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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 29 mars 2013, n° 11-13997

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Brucelle (Epoux)

Défendeur :

Benkaroum (Epoux), ADS Autos (SARL), Récréatif (SARL), Millelium Auto (SARL), Garage KM 76 (SARL), Diac (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Chandelon

Conseillers :

Mmes Saint-Schroeder, Lion

Avocats :

Mes Peytavi, Schaeffer, Guerreau, Teytaud, Ksentine, Montero, Serra, Olivier, SCP Angel Philippe, Hazane Denis

TGI Melun, du 7 juin 2011

7 juin 2011

Le 10 mars 2007, les époux Brucelle ont acquis un véhicule automobile Renault espace moyennant un prix de 11 800 €, par l'intermédiaire de la société ADS Autos, agissant en qualité de mandataire des propriétaires, les époux Benkaroum. Le bon de réservation signé précisait que les acheteurs avaient pris connaissance du contrôle technique du 5 janvier 2007 qui retenait des défauts, listait des points importants qui leur étaient signalés, indiquait qu'ils renonçaient à la garantie contractuelle moyennant une réduction du prix et déchargeaient la société ADS autos de toute responsabilité en cas de panne ultérieure. Sur le certificat de cession était indiqué que le kilométrage de 106 634 km n'était pas garanti.

Au mois de mai 2007, les époux Brucelle ont présenté le véhicule à un expert qui a constaté un manque de puissance, relevant que "les vitesses craquaient" et qui a consulté, par l'intermédiaire d'un garage, les opérations effectuées et enregistrées par le constructeur, constatant ainsi que le tableau de bord avait été changé en août 2002, ce qui lui a permis d'affirmer le caractère erroné du kilométrage porté au compteur.

Un expert judiciaire, désigné par ordonnance de référé du 16 novembre 2007, a déposé son rapport le 24 février 2009, concluant que le véhicule avait connu le remplacement d'une vanne en août 2003 à 311 984 km parcourus et qu'il était passé de propriétaires en propriétaires, ayant notamment servi au transport de personnes entre Bourges et l'aéroport de Roissy à raison de 616 km par jour.

Par acte d'huissier du 2 octobre 2009, les époux Brucelle ont assigné les époux Benkaroum et la société ADS auto devant le Tribunal de grande instance de Melun. Ont ensuite été attraites dans la cause la société Garage du KM 76, assignée par les époux Benkaroum, puis la société Récréatif, la société Millelium auto et la société Diac, assignées par la société Garage du KM 76.

Par jugement du 7 juin 2011, le Tribunal de grande instance de Melun a débouté les époux Brucelle de leurs demandes, a débouté les époux Benkaroum de leurs demandes à l'encontre de la société Garage du KM 76, a débouté la société Garage du KM 76 de ses demandes à l'encontre des époux Benkaroum, de la société Récréatif, de la société Millelium auto et de la société Diac location, a condamné les époux Brucelle à payer "aux époux Brucelle" et à la société ADS auto la somme de 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, les époux Benkaroum à payer à la société Garage du KM 76 la somme de 1 500 € sur ce même fondement, la société Garage du KM 76 à payer à la société Diac la somme de 2 000 € sur ce même fondement.

Dans leurs dernières conclusions au sens de l'article 954 du Code de procédure civile, déposées le 22 novembre 2011, les époux Brucelle, appelants, demandent à la cour, au visa des articles 1109 et suivants du Code civil et subsidiairement de l'article 1641 de ce même Code, d'infirmer le jugement, de prononcer la résolution de la cession du véhicule, d'ordonner le remboursement de la somme de 11 800 € avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 27 septembre 2007, de condamner les époux Benkaroum et la société ADS autos à leur verser la somme de 3 651,31 € pour manœuvres dolosives, avec intérêts au taux légal depuis le 27 septembre 2007 et de condamner la partie succombant à lui verser la somme de 3 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Dans ses dernières écritures au sens de l'article 954 du Code de procédure civile, déposées le 15 décembre 2011, la société ADS Autos conclut à la confirmation du jugement et demande à la cour de condamner les époux Brucelle à lui payer la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.

Dans leurs dernières conclusions au sens de l'article 954 du Code de procédure civile, déposées le 18 janvier 2012, les époux Benkaroum, demandent à la cour de confirmer le jugement, à titre subsidiaire de dire et juger qu'ils seront relevés et garantis de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à leur encontre par la SARL Garage KM 76 en sa qualité de professionnel averti et de condamner les époux Brucelle à leur verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La SARL Garage KM 76, dans ses dernières écritures au sens de l'article 954 du Code de procédure civile, déposées le 23 mars 2012, a assigné la société DIAC en intervention forcée et demande à la cour de confirmer le jugement, de débouter les époux Benkaroum de toute demande de garantie formée à son encontre, à titre infiniment subsidiaire de relever et de la garantir de toutes condamnations, au préjudice solidaire des époux Benkaroum, des sociétés Diac, Millelium et Récréatif, de les condamner au paiement de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre et de la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ordonnance du juge de la mise en état du 20 mars 2012 ont été constatés le désistement des époux Brucelle à l'égard de la société Diac location, l'extinction de l'instance et le dessaisissement de la cour à l'égard de cette société.

Les sociétés Récréatif et Millelium auto n'ont pas constitué avocat.

SUR CE

Considérant que les époux Brucelle font valoir que la mention figurant sur le certificat de cession d'un kilométrage de 106 634 km et le contenu de l'annonce indiquant qu'il s'agissait d'un véhicule "première main" constituaient des éléments essentiels qui ont déterminé leur consentement et l'ont vicié, que la vente doit donc être résiliée pour erreur sur les qualités substantielles de la chose et du prix d'autant plus que les vendeurs se sont abrités derrière un professionnel de la vente afin de valoriser leur produit ; qu'ils prétendent que la mention "kilométrage non garanti" sur le certificat de cession ne peut être un moyen d'exonération du trucage qui a été fait de mauvaise foi et qui constitue selon eux une manœuvre dolosive ;

Considérant que la société ADS autos soutient que l'offre de cession ayant fait l'objet d'une annonce a été rédigée par les époux Benkaroum et rappelle que son activité étant limitée au dépôt-vente et au négoce de véhicules d'occasion, en qualité de mandataire, elle n'est pas un professionnel de l'automobile ; qu'elle précise que les époux Brucelle ont renoncé de leur plein gré à la garantie de 6 mois incluse dans le prix afin d'en obtenir une réduction, ce qui a eu pour effet de la décharger de toute responsabilité en cas de panne ultérieure ; qu'elle ajoute que la mention "compteur non garanti", qu'elle se devait d'apposer sur le certificat de cession en l'absence de factures et de carnet d'entretien, n'avait pas pour but de tromper les acheteurs mais au contraire d'attirer leur attention ;

Considérant que les époux Benkaroum reprennent les conclusions de l'expert judiciaire qui a relevé que les 4 derniers propriétaires, dont Monsieur et Madame Benkaroum en leur qualité de non-professionnels, avaient été trompés par l'aspect général flatteur du véhicule alors qu'en réalité le kilométrage figurant au compteur ne correspondait pas au kilométrage réel et que cela ne pouvait constituer un vice caché puisqu'ils ont été informés de cette éventualité par la mention "kilométrage non garanti" ;

Qu'ils soutiennent que les époux Brucelle ne démontrent pas en quoi le kilométrage réel du véhicule constituait une qualité essentielle déterminante de leur engagement, ni en quoi leur erreur serait excusable, qu'ils ne rapportent pas non plus la preuve d'un dol, que l'indication "de première main" dans l'annonce correspond à une erreur dans la publication et qu'ils n'ont jamais caché qu'ils avaient fait l'acquisition de ce véhicule d'occasion auprès d'un garage ;

Qu'à titre infiniment subsidiaire, ils exposent qu'ils ont été eux-mêmes victimes d'une erreur sur une des qualités substantielles du véhicule et qu'ils sont donc fondés à solliciter la nullité de la vente et la restitution du prix par la société Garage du KM 76, professionnel de l'automobile qui ne pouvait ignorer que le kilométrage du véhicule figurant au compteur ne correspondait pas au kilométrage réel ;

Que la société Garage du KM 76 indique qu'elle a acquis le véhicule en cause auprès de la SARL Récréatif, professionnel dans le commerce des véhicules automobiles, avec un kilométrage inscrit au compteur de 91 000 kms ; qu'elle affirme qu'aucun garage ne pouvait mesurer qu'un tel kilométrage avait été parcouru, en raison de l'aspect général flatteur du véhicule et que si elle avait su que le kilométrage au compteur était 3 à 4 fois inférieur au kilométrage réel, elle n'aurait pas acquis le véhicule auprès de la société Récréatif au prix de 15 500 euros ;

Considérant, cela exposé, que l'expert judiciaire a constaté le bon état général du véhicule et a conclu que le manque de puissance provenait de l'usure de la turbine du turbocompresseur et des synchros et roulements de la boîte de vitesse ; qu'il a décrit les ventes successives du véhicule, mis en circulation le 28 septembre 2001, propriété initiale de la société Diac qui le louait à une société de transport qui parcourrait près de 600 kms par jour, vendu à Madame Dalben le 12 février 2004 alors qu'il avait vraisemblablement roulé environ 400 000 kms avec un kilométrage non garanti de 1 km, revendu à la société Millelium auto le 26 février 2004 avec un compteur de 90 000 kms, acheté ensuite par la société Récréatif puis par la société Garage du KM 76 en juin 2004 et enfin par les époux Benkaroum le 27 juin 2006 ;

Considérant qu'aux termes de l'article 1110 du Code civil, l'erreur, vice du consentement, n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet, qu'elle doit donc porter sur une qualité déterminante que les parties ou l'une d'elles ont eu principalement en vue en contractant ;

Considérant que c'est par une exacte appréciation des faits que les premiers juges ont relevé que si l'annonce consultée par les époux Brucelle sur Internet mentionnait un kilométrage de 105 600 kms et l'indication qu'il s'agirait d'une première main, ils ne peuvent sérieusement prétendre avoir été trompés sur l'état exact du véhicule alors qu'ils ont eu accès aux documents administratifs qui permettaient de constater l'existence de nombreux vendeurs successifs et qu'ils ont par ailleurs accepté un kilométrage non garanti ; qu'ainsi, ils n'ont pas démontré que les 105 600 kms affichés au compteur ont déterminé leur consentement ;

Que c'est également à bon droit que le tribunal a estimé qu'aucun dol ne pouvait être reproché aux époux Benkaroum et que les époux Brucelle ne pouvaient pas non plus réclamer le remboursement des frais qu'ils ont engagés à la société ADS autos, dont l'objet social est limité au négoce de véhicules, alors qu'aucune faute dans l'exécution de son mandat n'est caractérisée eu égard au bon état apparent du véhicule et au fait qu'il n'a pas la qualité de professionnel de l'automobile ;

Que le jugement, dont la cour adopte les motifs, sera confirmé en ce qu'il a débouté les époux Brucelle de leur demande de résolution de la vente pour vice du consentement ;

Considérant que l'action subsidiaire des époux Brucelle en garantie des vices cachés ne peut davantage prospérer, la mention 'kilométrage non garanti' figurant sur le certificat de cession, de nature à appeler leur attention sur la possibilité que le véhicule ait parcouru une distance plus importante, ne permettant pas de considérer l'existence d'un défaut caché de la chose vendue ;

Considérant que les premiers juges ont également à bon droit rejeté la demande en annulation de la vente entre les époux Benkaroum et la société Garage du KM 76 ainsi que les appels en garantie présentés par les acquéreurs successifs, devenus sans objet en l'absence d'annulation de la vente entre les époux Brucelle et les époux Benkaroum ; que le jugement sera également confirmé à cet égard ;

Et considérant qu'il y a lieu d'allouer une somme complémentaire aux époux Benkaroum, à la société ADS autos et au Garage du KM 76 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs : Confirme le jugement, Y ajoutant, Condamne les époux Brucelle à payer, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile : - aux époux Benkaroum la somme complémentaire de 1 000 €, - à la société ADS autos la somme complémentaire de 1 000 €, Condamne les époux Benkaroum à payer à la société Garage KM 76 la somme complémentaire de 1 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Fait masse des dépens d'appel et dit qu'ils seront supportés par tiers par les époux Brucelle, les époux Benkaroum et la société Garage KM 76 et recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.