CA Rennes, 2e ch., 12 septembre 2013, n° 11-00736
RENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Claas Réseau Agricole (SAS)
Défendeur :
Hamel Poids Lourds (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Le Bail
Conseillers :
Mmes Le Brun, Lefeuvre
Avocats :
Mes Flamia, d'Aboville, Vignet, SCP Gauvain-Demidoff
La société Claas a fait l'acquisition, pour le compte de son établissement d'Ergué Gabéric (Finistère), d'un tracteur routier Renault d'occasion auprès du garage Renault Truck Hamel d'Auxerre (Loiret) le 28 janvier 2008.
Ce camion d'occasion était garanti 3 mois "moteur, boîte, pont" et a été facturé le 11 février 2008 au prix convenu de 45 000 euro HT.
Le certificat de cession du véhicule de Hamel à Claas en date du 27 février 2008 permet à Claas d'immatriculer à son nom ce nouveau camion le 12 mars 2008.
Ce camion avait fait l'objet d'un contrôle technique préalable à la vente pour le compte du garage Hamel le 13 novembre 2007 et affichait alors 336 209 km au compteur.
Différents problèmes techniques survinrent dès le mois de juin 2008 pour lesquels le garage Hamel participa financièrement, de manière partielle.
La boîte de vitesses du véhicule présentant des dysfonctionnements, Claas fit rédiger le 17 octobre 2008 par le garage Renault Truck de Quimper un devis de remise en état de cette dernière pour une valeur de 5 238 euro HT (ce devis comprenant également le changement du joint spi AR moteur).
Le camion affichait alors 348 415 km.
La durée de la garantie contractuelle de 3 mois étant dépassée, le garage Hamel refusa la prise en charge financière de cette réparation par lettre en date du 4 février 2009.
Une expertise amiable et contradictoire organisée à l'initiative de Claas le 13 mai 2009 n'aboutit à aucun accord entre les parties.
Par exploit d'huissier en date du 26 août 2009, la société Claas assigna la société Hamel à l'audience des référés du Tribunal de commerce de Quimper aux fins de voir désigner un expert judiciaire.
Par ordonnance en date du 22 septembre 2009 le juge des référés ordonna une expertise du véhicule et nomma Monsieur El Kouri comme expert ; celui-ci déposa son rapport le 23 février 2010.
S'appuyant sur les conclusions de l'expert judiciaire, la société Claas assigna la société Hamel devant le Tribunal de commerce de Quimper le 19 mai 2010 aux fins d'entendre dire que le camion défectueux est affecté d'un vice caché au sens de l'article 1641 du Code civil, de prononcer la résolution de la vente et la condamnation de Hamel au paiement de 27 518 euro à titre de dommages et intérêts.
Vu l'appel interjeté par la société Claas Réseau Agricole, du jugement prononcé le 3 décembre 2010 par le Tribunal de commerce de Quimper qui a :
- Débouté la Sté Claas de sa demande de résolution de la vente du camion,
- Condamné la Sté Hamel à payer à Claas la somme de 12 454,75 euro HT à titre de dommages et intérêts,
- Condamné la Sté Hamel aux entiers dépens de l'instance y compris les frais d'expertise judiciaire,
- Condamné la Sté Hamel à payer à la Sté Claas la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Ordonné l'exécution provisoire de ce jugement,
- Débouté la Sté Claas de ses autres demandes fins et conclusions,
Vu les dernières conclusions signifiées le 19 novembre 2012 par la société Claas Réseau Agricole, qui demande à la cour de réformer le jugement déféré en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de résolution de la vente et de sa demande de dommages et intérêts et statuant à nouveau, de :
- Prononcer la résolution de la vente,
- Condamner en conséquence la société Hamel Poids Lourds à reprendre le tracteur litigieux,
- Condamner également la société Hamel Poids Lourds à lui payer les sommes de :
- 45 000 euro au titre du remboursement du prix de vente
- 47 212 euro à titre de dommages et intérêts,
- Confirmer le jugement pour le surplus,
- Condamner enfin la société Hamel Poids Lourds au paiement d'une somme complémentaire de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 19 juillet 2012 par la société Hamel Poids Lourds, qui demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Claas Réseau Agricole de sa demande de résolution de la vente du camion, mais de réformer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer à cette société la somme de 12 454,75 euro à titre de dommages et intérêts, de rejeter l'ensemble des demandes de cette société, et de la condamner au paiement de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel ;
Vu l'ordonnance de clôture de l'instruction intervenue le 6 décembre 2012 ;
SUR CE :
Sur l'existence d'un vice caché affectant le véhicule :
Considérant que la société Claas Réseau Agricole poursuit la réformation du jugement déféré en se fondant sur les dispositions des articles 1641 et suivants du Code civil ; qu'elle fait grief aux premiers juges de l'avoir déboutée de ses demandes de résolution de vente et de dommages et intérêts, et soutient que le rapport de l'expert judiciaire M. El Kouri démontre que le tracteur était affecté, au moment de la vente, d'un vice caché car il présentait de graves défauts, non visibles, et qui ne permettaient pas son utilisation dans des conditions normales ;
Considérant qu'elle critique le jugement en ce qu'il lui fait grief de ne pas avoir elle-même contrôlé suffisamment l'état du tracteur au moment de la vente, ce qui lui aurait permis de se convaincre de l'existence d'un certain nombre de défauts, étant elle-même un "professionnel du poids lourds", et soutient que son domaine d'activité est exclusivement les machines agricoles et non les transports routiers et qu'elle ne disposait pas des connaissances et des compétences nécessaires pour apprécier si le tracteur était apte à circuler en toute sécurité sur le réseau routier ;
Qu'elle ajoute qu'elle a acquis ce matériel pour un prix conséquent (45 000 euro), auprès d'un professionnel et qu'elle entendait acheter un camion d'occasion, pas une épave, soulignant que l'expert a insisté sur le fait que les défauts relevés, qu'il qualifie de graves car portant atteinte à la sécurité du véhicule, imposaient au garagiste, en bon professionnel, de remplacer ou remettre en état les organes défectueux avant la vente ;
Considérant que la société Hamel Poids Lourds répond qu'il résulte des constatations de M. El Kouri que les dysfonctionnements qui entachent le tracteur étaient décelables lors d'un simple examen visuel et d'un essai sur route ; qu'il s'agissait d'un véhicule d'occasion et que la simple vétusté ne peut être retenue comme vice caché ; que la société Claas Réseau Agricole est un vrai professionnel de la mécanique, que l'expertise d'un moteur de camion ou d'un moteur de tracteur agricole est la même, et qu'elle avait une obligation de vigilance ;
Qu'elle ajoute que la société Claas Réseau Agricole a mentionné dans un de ses courriers qu'elle avait connaissance du fait que le "problème (relatif à la boîte de vitesse) est bien connu du constructeur, Renault Trucks allant jusqu'à prendre en charge le coût de la remise en état de ces boîtes" ; que si elle avait connaissance des dysfonctionnements récurrents des boîtes de vitesse de ces véhicules, et si un simple essai sur route de moins de cinq kilomètres suffisait à le déceler, le vice caché ne peut être utilement invoqué ;
Qu'elle souligne enfin que les problèmes de boîte de vitesse n'ont été signalés qu'en octobre 2008, soit 8 mois après la livraison et après 11 500 km d'utilisation ;
Que la société Hamel Poids Lourds demande en conséquence la réformation du jugement en ce qu'il a tout de même alloué à l'acquéreur la somme de 12 454,75 euro à titre de dommages et intérêts équivalent au changement de la boîte de vitesse ;
Considérant qu'aux termes de l'article 1641 du Code civil, le vendeur est tenu à la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui en diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus ;
Qu'aux termes de l'article 1644, l'acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix, telle qu'elle sera arbitrée par experts ;
Que l'article 1645 prévoit également que si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur ;
Considérant qu'il résulte des opérations de l'expert judiciaire M. El Kouri, que le tracteur routier litigieux présentait, lors de son acquisition par la société Claas Réseau Agricole, "des défauts quasi rédhibitoires ne permettant pas une utilisation en toute sécurité", à savoir fuites d'huile et du liquide de refroidissement, ainsi qu'un dysfonctionnement de la boîte de vitesse ; que d'ailleurs, la société Hamel Poids Lourds, en cours d'expertise et par courrier de son avocat daté du 9 décembre 2009, acceptait de prendre en charge la réparation de cette boîte de vitesse, malgré l'expiration de la garantie ;
Considérant toutefois qu'il résulte également des opérations d'expertise que les vices affectant le véhicule litigieux étaient apparents lors de la vente, pour un acquéreur normalement diligent, procédant à un examen superficiel du moteur, et à un essai sur route ; que, s'agissant du moteur, étaient visibles, notamment, les craquelures et crevasses des durites, ainsi que les fuites d'huile provenant du moteur ; que la conduite du tracteur révélait un grincement caractéristique d'un mauvais état des "synchros", en particulier lors des passages des 3e et 7e rapports ;
Considérant que c'est vainement que la société Claas Réseau Agricole soutient que, n'étant pas un spécialiste des poids lourds, il lui était impossible de se convaincre de l'existence de ces problèmes, notamment de ceux affectant la boîte de vitesse, sans déposer celle-ci ; qu'il convient en effet de rappeler que cette société est un professionnel de la mécanique agricole, et qu'elle n'explique pas en quoi la motorisation des matériels agricole serait différente de la motorisation des poids lourds au point de la priver de toute possibilité de relever, en procédant à des diligences minimales, les défauts évoqués plus haut ;
Considérant qu'il résulte de ces constatations que les vices relevés par l'expert, quoique antérieurs à la vente, ne sont pas des vices cachés au sens de l'article 1641 du Code civil ;
Que la société Claas Réseau Agricole doit en conséquence être déboutée, tant de sa demande de résolution de vente que de sa demande de dommages et intérêts, accessoire à la demande de résolution, et formée sur le même fondement juridique ;
Sur les autres demandes :
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Hamel Poids Lourds l'intégralité des frais non compris dans les dépens qu'elle a dû exposer, que la société Claas Réseau Agricole sera en conséquence condamné à lui payer la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Considérant que la société Claas Réseau Agricole, qui succombe en toutes ses prétentions, supportera les dépens de première instance et d'appel ;
Par ces motifs : Déclare l'appel recevable, Confirme le jugement en ce qu'il a débouté la société Claas Réseau Agricole de sa demande de résolution de la vente, L'infirmant pour le surplus et statuant à nouveau des chefs infirmés, Déboute la société Claas Réseau Agricole de toutes ses demandes, Condamne la société Claas Réseau Agricole à payer à la société Hamel Poids Lourds la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Claas Réseau Agricole aux dépens de première instance, et d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions l'article 699 du Code de procédure civile.