Cass. com., 26 mars 2013, n° 12-10.204
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Vignoble du château de Moncontour (Sté)
Défendeur :
Kopp, Atlantique palettes (Sté), Axa France IARD (Sté), Brienne récupération (Sté), Cathiard (Sté), Champenoise de maintenance et de prestations (Sté), Domaines Reybier - Domaines Prats (Sté), Generali IARD (Sté), Les Vignerons d'Uni Médoc (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Espel
Avocats :
Me Le Prado, SCP Célice, Blancpain, Soltner, SCP Delaporte, Briard, Trichet, SCP Peignot, Garreau, Bauer-Violas, SCP Piwnica, Molinié, SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, SCP Vincent, Ohl
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, du 2 novembre 2011), que la société Vignoble du Château de Moncontour (la société Moncontour) a acquis, d'occasion, entre 1994 et 2004, plusieurs lots de caisses palettes en bois, auprès de divers fournisseurs ; qu'à partir de 2002, elle a constaté que ses vins présentaient un mauvais goût, qui s'est amplifié ; qu'ayant appris que le traitement du bois des caisses palettes par du pentachlorophénol (PCP) pouvait être à l'origine d'une contamination dans les chais, elle a sollicité et obtenu du juge des référés la désignation d'un expert puis a assigné les sociétés Atlantique palettes, Brienne récupération, Domaines Reybier - Domaines Prats, Cathiard, Champenoise de maintenance et de prestations (CMP) et Les Vignerons d'Uni Médoc, ainsi que M. Kopp en résolution des contrats de vente et indemnisation sur le fondement de la garantie des vices cachés ; que les sociétés Generali assurances et Axa France, assureurs des sociétés Reybier et Cathiard, ont été appelées en cause par leurs assurés respectifs, tandis que la société MAAF assurances, assureur de la société Brienne récupération, est intervenue volontairement à l'instance ;
Sur le premier moyen : - Attendu que la société Moncontour fait grief à l'arrêt de l'avoir déboutée de ses demandes à l'encontre des sociétés Atlantique palettes, Brienne récupération, Domaines Reybier - Domaines Prats, Cathiard et Les Vignerons d'Uni Médoc, ainsi que de M. Kopp, alors, selon le moyen : 1°) que les juges ne peuvent dénaturer les termes clairs et précis du rapport d'expertise judiciaire qui leur est soumis ; que dans son rapport, l'expert indiquait très précisément que les palettes, dont le fournisseur n'était pas identifié, "étaient contaminées à la hauteur de 100 %", que "tout au plus, pouvait-on faire l'hypothèse que les prélèvements PDB10, PDB16, PDB30 et P8C ont pu être contaminés par les palettes voisines en raison des faibles taux présentés", que "le moment de cette contamination (avant ou après livraison à la société Moncontour) ne peut être identifié" et que "ces palettes restent toutes contaminantes" ; qu'il distinguait ainsi très clairement entre deux types de palettes, les palettes retenues comme traitées (présence de PCP et/ou PCA supérieure à 5 mg/kg) et celles qui avaient été soient traitées, soit contaminées par d'autres palettes ou bois (présence de PCP et PCA inférieure à 5 mg/kg) mais qui étaient contaminantes ; qu'en énonçant néanmoins, pour débouter la société Moncontour de ses demandes dirigées contre les fournisseurs de palettes, parties au litige, à l'exception de la société CMP, que l'expert avait conclu à tort que les palettes stockées sur le parking pouvaient être retenues comme traitées à 100 % et donc "contaminantes", la cour d'appel, qui a confondu palettes "traitées" et palettes "contaminantes", a dénaturé les termes du rapport d'expertise, en violation de l'article 1134 du Code civil ; 2°) que le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de chacune des choses qu'il a vendues ; qu'en se fondant, pour retenir l'absence de preuve certaine de ce que les sociétés Atlantique palettes, Domaines Reybier, Cathiard, Brienne de récupération, Uni Médoc et M. Kopp avaient fourni au moment de la vente des palettes traitées au PCP, partant débouter la société Moncontour de ses demandes dirigées contre ces fournisseurs de palettes et leurs assureurs, sur la circonstance inopérante que la totalité des palettes d'origine non identifiée n'avait pas été traitée au PCP et sans rechercher s'il ne ressortait pas, d'une part, du nombre de palettes effectivement traitées et, d'autre part, du nombre de palettes vendues par chacun des fournisseurs, la preuve de ce qu'une ou des palettes atteintes d'un vice caché (le traitement au PCP) avaient été vendues par chacun de ces fournisseurs, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 1641 et 1645 du Code civil ; 3°) que le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de chacune des choses vendues qui les rendent impropres à l'usage auquel on la destine ; que, dans son rapport, dont la société Moncontour demandait l'homologation, l'expert observait expressément que "compte tenu du pourcentage élevé de caisses palettes contaminantes, et bien que l'identification des différents fournisseurs hors CMP et Dusapt soit impossible, il est très peu probable que l'un des fournisseurs ait pu livrer des palettes non contaminantes. Un doute très relatif pourrait éventuellement être exprimé pour les deux plus petits fournisseurs soit : M. Kopp qui a fourni au total 52 palettes, soit 3 % du lot total non identifiable, et la société Cathiard qui a fourni 104 palettes, soit 6 % du lot non identifiable. Pour les autres fournisseurs, le pourcentage de palettes fournies est sensiblement plus élevé et il n'est pas statistiquement possible que leurs livraisons soient exemptes de bois contaminants" ; qu'en retenant, pour débouter la société Moncontour de ses demandes dirigées contre les sociétés Atlantique palettes, Domaines Reybier, Cathiard, Brienne de récupération, Uni Médoc et M. Kopp et leurs assureurs, l'absence de preuve certaine de ce que ces fournisseurs de palettes avaient effectivement vendu des palettes traitées au PCP, sans répondre au moyen des conclusions de la société appelante, faisant valoir, au vu des constatations opérées par l'expert, qu'il n'était pas statistiquement possible, sauf très éventuellement pour M. Kopp et la société Cathiard, que les livraisons des fournisseurs aient été exemptes de bois contaminants, la cour d'appel a encore méconnu les exigences de l'article 455 du Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant constaté qu'à l'exception des caisses palettes vendues par la société CMP, il n'a pas été possible d'identifier le fournisseur de la plupart d'entre elles, l'arrêt relève d'un côté qu'il existe des présomptions graves et concordantes d'une contamination des vins par le traitement au PCP des bois des caisses palettes, de l'autre que, selon l'expert, celles qui présentent une teneur supérieure à 5 mg/kg de PCP doivent être considérées comme traitées, les autres étant retenues comme contaminées par contact, de sorte que les caisses palettes non identifiées ne peuvent être qualifiées de traitées à 100 % puisque cinq échantillons sur trente-et-un n'atteignent pas cette valeur ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, sans dénaturer le rapport d'expertise, a pu déduire, par une décision motivée, qu'il n'était pas établi avec certitude que chacun des vendeurs avait livré des matériaux traités au PCP ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le second moyen : - Attendu que la société Moncontour fait grief à l'arrêt de l'avoir déboutée de ses demandes à l'encontre de la société CMP, alors, selon le moyen : 1°) que le vendeur est tenu à garantie à raison des vices cachés de la chose vendue ; que le vice est constitué du défaut de la chose qui la rend impropre à l'usage auquel elle est destinée ou qui en diminue tellement cet usage que la chose n'aurait pas été acquise ou à un moindre prix ; qu'en l'espèce, la société Moncontour faisait valoir que la société CMP, professionnelle de la vente de matériel vinicole, lui avait vendu, sans qu'elle le sache, des caisses palettes qui avaient été traitées au PCP et étaient donc impropres à l'usage auquel elles étaient destinées, à savoir le stockage de bouteilles dans les chais ; qu'en énonçant, pour débouter la société Moncontour de ses demandes dirigées contre son fournisseur, que la société acquéreur ne pouvait ignorer, à l'époque de l'achat, les risques liés à l'utilisation de caisses palettes d'occasion présentant un risque de traitement au PCP, dont elle ne pouvait que se convaincre elle-même, la cour d'appel, qui n'a pas recherché si la société acquéreur savait ou pouvait savoir que les caisses palettes, objet de la vente, étaient, pour certaines, traitées au PCP, partant si le vice affectant les palettes vendues était ou non caché, a statué par des motifs inopérants et privé sa décision de toute base légale au regard des articles 1641, 1642 et 1645 du Code civil ; 2°) que constitue un vice caché de la chose le vice indécelable qui n'a pu être révélé que par une expertise ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que l'existence d'un traitement des caisses palettes au PCP n'avait pu être déterminée que par les opérations d'expertise judiciaire ; qu'en retenant néanmoins, pour débouter la société Moncontour de ses demandes dirigées contre la société CMP, que l'appelante ne pouvait pas se prévaloir du caractère caché du vice, la cour d'appel n'a pas déduit les conséquences légales de ses constatations, en violation des articles 1641 et 1642 du Code civil ; 3°) que constitue un vice caché le défaut de la chose vendue, inconnu de l'acquéreur et dont ce dernier ne pouvait se convaincre par des investigations immédiates et normales ; que l'acquéreur n'est pas tenu, dans le cadre de ses investigations normales, de s'assurer que le vendeur professionnel a effectivement respecté les dispositions légales applicables aux produits vendus ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a rappelé que le décret 94-647 du 27 juillet 1994, pris en application de la directive européenne du 21 mars 1991 , d'une part, interdisait l'utilisation de bois traités au PCP pour la confection de conteneurs destinés à l'agriculture et pour la confection d'emballages pouvant entrer en contact avec des produits bruts, intermédiaires ou finis destinés à l'alimentation humaine ou animale et, d'autre part, imposait en cas de traitement, la mention sur les documents commerciaux d'accompagnement que le bois utilisé a été traité au pentachlorophénol ou ses composés ; qu'en retenant, pour débouter la société Moncontour de ses demandes dirigées contre la société CMP, que la société appelante avait choisi d'acquérir en septembre 2000 des palettes en bois, d'occasion, sans se préoccuper de leur date de fabrication au regard des prescriptions du décret de 1994, présentant donc un risque de traitement au PCP, sans rechercher, comme il lui était demandé, si en l'absence d'une quelconque mention d'un traitement des bois composant les caisses palettes, la société Moncontour n'était pas légitimement fondée à penser que la société CMP, professionnelle de la vente de matériel vinicole, avait respecté les prescriptions légales applicables aux produits, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 1641, 1642 et 1645 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant constaté que les caisses palettes ont été vendues en 2000 par la société CMP à la société Moncontour, viticulteur, l'arrêt relève que depuis 1996 les professionnels de la filière vinicole étaient informés des risques de développement de certains goûts de moisi dans les vins du fait de la présence dans les chais de bois traités aux PCP et invités à respecter des mesures de prévention, mais que néanmoins la société Moncontour a fait choix d'acquérir des caisses palettes en bois, d'occasion, sans se préoccuper de leur date de fabrication au regard des prescriptions du décret de 1994, pour stocker ses vins dans les chais, contrairement aux préconisations diffusées depuis quatre ans ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a estimé qu'il appartenait à la société Moncontour de procéder aux vérifications élémentaires incombant à un professionnel averti, s'agissant de matériel d'occasion, ce dont il résultait qu'elle pouvait se convaincre elle-même du vice, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.