire possible et en minuscule le mandat de recouvrement amiable ne permet pas au consommateur de se persuader qu'il a affaire à une société de recouvrement amiable et de savoir que le litige n'en est encore qu'à son stade préliminaire et qu'il est encore loisible de réfléchir et de discuter des sommes réclamées ou encore de demander des délais de paiement.
D'autre part, il est réclamé à Madame Wilkinson des "frais d'actes" de 18 euro alors que l'article 32 de la loi du 9 juillet 1991 devenu l'article L. 111-18 du Code des procédures civiles d'exécution précise que "sauf s'ils concernent un acte dont l'accomplissement est prescrit par la loi au créancier, les frais de recouvrement entrepris sans titre exécutoire restent à la charge de celui-ci".
Pour s'exonérer de tout agissement illicite à cet égard, la SAS Filaction soutient que cette somme correspond en réalité aux frais de la quittance qu'elle doit remettre au débiteur pour tout paiement lesquels rentrent dans la catégorie des frais de paiement qui, en vertu des dispositions de l'article 1248 du Code civil, sont à la charge du débiteur.
Toutefois, il sera fait remarquer qu'aucune précision à ce sujet n'est portée par la SAS Filaction dans sa lettre de mise en demeure et surtout, que de tels frais ne sont dus qu'en cas de paiement effectif par le débiteur et en cas d'établissement d'une quittance, laquelle n'est pas une obligation.
En tous les cas, ces frais ne peuvent être réclamés au stade de la mise en demeure et avant tout paiement.
Enfin, si les dispositions des troisième et quatrième alinéas de l'article 32 de la loi du 9 juillet 1991 devenu l'article L. 111-18 du Code des procédures civiles d'exécution sont bien reproduits en bas de page, les caractères d'imprimerie utilisés sont d'une si petite taille qu'ils les rendent quasi-illisibles.
Ainsi, l'agissement illicite de la SAS Filaction à l'égard de Madame Wilkinson est démontré.
Sur le préjudice :
La société de recouvrement prétend que l'action de la Fédération du logement, de la consommation et de l'environnement d'Ille-et-Vilaine n'a plus d'objet dans la mesure où depuis le 20 juillet 2010, elle a modifié les modèles des lettres qu'elle adresse aux débiteurs de ses mandants et en veut pour preuve le constat d'huissier qu'elle a fait établir le 22 mars 2011.
Toutefois, il ressort de ce constat que les lettres de mise en demeure n'ont pas été modifiées sur les points litigieux et la demande de cessation immédiate de l'utilisation de ces lettres apparaît toujours justifiée et fondée, tout comme la demande d'indemnisation du préjudice causé à l'intérêt collectif des consommateurs qui en découle.
La décision entreprise sera confirmée sur la cessation ordonnée sous astreinte de l'utilisation du modèle litigieux des lettres de mise en demeure en Ille et Vilaine mais également sur la publication d'un extrait de condamnation, sous astreinte, sauf à y ajouter que le jugement du 20 février 2012 a été confirmé par arrêt de la cour d'appel du 3 avril 2013 et à dire que les astreintes provisoires prononcées courront passé le délai d'un mois à compter de la signification de l'arrêt.
La condamnation au paiement d'une somme de 2 000 euro à titre de dommages et intérêts correctement appréciée sera également confirmée.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf à ajouter dans l'extrait de condamnation à publier que le jugement du 20 février 2012 a été confirmé par arrêt de la Cour d'appel de Rennes du 3 avril 2013 et sauf à dire que les astreintes provisoires prononcées courront passé le délai d'un mois à compter de la signification de l'arrêt ; Y ajoutant, vu l'article 700 du Code de procédure civile, condamne la SAS Filaction à payer à la Fédération du logement, de la consommation et de l'environnement d'Ille-et-Vilaine la somme de 1 500 euro à titre d'indemnité de procédure ; Condamne la SAS Filaction aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.