CA Grenoble, 1re ch. civ., 10 septembre 2013, n° 11-05130
GRENOBLE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Bouvret
Défendeur :
Marchand
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Francke
Conseillers :
Mmes Jacob, Blatry
Avocats :
SCP Grimaud, Me Ramillon
FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES:
Le 10 avril 2006, Monsieur Richard Bouvret après parution d'une petite annonce, a vendu à Monsieur Sébastien Marchand un véhicule automobile Toyota LJ 73 moyennant le prix de 9 000 euro.
En juin puis septembre 2006, Monsieur Marchand a dû faire effectuer diverses réparations relatives en premier lieu à l'embrayage et ensuite à raison d'un bruit moteur.
Dans le cadre de la deuxième réparation, le garagiste, déposant le moteur, a alerté Monsieur Marchand sur l'usure très importante de celui-ci.
Devant l'échec de ses tentatives de résolution amiable du litige, Monsieur Marchand a, suivant exploit d'huissier en date du 29 septembre 2007, fait citer Monsieur Bouvret devant le Tribunal d'instance de Gap statuant en matière de référé et a obtenu, par ordonnance du 6 mai 2008, l'instauration d'une mesure d'expertise avec désignation de Monsieur Jean de Barbarin en qualité d'expert.
L'expert, ses opérations accomplies, a déposé son rapport le 9 février 2009.
Par acte d'huissier du 9 avril 2010, Monsieur Marchand a assigné Monsieur Bouvret devant le Tribunal de grande instance de Gap, sur le fondement des articles 1110 et suivants du Code civil à l'effet de voir constater son erreur sur les qualité substantielles de la voiture acquise et voir prononcer la résolution de la vente du 10 avril 2006.
Par jugement du 4 novembre 2011, le Tribunal de grande instance de Gap a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :
* prononcé l'annulation de la vente du 10 avril 2006 intervenue entre Monsieur Bouvret et Monsieur Marchand,
* dit que Monsieur Bouvret devra restituer à Monsieur Marchand le prix de vente de 9 000 euro et que Monsieur Marchand devra restituer le véhicule Toyota à Monsieur Bouvret,
* condamné Monsieur Bouvret à payer à Monsieur Marchand des dommages intérêts de 10 000 euro et une indemnité de procédure de 1 500 euro.
Par déclaration du 23 novembre 2011, Monsieur Bouvret a relevé appel de cette décision.
Au dernier état de ses écritures en date du 14 mai 2012, Monsieur Bouvret conclut au débouté des prétentions de Monsieur Marchand et y ajoutant, à sa condamnation à lui payer la somme de 1 500 euro au titre de ses frais irrépétibles.
Il fait valoir que :
* il a fourni à Monsieur Marchand l'ensemble des factures qui lui avait été remises par le propriétaire précédent,
* il n'a jamais indiqué que le moteur avait été refait selon les normes du constructeur,
* l'examen des factures permettait de voir qu'il n'a jamais été procédé à un échange standard du moteur,
* Monsieur Marchand a acquis un véhicule ancien de 18 ans avec un kilométrage de 190 000 km en toute connaissance de cause.
Par conclusions récapitulatives du 23 mars 2012, Monsieur Marchand sollicite la confirmation du jugement déféré et y ajoutant, la condamnation de Monsieur Bouvret à lui payer une indemnité de procédure complémentaire de 4 000 euro.
Il expose que :
* son consentement a été déterminé par la rédaction de l'annonce indiquant "moteur refait 40 000 km",
* Monsieur Bouvret dans son courrier du 8 novembre 2006 a réaffirmé que le moteur avait été refait par le précédent propriétaire,
* le rapport d'expertise établit que les désordres existaient avant la vente, le moteur étant fortement usé, ayant seulement été révisé avec un remplacement des segments et coussinets de bielle,
* contrairement à ce que prétend, Monsieur Bouvret, la remise des factures était le moyen de démontrer la réfection du moteur alors que le vendeur avait pleinement conscience des termes mensongers de son annonce,
* l'état du moteur rend le véhicule impropre à sa destination,
* il a contracté un prêt et engagé des réparations à hauteur de 6 470,70 euro pour un véhicule automobile qui ne fonctionne pas.
La clôture de la procédure est intervenue le 16 avril 2013.
SUR CE :
Attendu qu'aux termes de l'article 1110 du Code civil, l'erreur n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet ;
Attendu que Monsieur Bouvret pour proposer à la vente son véhicule automobile a fait paraître une petite annonce ainsi rédigée :
"Toyota LJ73, an 89, 5 places, 180 000 km, mot 40 000 km, découvrable, ttes options+ 4 roues pns (factures), 9 000 euro" ;
Que la formulation de l'annonce signifie que le véhicule dont la première mise en circulation date de 1989, présentant au compteur un kilométrage de 180 000 km, a eu son moteur refait à neuf, le véhicule ayant depuis cette réfection parcouru 40 000 km ;
Attendu qu'il n'est pas contestable, au regard de l'ancienneté du véhicule et de son prix relativement élevé pour une voiture de 17 ans, que l'élément substantiel pour déterminer l'achat de Monsieur Marchand portait sur sa croyance que le moteur avait été refait, le dit moteur présentant, à la date de la vente, un kilométrage peu élevé pour une voiture diesel de 40 000 km ;
Que l'erreur de Monsieur Marchand relative aux qualités du véhicule et à sa capacité à parcourir de nombreux kilomètres sans tomber en panne, porte donc sur un élément substantiel de la chose vendue ;
Que cette erreur a été induite par le caractère mensonger de l'annonce rédigée par Monsieur Bouvret alors que l'expert expose que le moteur n'a pas été refait, seul un jeu de segments et de coussinets ayant été remplacés ce qui est impropre à remettre en état les cylindres usés et ne constitue qu'un "coup de fouet" ;
Attendu que l'erreur n'est cause de nullité que dans la mesure où elle est excusable ;
Que si l'intérêt de Monsieur Marchand a été déterminé par les termes mensongers de l'annonce, il n'est pas contesté que Monsieur Bouvret lui a remis 22 factures émises entre décembre 2002 et septembre 2005 ;
Qu'il ressort de l'examen de ces diverses factures qu'elles consistent essentiellement dans des factures d'entretien et qu'aucune n'est relative à l'échange standard d'un moteur ;
Que nonobstant l'absence de connaissances particulières de Monsieur Marchand en mécanique, le montant peu élevé des factures, seule la facture du 7 février 2003 s'élevant à 2 396,90 euro et ne concernant que le remplacement de certaines pièces du moteur et ne portant pas que sur le moteur, était de nature à attirer son attention sur la réalité de l'état du moteur du véhicule donné à la vente par Monsieur Bouvret ;
Que dans ces conditions, l'erreur de Monsieur Marchand sur les qualités substantielles du véhicule de Monsieur Bouvret ne présente pas le caractère excusable permettant seul d'annuler la vente litigieuse ;
Attendu par voie de conséquence, qu'il convient d'infirmer le jugement déféré et de débouter Monsieur Marchand de ses demandes ;
Attendu que la cour estime n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Attendu au regard du caractère mensonger de l'annonce de Monsieur Bouvret, que chacune des parties conservera ses propres dépens tant en première instance qu'en cause d'appel et que les frais d'expertise seront partagés par moitié entre elles.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi, Infirme le jugement déféré, Statuant à nouveau : Déboute Monsieur Sébastien Marchand de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de Monsieur Richard Bouvret, Y ajoutant : Dit n'y avoir lieu à faire application de l'article 700 du Code de procédure civile, Laisse à la charge de chacune des parties ses propres dépens tant en première instance qu'en cause d'appel et dit que les frais d'expertise seront partagés par moitié entre elles.