CA Bastia, ch. civ. B, 5 juin 2013, n° 11-00403
BASTIA
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Renault Trucks (SAS)
Défendeur :
Equarri Corse (SARL), Lixxbail (SA), Corse Poids Lourds (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lavigne
Conseillers :
Mmes Alzeari, Benjamin
Avocats :
Mes Toumi, Meridjen, Fabregat
FAITS, PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES :
La SARL Equarri Corse a acquis, le 11 avril 2005, dans le cadre d'un contrat de crédit-bail avec La SA Lixxbail, un camion Mascott VF654 ANA 0000 12970 auprès de La SA Corse Poids Lourds qui s'était elle-même fournie auprès de La SAS Renault Trucks.
Dès le mois de novembre 2005, La SARL Equarri Corse a fait état d'une défaillance du système de freinage du véhicule.
Le 6 février 2008, elle a sollicité la nullité de la vente pour vice caché ou la résiliation de celle-ci pour livraison non conforme ou défaut de conseil outre la résiliation du contrat de crédit en tant qu'accessoire du contrat de vente.
Par jugement du 15 septembre 2009, le Tribunal de commerce de Bastia a ordonné une expertise.
L'expert a déposé son rapport le 25 mars 2010.
Vu le jugement en date du 8 avril 2011 par lequel le Tribunal de commerce de Bastia a :
- condamné La SARL Equarri Corse à payer à La SA Corse Poids Lourds la somme de 3 103,91 euros avec intérêts de droit à compter de ce jour,
- prononcé la résiliation du contrat de vente du contrat de leasing aux torts de La SA Corse Poids Lourds et La SAS Renault Trucks,
- condamné La SA Corse Poids Lourds et La SAS Renault Trucks solidairement à rembourser à La SA Lixxbail la somme en principal de 71 501,80 euros et en sus tous les frais financiers prévus au contrat,
- dit et jugé que dès complet paiement, La SA Lixxbail devraient restituer la propriété du véhicule à La SA Corse Poids Lourds,
- condamné La SA Lixxbail à rembourser à La SARL Equarri Corse la somme de 80 349,62 euros avec intérêts de droit à compter de ce jour,
- condamné La SA Corse Poids Lourds et La SAS Renault Trucks à payer solidairement à La SARL Equarri Corse la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts et celle de 2 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné sous la même solidarité La SA Corse Poids Lourds et La SAS Renault Trucks aux entiers dépens en ce compris les frais d'expertise.
Vu la déclaration d'appel formalisée par La SAS Renault Trucks le 18 mai 2011.
Vu l'ordonnance en date du 4 avril 2012 par laquelle le président de chambre chargé de la mise en état a déclaré irrecevables les conclusions notifiées par La SA Corse Poids Lourds le 8 novembre 2011 et les conclusions notifiées par La SARL Equarri Corse du 15 novembre 2011.
Vu l'arrêt en date du 26 septembre 2012 par lequel la cour de céans a infirmé l'ordonnance du 4 avril 2012 et déclaré recevable les conclusions notifiées tant par La SARL Equarri Corse que par La SA Corse Poids Lourds.
Vu les dernières conclusions déposées dans l'intérêt de l'appelante le 4 janvier 2012.
Elle sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il est entré en voie de condamnation à son encontre.
À titre principal, elle demande qu'il soit constaté que le moyen tiré de l'existence de vice caché a été abandonné par La SARL Equarri Corse.
Elle soutient qu'en sa qualité de fabricant du véhicule, elle n'était tenue d'aucune obligation de conseil envers La SARL Equarri Corse en l'absence de lien contractuel direct alors au surplus que cette dernière ne rapporte pas la preuve d'une spécification lors de la commande du véhicule.
Elle ajoute que le véhicule fourni était conforme à la législation en vigueur et apte à rouler dans des conditions de sécurité sur des routes montagneuses.
À titre subsidiaire, elle conclut au rejet de la demande à son encontre pour vice caché et prétend à être relevée et garantie par La SA Corse Poids Lourds.
En tout état de cause, elle réclame le paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu les conclusions de La SA Lixxbail du 8 septembre 2011.
Elle prétend à la confirmation du jugement en ce qu'il a prononcé la résiliation des contrats de vente et de crédit-bail et condamné La SAS Renault Trucks et La SA Corse Poids Lourds à lui rembourser la somme de 71 520,80 euros outre les pénalités.
Ainsi, elle demande le remboursement du prix d'achat du matériel majoré des intérêts de retard calculé au taux de 1 % par mois entre la date du règlement du prix d'achat du matériel et le jour du prononcé du jugement ainsi que l'indemnité forfaitaire égale à 5 % du montant total des loyers prévus aux conditions particulières à savoir, la somme de 6 953,54 euros.
Elle réclame également le paiement par La SARL Equarri Corse des loyers restant à courir dans l'hypothèse où la résolution des contrats ne serait pas prononcée.
En revanche, elle conclut à l'infirmation du jugement à ce qu'il n'a pas assorti la condamnation à lui payer la somme de 71 520,80 euros des intérêts et en ce qu'il a appliqué ces mêmes intérêts au profit de La SARL Equarri Corse sur la somme de 81 349,62 euros.
Elle sollicite le paiement de la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu les conclusions déposées par La SA Corse Poids Lourds le 9 novembre 2011.
Elle forme appel incident et sollicite l'infirmation du jugement sauf en ce qu'il a condamné La SA Equarri Corse à lui payer la somme de 3 103,91 euros.
Au principal, elle soutient ne pas avoir manqué à son obligation de délivrance conforme ainsi qu'à son obligation de conseil.
En conséquence, elle conclut au rejet des demandes dirigées à son encontre.
Subsidiairement, elle demande à être relevée et garantie par La SAS Renault Trucks.
En tout état de cause, elle réclame le paiement de la somme de 5000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu les conclusions de La SARL Equarri Corse du 15 novembre 2011.
À titre principal, elle maintient sa demande de résolution pour vice caché et à titre subsidiaire, pour une livraison non conforme.
Si par extraordinaire, la cour ne faisait pas droit à ses demandes, elle invoque le non-respect de leur obligation de conseil par La SAS Renault Trucks et La SA Corse Poids Lourds.
En tout état de cause, elle demande que le contrat de crédit-bail souscrit auprès de La SA Lixxbail soit résolu en tant qu'accessoire du contrat de vente.
Dans cette hypothèse, elle réclame le paiement de la somme totale de 155 268 euros hors-taxe.
Si la résolution n'était pas ordonnée, elle prétend au paiement de la somme de 132 268,56 euros hors-taxes à titre de dommages-intérêts.
Enfin, elle réclame le paiement de la somme de 7 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu l'ordonnance de clôture en date du 9 janvier 2013 ayant renvoyé l'affaire pour être plaidée à l'audience du 4 avril 2013.
MOTIFS :
Attendu en premier lieu qu'il doit être constaté que contrairement à ce qu'indique La SAS Renault Trucks, La SARL Equarri Corse n'a nullement renoncé à ses prétentions fondées sur l'existence d'un vice caché ; qu'ainsi, cette dernière soutient que sa demande est recevable en application des articles 1641 et 1648 du Code civil ; que sur ce point La SAS Renault Trucks prétend que l'action est prescrite en application des dispositions de l'article 1648 du Code civil et ce, depuis le 22 novembre 2007 ;
Attendu qu'à l'opposé que La SARL Equarri Corse soutient qu'à la suite du constat d'huissier réalisé le 22 novembre 2005 et qui a mis en exergue les défaillances du système de freinage, La SA Corse Poids Lourds a tenté à plusieurs reprises de remédier à ces dysfonctionnements notamment au mois de mars 2006 ; qu'elle précise avoir mis en demeure La SAS Renault Trucks le 13 novembre 2006 et La SA Corse Poids Lourds le 2 février 2007 ; que dans ces conditions, en assignant le 30 janvier 2008, elle estime qu'elle était habilitée à agir sur le fondement des vices cachés ;
Attendu toutefois qu'il doit être rappelé qu'en application de l'article 1648 du Code civil , l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice ; que ce délai court donc à compter de la découverte du vice dans son existence et dans son ampleur ;
Attendu en l'espèce que le véhicule litigieux a été acquis le 11 avril 2005 ; que le 22 novembre 2005, La SA Corse Poids Lourds a fait constater l'état du véhicule, qui se trouvait dans son atelier après avoir était ramené par La SARL Equarri Corse, par huissier de justice; qu'à cette occasion, il était précisé que La SARL Equarri Corse se plaignait du système de freinage et que le véhicule avait déjà fait l'objet de plusieurs interventions ;
Attendu en effet que l'officier public et ministériel a constaté la destruction des plaquettes de freins, leur usure mais également la détérioration des disques ; que La SARL Equarri Corse ne conteste pas avoir eu parfaite connaissance de ces constatations opérées par huissier de justice ;
Attendu bien plus que dans son assignation introductive d'instance, elle indique elle-même avoir connu la nature du vice affectant son véhicule le 22 novembre 2005 suite à l'expertise réalisée par huissier de justice ainsi qu'elle le précise ; qu'il doit donc être considéré qu'elle a eu connaissance du vice dans son ampleur à compter de cette date ;
Attendu dans ces conditions que l'assignation introductive d'instance ayant été délivrée le 30 janvier 2008, force est de considérer que l'action n'a pas été intentée dans le délai de deux ans stipulé à l'article 1648 ; que la prescription de l'action étant acquise depuis la fin du mois de novembre 2007, La SA Equarri Corse doit donc être déclarée irrecevable en sa demande de ce chef ;
Attendu qu'à titre subsidiaire, La SARL Equarri Corse entend solliciter la résolution du contrat de vente en raison de la livraison non conforme du camion objet de la vente sur le fondement de l'article 1604 du Code civil ; qu'elle soutient, que lors de la conclusion de la vente avec La SA Corse Poids Lourds, elle avait précisé souhaiter acquérir un camion afin d'effectuer le transport de cadavres d'animaux pour une charge maximale de 1 800 kilos et un parcours journalier de 350 à 400 km dans la région montagneuse Corse ;
Attendu ainsi qu'elle estime avoir donc clairement commandé un camion disposant d'un système de freins permettant le transport de charges lourdes sur de longues distances et des parcours difficiles ; qu'elle rappelle que ce véhicule a fait l'objet de plusieurs réparations qui n'ont pu remédier à la défaillance du système de freinage ; que dans cette mesure, elle soutient que le véhicule livré n'était pas conforme à l'usage qu'elle souhaitait en faire ;
Attendu qu'elle ajoute que le rapport d'expertise met clairement en cause la non-conformité de la livraison puisqu'il y est indiqué que l'échauffement intense et rapide des freins est une gêne à l'exploitation du véhicule sur des trajets de montagne ; que le véhicule en état au standard du catalogue du constructeur ne répond pas à l'attente exprimée lors de l'achat ;
Attendu qu'il doit être rappelé que l'obligation de délivrance, en application des articles 1604 et suivants du Code civil , s'entend nécessairement de la délivrance d'une chose conforme aux prévisions contractuelles ; qu'en effet, apprécier la conformité suppose d'établir une
comparaison entre les caractéristiques de la chose livrée et celles de la chose qui faisait l'objet du contrat ; que dans ces conditions, une référence aux stipulations contractuelles s'impose ;
Attendu en l'espèce qu'il doit être noté que le bon de commande ne fait référence à aucunes spécifications particulières concernant l'usage du véhicule ; que par ailleurs le procès-verbal de réception produit permet de considérer que celui-ci correspond strictement au bon de commande ;
Attendu par ailleurs qu'il ressort du rapport d'expertise que le système de freinage du véhicule est parfaitement conforme à la législation en vigueur et ne présente aucune anomalie ; que bien plus, certaines indications dans le rapport permettent d'envisager un usage non conforme du véhicule dans certaines occasions ;
Attendu d'autre part qu'au regard des stipulations contractuelles totalement non significatives sur ce point, il doit être constaté que les parties ne font nullement état de relations d'affaires habituelles ou depuis plusieurs années qui pourraient induire des conventions non spécifiquement formalisées ; que ce point n'est ni justifié ni d'ailleurs même allégué ; qu'à cet égard, le seul constat de l'expert selon lequel le véhicule ne convenait pas à l'attente exprimée lors de l'achat est insuffisant ;
Attendu qu'en considération de ces éléments, il convient d'estimer que la preuve de la non-conformité du camion à celui effectivement commandé n'est pas rapportée ; que la demande de résolution fondée sur une délivrance non conforme sera donc également écartée ;
Attendu qu'à titre infiniment subsidiaire La SARL Equarri Corse sollicite l'annulation du contrat de vente en raison du non-respect de leur obligation de conseil tant par La SAS Renault Trucks que par La SA Corse Poids Lourds en leur qualité de professionnels; qu'elle soutient qu'en ne lui indiquant pas clairement si le camion était adapté à son activité professionnelle, alors qu'elle avait exposé sans équivoque l'usage qu'elle souhaitait en faire, tant La SAS Renault Trucks que La SA Corse Poids Lourds n'ont pas respecté leur obligation d'information et de conseil ;
Attendu en effet qu'en application des articles 1134 alinéa 3 et 1135 du Code civil , une obligation de renseignement pèse effectivement sur le vendeur ; que celle-ci, selon les situations, va de l'obligation d'information, au devoir de conseil ou de mise en garde ;
Attendu que cette obligation a pour objectif de permettre à l'acheteur de prendre sa décision en pleine connaissance de cause dans la
mesure où son ignorance peut être considérée comme légitime ; que dans ces conditions, cette obligation est d'autant plus forte que le client n'est pas ou mal informé ; qu'elle varie également selon qu'il contracte avec un vendeur professionnel ou occasionnel ;
Attendu en l'espèce que l'expert judiciaire expose que la cause de la défaillance du véhicule est liée à l'utilisation des freins sur les routes de montagne ; qu'il précise que le véhicule en l'état au regard du standard du catalogue constructeur ne répond pas à l'attente exprimée lors de l'achat ;
Attendu toutefois, ainsi qu'il l'a déjà été indiqué précédemment ,que sur ce point, il n'a pas été vérifié par l'expert que les attentes de l'acquéreur avaient été exprimées contractuellement ou pré contractuellement ; qu'ainsi, dans la mesure où La SARL Equarri Corse peut être considérée comme un acquéreur professionnel, force est de constater qu'un défaut de connaissance essentielle quant aux caractéristiques du camion vendu ne peut être caractérisé; que dans ces conditions, le défaut de conseil n'est pas établi ;
Attendu par ailleurs que si aucun manquement de La SA Corse Poids Lourds à son obligation d'information ou de conseil n'est avéré, aucun manquement ne peut être plus reproché à La SAS Renault Trucks qui n'a pas contracté avec La SARL Equarri Corse et n'a fait que fournir un véhicule conforme au bon de commande ;
Attendu qu'en l'état des motifs précédents ayant conduit à la non reconnaissance d'une faute contractuelle que ce soit pour vice caché, non-conformité du camion ou non-respect de l'obligation de conseil, toutes les demandes de La SARL Equarri Corse doivent être écartées ;
Attendu en revanche que le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a condamné La SARL Equarri Corse au paiement de factures impayées ainsi que cela est justifié au débat la demande n'étant au demeurant contestée ni en son montant ni en son principe ;
Attendu enfin qu'en l'état du rejet de la demande de résolution des contrats, il doit être fait droit à la demande en paiement de la SA Lixxbail au titre des loyers demeurés impayés ;
Attendu que La SARL Equarri Corse, qui succombe, doit supporter la charge des dépens, conformément aux dispositions de l'article 696 du Code de procédure civile et être déboutée en sa demande fondée sur l'article 700 du même code; qu'en revanche aucun élément tiré de l'équité de commande l'application de cet article au profit des autres parties qui en ont fait la demande ;
Par ces motifs, LA COUR : Confirme le jugement du Tribunal de commerce de Bastia en date du 8 avril 2011 en ce qu'il a condamné La SARL Equarri Corse à payer à La SA Corse Poids Lourds la somme de trois mille cent trois euros et quatre vingt onze centimes (3 103,91 euros) avec intérêts légaux, L'infirme pour le surplus et en toutes ses autres dispositions, Statuant à nouveau et y ajoutant, Rejette toutes les demandes de La SARL Equarri Corse, Condamne la Sarl Equarri Corse à payer à la SA Lixxbail les loyers restant à courir, Condamne La Sarl Equarri Corse aux entiers dépens d'appel et de première instance en ce compris les frais d'expertise, Rejette toutes les autres demandes des parties.