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Décisions

CA Douai, 1re ch. sect. 1, 27 mai 2013, n° 12-03288

DOUAI

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Al Mohammadi

Défendeur :

Levasseur

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Merfeld

Conseillers :

Mmes Metteau, Doat

Avocats :

Mes Franchi, Guilleminot, Dragon, SCP Sandrine Morin-Stéphane Barbier

TGI Lille, du 16 déc. 2011

16 décembre 2011

Le 14 mars 2009, M. Abdelaziz Al Mohammadi a vendu à Mme Catherine Levasseur un véhicule Renault Espace pour le prix de 7 300 euros.

Mme Levasseur a constaté des anomalies sur le véhicule et a saisi sa compagnie d'assurances qui a organisé une expertise amiable.

L'expert amiable a déposé son rapport le 30 avril 2009.

Par acte d'huissier en date du 12 avril 2010, Mme Catherine Levasseur a fait assigner M. Abdelaziz Al Mohammadi devant le Tribunal de grande instance de Lille pour voir prononcer la nullité du contrat de vente sur le fondement de l'article 1110 du Code civil, subsidiairement, de l'article 1116 du Code civil, à titre subsidiaire voir prononcer la résolution de la vente pour non-conformité sur le fondement de l'article 1604 du Code civil et subsidiairement, pour défaut de fourniture des documents accessoires et nécessaires à la vente et à titre infiniment subsidiaire, voir prononcer la résolution de la vente pour vices cachés sur le fondement de l'article 1641 du Code civil.

Elle a demandé la condamnation de M. Al Mohammadi à lui restituer le prix de vente de 7 300 euros, à lui payer la somme de 2 000 euros pour la période d'avril 2009 à janvier 2010, outre la somme supplémentaire de 150 euros par mois jusqu'à la restitution effective du prix de vente, en réparation de son préjudice de jouissance et à lui payer la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral.

Par jugement réputé contradictoire en date du 16 décembre 2011, M. Al Mohammadi n'ayant pas constitué avocat, le tribunal a :

- prononcé la nullité de la vente du véhicule Renault Espace consentie par M. Abdelaziz Al Mohammadi à Mme Catherine Levasseur le 14 mars 2009

- condamné M. Abdelaziz Al Mohammadi à restituer à Mme Catherine Levasseur le prix de vente de 7 300 euros, à charge pour celle-ci de lui restituer le véhicule, la somme portant intérêts au taux légal à compter de la décision

- débouté Mme Levasseur de ses autres demandes

- condamné M. Al Mohammadi à payer à Mme Levasseur la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile

- ordonné l'exécution provisoire

- condamné M. Al Mohammadi aux dépens.

M. Abdelaziz Al Mohammadi a interjeté appel de ce jugement, le 8 juin 2012.

Par ordonnance en date du 5 février 2013, le conseiller de la mise en état a débouté Mme Catherine Levasseur de ses demandes tendant à voir constater la caducité de l'appel et l'irrecevabilité des pièces communiquées.

M. Abdelaziz Al Mohammadi demande à la cour :

Vu le certificat de cession du véhicule litigieux mentionnant un kilométrage de 199 224 kilomètres,

- d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions

- de débouter Mme Catherine Levasseur de toutes ses demandes

- de la condamner à lui payer une somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive

- de la condamner à lui payer une somme de 1 200 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il expose que le véhicule qu'il a vendu à Mme Levasseur avait été importé de Hollande, que l'expertise amiable a été réalisée en son absence, puisqu'il n'avait pas pu retirer la lettre recommandée avec demande d'avis de réception à son bureau de poste.

Il soutient que le certificat de cession dûment signé par l'acquéreur contient à côté du kilométrage affiché au compteur la mention 199 224, de nature à démontrer que Mme Levasseur ne pouvait ignorer la réalité du kilométrage du véhicule qui lui était cédé, ce qui est conforté par le fait que le prix de 7 300 euros ne correspondait pas à un véhicule Diesel ayant parcouru à peine plus de 20 000 kilomètres et âgé de huit ans, et qu'elle est dès lors de mauvaise foi.

Mme Catherine Levasseur demande à la cour :

A titre principal,

- de confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la nullité de la vente intervenue le 14 mars 2009 entre M. Al Mohammadi et elle-même et condamné ce dernier à lui restituer le prix de vente de 7 300 euros à charge pour elle de restituer le véhicule

- d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes en dommages et intérêts pour préjudice de jouissance et préjudice moral

- y ajoutant, de dire que, pour éviter toute difficulté d'exécution, il appartiendra à M. Al Mohammadi de venir chercher le véhicule litigieux là où il se trouve entreposé et ce, à ses frais exclusifs et sous le contrôle d'un huissier de justice

- statuant à nouveau sur son appel incident, de condamner M. Al Mohammadi à lui verser la somme de 8 600 euros en réparation de son préjudice de jouissance et celle de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral

A titre subsidiaire,

- de prononcer la nullité de la vente sur le fondement de l'article 1116 du Code civil, pour manœuvres dolosives

- de prononcer la résolution de la vente pour non-conformité, sur le fondement des dispositions des articles 1604 et suivants du Code civil

- de prononcer la résolution de la vente pour défaut de fourniture des documents accessoires et nécessaires à la vente

- de prononcer la résolution de la vente pour vices cachés sur le fondement des articles 1641 et suivants du Code civil

En conséquence,

- de condamner M. Al Mohammadi à lui payer la somme de 7 300 euros correspondant à la restitution du prix de vente du véhicule, avec intérêts au taux légal à compter du 14 mars 2009, date de la vente, ou du 1er avril 2009, date de la mise en demeure adressée par elle

- de le condamner à lui verser les sommes de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral et 8 600 euros en réparation de son préjudice de jouissance

En tout état de cause,

- de débouter M. Al Mohammadi de l'ensemble de ses demandes

- de le condamner à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle expose que, le jour de la vente, elle a notamment reçu le double du contrat de cession, ainsi qu'un document d'importation en date du 23 février 2009, une attestation d'identification d'un véhicule importé conformé à un type communautaire du 16 mars 2009 (date postérieure de deux jours à la vente),une carte grise rédigée en néerlandais tamponnée au 23 février 2009 et deux autres documents s'apparentant à deux certificats de vente rédigés en néerlandais, le premier en date du 2 février 2009, le second en date du 23 février 2009, qu'il était convenu que M. Al Mohammadi lui envoie les documents manquants, qu'elle a confié son véhicule au garage Rasse à Illois lequel a constaté une corrosion anormale au niveau du berceau moteur et que les services de la Préfecture lui ont refusé l'immatriculation et l'établissement d'une carte grise conforme, au motif qu'il manquait le quitus fiscal du centre des impôts.

Elle soutient qu'il résulte du rapport d'expertise amiable qu'elle a été totalement trompée sur l'objet acquis, puisque le véhicule n'était pas neuf, contrairement à ce qui est indiqué sur l'annonce mise en ligne et qu'il existe une différence de 140 000 kilomètres entre le kilométrage réel et le kilométrage affiché au compteur, que l'attestation du 16 mars 2009 ne peut concerner le véhicule litigieux.

Elle ajoute que l'expert a relevé l'existence de désordres qui l'ont conduit à conseiller à Mme Levasseur de ne pas utiliser le véhicule en l'état.

Elle reprend son argumentation tendant à voir prononcer la nullité de la vente, au principal, sur le fondement de l'erreur sur la substance, au subsidiaire, sur le fondement du dol, et subsidiairement la résolution de celle-ci, pour non-conformité contractuelle et, le cas échéant, pour vices cachés.

Elle affirme qu'elle a subi un préjudice de jouissance puisqu'elle pas pu utiliser depuis la fin mars 2009 le véhicule qu'elle avait acquis quelques jours auparavant et qu'elle a été privée de moyen de locomotion, alors qu'elle avait mis ses économies dans l'achat de la voiture, qu'en outre, son assureur lui a indiqué qu'il ne pouvait plus assurer le véhicule, faute de certificat d'immatriculation.

Elle déclare qu'elle a également subi un préjudice moral résultant de la mauvaise foi caractérisée de M. Al Mohammadi et de ses manœuvres.

SUR CE :

Le tribunal a prononcé la nullité de la vente, au motif que le consentement de Mme Levasseur avait été vicié par une erreur sur une qualité substantielle de la chose, qu'en effet, il était démontré une différence de 140 000 kilomètres entre le kilométrage affiché au compteur lors de la vente et le kilométrage réel.

En application de l'article 1109 du Code civil, il n'y a point de consentement valable, si le consentement n'a été donné que par erreur, ou s'il a été extorqué par violence ou surpris par dol.

L'article 1110 du même Code énonce que l'erreur n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance-même de la chose qui en est l'objet.

M. Al Mohammadi a régulièrement été convoqué aux opérations d'expertise par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 30 mars 2009 qu'il n'a pas retirée.

Dans son rapport d'expertise technique amiable rédigé le 30 avril 2009, M. Vincent Leroy a relevé qu'en vertu de l'attestation de Mme Bos en date du 24 octobre 2010, un remplacement du compteur avait été effectué à la suite d'un problème de fonctionnement et "le kilométrage lors de l'intervention sur le tableau de bord serait de 190 475 kilomètres (affichage 50 000 km ; différentiel de 140 000 km avec le kilométrage réel du véhicule)."

Il a constaté que le contrôle technique du 4 mars 2009 était au nom de Driss et que la signature du vendeur portée sur le certificat de cession ne correspondait pas à celle figurant sur le procès-verbal de contrôle technique.

Il a noté l'existence de désordres, dont la présence d'huile dans le circuit de refroidissement, et a indiqué à Mme Levasseur qu'il était préférable de ne pas utiliser le véhicule en l'état.

La preuve de ce que le kilométrage figurant au compteur lors de la vente n'est pas le kilométrage réel du véhicule à la suite d'une modification du compteur est rapportée, M. Al Mohammadi ne démontrant pas par ailleurs qu'il aurait fait installer un moteur neuf sur la voiture.

M. Al Mohammadi soutient en cause d'appel que Mme Levasseur avait connaissance du kilométrage réel du véhicule.

Il produit l'exemplaire conservé par le vendeur du certificat de cession du véhicule en date du 14 mars 2009 faisant apparaître à côté du kilométrage mentionné de 21 843 kilomètres, un autre chiffre "(199 224)", qui ne figure pas sur la copie de ce même certificat versée aux débats par Mme Levasseur, ni sur la copie annexée au rapport d'expertise amiable.

Ce chiffre dont on ne sait pas pour quel motif il serait placé entre parenthèses et suivrait le premier chiffre de 21 843 kilomètres sans le remplacer, et dont on ignore s'il a été inscrit en présence de Mme Levasseur, qui n'a pas apposé son paraphe dans la marge, ne saurait constituer à lui seul la preuve de ce que Mme Levasseur était informée du kilométrage réel du véhicule.

En effet, l'annonce figurant sur le site Le Bon Coin présente un "Nv espace neuf 21 000 km" "année-modèle 2001 - kilométrage 21 000 kilomètres - carburant diesel" "très bon état - courroie de distribution refaite".

Le procès-verbal de contrôle technique dressé le 4 mars 2009, soit dix jours avant la vente, et remis à Mme Levasseur, reprend un kilométrage de 21 835 kilomètres.

Les documents rédigés en langue néerlandaise ne sont pas traduits, aucun renseignement précis n'est donné en ce qui concerne les précédents du véhicule et l'expert amiable confirme dans son rapport que Mme Levasseur n'a pu obtenir l'établissement d'un certificat d'immatriculation à son nom.

M. Al Mohammadi ne rapporte donc pas la preuve d'avoir informé Mme Levasseur lors de la vente de ce que le véhicule avait en réalité parcouru comme il le prétend 199 224 kilomètres depuis sa première immatriculation.

L'indication du kilométrage d'un véhicule est un élément déterminant de son usure et de sa valeur et constitue dès lors une qualité substantielle d'un véhicule, au surplus présenté comme "neuf", ce qui sous-entend "état neuf", puisqu'il n'a pas été dissimulé en revanche que la date de première immatriculation du véhicule était le 15 juin 2001.

Au surplus, M. Al Mohammadi a trompé Mme Levasseur en lui faisant croire que les documents qu'il lui avait fournis lors de la vente allaient lui permettre de faire immatriculer le véhicule à son nom, ce qui n'a pas été le cas, et en lui vendant un véhicule dépourvu d'autorisation de circuler conformément à la législation française.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement qui a prononcé la nullité de la vente pour erreur sur les qualités substantielles du véhicule et condamné M. Al Mohammadi à restituer à Mme Levasseur le prix de la vente, soit la somme de 7 300 euros, en contrepartie de la restitution du véhicule.

Il y a lieu de préciser que la restitution du véhicule aura lieu aux frais de M. Al Mohammadi et sous le contrôle d'un huissier de justice, une fois que celui-ci aura remboursé le prix de vente.

L'erreur de Mme Levasseur a été provoquée par les manœuvres dolosives de M. Al Mohammadi ci-dessus établies.

Mme Levasseur est fondée à solliciter l'allocation de dommages et intérêts en réparation du préjudice qu'elle a subi.

Elle ne démontre pas s'être trouvée dans l'obligation de louer un véhicule de remplacement et ne justifie pas de frais exposés du chef de l'immobilisation du véhicule acheté, de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande d'indemnisation du préjudice de jouissance allégué.

Elle prouve cependant qu'elle a subis des désagréments à la suite de l'acquisition d'un véhicule qu'elle n'a jamais pu utiliser, de la nécessité d'engager une procédure judiciaire, après avoir provoqué l'organisation d'une expertise amiable.

Il convient de lui allouer à ce titre en réparation de son préjudice moral la somme de 3 000 euros au paiement de laquelle sera condamné M. Al Mohammadi.

M. Al Mohammadi doit être débouté de ses demandes, compte-tenu de la solution apportée au litige.

Le jugement sera confirmé pour le surplus de ses dispositions, y compris celles sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il y a lieu de mettre à la charge de M. Al Mohammadi, qui succombe en son recours, les frais irrépétibles d'appel exposés par Mme Levasseur, à hauteur de 1 500 euros.

Par ces motifs : LA COUR, statuant contradictoirement : Confirme le jugement, sauf en ce qu'il a débouté Mme Levasseur de sa demande en dommages et intérêts pour préjudice moral, L'Infirme de ce chef, Statuant à nouveau, Condamne M. Al Mohammadi à payer à Mme Levasseur la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, Y Ajoutant, Dit que la restitution du véhicule Renault Espace à M. Al Mohammadi après qu'il aura remboursé le prix de vente aura lieu à ses frais et en présence d'un huissier de justice, Déboute M. Al Mohammadi de ses demandes, Condamne M. Al Mohammadi aux dépens d'appel, Le Condamne à payer à Mme Levasseur la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.