CA Angers, ch. com. A, 21 janvier 2014, n° 11-02883
ANGERS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Appros Cultures (SA)
Défendeur :
Herisse, Clara Automobiles (SAS), Automobile Peugeot (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Van Gampelaere
Conseillers :
Mmes Grua, Monge
Avocats :
Mes Vicart, Nomblot, Langlois, Murillo, Pigeau, Deltombe, Raynaud, Boucheron, SCP Chatteleyn, George
FAITS ET PROCEDURE :
Sur appel interjeté par la société Appros cultures 72 (la société Appros) d'un jugement rendu le 29 août 2011 par le Tribunal de commerce du Mans, notre cour a, par arrêt du 26 mars 2013, auquel il sera renvoyé pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ordonné la réouverture des débats, invité la société Appros à préciser le vendeur contre lequel elle dirigeait sa demande en résolution de vente, à s'expliquer sur la possibilité de cumuler l'exercice des droits et actions qui appartenaient à son propre vendeur et une action directe en réparation de son préjudice personnel et, le cas échéant, à indiquer celle qu'elle entendait maintenir en précisant le fondement juridique. Elle enjoignait également, à toutes fins, à la société Appros de produire le contrat de crédit-bail souscrit auprès de la société Crédipar et de préciser le montant du paiement par elle effectué à l'occasion de sa levée d'option d'achat intervenue le 16 octobre 2008, en en versant aux débats le justificatif. Les autres parties étaient invitées à présenter toutes observations utiles sur ces points et la société Automobiles Peugeot (la société Peugeot) était invitée à préciser la limite tirée de la convention initiale formée avec la société Sara automobiles devenue société Clara automobiles qu'elle invoquait et, le cas échéant, à en justifier.
Les parties ont toutes repris de nouvelles conclusions.
Une ordonnance rendue le 6 novembre 2013 a clôturé la procédure.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES :
Les dernières conclusions, respectivement déposées les 16 mai 2013 pour la société Appros, 4 juin 2013 pour M. Hérissé, 31 mai 2013 pour la société Clara automobiles et 22 octobre 2013 pour la société Peugeot, auxquelles il conviendra de se référer pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, peuvent se résumer ainsi qu'il suit.
La société Appros demande à la cour de réformer le jugement entrepris en ses dispositions lui faisant grief, de prononcer la résolution de la vente du véhicule litigieux pour vices cachés à l'égard de la société Peugeot, de condamner cette dernière à lui payer la somme de 12 815,20 euros HT, montant du prix de vente du véhicule, de la condamner à réparer son préjudice de jouissance à hauteur d'une somme de 4 970 euros, de condamner M. Hérissé à lui payer la somme de 1 228,23 euros HT en réparation de sa perte financière, de rejeter toutes prétentions contraires comme non recevables et, en tout cas, non fondées, de condamner solidairement les intimés ou l'un à défaut des autres à lui payer une indemnité de procédure, outre les entiers dépens, en ce compris les frais d'assignation en référé et les frais d'expertise.
Elle maintient que le vice affectant le véhicule lui était caché au moment où elle l'a acheté, le 16 octobre 2008, s'agissant d'un vice de fabrication que ne lui avaient pas révélé les professionnels chargés de réparer ledit véhicule. Elle fait valoir que l'expert judiciaire ayant conclu au caractère économiquement irréparable du véhicule compte tenu de son âge et de son potentiel kilométrique, elle est fondée à solliciter la résolution de la vente. Elle estime qu'en sa qualité de professionnelle tenue de connaître les vices affectant la chose vendue, la société Peugeot lui doit, outre la restitution du prix, tous les dommages et intérêts en application de l'article 1645 du Code civil. Elle précise que le véhicule étant inutilisable depuis le 18 novembre 2008, elle réclame une indemnité de 10 euros par jour jusqu'à l'assignation, soit la somme de 4 970 euros. Elle conteste avoir à conserver à sa charge la facture de 1 228,23 euros HT portant sur des réparations d'aucune utilité.
M. Hérissé demande à la cour de donner acte à Me Langlois de ce qu'il se constitue aux lieu et place de la SCPA Gontier-Langlois aux fins de reprise de l'instance, de dire la société Appros non fondée en son appel, de l'en débouter, de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et de condamner la société Appros à lui verser une indemnité de procédure, outre les entiers dépens.
Il fait valoir qu'il a scrupuleusement suivi les instructions du constructeur, lors de ses interventions sur le véhicule litigieux et en déduit n'avoir commis aucune faute tant contractuelle que délictuelle.
La société Clara automobiles demande à la cour de constater que la société Appros n'élève plus aucune demande à son encontre, reconventionnellement, de condamner l'appelante in solidum avec tous contestants à lui payer une indemnité de procédure et statuer ce que de droit sur les dépens.
Elle observe que la société Appros a opté pour l'action directe contre la société Peugeot et ne forme plus de demande contre elle. Elle rappelle que sa présence n'avait pas été jugée utile lors de l'expertise. Elle conclut qu'elle est fondée à solliciter une indemnité au titre des frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'exposer.
La société Peugeot demande à la cour de dire la société Appros non fondée en son appel dirigé contre elle, de la déclarer irrecevable et en tout cas mal fondée en toutes ses demandes contre elle, de l'en débouter, de confirmer le jugement entrepris en ses dispositions la concernant, de constater que la cause des désordres ne tient pas à un vice de conception ou construction mais à la défaillance des réparateurs et professionnels chargés de l'entretien, de constater en tout cas que le vice aurait été apparent lors de la vente du véhicule le 13 octobre 2008 à la société Appros, subsidiairement de constater qu'elle ne pourrait être tenue à autre chose que ce à quoi l'obligeait la convention initiale formée avec la société Sara automobiles devenue société Clara automobiles, de constater que le prix à restituer ne pourrait être que celui perçu à la sortie d'usine, de rejeter toutes prétentions plus amples, en tout état de cause, de condamner la société Appros ou tout autre contestant à lui payer une indemnité de procédure, outre les entiers dépens.
Elle soutient que la société Appros ne rapporte pas la preuve d'un vice caché, l'expert judiciaire n'ayant, selon elle, démontré que la défaillance du réparateur automobile. Elle fait valoir que pour remédier au désordre dénoncé, il suffit de remplacer le turbocompresseur et diverses pièces périphériques, ce que le garage Leguay n'a pas fait. Elle ajoute, qu'à supposer que l'existence d'un vice fût établie, il ne pourrait alors avoir été qu'apparent pour la société Appros qui utilisait le véhicule depuis 2005 en qualité de locataire. Subsidiairement, elle estime que vendeur originaire, elle ne peut être tenue à garantie au-delà de ce qui était stipulé dans la convention originaire. Elle considère que la société Sara automobiles n'ayant disposé contre elle d'aucune action pour avoir acquis l'automobile avant les réparations désastreuses des deux garages, le sous-acquéreur qu'est la société Appros n'en a pas davantage. Elle précise n'être pas en mesure de donner le prix de vente usine, en raison de l'ancienneté de l'opération mais affirme qu'il n'excède pas 50 % du prix facturé à l'organisme de crédit.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur l'existence d'un vice caché
Attendu qu'à l'issue d'opérations qui l'ont amené à démonter le moteur du véhicule Peugeot 307 litigieux et à soumettre la culasse et l'échangeur de température à une épreuve en pression et en température, l'expert judiciaire a conclu que l'entretien du véhicule avait été correctement assuré par la société Appros mais que ledit véhicule était affecté d'un vice caché tenant à ce qu'un "circuit de recyclage des gaz d'échappement, de par son fonctionnement, génér(ait), un encrassement du moteur" et "entraîn(ait) une obturation du circuit d'alimentation en huile des paliers fluides du turbocompresseur avec pour conséquence le grippage et la destruction de celui-ci" (page 16 du rapport d'expertise) ;
Que l'expert retenait que la remise en état du véhicule nécessitait le remplacement du moteur en échange standard, le remplacement du radiateur, le remplacement de sa batterie, le contrôle des organes de sécurité et le remplacement des pièces qui pourraient s'avérer défectueuses suite à leur non-utilisation depuis le 18 novembre 2008 (même page) pour en déduire le caractère économiquement irréparable de ce véhicule en raison de son âge et de la distance kilométrique qu'il avait parcourue ;
Qu'il précisait encore (page 18 du rapport) que l'application intégrale de "l'Info flash" de la société Peugeot ne pouvait "que supprimer temporairement les désordres, l'origine de ceux-ci n'étant pas traitée" ;
Qu'il ressort ainsi du rapport d'expertise que le véhicule pour lequel la société Appros avait souscrit un contrat de crédit-bail auprès de la société Crédipar avant de lever l'option d'achat, le 16 octobre 2008, était affecté d'un vice de fabrication, et donc d'un vice qui préexistait à son acquisition, le 31 août 2005, par la société Crédipar auprès de la société Sara automobiles aux droits de laquelle vient la société Clara automobiles, vice dont la nature et l'ampleur n'ont été révélées à la société Appros que par l'expertise judiciaire ;
Que c'est en vain que la société Peugeot impute les désordres constatés à la défaillance des garagistes qui se sont successivement occupés du véhicule litigieux dès lors que l'expert judiciaire explique, de façon circonstanciée, que les garagistes ne pouvaient que corriger les manifestations de ce vice caché sans en traiter la cause, ce qui aboutissait, nécessairement, de leur part, à une réparation de nature temporaire ;
Que, de surcroît, si l'expert judiciaire a relevé que le garage Leguay, agent Peugeot, n'avait pas appliqué les directives du constructeur (page 16 du rapport), il n'a pas fait ce même constat en ce qui concerne M. Hérissé qui a, au contraire, appliqué ces directives, sans que cette intervention fût durablement satisfaisante puisque le moteur, fait observer l'expert, n'a "survécu que 4 622 km" (page 18 du rapport) ;
Qu'en définitive, un véhicule qui contient en lui un défaut compromettant gravement son usage et obligeant, de façon récurrente, son conducteur à le déposer chez le garage pour qu'il y soit remédié au prix de travaux coûteux souffre bien d'un vice rédhibitoire au sens de l'article 1641 du Code civil ;
Que le jugement qui en a décidé autrement sera infirmé sur ce point ;
Sur l'action en résolution exercée par la société Appros contre la société Peugeot
Attendu que la société Appros, sous-acquéreur du véhicule litigieux, est recevable à exercer l'action rédhibitoire qu'aurait pu exercer la société Crédipar, son auteur, si celle-ci avait conservé la propriété de ce véhicule ;
Qu'elle avait la liberté de choisir de diriger son action rédhibitoire contre la société Peugeot, vendeur originaire du véhicule, plutôt que contre la société Clara automobiles, venant aux droits de la société Sara automobiles, vendeur intermédiaire, sans qu'il y ait lieu de rechercher si cette dernière avait ou non eu personnellement connaissance du vice caché au moment de la vente ;
Que si le vendeur originaire ne peut être tenu de restituer davantage qu'il n'a reçu, il lui appartient cependant de rapporter la preuve de ce qu'il a perçu un prix inférieur au prix qui lui est réclamé, en justifiant du montant de ce prix ;
Or attendu que dûment interrogée par l'arrêt avant-dire droit sur la limite qu'elle invoquait, la société Peugeot se borne à faire valoir qu'en raison de l'ancienneté de l'opération, elle n'est pas en mesure de livrer la facture initialement délivrée et à affirmer, sans l'établir d'aucune façon, que le prix de vente usine n'atteignait pas moitié du prix d'achat final de l'organisme de crédit ;
Que dans ces conditions, la cour accueillera la demande en résolution de la vente formée par la société Appros et condamnera la société Peugeot, en contrepartie de la restitution du véhicule, à lui verser le prix par elle sollicité diminué du coût des options que constituaient le cache-bagages et la peinture métallisée, soit la somme de 12 815,20 - 200 - 340 = 12 275,20 euros HT ;
Sur la demande indemnitaire de la société Appros
Attendu que la société Appros est recevable et bien fondée à demander à la société Peugeot, vendeur professionnel de l'automobile directement responsable du vice de construction affectant son véhicule, réparation du préjudice que ce vice lui a personnellement causé ;
Que la société Appros, privée de la jouissance de son véhicule depuis le 18 novembre 2008, date à laquelle elle a dû le déposer auprès du garage Hérissé, avant d'apprendre de l'expert judiciaire qu'il était économiquement irréparable, sera indemnisée de ce préjudice à hauteur de la somme de 3 900 euros ;
Sur la demande de la société Appros dirigée contre M. Hérissé
Attendu que la société Appros demande à M. Hérissé le remboursement du montant de la dernière facture qu'elle estime avoir inutilement acquittée, soit de la somme de 1 228,23 euros HT ;
Mais attendu qu'elle ne démontre pas que M. Hérissé qui s'est, ainsi qu'il a été dit, conformé aux préconisations du constructeur et dont les travaux ont permis à la société Appros de circuler encore quelque 4 622 km supplémentaires, ait manqué à ses obligations, la nouvelle panne, étrangère à ses travaux, étant due à la persistance du vice de fabrication dont rien ne permet de retenir que M. Hérissé aurai pu ou dû le déceler au moment de son intervention ;
Que la société Appros sera déboutée de ses prétentions sur ce point ;
Sur les demandes accessoires
Attendu que la société Peugeot succombant en ses prétentions supportera les entiers dépens de première instance et d'appel ainsi que les frais d'expertise et de référé, sera condamnée à verser à la société Appros la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et sera déboutée de sa propre demande de ce chef ;
Que la société Clara automobiles et M. Hérissé, inutilement attraits en cause d'appel par la société Appros, recevront respectivement de celle-ci la somme de 1 500 euros au titre de leurs frais irrépétibles ;
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Infirme le jugement déféré Sauf en ce qu'il a condamné le garage Leguay à payer à la société Appros cultures 72 la somme de 676,61 euros HT, Statuant à nouveau et y ajoutant, Déclare la société Appros cultures 72 recevable en son action dirigée contre la société Automobiles Peugeot fondée sur l'existence d'un vice caché de fabrication, Prononce la résolution de la vente du véhicule Peugeot 307 immatriculé 373 XE 72, Condamne la société Automobiles Peugeot à verser à la société Appros cultures 72, en contrepartie de la restitution du véhicule litigieux, la somme de douze mille deux cent soixante-quinze euros vingt centimes (12 275,20 euros) HT, La Condamne à payer à la société Appros cultures 72 la somme de trois mille neuf cents euros (3 900 euros) à titre de dommages et intérêts, La Condamne aux entiers dépens de première instance, d'appel et de référé, en ce compris les frais d'expertise judiciaire, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, La Condamne à payer à la société Appros cultures 72 la somme de quatre mille euros (4 000 euros) sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Appros cultures 72 à verser respectivement à la société Clara automobiles, d'une part, et à M. Hérissé, d'autre part, la somme de mille cinq cents euros (1 500 euros) sur le fondement des mêmes dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute les parties de leurs prétentions plus amples ou contraires.