CA Bordeaux, 1re ch. civ. B, 25 avril 2013, n° 11-04980
BORDEAUX
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Jean Egreteaud (SAS)
Défendeur :
Julia
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cheminade
Conseillers :
Mme Faure, M. Boinot
Avocats :
SCP Luc Boyreau, SCP Annie Taillard, Valérie Janoueix, Mes Vives, Honnet
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :
Vu le jugement rendu le 28 juin 2011 par le Tribunal de grande instance de Bordeaux, qui a condamné M. Jean-Dominique Julia à payer à la société Jean Egreteaud la somme de 18 839,55 euros en paiement des travaux effectués et rejeté la demande reconventionnelle de M. Julia et tous les autres chefs de demande des parties ;
Vu la déclaration d'appel interjeté par la société Jean Egreteaud le 26 juillet 2011 ;
Vu les dernières conclusions de l'appelante, signifiées et déposées le 26 novembre 2012 ;
Vu les dernières conclusions de M. Julia, signifiées et déposées le 2 mai 2012 ;
Vu l'ordonnance de clôture du 27 novembre 2012 ;
Afin de faire effectuer des travaux sur son véhicule automobile de marque Porsche type 911 S, mis en circulation le 4 novembre 1966, M. Jean-Dominique Julia a confié ce véhicule au garage de la concession Porsche située à Pessac (Gironde) et exploitée par la société Jean Egreteaud. M. Julia n'a pas payé le montant de la facture du 31 mars 2009 qui lui a été présentée. La société Jean Egreteaud l'a donc assigné en paiement de cette facture.
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, la cour se réfère au jugement déféré qui en contient une relation précise et exacte.
MOTIFS :
Sur l'engagement de M. Julia à l'égard de la société Jean Egreteaud
La société Jean Egreteaud, concluant à l'infirmation du jugement, conteste le fait que sa réclamation ne reposerait sur aucun devis et vise les dispositions des articles 1134 et suivants et 1787 et suivants du Code civil.
Pour demander la confirmation du jugement, M. Julia invoque, dans le dispositif de ses conclusions, les dispositions du Code civil affirmant l'exécution des contrats de bonne foi (article 1134 et suivants), l'obligation de l'écrit pour les obligations d'un certain montant (article 1341) et aussi l'obligation résultant de l'article 1315 aux termes duquel :
"Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. / Réciproquement, celui qui se prétend libéré, doit justifier le payement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation."
Il affirme qu'un créancier professionnel face à un contractant profane doit rapporter la preuve écrite de son obligation, par application des dispositions des articles 1315 et 1341 du Code civil, qui peut résulter d'un devis ou d'un ordre de réparation, et que le défaut de devis s'analyse en un manquement à son obligation de résultat. Il reproche en l'espèce à la société Jean Egreteaud d'avoir refusé, à plusieurs reprises, d'établir un devis alors qu'il en réclamait un, et il fait valoir qu'elle a ainsi manqué à ses obligations, en violation des articles L. 111-1 et L. 114-1 du Code de la consommation qui prévoient l'obligation d'informer le consommateur avant la conclusion du contrat sur les prestations fournies, et des conditions générales de vente de la société Jean Egreteaud qui prévoient la signature d'un ordre de réparation.
A titre préliminaire, M. Julia ne demande pas l'application de sanctions qui résulteraient du non-respect des textes des articles L. 111-1 et L. 114-1 du Code de la consommation ou des conditions générales de vente, qu'il n'invoque d'ailleurs pas dans le dispositif de ses conclusions.
Il est exact que la société Jean Egreteaud n'explique pas pourquoi elle n'a pas fait signer un ordre de réparation ou un devis lorsque M. Julia lui a déposé son véhicule, comme le prévoient les diverses dispositions législatives ou contractuelles. Cependant, le contrat d'entreprise est un contrat consensuel qui n'est soumis à aucune forme déterminée. Notamment, l'établissement d'un devis écrit n'est pas une condition de la validité d'un contrat passé avec un garagiste.
M. Julia, qui précise qu'il était client du Centre Porsche, géré par la société Jean Egreteaud, explique dans un courrier daté du 23 septembre 2009 qu'il a confié à l'atelier de ce centre son véhicule au début du mois de juin 2008 et que, dans les jours qui suivirent la livraison, le carrossier de ce centre a effectué un bilan provisoire des travaux indispensables à la remise en état de la carrosserie et de la liste des pièces à changer. Et, dans un courriel daté du 31 janvier 2009, il fait état "de l'ensemble des détails à prendre en compte lors de la reconstruction d'une vraie "fausse" R", même s'il affirme qu'une telle prestation ne correspondait qu'à un projet sans rapport avec les travaux engagés six mois plus tôt, tout en évoquant ensuite la possibilité d'une demande de transformation. De plus, il a laissé son véhicule dans ce centre sans manifester, au cours des mois qui ont suivi son dépôt, le souhait de le reprendre ou de faire cesser toute intervention.
Or, la société Jean Egreteaud produit une facture "Proforma n° : 1022183" datée du 20 juin 2008, sur laquelle il est mentionné "Remise en état carrosserie" avec le détail de la main d'œuvre et des pièces, établie pour un montant total de 45 754,22 euros toutes taxes comprises. M. Julia reconnaît avoir, le 29 janvier 2009, apposé sur ce document les termes suivants : "Arrêt travaux voiture en apprêt. Stockage des pièces. attente de décision pour peinture. 45 754,22 euros. Avoir facture n° 13/0901/100054 - 3 269,39 euros : 42 484,83 euros. Bon pour accord voiture " suivis de sa signature. Malgré ses explications sur les modalités de remise de ce document, faisant état de "guet-apens" et de faux ordre de réparation préalablement signé de sa main, il ne soutient pas qu'il se serait trompé, que son consentement aurait été forcé ou qu'il aurait été victime de violence ou de manœuvres dolosives. Ainsi, même si, à l'origine aucun document n'a été signé, à ce moment-là il a donné son accord formel sur les travaux effectués ou restant à effectuer, sous réserve de la peinture, et sur le coût de ces travaux.
Dès lors, au vu de ces documents, la société Jean Egreteaud prouve l'obligation de M. Julia à son égard. Même si elle ne lui a pas fait signer un ordre de réparation ou un devis de travaux, elle est donc bien fondée à lui demander le paiement des prestations qu'elle a effectuées pour son compte.
A l'appui de ce chef de demande, elle produit la facture n° 13/0903/100129 datée du 31 mars 2009 et établie avec la mention "Remise en état carrosserie avec transformation à la demande du client. Suivi des travaux par le client. Travaux supplémentaires : montage réservoir + réparation siège" qui reprend le temps de main d'œuvre et les pièces de la précédente facture Proforma, exclusion faite des "ingrédients peinture" et de la main d'œuvre afférente aux travaux de peinture.
En produisant cette facture, elle justifie sa demande de paiement de la somme de 36 719,22 euros.
Sur le respect par la société Jean Egreteaud de son obligation d'information et de conseil
M. Julia reproche aussi à la société Jean Egreteaud d'avoir manqué à son obligation contractuelle d'information, et donc à son devoir de conseil dont la méconnaissance engage la responsabilité contractuelle du garagiste, en s'étant abstenue de tout information économique et mécanique sur la nature de l'intervention à effectuer et sur le coût des travaux par rapport à la valeur du véhicule et donc en n'établissant pas un devis préalable pour obtenir son consentement et en n'attirant pas son attention sur l'opportunité d'engager des frais aussi importants.
Il est exact, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, que la société Jean Egreteaud devait faire signer un ordre de réparation ou un devis à M. Julia lorsque celui-ci a déposé son véhicule automobile dans son garage. Mais, pour prétendre à réparation, M. Julia doit prouver avoir subi un préjudice indemnisable en conséquence d'une faute imputable à la société Jean Egreteaud. Cette faute peut résulter de l'absence de signature d'un ordre de réparation ou d'un devis signé par lui s'il en résulte pour lui un défaut de conseil préjudiciable, notamment si le coût des prestations est disproportionné au regard de la valeur économique du véhicule.
Sur le rapport du coût des travaux par rapport à la valeur de son véhicule, M. Julia se prévaut de deux devis provenant de deux centres qu'il qualifie "centres d'excellence reconnus pour leur capacité à remettre en état des voitures anciennes de la marque Porsche" : le devis proposé par le département Porsche Classic de l'usine Porsche à Stuttgart, qui, écrit-il dans son courrier du 23 septembre 2009, prévoit 720 heures de main d'œuvre en carrosserie et 95 heures en peinture ; et il produit le devis proposé par le garage Bourgoin, à Poitiers, qui prévoit 565 heures de main d'œuvre (carrosserie et mécanique) et 65 heures en peinture, soit un total de 630 heures. Il ne démontre donc pas, de la part de la société Jean Egreteaud, une surfacturation excessive qui lui porterait préjudice par rapport à la valeur du véhicule et ne démontre pas un manquement de la société Jean Egreteaud à un devoir de conseil sur l'opportunité économique de procéder aux travaux de remise en état qu'il souhaitait effectuer.
En outre, s'il a déploré des défauts constatés par un expert, M. Julia admet qu'ils ont été corrigés, permettant la conformité des travaux réalisés. Et il ne soutient pas aujourd'hui que les prestations seraient inadaptées, défectueuses ou insuffisantes. Ainsi, il ne démontre pas un manquement de la société Jean Egreteaud à un devoir de conseil sur l'opportunité mécanique de procéder aux travaux de remise en état qu'il souhaitait effectuer. Il ne démontre pas la mauvaise qualité des prestations effectuées par la société Jean Egreteaud sur son véhicule automobile.
Dès lors, M. Julia n'invoque aucun préjudice spécifique autre que le montant de la facturation contestée. Or, le paiement d'une facture établie par rapport à un document accepté et signé ne peut créer un préjudice. Dès lors, à défaut de démontrer l'existence d'un préjudice résultant d'une faute imputable à la société Jean Egreteaud, M. Julia doit payer les prestations régulièrement facturées par celle-ci et correspondant aux travaux effectués sur son véhicule automobile.
En conséquence, la cour, infirmant le jugement, condamne M. Julia à payer à la société Jean Egreteaud la somme de 36 719,22 euros toutes taxes comprises, avec intérêts au taux contractuel à compter du 30 novembre 2009, date de réception de la lettre de mise en demeure de payer, outre les intérêts sur les intérêts selon les modalités de l'article 1154 du Code civil.
Elle confirme le jugement en ce qu'il rejette la demande reconventionnelle de M. Julia tendant au versement de dommages et intérêts.
Sur les autres chefs de demande
M. Julia qui succombe en ses prétentions, est condamné aux dépens. Il est également condamné au paiement d'une somme au profit de la société Jean Egreteaud en application de l'article 700 du Code de procédure civile, comme il est dit au dispositif du présent arrêt.
Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement prononcé le 28 juin 2011 par le Tribunal de grande instance de Bordeaux en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle en dommages et intérêts présentée par M. Jean-Dominique Julia, L'infirme pour le surplus et, statuant à nouveau : Condamne M. Jean-Dominique Julia à payer à la société Jean Egreteaud la somme de 36 719,22 euros toutes taxes comprises, avec intérêts au taux légal à compter du 30 novembre 2009 et capitalisation de ces intérêts conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil, Condamne M. Jean-Dominique Julia à payer à la société Jean Egreteaud la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Le condamne aux dépens de première instance et d'appel qui comprendront les frais de recouvrement forcé des sommes allouées, ceux d'appel pouvant être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.