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Décisions

CA Douai, 1re ch. sect. 1, 27 janvier 2014, n° 13-01144

DOUAI

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Sabau

Défendeur :

Bultel, Renault (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Merfeld

Conseillers :

Mmes Metteau, Doat

Avocats :

Mes Laurent, Dragon, Carlier, Rodriguez-Leal

TI Dunkerque, du 29 oct. 2012

29 octobre 2012

Par jugement rendu le 29 octobre 2012, le Tribunal d'instance de Dunkerque a :

condamné M. Gilles Sabau à payer à Mme Nadine Bultel la somme de 4 967,85 euros,

l'a condamné à lui verser une somme de 700 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

rejeté la prétention de la SAS Renault de ce chef,

ordonné l'exécution provisoire,

rejeté la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive présentée par Mme Nicole Bultel,

débouté M. Gilles Sabau de ses demandes,

l'a condamné aux dépens.

M. Gilles Sabau a interjeté appel de cette décision le 22 février 2013.

RAPPEL DES DONNÉES UTILES DU LITIGE :

Le 14 juillet 2010, Mme Nadine Bultel a acheté à M. Gilles Sabau un véhicule Renault Scénic immatriculé AY653CY moyennant un prix de 9 000 euros. Le véhicule est tombé en panne le 21 février 2011 lors d'un trajet sur une autoroute.

Indiquant que l'expert désigné par son assurance protection juridique avait conclu que la panne résultait d'une rupture de la bielle n° 4 et de la détérioration des coussinets de cette bielle, désordres intervenus six mois à peine après l'achat du véhicule alors qu'elle n'avait parcouru que 13 720 km, que l'expert avait constaté que cette panne n'était pas un cas isolé, plusieurs exemples similaires ayant été recensés, que le constructeur participait d'ordinaire aux frais de remise en état dans une proportion variable en considération du kilométrage parcouru et de l'entretien du véhicule, Mme Nadine Bultel a, sur le fondement des articles 1641 et suivants du Code civil, fait assigner M. Gilles Sabau, par acte d'huissier du 16 février 2012, devant le Tribunal d'instance de Dunkerque aux fins de le voir condamner à lui payer 4 967,85 euros avec les intérêts "contractuels" à compter de l'assignation, 1 000 euros de dommages et intérêts pour résistance abusive et 700 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, avec exécution provisoire.

Par acte d'huissier du 7 juin 2012, M. Gilles Sabau a mis en cause la SAS Renault, a sollicité sa condamnation à le garantir de toutes condamnations en principal, frais et accessoires dont il pourrait faire l'objet à raison des désordres affectant le véhicule Renault Scénic et sa condamnation à lui payer la somme de 800 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

La jonction des deux procédures a été ordonnée et la décision a été rendue dans ces conditions.

Dans ces dernières conclusions, M. Gilles Sabau demande à la cour de :

infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de son appel en garantie à l'égard de la SAS Renault,

en conséquence, condamner la SAS Renault à le garantir de l'intégralité des condamnations qui pourraient être mises à sa charge, tant en principal, qu'intérêts, frais et accessoires,

la condamner au paiement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article (...) du Code de procédure civile,

confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme Bultel de sa demande de condamnation au paiement de la somme de 1 000 euros au titre de sa résistance abusive,

en conséquence, la débouter de sa demande à ce titre,

à titre infiniment subsidiaire, lui donner acte de ce que la SAS Renault a accepté de prendre en charge la somme de 3 311,91 euros TTC, Mme Bultel la somme de 1 655,95 euros,

en conséquence, limiter les sommes dues par ses soins à la somme de 1 655,95 euros TTC,

débouter la SAS Renault et Mme Bultel de toutes demandes, fins et conclusions contraires aux présentes.

Il indique que suite à la panne du véhicule Renault Scénic qu'il a vendu à Mme Bultel, la SAS Renault avait proposé une participation commerciale à hauteur de 50 % dans la mesure où il n'avait pas pu fournir, lors des opérations d'expertise amiable, la justification de l'entretien des 60 000 kilomètres, laquelle devait être effectuée alors qu'il était propriétaire du véhicule. Il précise pourtant qu'il a toujours effectué les révisions nécessaires de sorte qu'il a appelé en garantie la SAS Renault et ce d'autant que le rapport d'expertise confirme que l'avarie n'est pas imputable à un défaut d'utilisation et que la panne et le désordre affectant le moteur ne sont pas un cas isolé sur ce type de motorisation et sont induits par un défaut de fabrication.

Il précise que, dans la mesure où l'origine de la panne existait dès la construction du véhicule, il s'agit bien d'un vice inhérent à la chose, le rendant impropre à sa destination puisque pouvant entraîner la destruction pure et simple du moteur. Il en déduit que les conditions de l'article 1641 du Code civil sont réunies et peuvent être opposées à la société Renault.

Il affirme qu'il avait fait l'entretien des 60 000 kilomètres lui-même et qu'en tout état de cause, ce prétendu défaut d'entretien ne peut être à l'origine des désordres affectant le véhicule litigieux.

Il demande donc la garantie de Renault pour les condamnations prononcées à son encontre. A titre subsidiaire, il souligne que lors de l'expertise amiable, Renault avait accepté de prendre en charge 50 % du montant du devis et Mme Bultel 25 % du montant des réparations de sorte que le constructeur doit être condamné à la somme de 3 311,91 euros et qu'il devra verser 1 655,95 euros à Mme Bultel, somme correspondant à 25 % du montant du devis de réparation.

Il s'oppose à la demande de dommages et intérêts présentée par Mme Bultel au titre de sa résistance abusive soulignant que celle-ci n'a tenté qu'une seule démarche amiable auprès de lui par un courrier daté du 20 juin 2011 et qu'elle ne l'a assigné en justice que huit mois plus tard.

Mme Nadine Bultel épouse Adam, dans ses conclusions, demande à la cour de débouter M. Gilles Sabau de toutes ses demandes, fins et conclusions, de confirmer le jugement en ce qu'il l'a condamné à lui payer la somme de 4 967,85 euros à titre principal et 700 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi que les frais et dépens de première instance. Elle forme appel incident et sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive et injustifiée et elle conclut à la condamnation de M. Gilles Sabau à lui payer, à ce titre, la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts et 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi que les entiers frais et dépens.

Elle précise que son action est justifiée sur le fondement de l'article 1641 du Code civil et relève que, si un défaut d'entretien du véhicule est imputable à son vendeur, elle-même n'a jamais été défaillante à ce titre.

Elle estime que c'est la position adoptée par M. Sabau qui a empêché que le litige trouve une solution amiable dans un délai raisonnable alors même qu'elle avait accepté de conserver à sa charge une partie du coût de remplacement du moteur.

Dans ses conclusions, la SAS Renault demande à la cour de constater que la preuve de l'existence de défauts cachés imputables au constructeur n'est nullement apportée, de constater qu'une faute du constructeur n'est nullement démontrée, en conséquence, de confirmer en toutes ses dispositions le jugement, de débouter M. Gilles Sabau de toutes ses demandes, fins et conclusions à son encontre, de le condamner à lui payer la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour et de le condamner aux entiers dépens.

Elle constate que M. Sabau ne conteste pas le jugement qui a retenu l'existence d'un vice caché affectant le véhicule dont l'origine est antérieure à la vente qu'il a conclue avec Mme Nadine Bultel le 14 juillet 2010. Elle affirme, cependant, que pour fonder sa demande en garantie à son encontre, il doit justifier de l'existence de ce vice caché lorsque lui-même a acheté le véhicule alors même qu'il ne justifie pas avoir procédé à la révision de la voiture à l'échéance des 60 000 kilomètres et que ce défaut d'entretien est à l'origine de la panne. Elle précise n'avoir jamais reconnu sa responsabilité et n'avoir formulé une proposition de prise en charge qu'à titre commercial, cette proposition étant conditionnée par la renonciation à toute autre demande de quelque nature qu'elle soit afin de mettre un terme au différend, condition qui n'a pas été remplie et a été démentie par l'introduction de l'instance dans la mesure où M. Sabau avait refusé de contribuer aux frais de remise en état à hauteur de 25 %.

Elle estime que l'existence d'autres pannes sur les véhicules similaires ne peut suffire à établir et démontrer l'existence d'un vice caché affectant le véhicule lors de sa première mise en circulation, soit le 1er juin 2004. Elle affirme qu'aucun élément technique ne permet d'étayer une telle affirmation. Elle souligne qu'il est impératif de respecter le carnet d'entretien et l'intervalle des révisions et que dans la mesure où le véhicule n'a pas été régulièrement entretenu, il n'est pas étonnant que des pièces mécaniques en mouvement subissent une usure anormale ou des dégradations à l'origine de pannes.

MOTIFS DE LA DÉCISION

L'article 1641 du Code civil dispose que le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui en diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.

Mme Nadine Bultel a acheté le 14 juillet 2010, un véhicule Renault Scénic auprès de M. Gilles Sabau.

Le véhicule est tombé en panne le 21 février 2011, sept mois après la vente, après que Mme Bultel l'a utilisé uniquement sur 13.700 kilomètres environ.

Il ressort du rapport d'expertise amiable de M. Danneels que :

la bielle du cylindre n° 4 est rompue avec traces de chauffe au niveau de la tête,

les coussinets de la bielle n° 4 sont complètement détériorés et sont soudés sur le maneton de vilebrequin,

le pied de bielle n° 4 est déformé et coincé entre le vilebrequin et le bloc moteur,

les trois autres coussinets présentent des traces de surcharge,

il y a une fuite d'huile au niveau du carter inférieur,

la courroie de distribution est décalée d'une demie dent au pignon d'arbres à cames

il n'y a pas de problème de lubrification sur les éléments de la ligne d'arbre inférieur et pas de boue dans le fond du carter.

selon l'analyse de huile par laboratoire, la panne ne provient pas d'un problème de lubrification.

le moteur ne peut être mis en marche et doit être changé.

L'expert explique que la panne et le désordre du moteur proviennent d'une destruction d'un jeu de coussinets de bielles par diminution de leur épaisseur. Il relève que ce problème est récurrent sur ce type de moteur.

Il en découle, au regard du peu de temps et de la faible utilisation par Mme Bultel de la voiture, que le vice ayant entraîné la panne rendant inutilisable le véhicule (Mme Bultel ne l'aurait nécessairement pas acquis si elle avait eu connaissance de la situation), existait préalablement à la vente et que ce vice n'était pas décelable par un acquéreur profane.

Le véhicule, objet de la vente, était donc affecté lors de la cession d'un vice caché de sorte que le tribunal a, à juste titre, condamné M Sabau, vendeur, à prendre en charge, au titre de la réduction du prix, la somme de 4 967,85 euros, telle qu'estimée par l'expert ; en effet, des frais de réparation de 6 623,81 euros sont nécessaires au fonctionnement du véhicule. Mme Bultel a accepté de conserver à sa charge une partie de ce montant, au regard de la plus-value que procurera la pose d'un moteur neuf dans sa voiture.

Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

M. Sabau prétend que le vice est un défaut de fabrication et que le constructeur doit le garantir de cette condamnation.

Il ressort du rapport d'expertise que la cause de la destruction du moteur est une détérioration des coussinets de bielles par diminution de leur épaisseur. Ce désordre, qui apparaît avec l'usage du véhicule, remonte nécessairement à la construction du véhicule et à celle de fabrication de ces éléments. En effet, le simple défaut d'entretien d'un véhicule (et en particulier, le fait que M. Sabau ne puisse pas justifier de l'entretien effectué à 60 000 kilomètres) ne peut expliquer une telle diminution de l'épaisseur des coussinets. En outre, l'expert a pu relever que la panne n'était pas liée à un défaut de lubrification.

Cette constatation est corroborée par le fait que ce type de problème a pu être constaté de façon récurrence sur des véhicules équipés d'une motorisation semblable. En effet, si le seul fait que ce type de moteur puisse connaître des défauts de fabrication ne peut suffire à déterminer l'origine de la panne, les constatations matérielles de l'expert faites sur le moteur du véhicule de Mme Bultel confirment l'origine de la défaillance et la diminution d'épaisseur de la pièce à l'origine des désordres.

Dans ces conditions, puisque le vice existait, en germe, lors de la première vente de la voiture, la SAS Renault sera condamnée à garantir M. Sabau du montant de la condamnation prononcée. Le jugement sera réformé en ce sens.

Mme Bultel ne rapporte pas la preuve d'une résistance abusive de M. Sabau, le seul fait qu'il n'ait pas répondu à sa proposition d'accord amiable avant qu'elle n'engage la procédure ne pouvant caractériser une faute susceptible d'engager sa responsabilité. Elle sera donc déboutée de sa demande de dommages et intérêts et le jugement confirmé ce de chef.

M. Sabau, succombant à l'égard de Mme Bultel, sera condamné, sous la garantie de la SAS Renault, aux dépens de première instance liés à la demande principale. Il sera également condamné, selon les mêmes modalités, aux dépens d'appel afférents à cette demande.

La SAS Renault sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel liés à l'appel en garantie. Le jugement sera réformé en ce sens.

Il serait inéquitable de laisser à Mme Bultel la charge des frais exposés et non compris dans les dépens. M. Sabau sera condamné à lui payer la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel et le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a condamné à celle de 700 euros au titre des frais irrépétibles de première instance.

La SAS Renault devra le garantir de ces condamnations.

M. Sabau bénéficiant de l'aide juridictionnelle totale, il ne justifie pas de frais exposés et non compris dans les dépens. Sa demande sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile sera rejetée.

Par ces motifs : LA COUR, statuant par arrêt contradictoire : Confirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté M. Gilles Sabau de sa demande en garantie à l'encontre de la SAS Renault et en ce qu'il a condamné M. Gilles Sabau aux dépens liés à l'appel en garantie ; L'Infirme de ces chefs et statuant à nouveau : Condamne la SAS Renault à garantir M. Gilles Sabau des condamnations prononcées à son encontre au profit de Mme Nadine Bultel en principal, soit la somme de 4 967,85 euros et sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile à hauteur de 700 euros, en première instance ; Dit que la SAS Renault devra garantir M. Gilles Sabau de sa condamnation aux dépens de première instance relatifs à la demande principale ; Condamne M. Gilles Sabau, sous la garantie de la SAS Renault, aux dépens d'appel en ce qu'ils concernent ses rapports avec Mme Nadine Bultel ; Condamne la SAS Renault aux dépens liés à l'appel en garantie en première instance et en cause d'appel qui seront recouvrés conformément à la loi sur l'aide juridictionnelle ; Condamne M. Gilles Sabau à payer à Mme Nadine Bultel, sous la garantie de la SAS Renault, la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ; Déboute M. Gilles Sabau de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.