CA Douai, 1re ch. sect. 2, 1 octobre 2013, n° 12-06369
DOUAI
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Brisach (SAS)
Défendeur :
Geoxia Nord Ouest (SNC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Gosselin
Conseillers :
Mme Bonnemaison, M. Poupet
Avocats :
Mes Franchi, Calfoun, Ducloy, Fontaine Chabbert
Monsieur et Madame Macaire ont confié la construction de leur maison à la société Mine, aux droits de laquelle se trouve la société Geoxia Nord Ouest (ci-après Geoxia).
La réception en a eu lieu le 30 septembre 1998, avec des réserves relatives notamment à une cheminée à foyer ouvert que la société Mine avait commandée sur catalogue à la société Cheminées Louis Violan, aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui la société Brisach, et avait fait installer par l'entreprise Vanderhaegen en qualité de sous-traitant.
Saisi par Monsieur et Madame Macaire, le juge des référés du Tribunal de grande instance de Saint-Omer a ordonné le 17 juillet 2003, au contradictoire de Geoxia, une expertise dont les opérations ont été étendues à l'entreprise Vanderhaegen par ordonnance du 6 avril 2004 et à la société Brisach par ordonnance du 20 février 2007.
L'expert a déposé son rapport le 30 juillet 2008.
Monsieur et Madame Macaire ont fait assigner Geoxia devant le Tribunal d'instance de Saint-Omer par acte du 14 octobre 2010 afin de la voir condamner à les indemniser de leur préjudice.
Mais le 7 février 2011, Geoxia et la MAAF, assureur de l'entreprise Vanderhaegen, ont conclu avec les époux Macaire un protocole transactionnel qui stipule que : "la société Geoxia et la MAAF, ès qualité d'assureur de Madame Vanderhaegen, s'accordent pour supporter, respectivement à hauteur de 80 % et de 20 %, la réparation du désordre affectant la cheminée à feu ouvert et le coût de reprise des embellissements ainsi que le préjudice de jouissance subi par Monsieur et Madame Macaire.
La société Geoxia et la MAAF supporteront dans les mêmes proportions le coût des frais et dépens exposés par Monsieur et Madame Macaire, en ce compris les frais d'expertise".
En exécution de ce protocole, Geoxia a réglé à Monsieur et Madame Macaire 13 172,60 euros au titre des travaux de réfection et du préjudice de jouissance et 1 320 euros au titre des frais et dépens.
Geoxia a ensuite fait assigner la société Brisach devant le tribunal de grande instance de Saint-Omer afin de la voir condamner à lui payer la somme de 13 172,60 euros, avec intérêts au taux légal, au titre des désordres engendrés par le mauvais fonctionnement de la cheminée, outre 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et la même somme sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens, en ce compris les frais de référé et d'expertise.
La société Brisach s'est opposée à ces demandes.
Par jugement contradictoire du 14 septembre 2012, le tribunal a condamné la société Brisach à payer à Geoxia la somme de 13 172,60 euros avec intérêts au taux légal à compter du jugement, outre 800 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens, et a débouté les parties de leurs autres demandes.
La société Brisach a relevé appel de cette décision le 1er octobre 2012.
Rappelant d'une part que le présent litige a pour origine un contrat de vente et non un contrat d'entreprise, ce qui exclut l'application des articles 1792 et suivants du Code civil, d'autre part que Geoxia a reçu livraison de la cheminée sans réserves et fait état de désordres apparus lors de l'installation, elle soutient que la demande de Geoxia ne pouvait être présentée que sur le fondement de la garantie des vices cachés, à l'exclusion du droit commun de la responsabilité contractuelle, et est irrecevable faute d'avoir été formée dans le bref délai prévu par l'article 1648 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 17 février 2005 compte tenu de la date du contrat.
Elle demande en conséquence à la cour d'infirmer le jugement, sauf en ce qu'il a débouté Geoxia de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, de déclarer irrecevables les demandes de Geoxia et de condamner celle-ci à lui payer la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens avec faculté de recouvrement direct au profit de la SCP Deleforge-Franchi.
Geoxia demande pour sa part à la cour de confirmer le jugement et de condamner la société Brisach à lui payer une somme complémentaire de 2 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, dont distraction au profit de Maître Véronique Ducloy.
Elle fait valoir, pour s'opposer aux prétentions de l'appelante :
- qu'elle n'agit pas sur le fondement de la garantie des vices cachés mais qu'en tout état de cause, le bref délai prévu par l'article 1648 du Code civil a été interrompu par l'assignation délivrée à sa requête à la société Cheminée Louis Violan, aux droits de laquelle se trouve Geoxia, par exploit du 1er février 2007,
- qu'elle est fondée à agir, non seulement en tant qu'acquéreur de la cheminée mais aussi en tant que subrogée dans les droits des époux Macaire en vertu du protocole transactionnel susvisé,
- que l'expert a relevé des défauts de conception et de fabrication de la cheminée et que la responsabilité contractuelle de la société Brisach, vendeur tenu d'une obligation de résultat, est engagée pour avoir livré un bien non conforme à ce qui lui avait été commandé.
SUR CE
Attendu que l'article 1792-4 du Code civil dispose que le fabricant d'un ouvrage, d'une partie d'ouvrage ou d'un élément d'équipement conçu et produit pour satisfaire, en état de service, à des exigences précises et déterminées à l'avance est solidairement responsable des obligations mises par les articles 1792, 1792-2 et 1792-3 à la charge du locateur d'ouvrage qui a mis en œuvre, sans modification et conformément aux règles édictées par le fabricant, l'ouvrage, la partie d'ouvrage ou élément d'équipement considéré ;
qu'une cheminée livrée en "kit", telle que celle qui a été fournie par la société Brisach à Geoxia, fût-elle fabriquée en série, est un élément d'équipement conçu et produit pour satisfaire, en état de service, à des exigences précises et déterminées à l'avance ;
qu'en l'espèce, cependant, cette garantie solidaire du fabricant à l'égard du maître d'ouvrage n'a pas été recherchée par Monsieur et Madame Macaire qui n'ont agi que contre le locateur d'ouvrage, Geoxia, lequel a appelé en garantie son sous-traitant et l'assureur de celui-ci, la transaction susvisée ayant mis fin au litige entre lesdites parties ; qu'il convient d'observer que Geoxia n'a pas cru alors devoir appeler en cause la société Brisach ni l'inviter à participer à la négociation du protocole d'accord ;
attendu que l'entrepreneur ayant indemnisé le maître d'ouvrage peut rechercher la responsabilité contractuelle du fabricant auquel il a acheté l'équipement litigieux pour non-conformité ou vice caché ; que néanmoins, seule l'action fondée sur un vice caché est possible lorsque le produit s'avère conforme aux spécifications contractuelles ; que dans cette dernière hypothèse, le délai pour agir prévu par l'article 1648 du Code civil ne court, à l'égard de cet entrepreneur, que du jour où il a été actionné par le maître d'ouvrage ;
qu'au cas présent, la société Geoxia, qui a choisi un modèle de cheminée proposé par le fabricant et ne justifie pas avoir formulé des contraintes ou exigences particulières, qui a reçu sans réserves la cheminée puis l'a fait installer par son sous-traitant, qui ne démontre aucun défaut de conformité de la chose livrée à la chose commandée, et qui se prévaut en revanche expressément d'un "défaut intrinsèque absolument pas décelable", rendant ladite cheminée "impropre à l'usage auquel elle était destinée", ne peut agir que sur le fondement de la garantie des vices cachés, dans le bref délai propre à cette action ;
qu'à cet égard, en effet, l'article 1641 du Code civil dispose que le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus ;
que dans la mesure où Geoxia n'a été actionnée en indemnisation par le maître de l'ouvrage que par acte du 14 octobre 2010, elle disposait, pour engager son action contre la société Brisach, du délai de deux ans prévu par l'article 1648 depuis l'ordonnance du 17 février 2005, de sorte que ses demandes, présentées par assignation du 16 mars 2011 (et en toute hypothèse dans le 'bref délai' prévu par l'article 1648 dans sa précédente rédaction) sont recevables ;
que l'expert a constaté une absence d'entrée d'air frais dans la cheminée (arrivée obstruée par et derrière la plaque du fond du soubassement) et le refoulement des fumées vers la pièce d'habitation ;
qu'il en décrit les causes ainsi : "section entrée d'air à l'origine insuffisante, ne répondant pas aux dimensions minimales imposées par le DTU 24.2.1 / section du conduit de fumée insuffisante, bien que répondant aux dimensions minimales imposées par le DTU 24.2.1., incompatibilité avec les dimensions du foyer / dimensions de l'ouverture du foyer et hauteur de l'avaloir ne répondant pas aux abaques, convenus comme étant les règles de l'art" ;
que donnant son avis sur l'imputabilité des désordres, il écrit :
" - le constructeur a fourni et livré à l'entreprise Vanderhaegen une entrée d'air frais mal implantée et de section non conforme au minimum exigé au DTU, un conduit de fumée de section conforme au DTU mais présumé ne pas répondre aux prescriptions du fabricant, un kit de cheminée ne répondant pas aux dimensions des entrées d'air du conduit de fumée mis en œuvre par lui-même et ne répondant pas lui-même aux proportions usitées selon les règles de l'art ;
- le sous-traitant, l'entreprise Vanderhaegen, a posé le kit de cheminée en se raccordant au conduit de fumée et en bloquant l'arrivée d'air frais sans s'assurer du respect des dimensions des éléments reçus en sa possession (entrée d'air, conduit de fumée, proportions cheminée) ;
- le fabricant a, sous réserve de documents contractuels non reçus, conçu, fabriqué et fourni le kit de cheminée à la SNC Mine sans respecter les proportions des dimensions normalement usitées selon les règles de l'art (ouverture foyer trop importante, hauteur avaloir insuffisante) et en non-conformité au plan de pose (absence d'équipement prévu pour entrées d'air aux éléments du soubassement)" ;
que l'on peut observer qu'une part de responsabilité, dans les désordres, incombe incontestablement au constructeur Mine (aujourd'hui Geoxia) qui est donc en tout état de cause mal fondé à solliciter la condamnation de la société Brisach à lui rembourser l'intégralité de l'indemnité qu'il a versée aux maîtres de l'ouvrage ;
qu'il en ressort surtout que, s'agissant de dimensions inhabituelles du foyer et de l'avaloir et de l'absence d'un équipement normalement prévu pour des entrées d'air en soubassement, que l'entrepreneur ou son sous-traitant aurait dû vérifier et dont il aurait dû s'apercevoir avant assemblage et raccordements, les défauts présentés par le "kit de cheminée" fourni par le fabricant étaient décelables par un professionnel de la construction et ne constituent pas, dès lors, des vices cachés ;
que les demandes de Geoxia ne peuvent donc pas prospérer davantage sur le fondement de la garantie des vices cachés que sur le fondement du défaut de conformité ;
attendu, par conséquent, qu'il y a lieu d'infirmer le jugement et de débouter la société Geoxia de ses demandes ;
attendu qu'il appartient à cette dernière, partie perdante, de supporter la charge des dépens, conformément aux dispositions de l'article 696 du Code civil ;
attendu qu'il serait en outre inéquitable, vu l'article 700 du même Code, de laisser à la société Brisach la charge intégrale des frais non compris dans les dépens qu'elle a été contrainte d'exposer pour assurer la défense de ses intérêts.
Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté la société Geoxia Nord Ouest de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ; Déboute la société Geoxia Nord Ouest de toutes ses demandes ; La condamne à payer à la société Brisach une indemnité de mille cinq euros (1 500) par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
La condamne aux dépens qui pourront être recouvrés par la SCP Deleforge-Franchi conformément aux dispositions de l'article 699 du même Code.