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Décisions

CA Caen, 1re ch. civ., 14 janvier 2014, n° 11-00365

CAEN

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Covea Risks (SA), Caro Développement (SAS)

Défendeur :

Aréas Dommages (Sté), Groupe Emeraude (SAS), CPAM de la Sarthe

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Maussion

Conseillers :

Mme Serrin, M. Jaillet

TGI Argentan, du 30 déc. 2010

30 décembre 2010

FAITS ET PROCÉDURE

Le 3 mars 2008, M. Claude L, âgé de 77 ans, se trouvait devant une machine à sous au casino de Bagnoles de l'Orne lorsque sa chaise s'est renversée, entraînant sa chute et des blessures graves.

Par ordonnance du 24 décembre 2008, le juge des référés a ordonné une expertise médicale et une expertise technique relative au système d'attache des sièges confiée à Monsieur M et a alloué à M. L une provision de 25 000 euros.

Le docteur M a déposé son rapport le 19 mars 2010 et M. M le 1er juillet 2009.

Par acte d'huissier de justice en date 9 juin 2010, les époux L ont saisi à nouveau le juge des référés. Par ordonnance en date du 6 août 2010, entre autres dispositions, la connaissance du litige a été renvoyée au tribunal.

Le jugement en date du 30 décembre 2010 du Tribunal de grande instance d'Argentan :

Dit n'y a voir lieu à jonction des procédures ;

Condamne in solidum la SAS Groupe Emeraude et la société Aréas Dommages à indemniser intégralement le préjudice subi par les consorts L à la suite de l'accident survenu le 3 mars 2008 ;

Condamne in solidum la SAS Caro Développement et la SA Covea Risks à garantir à hauteur de 50 % la SAS Groupe Emeraude et la société Aréas Dommages de toutes les condamnations prononcées à leur encontre au titre du préjudice subi par les époux L ;

Avant dire droit sur l'indemnisation du préjudice subi par les époux L :

Rejette l'exception de nullité soulevée par la SAS Groupe Emeraude et la société Aréas Dommages ;

ordonne la réouverture des débats ;

ordonne un complément d'expertise confié au docteur M ;

Dit que le docteur M devra répondre aux dires formulés le 29 décembre 2009 par la SA Covea Risks et la SAS Caro Développement et le 5 janvier 2010 par le docteur S, médecin conseil du Groupe Emeraude et de son assureur ;

Dit que l'expert devra déposer un rapport écrit au greffe avant le 31 mars 2011 ;

Dit n'y a voir lieu à consignation supplémentaire ;

Dit que l'affaire sera rappelée à la mise en état à la diligence du greffe après dépôt du rapport d'expertise ;

Sursoit à statuer sur les demandes indemnitaires présentées par les époux L et la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Sarthe ;

Réserve les demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens.

Par déclaration reçue au greffe le 4 février 2001, la SAS Caro Développement et la SA Covea Risks ont interjeté appel de cette décision.

Au terme de leurs dernières écritures déposées le 6 août 2013, elles demandent à la cour de réformer le jugement du Tribunal de grande instance d'Argentan du 30 décembre 2010 et au visa des dispositions de l'article 1147 du Code civil, de :

Constater que la SAS Caro Développement a parfaitement rempli l'ensemble de ses obligations et qu'elle n'a commis aucune faute,

Débouter les sociétés Groupe Emeraude et société Aréas Dommages de leur demande en garantie exercée à l'encontre de SAS Caro Développement ;

Débouter les parties de leurs demandes plus amples ou contraires à l'encontre de la SA Covea Risks et de la SAS Caro Développement ;

Condamner solidairement les sociétés Groupe Emeraude et Aréas Dommages à verser à la SAS Caro Développement la somme de 6 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamner les sociétés Groupe Emeraude et Aréas Dommages aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

Faire application au profit de la SCP Vincent M, Jacques M, Laurence d'O & Philippe L des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Au terme de leurs dernières écritures déposées le 12 juillet 2011, la SAS Groupe Emeraude et la société Aréas Dommages demandent à la cour, au visa des dispositions de l'article 1147 du Code civil, de :

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu le principe de la responsabilité de la SAS Caro Développement, garantie par son assureur Covea Risks,

Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a limité à 50 % la garantie de la SAS Caro Développement et de la SA Covea Risks,

Réformant sur ce point le jugement,

Dire et juger que la SAS Caro Développement et la SA Covea Risks seront condamnées à garantir intégralement la SAS Groupe Emeraude et la société Aréas Dommages de toutes les condamnations prononcées à leur encontre au titre de l'indemnisation du préjudice des époux L ;

Condamner la SAS Caro Développement et Covea Risks aux entiers dépens ;

Condamner la SAS Caro Développement et Covea Risks à payer à la société Aréas Dommages et au Groupe Emeraude une indemnité chacun de 3 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Faire application à la SCP L-R, avoués associés, des dispositions de l'article 699 Code de procédure civile.

Au terme de leurs dernières écritures déposées le 8 avril 2013, MM. Claude et Philippe L demandent à la cour,

Recevant la société Covea Risks et la société Caro Développement en leur appel,

Leur donner acte de leur intervention en qualité d'héritiers de Mme L ;

Confirmer le jugement rendu le 30 décembre 2010 par le Tribunal de grande instance d'Argentan ;

Y ajoutant,

Condamner telle partie qui succombera à payer à M. Claude L et à M. Philippe L une somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamner telle partie qui succombera aux entiers dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement au profit de Me D conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Au terme de ses dernières écritures déposées le 23 juin 2011, la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe demande à la cour de :

statuer ce que de droit quant à l'appel de Covea Risks et de la société Caro Développement.

Confirmer le jugement rendu le 30 décembre 2010 par le Tribunal de grande instance d'Argentan ;

Condamner telle partie qui succombera à lui payer une somme de 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamner telle partie qui succombera aux entiers dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement au profit de la SCP G D conformément aux dispositions de l'art 699 du Code de procédure civile.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 18 septembre 2013.

Pour un plus ample exposé des faits, des moyens et des prétentions des parties, il convient de se reporter à leurs dernières écritures susvisées.

MOTIFS DE LA COUR

Il doit être retenu du rapport d'expertise judiciaire et des différents éléments versés aux débats que la société Caro Développement a vendu à la société Groupe Emeraude des socles.

Ces socles (ou caissons) sont fabriqués à partir de panneaux de bois aggloméré et mélaminé. Les caissons sont solidarisés entre eux pour constituer les supports des machines à sous devant lesquelles sont installés des sièges.

Au Casino de Bagnoles de l'Orne, les sièges sont fixés au caisson. Pour ce faire, il est vissé sur la plinthe du caisson une pièce métallique recourbée, que l'expert appelle une équerre, sous laquelle vient s'accrocher l'embase du siège.

Le siège repose sur une plaque de métal recourbée qui vient se bloquer derrière cette équerre (ou rail) métallique fixé au socle de la machine.

La plinthe, également en bois aggloméré et mélaminé, d'une épaisseur de 30 mm, est elle-même fixée au caisson par 5 tourillons de 10 x 30 cannelés. Les tourillons sont montés non collés.

Il est néanmoins possible de déplacer les sièges, notamment pour les besoins du ménage.

La société Caro Développement n'assure pas l'installation des machines à sous sur les caissons qu'elle vend. Elle n'a pas davantage fourni le siège litigieux, ni le système de fixation (équerre ou rail) qui a été installé par les préposés de la société Groupe Emeraude.

Les premières observations de l'expert lui ont permis de constater que pour décrocher le siège installé devant la machine 112 (sur lequel M. L avait pris place), il fallait le lever par l'arrière et que la plinthe du socle pouvait bouger en rotation.

Lors du démontage du socle du caisson de cette machine, l'expert a constaté que l'équerre n'était pas fixée parallèlement au sol avec un écart de 2 mm entre les 2 extrémités et que de même, dans sa partie haute destinée à s'encastrer, la semelle du siège n'était pas parallèle au sol (avec toutefois un faible écart de 0,8 mm).

Il a constaté également que la plinthe du caisson était endommagée (les angles étaient écornés).

Le visionnage du film de vidéo-surveillance a permis de constater que le siège de M. L avait basculé vers l'arrière sans que ce dernier en ait fait un usage anormal. En particulier, il n'a fait aucun mouvement qui aurait pu provoquer la détérioration du matériel. Les mouvements pour s'asseoir sont lents et sans chocs. Il est tombé en étant resté assis.

Le basculement est à rechercher dans une mauvaise tenue du siège sur la machine, l'expertise ayant permis de démontrer que le système de fixation n'était pas fiable.

Il convient de retenir d'une part que la fixation de la plinthe sur le socle, si elle est suffisamment solide pour tenir dans des conditions de positionnement du siège bien précises, n'est pas assez robuste pour supporter les efforts imposés à l'installation dans le cas où la position de l'équerre ne correspond pas aux caractéristiques du siège de la machine.

D'autre part, la fixation de l'équerre sur le socle n'est pas adaptée car il est possible d'avoir des sièges avec des hauteurs d'accrochage différentes (les embases des sièges ne sont pas identiques).

Il est possible de mettre un siège avec une embase trop haute par rapport à la position de l'équerre et de ce fait, le siège produit un effort sur le caisson même si la société Groupe Emeraude affirme, mais sans l'établir, que les sièges gardent toujours le même emplacement et restent avec la même machine, alors que certains sont numérotés et d'autres non et qu'aucun verrouillage n'est mis en place.

Enfin, le respect du mode opératoire pour la fixation de l'équerre n'est pas garanti et il est possible de fixer l'équerre sur la plinthe à une mauvaise position.

Après démontage des équerres des socles des machines 112 et 113, aucune marque de tracé de crayon n'a pu être constatée sur les plinthes et l'expert estime que si le procédé de montage avait été le même que celui retenu pour la démonstration faite le jour de l'expertise, des traces de crayon seraient restées apparentes.

En outre, l'expert a pu constater que sur certaines machines, le siège peut être mis sans avoir à lever le siège par l'arrière (machine 97). Ainsi, contrairement aux dires du directeur du casino selon lequel il est impossible de décrocher le siège sans le lever vers l'arrière, l'expert a pu prouver le contraire en tirant le siège vers l'arrière et parallèlement au sol. Le siège s'est décroché, la plinthe du socle s'est inclinée alors même que l'effort était modéré (inférieur à 500 Nm) et qu'il n'y a eu aucun choc pour amorcer le décrochage. La rotation de la plinthe qui a été mise en évidence correspondait au même mouvement que celui observé par l'expert sur la plinthe de la machine 112 avant son démontage.

Le défaut de la plainte cassée est apparu à l'expert comme un défaut répétitif, un changement du socle de la machine 113 (machine voisine) ayant été fait dans les semaines précédentes. Le défaut qui a pu être constaté sur le socle de la machine 113 était le même que celui de la machine 112. Il a émis l'hypothèse que les deux incidents signalés n'étaient pas les seuls connus et qu'un historique des ventes des caissons pourrait le justifier.

L'ensemble de ces constatations conduisent à approuver l'expert lorsqu'il retient en conclusion que la plinthe de la machine 112 devait être déjà endommagée et qu'avec le poids de M. L, la plinthe étant déjà défectueuse, a pu pivoter.

C'est à bon droit que les premiers juges ont dit que si l'exploitant d'un établissement tel qu'un casino n'est tenu en principe, en ce qui concerne la sécurité de ses clients, que d'une obligation de moyens, il contracte néanmoins l'obligation de mettre à la disposition des clients des sièges suffisamment solides pour ne pas s'effondrer sous leur poids.

En l'espèce, en mettant à la disposition de ses clients des sièges dont le système de fixation n'est pas fiable, la société Groupe Emeraude a commis un faute qui engage sa responsabilité et c'est à juste titre que les premiers juges l'ont condamnée à réparer les conséquence dommageables de la chute, in solidum avec son assureur, la société Aréas Dommages.

La société Caro Développement ne conteste pas être une société spécialiste des jeux qui fournit régulièrement et depuis un certain nombre d'années, comme le soutient celle-ci, la société Groupe Emeraude.

La société Caro Développement ne saurait se dégager de sa responsabilité en faisant valoir que toute fixation d'un siège ressort de la responsabilité du client dès lors qu'il résulte de ses conclusions qu'elle sait que certains établissements choisissent, pour des raisons pratiques, d'arrimer chaque siège à une machine à sous tandis que d'autres font le choix de laisser les sièges libres et qu'il existe divers systèmes d'accroche des sièges.

Il lui appartenait en effet de s'informer, dès lors qu'elle ne fournissait pas les sièges, du type de ceux-ci et dans l'hypothèse de leur fixation, du système retenu et de sa compatibilité avec le matériel fourni.

Dans la réponse qu'il a faite aux dires des parties, l'expert souligne que dans la fiche de renseignement qu'elle publie sur son site, la société Caro Développement ne donne aucune précision quant à la possibilité de fixer un siège ou non.

Sa responsabilité est donc engagée en l'espèce dès lors qu'il est établi que la fixation de la plinthe sur le socle n'est pas assez robuste pour supporter les efforts imposés à l'installation dans le cas où la position de l'équerre ne correspond pas aux caractéristiques du siège de la machine.

Pour autant, elle ne saurait être condamnée à garantir la société Groupe Emeraude de la totalité des condamnations prononcées à son encontre. Corrélativement à l'obligation d'information et de conseil qui est mise à la charge du vendeur, il existe pour l'acheteur un devoir de coopération : l'intéressé doit préciser les utilités attendues du bien qu'il se propose d'acheter, sans quoi il serait malvenu à soutenir, par la suite, que l'inaptitude du bien à satisfaire la destination recherchée est liée uniquement à un manquement du vendeur à son obligation d'information et de conseil.

L'expert doit donc être approuvé quand il indique qu'un cahier des charges aurait dû être établi. Il convient de retenir à tout le moins que la précision du système d'accroche qui serait retenu aurait dû être donnée à la société Caro Développement afin qu'elle vérifie que l'assemblage du socle était compatible avec la fixation d'un siège, sachant qu'un siège de 15 kilos produit, avec ce système de montage, un effort d'arrachement de 150 kilos.

Elle aurait dû également s'enquérir des précautions à prendre lors du montage pour que la position de l'équerre corresponde précisément aux caractéristiques du siège de la machine.

En l'espèce, il y a bien un défaut de montage, imputable aux préposés de la société Groupe Emeraude dès lors que l'expert a constaté que la plinthe pivotait, hypothèse qui se produit quand la position de l'équerre ne correspond pas aux caractéristiques du siège de la machine.

Les fautes en présence ont également concouru à la réalisation du dommage, en sorte que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a condamné in solidum la SAS Caro Développement et la SA Covea Risks à garantir à hauteur de 50 % la SAS Groupe Emeraude et la société Aréas Dommages de toutes les condamnations prononcées à leur encontre au titre du préjudice subi par les époux L.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme, dans les limites de l'appel, le jugement en date du 30 décembre 2010 du Tribunal de grande instance d'Argentan ; Y ajoutant : Condamne la SAS Groupe Emeraude et la société Aréas Dommages à verser aux consorts L une indemnité de 1 500 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la SAS Groupe Emeraude et la société Aréas Dommages à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe la somme de 1 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la SAS Caro Développement et la SA Covea Risks à garantir la SAS Groupe Emeraude et la société Aréas Dommages de ces condamnations à hauteur de 50 % ; Condamne la SAS Groupe Emeraude et la société Aréas Dommages, sous la garantie de la SAS Caro Développement et la SA Covea Risks aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile par Me D et la SCP G-D.