CA Rouen, ch. civ. et com., 12 septembre 2013, n° 12-00497
ROUEN
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Fléchelle (Epoux)
Défendeur :
Cohu, Brunet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Farina
Conseillers :
Mmes Prudhomme, Bertoux
Avocats :
Mes Capitaine, Godard, SCP Cisterne & Cherrier Selarl Damc Marc Absire Esthel Martin Maxime Cauchy, SCP Hellot-Rousselot
EXPOSE DU LITIGE
Suivant acte sous seing privé en date du 7 janvier 2005, Mme Pascale Cohu, épouse Milot, a cédé à M. Patrice Fléchelle et Mme Sabine Cailleux, son épouse, un fonds de commerce de pressing-nettoyage à sec situé à (...), pour le prix de 45 000 euro. M. Brunet, agent immobilier, est intervenu comme intermédiaire rédacteur de l'acte de vente de ce fonds.
Postérieurement à cette cession, les époux Fléchelle déposaient un dossier de déclaration à la sous-préfecture de Dieppe et l'inspecteur des installations classées de la Direction Régionale de l'Industrie, de la Recherche et de l'Environnement de Haute Normandie, se rendait sur les lieux, le 20 avril 2005. Par lettre du 26 avril 2005, la DRIRE de la Haute Normandie notifiait à Mme Fléchelle, gérante du pressing, une liste de non-conformités de son installation et lui demandait de mettre en place un plan d'actions correctives dans un délai de trois mois.
Envisageant d'engager contre la venderesse une action au fond sur le fondement des dispositions des articles 1604 et suivants du Code civil, les époux Fléchelle obtenaient, au préalable, par ordonnance de référé du 6 octobre 2005, la désignation d'un expert avec mission de dire si l'aménagement des locaux et des installations étaient conformes aux prescriptions édictées par l'arrêté type 23 45 du 2 mai 2002, en vigueur lors de la cession du fonds, et dans la négative, de décrire les travaux nécessaires pour leur mise en conformité.
L'expert Bavencoffe déposait son rapport le 26 novembre 2009.
Par actes extrajudiciaires en date du 28 décembre 2009 pour M. Brunet, et du 29 décembre 2009 pour Mme Milot, les époux Fléchelle, reprochant au premier un manquement à ses obligations de conseil et de rédacteur d'acte, à la seconde, une réticence dolosive d'informations, un manquement à son obligation précontractuelle d'information et l'existence d'un vice caché, les ont fait assigner devant le tribunal de commerce de Dieppe, afin d'obtenir leur condamnation solidaire au paiement de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, au visa des dispositions de l'article 1116 et suivants du Code civil, subsidiairement des articles 1641 et suivants du même Code, et encore plus subsidiairement des articles 1135 et suivants du même Code.
Par jugement du 2 décembre 2011, le tribunal de commerce a, au visa notamment des articles 1116, 1135, 1382 et 1641 du Code civil :
- débouté les époux Fléchelle de leurs demandes,
- condamné les époux Fléchelle à payer la somme de 1 000 euro sur le fondement de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991, au profit de la SCP Cisterne & Cherrier,
- condamné les époux Fléchelle à payer à M. Brunet la somme de 700 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné les époux Fléchelle aux dépens.
M. et Mme Fléchelle ont interjeté appel de ce jugement.
Par ordonnance du 14 février 2013, le conseiller de la mise en état a prononcé à l'égard de Mme Milot, la caducité de la déclaration d'appel, dit que cette caducité n'a d'effet qu'à l'égard de Mme Milot, rejeté la demande de M. Brunet tendant à voir prononcer la caducité à son égard.
Pour l'exposé des moyens des parties, il est renvoyé aux conclusions du 30 avril 2013 pour les appelants, et du 28 mai 2013 pour l'intimé, M. Brunet.
Les époux Fléchelle, au visa de l'article 1147 du Code civil, concluent à l'infirmation du jugement, et demandent à la Cour de constater que M. Brunet a manqué à ses obligations de conseil, de renseignement et d'information, en sa qualité de rédacteur d'acte, de le condamner au paiement d'une somme de 30 000 euro à titre de dommages et intérêts, outre celle de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, dépens de première instance, en ce compris les frais d'expertise, et d'appel, en sus.
M. Brunet demande à la cour, à titre principal de confirmer le jugement, de déclarer les demandes des époux Fléchelle irrecevables, et en tout état de cause mal fondées, en conséquence de les débouter, très subsidiairement, si le principe de responsabilité était retenu à son encontre, de limiter le montant de la réparation à la somme de 1 150 euro, de les condamner au paiement d'une somme de 3 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 mai 2013.
SUR CE
Pour statuer comme il l'a fait, le tribunal a considéré que les époux Fléchelle n'apportaient pas la preuve que des mentions mensongères figuraient dans l'acte de cession du fonds de commerce rédigé par M. Brunet, ni qu'il n'avait pas respecté les dispositions de l'article L. 141-1 du Code de commerce, et qu'il n'avait pas l'obligation de connaître l'existence et le contenu des réglementations applicables à l'activité de pressing, ni d'avoir la compétence pour apprécier l'éventuelle non-conformité des éléments du fonds à ces réglementations.
A l'appui de leur demande, les époux Fléchelle font valoir que M. Brunet, en qualité d'agent immobilier intermédiaire, rédacteur de l'acte, était tenu à leur égard d'une obligation de renseignement, de conseil et d'information, qu'il devait, à ce titre, notamment vérifier que le fonds de commerce bénéficiait de toutes les autorisations nécessaires à l'exploitation, et attirer l'attention des futurs acquéreurs sur d'éventuelles difficultés, qu'il ne rapporte pas la preuve d'avoir respecté cette obligation, que si tel avait été le cas ils n'auraient pas acquis ledit fonds, ou l'auraient acquis dans d'autres conditions financières.
Pour M. Brunet, la demande formée à son encontre est irrecevable puisque les acquéreurs ont expressément renoncé dans l'acte de cession, à tous recours contre quiconque s'agissant de l'obligation de se soumettre à la réglementation en vigueur.
Il soutient, par ailleurs, que son obligation, en qualité d'agent immobilier, est une obligation de moyen et non de résultat, qu'il ne pouvait deviner l'existence d'une réglementation particulière en matière de pressing et n'avait pas à rechercher si Mme Milot avait omis de préciser si la réglementation était respectée ou non, qu'en l'absence d'information spécifique de son mandant sur la soumission des fonds de commerce de pressing à la réglementation sur les installations classées, il était dans l'impossibilité d'attirer l'attention des acquéreurs sur l'éventuel non-respect de cette réglementation, qu'en précisant dans l'acte que les acquéreurs doivent se conformer à la réglementation en vigueur, il a parfaitement rempli son devoir de conseil, qu'il n'avait pas à informer les acquéreurs sur le contenu d'une réglementation, extrêmement technique et spécifique, dont il ignore l'existence, et sur son respect, que la vérification du respect de la réglementation leur incombe exclusivement, qu'aucune faute, aucun dol ne peut être caractérisé à son encontre.
Il fait valoir la faiblesse du préjudice subi du fait du non-respect de la réglementation, les non-conformités constatées concernant l'installation électrique et le matériel devenu obsolète, qu'elles ne touchent donc que des éléments corporels évalués dans l'acte de cession à la somme de 1 150 euro.
- sur la recevabilité de la demande des époux Fléchelle à l'encontre de M. Brunet
Il est expressément indiqué dans l'acte de cession du fonds de commerce que l'acquéreur "se conformera à tous les règlements, arrêtés, lois et ordonnances administratives s'appliquant au commerce dont il s'agit. A ce sujet l'acquéreur reconnaît avoir été informé de l'obligation qui lui incombe de se soumettre à la réglementation en vigueur relative à l'hygiène, à la salubrité et à la sécurité, à ses frais, risques et périls, sans aucun recours contre quiconque et quelles qu'en soient les conséquences."
Il est admis que l'exploitation d'un pressing est soumise au régime de la déclaration auprès des autorités préfectorales en application de l'article L. 514-2 du Code de l'environnement.
Les époux Fléchelle se prévalent d'un manquement à l'obligation d'information et de conseil concernant la réglementation en vigueur relative aux autorisations administratives nécessaires pour l'exploitation du fonds de commerce de pressing, de sorte que leur demande est recevable.
- sur le manquement de M. Brunet à son obligation d'information et de conseil
L'agent immobilier, en sa qualité de rédacteur de l'acte, a le devoir d'assurer la sécurité de l'acquéreur du fonds et s'assurer qu'il pourra être exploité régulièrement. Il doit donc veiller, pour chaque fonds de commerce et en tenant compte de sa spécificité, au respect de la réglementation qui s'impose à ce fonds.
Il est constant que l'exploitation d'un pressing est soumise à l'arrêté du 2 mai 2002 relatif aux prescriptions générales applicables aux installations classées pour la protection de l'environnement soumises à déclaration relative à l'utilisation de solvants pour le nettoyage à sec et le traitement des textiles ou des vêtements.
Il résulte de la clause énoncée ci-avant que les acquéreurs ont reconnu avoir été informé de l'obligation qui leur incombait de se soumettre à la réglementation en vigueur relative à l'hygiène, à la salubrité et à la sécurité. Il ne peut donc être reproché à M. Brunet un manquement à son obligation d'information et de conseil de ce chef.
En revanche, tenu d'assurer l'efficacité de l'acte juridique qu'il rédige, il doit s'assurer de l'existence des autorisations nécessaires à l'exploitation du fonds.
Si, en l'espèce, l'ancien exploitant était en infraction par rapport aux dispositions du Code de l'environnement pour avoir exploité le pressing sans avoir obtenu l'acte administratif requis, l'installation étant soumise au régime de la déclaration, les époux Fléchelle ont déposé à la sous-préfecture, un dossier de déclaration le 1er mars 2005. Dès lors, quand bien même M. Brunet n'aurait pas satisfait à son obligation d'information et de conseil relative à la nécessité d'une déclaration auprès des autorités préfectorales, les époux Fléchelle ne justifient d'aucun préjudice résultant du manquement à cette obligation puisqu'ils ont procédé à la déclaration exigée.
A la suite de la déclaration, il a été procédé à une inspection par l'autorité administrative pour s'assurer que l'installation soumise à déclaration était en conformité avec les prescriptions de l'arrêté ministériel du 2 mai 2002.
Les époux Fléchelle se plaignent d'un manque d'information sur la conformité de la machine de nettoyage à sec et sur la conformité des locaux aux normes réglementaires en vigueur.
Concernant la machine de nettoyage à sec, il n'appartient pas à l'agent immobilier d'apprécier la conformité des matériels et équipements de pressing à la réglementation en vigueur; par ailleurs au surplus tant l'inspecteur que l'expert judiciaire n'ont pu affirmer qu'elle était conforme ou pas aux normes en vigueur, de sorte qu'il ne peut être reproché à l'agent immobilier, qui ne dispose d'aucune compétence pour apprécier la conformité du matériel de pressing à la réglementation en vigueur, aucun manquement à son obligation d'information sur ce point.
S'agissant de la conformité des locaux aux normes réglementaires en vigueur l'agent immobilier doit s'assurer auprès de son mandant du respect des prescriptions réglementaires en vigueur pour l'exploitation de l'installation de pressing, et dans la négative d'attirer l'attention des acquéreurs sur ce point.
Toutefois, en l'espèce, les non-conformités relevées concernent pour l'essentiel le respect des normes de sécurité (incendie-ventilation-électricité-protection individuelle-prévention des pollutions). Or, comme indiqué ci-avant les époux Fléchelle ont reconnu avoir été informé de l'obligation de se soumettre à la réglementation en vigueur en pareille matière, sans aucun recours contre quiconque, et ne peuvent donc reprocher à M. Brunet, aucun manquement à son obligation d'information et de conseil.
Il convient, dans ces conditions, de débouter les époux Fléchelle de leur demande de dommages et intérêts à l'encontre de M. Brunet et de confirmer le jugement entrepris.
- sur les autres demandes
L'équité commande d'allouer à M. Brunet l'indemnité de procédure indiquée ci-après au dispositif, en sus de celle octroyée en première instance qui sera confirmée.
Par ces motifs : LA COUR, Déclare recevable la demande des époux Fléchelle à l'égard de M. Brunet, Confirme le jugement entrepris, Condamne les époux Fléchelle à payer à M. Brunet la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne les époux Fléchelle aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.