CA Aix-en-Provence, 10e ch., 25 septembre 2013, n° 11-17565
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Caisse Suisse de Compensation
Défendeur :
Association Verdon Alpilles, La Réunion Aérienne (GIE)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Belieres
Conseillers :
Mmes Faure, Desjardins
Avocats :
Mes Boissonnet, Ballaloud, Chaulot-Zirnhelt, Liberas, Potier
EXPOSE DES FAITS ET PROCEDURE
Le 15 juillet 2004 M. Andréas Baumann qui participait à la 36ème coupe du monde de vol à voile en montagne organisée par l'association aéronautique Verdon Alpilles a trouvé la mort en heurtant un câble de type Catex abritant des explosifs destinés déclencher artificiellement des avalanches alors qu'aux commandes d'un planneur il survolait les contreforts du domaine skiable de Méribel.
Le 22 juin 2006 la Caisse Suisse de Compensation a fait assigner l'association aéronautique Verdon Alpilles devant le Tribunal de grande instance de Draguignan en déclaration de responsabilité et remboursement des prestations servies à la fille mineure de la victime, Andrée Oberlé, en vertu de l'article 25 de la loi sur l'assurance vieillesse et survivants au titre de la rente orphelin d'un montant de 77 897 876 euro et par voie de conclusions le GIE La Réunion Aérienne est intervenue volontairement à l'instance en sa qualité d'assureur de responsabilité civile de cette association.
Par jugement en date du 30 octobre 2008 cette juridiction a :
- dit n'y avoir lieu à surseoir à statuer jusqu'à l'issue de la procédure engagée par la Caisse Suisse de Compensation devant le Tribunal administratif de Grenoble contre la commune des Allues et la société d'exploitation Méribel-Alpina
- débouté la Caisse Suisse de Compensation de ses demandes au motif que la responsabilité de l'association aéronautique Verdon Alpilles n'était pas engagée au regard de son obligation de sécurité
- condamné la Caisse Suisse de Compensation à payer à l'association aéronautique Verdon Alpilles la somme de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile
Par acte du 6 octobre 2011 la Caisse Suisse de Compensation a interjeté appel général de cette décision.
Par arrêt du 12 mai 2010 la cour d'appel a :
- infirmé le jugement sur le demande de sursis à statuer
- sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure engagée par la Caisse Suisse de Compensation devant le Tribunal administratif de Grenoble contre la commune des Allues et la société d'exploitation Méribel-Alpina.
- sursis à statuer sur l'application de l'article 700 du Code de procédure civile
- réservé les dépens.
Par arrêt de la Cour administrative d'appel de Lyon en date du 27 septembre 2012 la requête de la Caisse Suisse de Compensation présentée à l'encontre de la commune des Allues et de la société d'exploitation Méribel-Alpina chargé de la gestion du domaine skiable a été rejetée au motif que l'accident dont avait été victime M. Baumann en percutant un câble était exclusivement imputable à l'imprudence dont il avait fait preuve.
MOYENS DES PARTIES
La Caisse Suisse de Compensation demande dans ses conclusions du 6 juin 2013 de :
Vu l'accord entre la Confédération Suisse et la Communauté européenne et ses Etats membres
Vu les dispositions de l'article 93 du règlement CEE du 14 juin 1971
- débouter l'association aéronautique Verdon Alpilles de l'ensemble de ses demandes
- déclarer recevable son action subrogatoire
- dire que l'association aéronautique Verdon Alpilles était tenue d'une obligation de sécurité à l'égard de M. Baumann
- infirmer le jugement en ce qu'il a retenu que cette association n'avait pas manqué à son obligation de sécurité
- dire que cette association a commis une faute dans l'exécution de cette obligation de sécurité du fait qu'elle n'a pris aucune mesure pour prévenir et informer M. Baumann de l'existence des câbles Catex
- dire que M. Baumann n'a commis aucune faute de nature à exonérer partiellement ou totalement la responsabilité de cette association
En conséquence,
- retenir la responsabilité exclusive de cette association
- condamner solidairement l'association aéronautique Verdon Alpilles et le Gie La Réunion Aérienne à lui payer :
* la contrevaleur de 131 566 francs suisses soit la somme de 81 611,63 euro représentant le montant total des prestations servies à l'enfant de M. Baumann
* la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile
- mettre les entiers dépens à la charge de l'association aéronautique Verdon Alpilles et le GIE La Réunion Aérienne sous la même solidarité.
Elle fait valoir que l'organisateur d'une compétition sportive est tenu d'une obligation de sécurité à l'égard des participants qui est une obligation de moyens mais qui doit être appréciée avec rigueur lorsqu'il s'agit d'un sport dangereux de sorte qu'il doit en prévenir, dans toute la mesure du possible, les risques élevés connus.
Elle soutient que la responsabilité contractuelle de l'association aéronautique Verdon Alpilles est engagée puisqu'elle n' a pas informé les participants de l'existence des câbles dans une épreuve de vol à voile en montagne, ni de leur emplacement alors qu'en raison de leur diamètre ils ne sont visibles qu'au dernier moment et qu'en vol leur détection ne résulte pas systématiquement de la présence au sol de leurs pylônes situés sur les gares de départ et non à proximité car leur longueur dépasse parfois dix kilomètres, ce qui ne peut qu'aggraver l'obligation d'information d'autant qu'elle savait que les planeurs étaient amenés à se rapprocher du relief et à être confrontés à de tels obstacles.
Elle en déduit que, compte tenu de leur dangerosité et de l'importance que représente le plan de vol pour les compétiteurs, la présence des câbles Catex aurait dû être signalée de manière détaillée par l'organisateur, la seule information générale ne pouvait être suffisante, qu'en s'abstenant de prendre la précaution d'attirer l'attention des compétiteurs sur l'existence de ces câbles et de les mettre en garde, l'association aéronautique Verdon Alpilles a manqué à son obligation et commis une faute.
Elle soutient que la victime n'a elle-même commis aucune faute de nature à exonérer cette association de sa responsabilité.
Elle affirme que M. Baumann ignorait l'existence de ce genre de câbles qui ne se trouvait ni en Suisse ni dans les Alpes du Sud où il avait l'habitude de voler, comme l'a expliqué son père, en précisant que les câbles Catex ne peuvent être comparés aux câbles de téléphériques et de remontées mécaniques qui sont visibles de loin, de sorte que le signalement de leur emplacement était indispensable et que n'ayant pas été averti de cette circonstance il ne pouvait apprécier le risque auquel il s'exposait.
Elle ajoute qu'il était un pilote très expérimenté puisque titulaire d'une licence depuis le 31 juillet 1992, d'un brevet de planeur de vol à voile et était second de la compétition lors du sinistre.
L'association aéronautique Verdon Alpilles et le GIE La Réunion Aérienne demandent dans leurs conclusions communes du 15 février 2013 de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a dit que l'association aéronautique Verdon Alpilles avait pleinement respecté ses obligations de sécurité et d'information
- rejeter, en conséquence, l'intégralité des demandes de la Caisse Suisse de Compensation
- la condamner à leur payer la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile
- mettre les entiers dépens à sa charge.
Ils font valoir que l'enquête diligentée par les services de la gendarmerie a conclu que le pilote avait, dans le cadre de la compétition, pris un maximum de risques en évoluant trop près des reliefs, que les câbles Catex étant de section peu importante ne sont visibles qu'au dernier moment, que la réglementation pour le vol de pente permet aux planeurs de s'approcher du relief sous réserve de n'entraîner aucun risque pour les personnes ou les biens à la surface c'est-à-dire sous la responsabilité du pilote.
Ils soulignent que la septième étape au cours de laquelle l'accident s'est produit consistait en une épreuve de vitesse avec un seul point de virage obligé, qu'aucun tracé n'était imposé aux pilotes qui restaient totalement maîtres de leur trajectoire en fonction des conditions météorologiques et de leur tactique de vol, que l'absence d'autorisation préalable pour ces installations de câbles Catex (de hauteur inférieure à 40 mètres) n'imposait à leur propriétaire ni balisage ni autorisation particulière, ce qui ne permet pas de les répertorier ni de les cartographier.
Ils en déduisent que l'association aéronautique Verdon Alpilles ne pouvait donner qu'une information générale relative à l'existence d'installations et de câbles à proximité des stations de ski, faute de connaître avec précision l'emplacement de ces câbles et faute de connaître par avance la trajectoire que les pilotes emprunteraient et que ce jour-là une rappel de sécurité des vols avait été fait portant sur les câbles de téléphériques de la vallée de Chamonix.
Ils rappellent qu'il appartenait aux pilotes de rester vigilants, particulièrement en vol de pente à très basse altitude, alors que M. Baumann volait approximativement à 30 mètres lors de l'accident et ne pouvait, en tant que pilote expérimenté, ignorer les risques inhérents à cette pratique.
Ils en concluent qu'aucune faute ne peut leur être reprochée, l'association ne pouvant se substituer aux pilotes dans la conduite de leur planeur, chacun d'eux restant maître de ses décisions de pilotage et de sa trajectoire ainsi que des risques qu'il est prêt à prendre dans le cadre de la compétition.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la responsabilité
sur la faute
Aux termes de l'article 1147 du Code civil l'organisateur d'activités sportives tenu à l'égard de son client d'une obligation contractuelle de sécurité revêtant la nature juridique d'une obligation de moyens, ne peut voir sa responsabilité engagée qu'en cas de faute de sa part, dont la charge de la preuve pèse sur le client.
Au vu de l'ensemble des éléments versés aux débats l'association aéronautique Verdon Alpilles, débitrice envers M. Andréas Baumann d'une obligation de prudence et de diligence doublée d'une obligation d'information, n'a pas mis en œuvre tout ce que l'on était en droit d'attendre pour assurer la sécurité des participants à la compétition de vol à voile en montagne organisée par ses soins et leur permettre de s'engager en toute connaissance de cause et en ayant le plus parfaitement possible mesuré le risque encouru.
Lors de son audition par les services de police M. Kunz Régis, chargé au sein de l'association aéronautique Verdon Alpilles de l'organisation de la direction opérationnelle de la compétition, a indiqué que chaque matin avant l'épreuve du jour une réunion était organisée avec les participants pour leur donner les informations relatives à la météo par un exposé très complet avec vidéo-projection avec remise d'un document de synthèse, un résumé de l'épreuve du jour avec distribution des feuilles de parcours, des consignes concernant les espaces aériens et notamment sur les altitudes à ne pas dépasser et, le jour de l'accident, un rappel sur les câbles de téléphériques de la vallée de Chamonix à destination d'autres catégories de compétiteurs que M. Andréas Baumann mais en présence de tous les pilotes.
Cet organisateur a expressément indiqué qu'à aucun moment n'avait été évoqué le danger représenté par les câbles Catex, estimant que les pilotes le connaissaient en tant que pilote de vol à voile en montagne car ces câbles font partie au même titre que les téléphériques et remontées mécaniques des dangers à proximité des stations de ski.
Ainsi, l'association aéronautique Verdon Alpilles n'a pas informé les compétiteurs de tous les risques encourus et, notamment, du risque particulier créé par la présence, à moins de 40 mètres de hauteur par rapport au sol, de câbles de type Catex transporteurs d'explosifs destinés au déclenchement artificiel d'avalanches et représentant un danger réel et important pour la sécurité de vol d'un planeur.
Elle n'ignorait ni son existence ni son importance ni sa particularité liée à l'espacement des pylônes soutenant ces câbles qui atteint jusqu'à dix kilomètres et au faible diamètre de ces câbles (7,50 mm pour le câble litigieux) qui les rend invisibles, si ce n'est à très faible distance puisque la réglementation n'impose pas leur balisage.
Elle se devait, pourtant, d'attirer l'attention des pilotes mêmes expérimentés sur le risque spécifique de ce genre de câbles, s'agissant d'une compétition internationale réunissant des pilotes étrangers qui ne connaissaient pas nécessairement l'existence de ce type d'installation technique, qui n'est pas utilisée dans tous les pays, même de montagne, et notamment la Suisse ou était domiciliée la victime, comme son père l'a affirmé au cours de l'enquête, sans être démenti sur ce point.
Elle n'a jamais donné cette information ni lors du briefing général d'avant compétition ni lors des briefings journaliers au cours de la compétition alors que l'épreuve qui se déroulait le jour de l'accident était une épreuve de vitesse sur un circuit imposé par l'organisateur avec un seul point de virage obligé, ce qui rendait l'avis sur l'existence et la fonction des câbles d'autant plus nécessaire.
Un manquement de l'association aéronautique Verdon Alpilles en relation de causalité directe avec le dommage est, ainsi, caractérisé à son encontre puisque toutes les précautions nécessaires pour éviter le danger non signalé, possible et prévisible et qu'elle se devait d'anticiper, n'avaient pas été prises et que celui-ci s'est effectivement réalisé.
M. Andréas Baumann a, cependant, lui-même commis une imprudence fautive.
En effet, la lecture du procès-verbal de gendarmerie révèle que les conditions météorologiques se sont révélées moins bonnes que prévu, que les compétiteurs ont rencontré des ascendances plus faibles et des plafonds moins élevés et que ce pilote, qui était alors deuxième au classement du concours lui permettant de se qualifier pour les futurs championnats du monde, a choisi d'évoluer, très près du relief, les pierriers étant propices aux courants ascendants.
En évoluant trop près du relief, à moins de 40 mètres du sol, il a pris un risque excessif créant par la même des conditions anormales et dangereuses.
Les manquements de l'organisateur de la compétition et de la victime qui y participait conduisent à prononcer un partage de responsabilité à hauteur de moitié pour chacun d'eux qui apparaît proportionnel à l'importance des fautes commises et à leur rôle causal respectif dans la survenance des dommages subis.
Le comportement fautif du compétiteur a été rendu possible ou facilité par un manquement de l'organisateur à son obligation de sécurité.
Ainsi l'association aéronautique Verdon Alpilles ne s'exonère que partiellement de sa responsabilité vis à vis d'Andréas Baumann et est tenu de réparer les conséquences dommageables de l'accident à hauteur de moitié.
sur la réparation
La recevabilité de l'action subrogatoire exercée par la Caisse Suisse de Compensation
en application des articles 11 de la Constitution Fédérale de la Confédération Suisse qui consacre le principe d'une assurance survivants en faveur des ressortissants suisses, de l'article 72 de la loi Fédérale sur la partie générale du droit des assurances, de l'article 93 du règlement CEE n° 1408-71 du 14 juin 1971 n'étant pas en elle-contestée par l'association aéronautique Verdon Alpilles et le GIE La Réunion Aérienne ni le montant des sommes réclamées, aucune critique n'étant émise sur ce point, il convient au vu des pièces justificatives produites de faire droit à la demande sauf à appliquer le partage de responsabilité ci-dessus retenu, opposable au tiers payeur, et de ramener ainsi sa créance de 131 566 francs suisses mise à la charge de l'organisateur de la compétition sportive et de son assureur, in solidum, à la contrevaleur en euros de la somme de 65 783 francs suisses.
Sur les demandes annexes
L'association aéronautique Verdon Alpilles et le GIE La Réunion Aérienne qui succombent dans leurs prétentions et qui sont tenues à indemnisation supporteront la charge des entiers dépens de première instance et d'appel et ne peuvent, de ce fait, bénéficier des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'équité commande d'allouer à la Caisse Suisse de Compensation une indemnité globale de 3 000 euro au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d'appel.
Par ces motifs : LA COUR, Vu le précédent arrêt du 12 mai 2010, - Infirme le jugement pour le surplus. Statuant à nouveau et y ajoutant, - Déclare l'association aéronautique Verdon Alpilles responsable à hauteur de moitié de l'accident survenu à M. Andréas Baumann le 15 juillet 2004. - Condamne in solidum l'association aéronautique Verdon Alpilles et le GIE La Réunion Aérienne à payer à la Caisse Suisse de Compensation, - la contrevaleur en euros de la somme de 65 783 francs suisses au titre des prestations versées à Andrée Oberlé, - la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. - Déboute l'association aéronautique Verdon Alpilles et le GIE La Réunion Aérienne de leurs propres demandes au titre des frais irrépétibles exposés. - Condamne in solidum l'association aéronautique Verdon Alpilles et le GIE La Réunion Aérienne aux entiers dépens de première instance et d'appel. - Dit qu'ils seront recouvrés pour ceux d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.