CA Paris, Pôle 2 ch. 2, 12 avril 2013, n° 12-02009
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Multiforma Industries (SARL)
Défendeur :
Kossentini
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Vidal
Conseillers :
Mmes Martini, Richard
Avocats :
Mes Hatet-Sauval, Bastard de Crisnay, Julien, Mezard
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
M. Souhaiel Kossentini a acquis du matériel d'armement entre le 10 avril et le 17 juin 2008 auprès de la SARL Multiforma Industries exploitant un magasin à l'enseigne Excalibur sis (...), moyennant une somme totale de 9 480 euro. Soutenant que ces ventes étaient nulles pour vices du consentement, il a fait assigner la Société Multiforma devant le Tribunal de grande instance de Paris suivant acte d'huissier en date du 6 janvier 2010 et a réclamé la restitution du prix et subsidiairement le versement de dommages et intérêts pour manquement du vendeur à son obligation d'information.
Par jugement en date du 14 novembre 2011, le Tribunal de grande instance de Paris a rejeté la demande en nullité des ventes mais a condamné la SARL Multiforma Industries à verser à M. Souhaiel Kossentini une somme de 9.480 euro à titre de dommages et intérêts pour manquement à son obligation d'information, considérant que le vendeur ne pouvait ignorer que M. Souhaiel Kossentini demeurait en Tunisie et que la loi tunisienne ne permettait pas l'entrée de telles armes sur son territoire, de sorte que l'acquéreur ne pouvait faire aucun usage des biens acquis. Il a rejeté toutes les autres demandes en dommages et intérêts et sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
La SARL Multiforma Industries a interjeté appel de cette décision suivant déclaration en date du 2 février 2012.
La SARL Multiforma Industries, aux termes de ses dernières conclusions en date du 6 février 2013, demande à la cour :
D'infirmer le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Paris,
In limine litis, de juger les demandes formulées par M. Souhaiel Kossentini irrecevables pour défaut d'intérêt et de qualité pour agir,
Au fond, de dire qu'elle n'a pas failli à son obligation de conseil,
Subsidiairement, d'enjoindre M. Souhaiel Kossentini de lui restituer le matériel,
De le condamner à lui verser la somme de 1 500 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et celle de 6 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle fait valoir :
que faute pour lui de justifier de son domicile réel, malgré la sommation qui lui a été faite, les conclusions déposées par Monsieur Souhaiel Kossentini seront déclarées irrecevables en application des articles 960 et 961 du CPC ;
Sur la recevabilité des demandes, qu'il est apparu, en lecture d'une lettre du demandeur en cours de procédure, que le véritable demandeur à la procédure est le père de M. Souhaiel Kossentini qui s'est servi de l'état mental de son fils ;
Sur l'obligation d'information, que la vente étant une vente au détail, le vendeur est tenu, aux termes de l'article L. 111-1 du Code de la consommation d'une obligation d'information sur le matériel vendu et non sur son affectation ou sur son utilisation ultérieure ; que l'obligation de renseignement prévue par les articles 1110 et 1116 du Code civil, à laquelle la jurisprudence ajoute l'obligation de conseil, ne dispense pas le consommateur de révéler au vendeur les éléments nécessaires pour une juste appréciation de ses besoins ; qu'en l'espèce M. Souhaiel Kossentini ne justifie pas avoir indiqué qu'il souhaitait exporter le matériel en Tunisie et n'a pas demandé de formulaire de remboursement de la TVA, et que le tribunal ne pouvait, comme il l'a fait, mettre à la charge du vendeur une présomption de connaissance de l'affectation du matériel vendu ;
Que les armes pouvaient être vendues sans autorisation, le classement du Taser en 4ème catégorie (donc interdit à la vente sans autorisation) n'étant acquis que depuis le décret du 31 mai 2011 confirmant ce classement, de sorte que les armes étaient classées, au moment des ventes, en 2008, en 6ème catégorie ;
Sur la nullité des contrats de vente, que si l'état mental de M. Souhaiel Kossentini justifiait la nullité des ventes, la SARL Multiforma Industries ne pourrait être condamnée à en restituer le prix que contre restitution des armes acquises que la cour devrait ordonner ;
Que c'est en vain que M. Souhaiel Kossentini prétend ne pas avoir reçu les armes acquises, alors qu'il s'est rendu au magasin à plusieurs reprises, ainsi qu'en attestent les différents relevés bancaires et l'attestation démontrant les liens entretenus entre l'acquéreur et la salariée du magasin ; que, s'il s'est rendu compte que le matériel n'était pas exportable, c'est parce qu'il s'est présenté avec celui-ci à la douane.
M. Souhaiel Kossentini, en l'état de ses dernières écritures récapitulatives en date du 12 novembre 2013, conclut à la confirmation du jugement dont appel et demande à la cour :
De confirmer le jugement déféré, de dire que la SARL Multiforma Industries a manqué à son obligation d'information et de la condamner à lui verser la somme de 9 480 euro à titre de dommages et intérêts,
A titre subsidiaire, de prononcer la nullité des contrats et de condamner la SARL Multiforma Industries à lui verser la somme de 9 480 euro au titre du remboursement du prix d'acquisition,
En tout état de cause, de condamner la SARL Multiforma Industries à lui verser la somme de 5 000 euro à titre de dommages et intérêts et celle de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Il soutient, pour l'essentiel :
Qu'il justifie de son domicile par la production d'un certificat de résidence et d'une attestation d'hébergement ;
Sur la recevabilité de ses demandes, qu'il a écrit la lettre du 20 janvier 2012 par laquelle il indiquait que c'était son père qui avait mandaté Me Julien pour introduire la procédure, sous l'influence de Mme Nina, gérante de la boutique Excalibur ;
Sur l'obligation d'information du vendeur, que la SARL Multiforma Industries savait que les achats étaient effectués par commerce électronique depuis la Tunisie (il est justifié que M. Souhaiel Kossentini était alors en Tunisie), les factures ayant été rédigées à une adresse en Tunisie ; que l'obligation d'information du vendeur doit permettre d'éclairer le contractant dans ses décisions et que le vendeur devait attirer son attention sur le fait que l'importation d'armes en Tunisie n'était pas possible ; que le tribunal a justement retenu que c'était à la SARL Multiforma Industries d'apporter la preuve du respect de son obligation d'information ; que M. Souhaiel Kossentini n'aurait pas pu solliciter la détaxe des marchandises puisqu'il s'agissait d'armes de la 4ème catégorie ;
Sur la nullité des contrats, qu'il y a eu erreur sur la substance puisque M. Souhaiel Kossentini a acquis les armes pour les importer en Tunisie, ce que la législation lui interdit et qu'au demeurant, il souffre depuis des années de troubles schizophréniques qui altèrent sa capacité de jugement et vicient son consentement, étant ici démontré que M. Souhaiel Kossentini a procédé aux acquisitions en cause un mois seulement avant son hospitalisation ;
qu'il ne peut procéder à la restitution des matériels qui sont restés en la possession de la SARL Multiforma Industries puisque les achats ont été faits depuis la Tunisie et réglés par virements électroniques ; que l'absence de livraison des armes résulte également de la réclamation de son conseil en date du 16 juin 2009, non contestée par la SARL Multiforma Industries.
La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 5 mars 2013.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la recevabilité des conclusions de M. Souhaiel Kossentini :
Considérant que M. Souhaiel Kossentini justifie de la réalité de l'adresse mentionnée dans ses conclusions, (...), par la production d'un certificat de résidence délivré le 20 décembre 2012 par le chef de police du Belvédère à Tunis et par l'attestation de son père, M. Hechmi Kossentini, qui déclare qu'il l'héberge chez lui, au (...) ;
Que les écritures de M. Souhaiel Kossentini sont donc recevables ;
Sur la recevabilité des demandes de M. Souhaiel Kossentini :
Considérant que c'est en vain que la SARL Multiforma Industries soulève l'irrecevabilité des demandes formées contre elle par M. Souhaiel Kossentini en soutenant qu'en réalité l'action serait menée par M. Hechmi Kossentini, le père du demandeur, ainsi que révélé par une attestation de M. Souhaiel Kossentini en date du 12 mai 2011 ;
Qu'en réalité, dans sa lettre du 12 mai 2011 à Mme Nina, vendeuse au magasin exploité par la SARL Multiforma Industries, M. Souhaiel Kossentini s'excuse auprès d'elle du procès engagé contre cette société et en impute l'initiative à son père, mais que cette lettre révèle également les problèmes de santé de son auteur et la nécessité dans laquelle son père peut se trouver de prendre des dispositions dans son intérêt ;
Que M. Souhaiel Kossentini a par ailleurs écrit à Me Julien, son avocat, le 14 février 2012 pour indiquer qu'il retirait tout ce qu'il avait dit à Mme Nina et qu'il confirmait sa désignation pour continuer de le défendre devant le tribunal de grande instance contre la SARL Multiforma Industries ; qu'aux termes d'explications confuses et répétitives, il indiquait qu'il avait écrit sous la pression de Mme Nina et en vue de trouver une solution à l'amiable, mais qu'il ne voulait pas que cette lettre soit employée "à double tranchant" ;
Qu'au regard de ces éléments, il convient de retenir que M. Souhaiel Kossentini est bien le demandeur à l'action et qu'il justifie, étant l'acquéreur des armes, d'un intérêt et d'une qualité à agir qui rendent ses demandes recevables ;
Sur l'obligation d'information du vendeur et la demande en dommages et intérêts de M. Souhaiel Kossentini :
Considérant que M. Souhaiel Kossentini a procédé à l'acquisition de nombreuses armes de défense (pistolets à décharge électrique Taser, matraques télescopiques et recharges) auprès de la SARL Multiforma Industries en plusieurs temps, les 10 avril 2008 pour 1 300 euro, le 25 avril 2008 pour 1 620 euro, le 3 mai 2008 pour 1 700 euro, le 9 mai 2008 pour 1 100 euro, le 14 mai 2008 pour 1 460 euro, le 17 mai 2008 pour 1 210 euro, le 30 mai 2008 pour 450 euro, le 5 juin 2008 pour 400 euro et le 17 juin 2008 pour 240 euro, soit neuf achats successifs pour un montant total de 9 480 euro ;
Qu'il produit aux débats les factures établies pour chacun de ces achats par le magasin Excalibur, (...), factures mentionnant le paiement par carte bancaire et l'adresse de l'acquéreur en (...) ;
Qu'il invoque un manquement du vendeur à son obligation d'information pour ne pas l'avoir informé sur le fait que ces armes ne pouvaient être importées en Tunisie et sollicite sa condamnation à lui verser des dommages et intérêts équivalents au prix de ces matériels, indiquant qu'il n'a pu en avoir aucun usage ;
Considérant qu'en droit commun des contrats, le contractant est tenu d'une obligation d'information loyale, claire et compréhensible destinée à permettre au cocontractant de disposer de tous les éléments lui permettant de prendre sa décision de conclure ou non le contrat ; que le vendeur qui connaît ou doit connaître, en raison de sa qualification professionnelle, un fait dont il sait l'importance déterminante pour l'acheteur doit en informer son client ; qu'il doit, afin que la vente soit conclue en connaissance de cause, s'enquérir des besoins de celui-ci et l'informer des contraintes techniques de la chose vendue ;
Qu'en l'espèce, la SARL Multiforma Industries avait parfaitement connaissance du fait que M. Souhaiel Kossentini était domicilié en Tunisie puisque son adresse figure sur les factures et qu'il s'agissait d'un client manifestement connu du magasin et de sa vendeuse, Mme Nina ; qu'il était de son devoir de l'informer de l'interdiction d'importation des armes acquises en Tunisie, interdiction qu'il ne pouvait ignorer en raison de sa qualification professionnelle, alors que M. Souhaiel Kossentini était un consommateur profane ignorant de la réglementation ;
Que c'est donc à juste titre que le tribunal a considéré que la venderesse avait manqué à son obligation d'information et avait ainsi engagé sa responsabilité ;
Considérant que le tribunal a alloué à M. Souhaiel Kossentini des dommages et intérêts équivalant au prix des matériels dont il a fait l'acquisition en retenant qu'il était dans l'impossibilité d'en faire usage, faute de pouvoir les rapporter à son domicile ; mais que cette impossibilité n'est pas de nature à justifier le paiement d'une somme correspondant à la valeur totale des armes, à défaut de restitution de celles-ci ;
Que M. Souhaiel Kossentini prétend n'avoir jamais reçu les armes, mais que la cour constate qu'il n'a pas actionné le vendeur pour défaut de délivrance de la chose vendue ; que la cour note également que les factures d'acquisition produites par M. Souhaiel Kossentini ont été établies de manière manuscrite dans le magasin des Champs Elysées et manifestement remises à l'acquéreur en même temps que le matériel acquis ; que M. Souhaiel Kossentini conteste cette remise au magasin et prétend qu'il aurait acquis les armes par internet depuis la Tunisie ; mais qu'il ne s'explique pas sur la remise des factures qui ne peuvent correspondre à un achat électronique depuis la Tunisie et qu'il n'établit pas que la SARL Multiforma Industries aurait un site de vente par internet, ce que dénie cette société ;
Qu'il convient en conséquence de fixer le montant des dommages et intérêts dus par la SARL Multiforma Industries à M. Souhaiel Kossentini au titre du manquement à son obligation d'information à la somme de 4 000 euro ;
Considérant que c'est à bon droit que le tribunal a rejeté la demande de M. Souhaiel Kossentini en paiement de dommages et intérêts pour résistance abusive, de même que la demande en dommages et intérêts pour procédure abusive de la SARL Multiforma Industries, chacune des parties ayant exercé son droit d'agir en justice et de défendre face aux prétentions de son contradicteur, sans mauvaise foi et sans commettre de faute de nature à rendre cet exercice abusif ;
Vu les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
Vu l'article 696 du Code de procédure civile,
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, Confirme le jugement du Tribunal de grande instance de Paris déféré en toutes ses dispositions, sauf à ramener le montant des dommages et intérêts dus par la SARL Multiforma Industries à M. Souhaiel Kossentini pour manquement à son obligation d'information à la somme de 4 000 euro ; Y ajoutant, Condamne la SARL Multiforma Industries à verser à M. Souhaiel Kossentini une somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ; La condamne aux dépens d'appel qui seront recouvrés dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.