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Décisions

CA Paris, Pôle 4 ch. 9, 28 mars 2013, n° 11-18260

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Parfip France (SAS)

Défendeur :

Leroux

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Sadot

Conseillers :

Mmes Lefevre, Cléroy

Avocats :

Mes Fanet, Alagy, Fisselier, Bellet

TI Paris, du 28 juin 2011

28 juin 2011

Par jugement du 28 juin 2011, le Tribunal d'instance du 16e arrondissement de Paris a condamné M. Stéphane Leroux à payer à la société Parfip France, en exécution d'un contrat de location de matériel informatique et photographique, les sommes de 1 076,40 euro au titre des loyers impayés et 50 euro pour indemnité de résiliation.

Par déclaration déposée le 12 octobre 2011, la société Parfip France a fait appel de cette décision. Dans ses dernières conclusions déposées le 13 juillet 2012, elle expose qu'elle est cessionnaire d'un contrat de location de matériel conclu entre la société Idep Multimédia et M. Leroux, et que cette convention prévoyait l'obligation pour le preneur de payer l'intégralité des sommes dues à titre de loyer jusqu'au terme convenu dans l'hypothèse d'une résiliation.

Elle soutient que M. Leroux ne rapporte aucune preuve de la non-conformité ou d'une défectuosité affectant le matériel fourni, et qu'en tout état de cause il existe une indépendance juridique entre le contrat de location et toute autre convention que M. Leroux aurait signée concomitamment, ce qui interdit d'en prononcer la résiliation en raison d'un différend l'opposant au fournisseur, ou à un prestataire de services.

Elle sollicite l'application stricte du contrat de location, en rappelant que M. Leroux l'a souscrit pour les besoins de son activité professionnelle, et demande en conséquence sa condamnation au paiement de la somme de 7 814,66 euro.

Dans ses dernières conclusions déposées le 15 mai 2012, M. Leroux expose qu'il a été démarché par la société Idep Multimédia qui lui proposait la création et la maintenance d'un site Internet présentant son activité professionnelle et que le 10 octobre 2008, il a accepté de signer un accord en ce sens, prévoyant pour ces prestations un loyer mensuel de 180 euro hors-taxes sur 48 mois. Il prétend que le matériel litigieux lui a été remis à titre de cadeau, et que ce n'est qu'en janvier 2010, après avoir protesté à de nombreuses reprises pendant l'année 2009 pour obtenir la réalisation des prestations promises, qu'une copie du contrat de location qu'il avait signé sans s'en rendre compte lui a finalement été remise.

Il soutient que l'erreur sur la substance même de la convention qu'il a ainsi commise, en raison de la confusion sciemment opérée par le représentant de la société Idep Multimédia, a vicié son consentement et que le contrat de location doit être annulé. Il ajoute subsidiairement qu'il n'a jamais eu connaissance des diverses clauses du contrat dont se prévaut maintenant la société Parfip France, et ne peut être tenu au paiement des sommes réclamées en exécution des conditions générales par la société appelante.

MOTIFS DE LA DECISION

Attendu que la société Parfip France poursuit l'exécution d'un contrat de location signée le 10 octobre 2008 par M. Leroux ; que l'acte qu'elle produit en copie comprend, dans le paragraphe de désignation du matériel, des indications très vagues sur la nature des biens donnés en location, désignés sous les termes de "ordinateur portable, appareil photo, imprimante", sans aucune autre précision sur la marque et les caractéristiques de ces appareils ; que le contrat prévoit une durée de 48 mois, et le paiement d'un loyer mensuel de 180 euro hors-taxes, ce qui aboutit à un coût financier de l'opération de 8 640 euro HT ; que la société Parfip France produit une facture établie le 24 octobre 2008 par la société Idep Multimédia, qui lui a cédé les matériels concernés pour le prix de 6 103,99 euro hors-taxes (7 300,37 euro TTC) ;

Attendu que le 21 octobre 2008, M. Leroux a signé un procès-verbal de réception du matériel, contenant cette fois une identification précise des objets reçus ; qu'il produit divers extraits de catalogue établissant que la valeur vénale totale de ces appareils atteint au maximum le montant de (485 + 39,90 + 140) 665 euro TTC ;

Attendu que ces premiers éléments font apparaître une incohérence économique de l'opération envisagée globalement ; qu'il est en effet totalement aberrant pour un organisme financier d'acquérir des matériels de large diffusion, qui n'ont aucun intérêt technique particulier, pour un prix correspondant à plus de 10 fois leur valeur marchande, et pour un utilisateur final de prendre ces appareils en location pour un coût total atteignant près de 13 fois leur valeur réelle ; que la société Parfip France ne fournit aucune explication sur l'intérêt économique d'un tel montage ;

Attendu que M. Leroux produit également un dossier de documentation technique établi par la société Idep Multimédia, intitulé "votre projet Web", comprenant 18 pages sur lesquelles sont développées les étapes de la conception et de la construction d'un site Internet, puis de son référencement et de son positionnement sur les moteurs de recherche ; qu'il verse aussi aux débats un document figurant sur une page, contenant plusieurs cadres parmi lesquels, sous le titre de "désignation des prestations", se trouvent énumérées diverses prestations en lien avec la création et la maintenance d'un site Web ; qu'ainsi, la société Idep Multimédia garantissait à M. Leroux un hébergement et un accès illimité et sécurisé, un référencement dans 43 moteurs de recherche avec 50 mots-clés, 8 heures par trimestre de mise à jour du site, un logiciel de gestion des clients et prospects, 500 actions de "push mailing" par trimestre ; que dans un autre cadre, se trouve mentionnée une formation au développement et aux pages dynamiques d'Internet pour une durée de 2 heures ; qu'un autre cadre ayant pour titre "observations et conditions particulières" contient la mention manuscrite que la société Idep Multimédia prend en charge la création du site de Stéphane Leroux, les logiciels, référencement, l'hébergement le graphiste ;

Attendu qu'ensuite, un cadre indique que le montant mensuel à payer pour une durée de 48 mois par le client est de 180 euro hors-taxes, ce qui se réfère nécessairement au prix de la location précitée ;

Attendu qu'aucune autre condition de prix ne se trouve précisée, alors que la création d'un site Internet permettant une action de gestion et sa maintenance constituent des prestations intellectuelles d'une certaine valeur, et qu'il ne peut être raisonnablement considéré qu'elles pourraient être assurées sans aucune contrepartie financière ;

Attendu que cette présentation de deux objets différents d'une même convention, c'est-à-dire la mise à disposition d'un locataire de quelques appareils de qualité courante et d'une valeur marchande peu élevée d'une part, et la fourniture de prestations de services informatiques nombreuses et coûteuses d'autre part, pour le seul prix mensuel de 180 euro présente certainement un risque important de confusion pour le cocontractant ;

Attendu que M. Leroux produit de très nombreux courriers électroniques et télécopies, émis tout au long de l'année 2009, dans lesquelles il sollicite l'intervention des services de conception, puis de mise à jour de la société Idep Multimédia, et insiste fréquemment sur le manque d'efficacité de ses interlocuteurs, et l'insuffisance de suivi de ses réclamations ; que dans l'une de ces correspondances, datée du 8 janvier 2010, il exprime de nouveau son impatience dans les termes suivant : "En payant 180 euro HT par mois, je paye pour quoi faire finalement (...) On m'a parlé de positionnement et de réactualisation. Qu'est-ce que je dois attendre comme service en retour de mon prélèvement mensuel" ; que tous ces documents mettent en évidence le souci essentiel de M. Leroux, qui était d'obtenir la mise en place et le fonctionnement du site Internet devant lui permettre de faire connaître son activité professionnelle ;

Attendu que se trouve ainsi caractérisée une erreur sur la substance du contrat conclu avec la société Parfip France par l'intermédiaire de la société Idep Multimédia, M. Leroux n'ayant pas pu raisonnablement envisager que le prix sollicité était afférent à la seule location des matériels qui lui ont été remis, dont l'utilité pour sa profession n'est d'ailleurs même pas évoquée ;

Attendu que cette erreur a vicié son consentement, et doit entraîner l'annulation de la convention conformément aux dispositions des articles 1109 et 1110 du Code civil ; qu'il convient donc d'infirmer le jugement déféré ;

Attendu qu'en conséquence, la société Parfip France doit être condamnée à rembourser les loyers déjà perçus, et devra obtenir la restitution des matériels donnés en location ;

Attendu que M. Leroux sollicite aussi la condamnation de la société Parfip France à lui payer une somme de 5 000 euro à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice moral et de la perte de temps générés sur son activité professionnelle ; que cependant, il ressort des documents ci-dessus évoqués que les difficultés rencontrées par M. Leroux ont été causées par la faute de la société Idep Multimédia, et non en conséquence d'éventuels manquements à ses obligations contractuelles commis par la société Parfip France ; qu'il doit donc être débouté de sa demande à ce titre ;

Attendu cependant que M. Leroux ne doit pas conserver à sa charge les frais irrépétibles qu'il a été contraint d'exposer à l'occasion de la présente procédure ;

Par ces motifs : Infirme le jugement rendu le 28 juin 2011 par le Tribunal d'instance du 16ème arrondissement de Paris, Prononce l'annulation de la convention de location de matériel conclu le 10 octobre 2008 entre M. Leroux et la société Parfip France, et en conséquence, Condamne la société Parfip France à rembourser à M. Leroux les sommes versées d'octobre 2008 à janvier 2010, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision, Ordonne la restitution à la société Parfip France des matériels mis à la disposition de M. Leroux, Condamne la société Parfip France à payer à M. Leroux la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, La Condamne aux dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du même Code.