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Décisions

CA Paris, Pôle 4 ch. 9, 7 février 2013, n° 11-16671

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Grenke Location (SA)

Défendeur :

Dogan, Mondys (Sté), Courtoux (ès-qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Sadot

Conseillers :

Mmes Lefevre, Cléroy

Avocats :

SCP Hourblin-Papazian, Mes Fanet, Olivier

TI Nogent-sur-Marne, du 8 juin 2011

8 juin 2011

Par jugement du 8 juin 2011 le Tribunal d'instance de Nogent-sur-Marne, retenant d'une part que le consentement de M. Abdullah Dogan lors de la souscription d'un contrat de télésurveillance avec la société Mondys le 3 janvier 2008 avait été vicié par les manœuvres dolosives de cette société, et d'autre part que le contrat de location de matériel conclu concomitamment avec la société Grenke Location était lié de manière indivisible à ce premier contrat, a prononcé l'annulation des deux conventions, et a débouté la société Grenke Location de sa demande en condamnation de M. Dogan à lui payer la somme globale de 5 088,02 euros au titre des loyers impayés et de l'indemnité de résiliation.

Par déclaration déposée le 13 septembre 2011, la société Grenke Location a fait appel de cette décision. Dans ses dernières conclusions déposées le 14 février 2012, elle rappelle que M. Dogan a souscrit deux contrats totalement distincts avec deux sociétés différentes, et soutient qu'il existe une totale indépendance entre le contrat de location et le contrat de prestation de services. Elle fait valoir qu'il ne lui appartenait pas de vérifier l'opportunité de procéder ou non à la location de ce type de matériel et que le dol entachant le contrat de prestations de services lui est inopposable en application du principe de l'effet relatif des contrats. Elle sollicite la résiliation du contrat de location en conséquence du défaut de paiement des loyers, et précise que le matériel installé chez M. Dogan ne pouvant être de nouveau donné en location, l'indemnité de résiliation compense un préjudice financier réel et ne peut être assimilée à une clause pénale. Enfin, elle demande la confirmation de la disposition du jugement ayant rejeté la demande de condamnation à des dommages-intérêts présentée par M. Dogan à son encontre.

Dans ses dernières conclusions déposées le 2 novembre 2011, la société Mondys soutient que les deux contrats de location et de télésurveillance étaient bien distincts, et que M. Dogan en avait parfaitement conscience. Elle conteste avoir exercé des manœuvres frauduleuses dans le but d'obtenir le consentement de son cocontractant, et affirme qu'elle n'a pas décrit les prestations de télésurveillance comme gratuites, le chèque de 1 522,80 euros remis à M. Dogan étant une avance sur les affaires qu'il devait apporter par les nombreux contacts qu'il entretenait avec les autres commerçants de son quartier, ce qu'il n'a pourtant jamais fait. Elle sollicite l'infirmation du jugement déféré, et notamment la disposition la condamnant au paiement de dommages et intérêts.

L'instance, interrompue à l'égard de la société Mondys par le jugement rendu le 12 septembre 2012 par le Tribunal de commerce de Paris ouvrant une procédure de liquidation judiciaire a été reprise par l'assignation en l'intervention forcée délivrée le 26 octobre 2012 par la société Grenke Location au mandataire liquidateur. Celui-ci n'a pas comparu.

Dans ses dernières conclusions déposées le 11 décembre 2012, M. Dogan affirme qu'il n'avait aucune utilité d'équiper son atelier de couture, d'une superficie de 12 m², d'un système de télésurveillance, et qu'il n'a accepté de conclure les conventions qui lui ont été proposées par la société Mondys que parce qu'il pensait qu'il s'agissait d'un contrat unique, dont le coût était compensé par les avances sur commissions qui lui étaient promises. Il souligne que le montant identique du coût de la prestation, du loyer du matériel installé et de la commission pour l'apport d'une affaire constitue un élément de confusion volontaire. Soutenant que les deux contrats sont totalement indivisibles, il sollicite la réformation de la décision déférée sur le montant des dommages et intérêts, en demande en outre une condamnation solidaire de la société Grenke Location avec la société Mondys.

MOTIFS DE LA DECISION

Attendu que le 3 janvier 2008, la société Mondys a conclu avec M. Dogan un contrat se présentant sous la forme d'un bon de commande dont le numéro d'ordre est 352, qui comprend d'abord un tableau contenant l'énumération de quelques appareils composant un système de détection et de télétransmission ; qu'après ce tableau, figurent sur deux lignes les mentions "télésurveillance oui durée 63 mois" et "maintenance oui durée 63 mois" ; que l'exemplaire en possession de M. Dogan, qu'il verse aux débats, ne contient aucune indication sur l'objet et les conditions de cette convention ; qu'enfin, cet acte prévoit un montant trimestriel hors taxe de 380,70 euros ;

Attendu que M. Dogan produit ensuite un autre acte, daté du 4 janvier 2008 rédigé sur un formulaire à entête de la société Grenke Location intitulé "demande de location de longue durée", reprenant la liste de quatre des appareils figurant sur le tableau précité, et prévoyant la location de ces matériels pendant une durée de 42 mois, moyennant 14 loyers trimestriels du montant de 380,70 euros ; que les mentions manuscrites figurant sur ce document ont manifestement été portées par la même personne qui a renseigné le bon de commande de la société Mondys, la forme du chiffre "7" étant à cet égard particulièrement caractéristique ;

Attendu que la société Grenke Location produit un autre formulaire, intitulé "contrat de location de longue durée", daté des 4 et 7 janvier 2008, contenant les clauses et conditions du contrat de location consenti à M. Dogan ; que des mentions manuscrites portées de la même main que sur les documents précédents reprennent la liste des appareils faisant l'objet de la location et la durée de 42 mois ; que toutefois, le montant du loyer trimestriel est de 389,70 euros hors-taxes, soit 466,08 euros toutes taxe comprises ; qu'il doit toutefois être observé que l'original de cet acte produit par la société Grenke Location fait apparaître que le "9" du nombre représentant le prix du loyer hors-taxes a manifestement été composé par le tracé initial d'un "0" et l'ajout postérieur d'une ligne courbe collée à ce "0" ; que la société Grenke Location n'a fourni aucune explication ni émis aucun commentaire sur cette altération évidente, marquant une différence entre le prix prévu sur la demande de contrat (identique au montant retenu sur le contrat de la société Mondys) et celui finalement mentionné sur l'acte définitif ;

Attendu que la société Mondys a également conclu avec M. Dogan le 3 janvier 2008 un contrat dénommé "apporteur d'affaires professionnel", par lequel elle s'engage à rémunérer le cocontractant pour toute convention qu'elle aura conclue avec un tiers sur les indications fournies par M. Dogan ; qu'une mention manuscrite indique que "un chèque de 1 522,80 euros sera remis le jour de l'installation, opération renouvelable tous les ans" ; qu'il est constant que la société Mondys a bien versé cette somme M. Dogan ;

Attendu que l'ensemble de ces conventions conclues concomitamment fait apparaître une volonté claire de confusion, illustrée de façon évidente par le montant identique figurant sur les deux premiers actes signés le 3 janvier 2008, et la correspondance entre le prix annuel en résultant avec celui du montant de la commission avancée à M. Dogan lors de la conclusion de ces contrats (380,70 x 4 = 1 522,80) ; qu'en outre, comme l'a justement relevé le premier juge, cette somme de 380,70 euros hors-taxes par trimestre est aussi mentionnée dans le mandat d'encaissement donné à la société Grenke Location par la société Mondys ; que se trouve donc ainsi créée l'illusion d'une part d'une unicité entre le contrat de prestations de services conclu auprès de la société Mondys et le contrat de location souscrit auprès de la société Grenke Location, d'autre part d'une compensation économique entre le prix dû par le client de ces deux sociétés, et le montant des commissions reçues de la société Mondys ;

Attendu que le premier juge, dans des motifs pertinents que la cour adopte, a fait une analyse exacte du caractère inhabituel du versement par avance du montant annuel des commissions, et en a justement déduit que cet élément a été déterminant du consentement donné par M. Dogan ; qu'il s'ensuit que les artifices utilisés par le préposé de la société Mondys, dont l'altération ci-dessus décrite constitue un exemple flagrant, constituent des manœuvres dolosives ayant eu pour objet et pour effet de tromper M. Dogan sur la nature et la portée exactes des conventions dont la souscription lui était proposée ; qu'il convient donc de confirmer le jugement, en ce qu'il a considéré que ce dol avait pour effet de rendre nulle la convention conclue entre Monsieur Dogan et la société Mondys ;

Attendu que le contrat de location souscrit auprès de la société Grenke Location ne peut être distingué de la convention par laquelle la société Mondys s'engageait à installer et assurer le fonctionnement des appareils mis en location ; que se trouve ainsi caractérisée une indivisibilité entre les deux contrats, qui a pour conséquence de provoquer la nullité du contrat de location ; que le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a prononcé cette annulation, et débouté la société Grenke Location de toutes ses prétentions basées sur cette convention à l'encontre de M. Dogan ;

Attendu que la demande de dommages et intérêts présentée par Monsieur Dogan à l'encontre de la société Mondys se trouve désormais irrecevable, à défaut de preuve de la déclaration de cette créance dans le cadre de la procédure collective dont fait l'objet cette société ; qu'il convient, sur ce point, de réformer la décision déférée ;

Attendu que le tribunal a justement énoncé qu'aucune faute personnelle ne peut être reprochée à la société Grenke Location dans la conclusion du contrat de location ; que M. Dogan doit donc être débouté de sa demande de dommages-intérêts ;

Attendu cependant que l'intimé ne doit pas conserver à sa charge les frais irrépétibles qu'il a été contraint d'exposer à l'occasion de la présente instance ;

Par ces motifs : Réforme le jugement rendu le 8 juin 2011 par le Tribunal d'instance Nogent-sur-Marne en ce qu'il a condamné la société Mondys à payer à M. Dogan la somme de 500 euro à titre de dommages-intérêts, Déclare irrecevable la demande de M. Dogan à ce titre, Confirme le jugement sur toutes ses autres dispositions, Condamne la société Grenke Location à payer à M. Dogan la somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, La Condamne aux dépens, qui sont recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du même Code.