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Décisions

Cass. soc., 5 mars 2014, n° 12-25.035

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Luxottica France (SAS)

Défendeur :

Leroux, Pôle emploi Nord Pas-de-Calais

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lacabarats

Rapporteur :

M. David

Avocat général :

M. Liffran

Avocats :

SCP Gatineau, Fattaccini, SCP Rocheteau, Uzan-Sarano

Douai, ch. soc., du 29 juin 2012

29 juin 2012

LA COUR : - Vu leur connexité, joint les pourvois n° 12-25.035 et n° 12-25.059 ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Leroux a été engagé le 8 avril 2002 par la société Luxottica France en qualité de VRP exclusif ; que le 1er septembre 2009, l'employeur lui a adressé un projet d'avenant au contrat de travail portant réduction du taux de commissionnement et de la prime sur objectif ; qu'ayant refusé cette modification, le salarié a été licencié pour motif économique le 3 décembre 2009 ;

Sur le pourvoi n° 12-25.035 de la société Luxottica France : - Sur le premier moyen : - Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse et de le condamner à payer au salarié diverses sommes à ce titre alors, selon le moyen : 1°) que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en l'espèce, il résulte de leurs bordereaux de communication de pièces que tant l'employeur que le salarié produisaient le registre du personnel de la société Luxottica France ; qu'en affirmant que ce registre n'était pas versé aux débats, sans inviter les parties à s'expliquer sur l'absence au dossier de cette pièce dont la communication n'avait pas été contestée, la cour d'appel a violé l'article 16 du Code de procédure civile ; 2°) que l'employeur est libéré de l'obligation de faire des offres de reclassement au salarié dont il envisage le licenciement pour motif économique lorsque l'entreprise ou le groupe ne comporte pas d'autres emplois disponibles en rapport avec ses compétences que ceux qui ont été proposés ; qu'en l'espèce, il résulte de l'arrêt que la société Luxottica France a proposé au salarié cinq postes de reclassement, et il était constant que trois d'entre eux concernaient des emplois disponibles au sein d'autres sociétés du groupe ; qu'en reprochant à l'employeur de ne produire aucun courrier établissant qu'il a interrogé chaque société du groupe sur sa capacité de reclassement, en lui précisant les fonctions, l'ancienneté et le niveau de rémunération du salarié à reclasser, sans rechercher s'il existait au sein du groupe des postes disponibles en rapport avec les aptitudes et capacités de l'intéressée autres que ceux qui lui avaient été proposés et que le salarié avait refusé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-4 du Code du travail ; 3°) que les juges du fond doivent s'expliquer sur les éléments invoqués par l'employeur pour établir l'existence d'une menace sur la compétitivité de l'entreprise ou du secteur d'activité du groupe auquel elle appartient ; qu'en l'espèce, l'employeur soulignait que l'exercice 2008 s'était soldé par un résultat net consolidé au niveau du groupe en régression de 17,6 %, un résultat opérationnel en baisse de 7,8 %, qu'en particulier, les résultats du dernier trimestre 2008 étaient inquiétants et ce tant pour la division " Retail " (distribution au détail, par le biais d'enseignes appartenant au groupe) que pour la division " Wholesale " (distribution en gros par le biais de distributeurs indépendants) à laquelle était rattachée la société Luxottica France ; qu'il ajoutait qu'au premier trimestre 2009, au niveau du groupe, et par rapport au premier trimestre 2008, les ventes consolidées étaient en recul de plus de 6 % (et de plus de 11,5 % à taux de change constant), le résultat net avant impôt consolidé avait régressé de plus de 16,5 %, le résultat opérationnel consolidé avait chuté de 24,3 % et le résultat net consolidé de 22,5 %, la situation étant encore plus préoccupante au niveau de la division " Wholesale ", qu'au deuxième trimestre 2009, par rapport au deuxième trimestre 2008, les ventes du groupe avaient baissé de 1,4 % (et de 7,5 % à taux de change constant), son résultat net avant impôt avait chuté de 11,1 %, le résultat opérationnel de 17,1 %, la situation étant là aussi encore plus préoccupante pour la division " Wholesale " ; qu'il soutenait que les résultats du troisième trimestre 2009 avaient confirmé la forte dégradation déjà observée, le résultat net avant impôt du groupe, son résultat opérationnel et son résultat net étant respectivement en baisse de 13 % de 19,9 %, et de 18,1 % par rapport au troisième trimestre de l'année précédente, qu'au 31 décembre 2009, les résultats étaient nettement en repli par rapport à ceux des années précédentes et qu'enfin l'endettement du groupe avait considérablement augmenté durant ces mêmes années, ceci dans un temps où son principal concurrent venait de s'allier à un puissant fonds d'investissement ; qu'en se bornant à affirmer, par motifs propres, que le groupe ne connaissait pas de difficultés financières, que les dirigeants de l'entreprise se sont félicités des résultats extrêmement positifs de la société française, et que la nécessité de sauvegarder la compétitivité du groupe face à ses concurrents n'était pas démontrée, Luxottica étant de loin le leader mondial de sa catégorie, et, par motifs adoptés, à se fonder sur la croissance de la gamme " Ray Ban solaire " commercialisée par M. Leroux, sans se prononcer sur les éléments précis invoqués par l'employeur pour établir la menace pesant sur la compétitivité tant du groupe que de sa division " Wholesale ", et notamment la baisse continue et prononcée des résultats du groupe depuis 2007, ni de l'augmentation préoccupante de son endettement la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-3 du Code du travail ; 4°) que constitue une réorganisation la modification du mode de calcul de la rémunération des salariés composant la force de vente d'une marque exploitée par l'entreprise ; qu'en affirmant que la volonté de réexaminer le taux de rémunération des seuls VRP occupés à la commercialisation des lunettes Ray-Ban solaires au sein de la seule Luxottica France, soit une quinzaine de salariés, afin de réaliser des économies ne saurait constituer une restructuration, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-3 du Code du travail ;

Mais attendu que la cour d'appel a retenu, par une appréciation souveraine des éléments de preuve qui lui étaient soumis et sans être tenue de s'expliquer sur ceux qu'elle décidait d'écarter, qu'il n'était justifié ni de difficultés économiques, ni d'une menace pesant sur la compétitivité du secteur d'activité du groupe et que le licenciement répondait seulement à un souci de rentabilité ; qu'elle a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;

Sur les deuxième et troisième moyens et sur le quatrième moyen, pris en ses deux premières branches : - Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ces moyens qui ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

Sur le pourvoi n° 12-25.059 de M. Leroux : - Sur le premier moyen : - Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande tendant à l'inopposabilité ou au prononcé de la nullité des avenants au contrat de travail des 14 juin 2005 et 25 juin 2007 et des demandes qui en étaient la conséquence alors, selon le moyen, que l'employeur qui a modifié un élément essentiel du contrat de travail pour un motif économique ne peut, en l'absence de justification de la réalité et du sérieux du motif économique, se prévaloir ni d'un refus, ni d'une acceptation de la modification du contrat de travail par le salarié ; qu'en retenant, pour en déduire que le salarié sollicitait vainement un rappel de salaire en invoquant l'absence de justification par l'employeur du motif économique des avenants des 14 juin 2005 et du 25 juin 2007 réduisant sa rémunération, que le salarié avait accepté tacitement le premier avenant et expressément le second, quand l'employeur ne pouvait se prévaloir de cette acceptation sans justifier de la réalité et du sérieux du motif économique, la cour d'appel a violé l'article L. 1222-6 du Code du travail ;

Mais attendu que la cour d'appel, qui a constaté que l'employeur avait respecté les formalités prescrites par l'article L. 1222-6 du Code du travail pour permettre au salarié de se prononcer sur la modification proposée du contrat de travail pour motif économique et que le salarié n'avait pas fait connaître son refus, a exactement décidé, peu important l'existence d'un motif économique au sens de l'article L. 1233-3 du Code du travail, que la modification du contrat de travail était valablement intervenue ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen : - Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes formées au titre des remises de fin d'année déduites par l'employeur alors, selon le moyen, que le mode de rémunération contractuel d'un salarié constitue un élément du contrat de travail qui ne peut être modifié sans son accord, peu important que l'employeur prétende que le nouveau mode serait plus avantageux ; qu'une clause du contrat ne peut valablement permettre à l'employeur de modifier unilatéralement la rémunération contractuelle du salarié ; qu'en se bornant à retenir que l'existence de remises de fin d'année à la clientèle avait un impact sur le chiffre d'affaires et, par voie de conséquence, sur le montant des commissions perçues par M. Leroux pour en déduire que la déduction opérée par l'employeur était justifiée, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la clause du contrat de travail prévoyant que les commissions seraient calculées " après déduction des remises éventuellement accordées " n'avaient pas pour objet ou en tous les cas pour effet de permettre à l'employeur de réduire unilatéralement la rémunération du salarié en accordant en fin d'année une remise aux clients sans son accord, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil, ensemble l'article L. 1221-1 du Code du travail ;

Mais attendu qu'ayant relevé que le contrat de travail prévoyait que les commissions versées au salarié étaient calculées en fonction du chiffre d'affaires net résultant des commandes passées par son intermédiaire et que les remises consenties aux clients seraient déduites du montant des commissions, ce dont il se déduisait que la variation de la rémunération du salarié résultant des remises de fin d'année consenties par l'employeur à ses clients était proportionnelle à celle du chiffre d'affaires de la société, la cour d'appel, qui a fait ressortir que la variation de la rémunération du salarié était fondée sur des éléments objectifs indépendants de la volonté de l'employeur, a légalement justifié sa décision ;

Sur les deuxième, quatrième, cinquième et septième moyens : - Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ces moyens qui ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

Mais sur le sixième moyen : - Vu l'article L. 1233-65 du Code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2011-893 du 28 juillet 2011 pour le développement de l'alternance et la sécurisation des parcours professionnels ; - Attendu que l'employeur doit proposer une convention de reclassement personnalisé à chaque salarié concerné par un licenciement pour motif économique ; que la méconnaissance par l'employeur de cette obligation entraîne nécessairement pour le salarié un préjudice distinct de celui lié à la perte de son emploi, qu'il appartient au juge de réparer ; que dès lors, même si le licenciement prononcé a été reconnu comme dépourvu de cause économique, le salarié n'en a pas moins droit à la réparation du préjudice résultant de ce qu'il n'a pu bénéficier d'une convention de reclassement personnalisé ;

Attendu que pour débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour défaut de proposition d'une convention de reclassement personnalisé, l'arrêt retient que le licenciement étant sans cause économique, le salarié ne peut se prévaloir des dispositions des articles L. 1233-71 et L. 1233-65 du Code du travail ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et sur le quatrième moyen du pourvoi de l'employeur, pris en sa troisième branche : - Vu l'article 455 du Code de procédure civile ; - Attendu que les juges ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont fournis par les parties au soutien de leurs prétentions ;

Attendu qu'il résulte des productions qu'à l'appui de ses prétentions relatives aux avances sur indemnités de clientèle versées au salarié entre 2004 et 2010, l'employeur a versé aux débats des fiches individuelles de salaire laissant apparaître les montants perçus à ce titre par le salarié pour chacune des années considérées ;

Attendu que pour limiter à 85 686,69 euros les sommes payées à ce titre au salarié, après déduction des cotisations sociales prélevées pendant l'exécution du contrat, l'arrêt énonce que faute de production de l'intégralité des bulletins de salaire, il n'est pas possible de déterminer si les versements opérés par l'employeur relèvent de l'indemnité de clientèle ou du fruit du labeur du salarié ; qu'il retient les montants dont fait état le salarié ;

Qu'en statuant ainsi, sans examiner les éléments de preuve qui lui étaient proposés, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;

Par ces motifs : casse et annule, mais seulement en ce qu'il déboute M. Leroux de sa demande de dommages-intérêts pour défaut de proposition d'une convention de reclassement personnalisé et en ce qu'il condamne la société Luxottica à payer à M. Leroux la somme de 99 090,82 euros à titre de solde d'indemnité de clientèle, l'arrêt rendu le 29 juin 2012, entre les parties, par la Cour d'appel de Douai ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel d'Amiens.