CA Colmar, 2e ch. civ. A, 7 juin 2013, n° 10-05355
COLMAR
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Smadja
Défendeur :
Porsche France (SA), K 67 (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Leiber
Conseillers :
Mme Schirer, M. Daeschler
Avocats :
Mes Le Goff, Heichelbech, Richard-Frick, Chevellier-Gaschy, Spieser
ARRET Contradictoire
Le 17 mai 2006, M. Smadja passait commande d'une Porsche 911 Carrera auprès de la SAS K 67. Peu après la prise de possession, il s'apercevait de l'apparition de tâches brunâtres sur le bas de la carrosserie et le tour des roues. Un concessionnaire de Clermont-Ferrand (63) lui indiquait qu'il ne s'agissait pas de projection de goudron et constatait leur caractère indélébile. Une expertise privée le confirmait et indiquait qu'elles avaient une origine chimique et le caractère d'un vice caché. Commercialement, Porsche proposait une reprise de peinture.
Le 21 décembre 2007, une expertise judiciaire était confiée à M. Chiavelli par le juge des référés. Le rapport était déposé le 23 juin 2008 et concluait qu'à l'assemblage des pneus sur les jantes, un produit avait été inséré, qui avait été projeté sur la carrosserie et s'était transformé en tâches ; qu'il fallait déshabiller la carrosserie, la poncer, la traiter, la peindre, la vernir et la polir pour un coût de 5 500 euro.
Sur saisine de M. Smadja le 26 janvier 2009, le Tribunal de grande instance de Strasbourg, statuant contradictoirement le 21 septembre 2010, a prononcé la résolution de la vente, condamné K 67 à restituer la somme de 96 511 euro à M. Smadja, donné acte à M. Smadja qu'il restituerait le véhicule, condamné in solidum Porsche France SA et K 67 SAS à lui payer 2 000 euro, avec les intérêts à compter de la décision, débouté Porsche France de sa demande tendant à limiter sa condamnation à la remise en état du véhicule, prononcé la résolution de vente entre Porsche France et K 67, condamné Porsche France à payer à K 67 la somme de 92 957,57 euro, ainsi qu'à la garantir de l'intégralité de la condamnation sur les dommages et intérêts, a condamné les défenderesses aux dépens et à payer au demandeur 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code procédure civile et les dépens, a dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Par déclaration enregistrée au greffe le 5 octobre 2010, la SA Porsche France a interjeté appel général de cette décision.
La SAS K 67 en a fait de même le 23 novembre 2010. Les affaires ont été jointes par ordonnance du 22 juin 2011 du conseiller de la mise en état.
Vu l'article 455 du Code de procédure civile ;
Vu les conclusions récapitulatives de la SA Porsche France, enregistrées le 12 mars 2013, tendant à infirmer le jugement entrepris, à dire et juger que l'action est irrecevable sur le fondement des vices cachés du fait de l'expiration du délai biennal, qui a commencé à courir le 23 juin 2008, date du dépôt du rapport d'expertise, sans que l'acheteur ne l'ait interrompu en qualité de propriétaire depuis qu'il a levé l'option de son crédit-bail le 12 janvier 2012, subsidiairement à le débouter de l'intégralité de ses demandes sur le fondement du vice caché, dès lors qu'il a levé l'option en parfaite connaissance de cause le 12 janvier 2012, à titre infiniment subsidiaire, à le débouter faute de vice rédhibitoire, à déclarer sans objet l'appel en garantie formé par la société K 67, à condamner l'intimé à lui verser 8 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens dont distraction au profit de la SCP Cahn & Associés ;
Vu les conclusions récapitulatives de la SAS K 67, enregistrées le 9 novembre 2012, aux fins d'infirmer le jugement entrepris, de dire et juger que l'action est irrecevable sur le fondement de la garantie des vices cachés du fait de l'expiration du délai de forclusion biennale, subsidiairement, de dire que l'action est mal fondée, l'intéressée ayant eu connaissance du vice apparent lors du transfert de propriété le 12 janvier 2012, de l'en débouter, plus subsidiairement de débouter l'acheteur faute de l'existence d'un vice rédhibitoire, plus subsidiairement de confirmer le jugement dans ses rapports avec Porsche France, de condamner M. Smadja à lui payer 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens ;
Vu les dernières conclusions de M. Smadja, reçues le 3 avril 2013, visant à déclarer l'appel irrecevable sinon mal fondé, à confirmer le jugement entrepris, à débouter l'appelante, à la condamner au paiement d'une indemnité de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens ;
Vu l'ordonnance de clôture du 10 avril 2013 ;
Sur ce
Vu les pièces de la procédure et les documents joints ;
Sur la recevabilité de l'action :
Attendu que pour soutenir l'irrecevabilité de l'action de M. Smadja, la société Porsche France relève que l'intéressé n'est devenu propriétaire du véhicule que le 12 janvier 2012 alors qu'il ne l'était pas lorsqu'il a engagé l'action en 2008 ; que le délai de 2 ans était expiré lorsqu'il a pris cette qualité ; qu'il n'a pas justifié agir au nom du crédit bailleur lorsqu'il a engagé l'action, ni produit le contrat ;
Attendu que la société K 67 estime que M. Smadja ne rapporte pas avoir levé l'option avant le terme de la location le 12 janvier 2012 et considère que son action est irrecevable n'étant ouverte qu'au propriétaire à l'exclusion du locataire ;
Attendu que pour s'y opposer, l'intimé fait valoir qu'il n'a jamais caché le mode de financement du véhicule ; qu'il peut agir en lieu et place du crédit bailleur au titre de l'article 7 du contrat, qui lui confère la qualité de locataire subrogé ; qu'il ne peut ainsi se voir opposer aucune forclusion encourue, ayant agi sur mandat du crédit bailleur ; qu'en tout état de cause, il peut invoquer le fondement délictuel, dès lors que le manquement à une obligation contractuelle lui crée un préjudice direct ;
Mais attendu que la fin de non-recevoir invoquée n'a aucune portée ;
Attendu, en effet, qu'aux termes de l'article 7 des conditions générales du contrat de crédit-bail souscrit par M. Smadja, "il est stipulé que le vendeur vous assurera directement les garanties attachées au bien" ; que "vous exercerez donc contre lui les actions et recours qui appartiennent à l'acheteur" ;
Attendu que cette clause doit être analysée en une cession de créance ou en une délégation fondant la qualité pour agir du crédit preneur, d'autant que le vendeur du bien ne saurait plaider la méconnaissance de cette situation et, juridiquement, l'inopposabilité d'une telle clause, alors qu'il ne conteste pas avoir reçu paiement du prix par le bailleur financier ;
Attendu qu'il s'ensuit que les appelantes en sauraient prétendre que l'intimé était dénué initialement du droit d'agir ou n'a pas interrompu utilement le délai de l'article 1648 du Code civil ; alors que, dès l'origine, M. Smadja pouvait agir sur le fondement d'un droit de créance personnel transféré par le bailleur et interrompre comme tel le délai d'action ;
Sur le vice caché et les demandes dérivées :
Attendu que pour critiquer la décision entreprise , en ce qu'elle a fait droit à l'action de l'intimé sur le fondement du vice caché, aux motifs que l'existence du vice n'était pas contestée et qu'un problème esthétique de cet ordre sur un véhicule de cette classe ouvrait droit à l'action rédhibitoire, faute de remise d'un véhicule parfait mais d'un véhicule assimilable à un véhicule d'occasion, la société K 67 soutient qu'à la levée de l'option, l'acheteur connaissait le vice, qui était apparent ; qu'en tout état de cause, l'existence du vice est contestable, les traces n'étant apparues qu'après 4 000 km, alors qu'elles auraient pu apparaître bien avant ;que ce vice n'a aucun caractère rédhibitoire s'agissant d'un désordre purement esthétique et très localisé qui ne met nullement en cause son usage normal, l'acheteur n'ayant nullement déclaré vouloir acquérir un véhicule d'apparat ; qu'en outre, la reprise de la peinture ne coûterait pas plus de 5 500 euro ;
Attendu que Porsche soutient également que le désordre était apparent lors de la levée de l'option ; qu'il n'est pas démontré que le défaut est antérieur à la vente, faute de preuve technique dans l'expertise ; que les désordres peuvent résulter d'une intervention externe postérieure à la vente, d'autant qu'ils ne sont apparus qu'après 4 000 km ;que le vice n'est pas rédhibitoire, l'usage normal du véhicule étant assuré et le dommage étant purement esthétique, même en cas de diminution de l'agrément de l'acheteur, alors qu'une simple rectification de peinture était possible, face à un défaut mineur, et qu'elle a fait une proposition commerciale en ce sens ;
Attendu que pour conclure à la confirmation, l'intimé relève que l'antériorité du vice à la vente est parfaitement établie par l'expertise ; que, selon un fax de K 67 à Porsche, ses services ont constaté l'exactitude des conclusions de l'expert, suite à l'excès de produit lubrifiant et la présence de produit sur les 4 jantes, consécutif au montage des pneus antérieurs à la vente ; que le vice est rédhibitoire pour un véhicule de cette valeur sans que l'acheteur ait à préciser d'attente particulière à ce titre, eu égard à la philosophie et à la publicité développées par la marque Porsche, laquelle annonce livrer des véhicules parfaitement conformes sur le plan de la carrosserie ; que techniquement, il n'y a pas d'hésitation sur la provenance des tâches ; que l'agrément est un élément essentiel dans l'achat d'un véhicule de ce type, peu important qu'il ne figure pas sur le bon de commande ;
Attendu qu'il résulte suffisamment des constatations faites par l'expert judiciaire, ainsi que par le concessionnaire de la marque à Clermont-Ferrand (63), que le sinistre a pour origine un produit, appliqué sur les jantes, avant montage des pneus, lequel s'est diffusé sur la peinture de la carrosserie par l'effet de l'échauffement des pneumatiques en roulage prolongé et de l'énergie centrifuge ;
Attendu qu'il s'ensuit que les appelantes ne sauraient soutenir sérieusement que le vice n'est pas antérieur à la vente, ni qu'il était apparent à la levée de l'option en fin de bail, alors qu'il a déjà été relevé que les droits de M. Smadja remontaient à la signature du contrat de financement et de l'achat et qu'il n'est pas contestable qu'à cette époque le vice n'était pas décelable ;
Attendu, en revanche, que sans méconnaître la motivation pertinente du premier juge selon laquelle l'acquéreur d'un tel véhicule fait, ce faisant, un achat de luxe, de prestige et même "d'apparat", la cour croit devoir rappeler que la garantie des vices cachés, spécialement en cas d'action rédhibitoire, s'attache à la révélation d'un vice d'une gravité suffisante, de nature à rendre l'objet de la vente impropre à sa destination ou , tout au moins, à en diminuer tellement l'usage que, s'il l'avait connu, l'acheteur ne l'aurait pas acquis ;
Attendu, dans cette optique, que sans contester le désagrément éprouvé par l'acheteur, force est de constater que le désordre aussi irritant soit-il, ne met nullement en cause la destination première du véhicule, soit le transport en toute sécurité ;
Attendu, au demeurant, qu'il y a lieu d'observer, en premier lieu, au vu des photographies produites, que le dommage apparaît très limité dans son étendue ; en second lieu, que le sinistre était facilement réparable, pour un montant de 5 500 euro - soit 5.70 % du prix de vente -, selon l'expert judiciaire ; en troisième lieu, que la proposition en a été faite par la société Porsche au client, qui l'a rejetée, alors qu'il aurait pu, par ailleurs, exiger également le nettoyage des jantes pour éviter tout risque de récidive ;
Attendu, au bénéfice de cette motivation, que la cour estime, contrairement à ce qu'a pu considérer le tribunal, que le véhicule n'est pas atteint d'un vice rédhibitoire, au sens des articles 1641 et suivants du Code civil , de nature à justifier l'action rédhibitoire ;
Attendu, en conséquence, qu'il y a lieu d'infirmer le jugement entrepris de ce chef et, statuant de nouveau, de déclarer la demande de M. Smadja recevable mais non fondée, de le débouter en toutes ses fins et conclusions, y compris au titre des dommages et intérêts réclamés sur le même fondement et de constater que l'appel en garantie de K 67 contre Porsche France est sans objet ;
Sur l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens :
Attendu que l'acheteur succombe, il convient d'infirmer la décision dont appel, en ce qu'elle a condamné Porsche et le garage K 67 aux dépens et il y a lieu de condamner M. Smadja aux dépens de première instance comme d'appel ;
Attendu, enfin, qu'il apparaît équitable de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile tant en première instance qu'en appel.
Par ces motifs LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, sur mise à disposition au greffe, après en avoir délibéré conformément à la Loi ; Déclare les appels bien fondés ; Infirme la décision entreprise en toutes ses dispositions ; Statuant de nouveau : Déclare la demande de Paul Smadja recevable mais non fondée ; Le Déboute en toutes ses fins et conclusions ; Constate que l'appel en garantie de la SAS K 67 contre la SA Porsche France est sans objet ; Rejette toutes conclusions plus amples ou contraires ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne Paul Smadja aux dépens de première instance comme d'appel.