CA Montpellier, 5e ch. A, 25 octobre 2007, n° 07-01837
MONTPELLIER
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Atelier Empreinte (SARL)
Défendeur :
Association Loi 1901 Belisane
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Crousier (Conseiller)
Conseillers :
M. Avon, Mme Bebon
Avocats :
SCP Jougla, SCP Goguel, Mes Rouquette, Bonarelli
L'association Belisane est, selon ses statuts, une association à but non lucratif régie par la loi du 1er juillet 1901 et le décret du 16 août 1901. Selon ces mêmes statuts elle a pour but la défense et la promotion de l'Edition Artisanale et pour mission la publication de textes historiques, philosophiques et traditionnel ainsi que la promotion, plus particulièrement, de l'Histoire de la région Languedoc-Roussillon. Son siège social est fixé [...].
Cette association a été déclarée à la Préfecture de l'Aude le 10 avril 1995 et y est enregistrée.
La SARL Atelier Empreinte, qui a pour objet le commerce de détail de livres, journaux et papeterie, lui a passé plusieurs commandes d'ouvrages, qui ont été honorées, sur lesquelles elle a bénéficié de remises.
Cette société, prétendant subir, depuis le mois de juillet 2006, un traitement discriminatoire de la part de son cocontractant habituel, a, par acte délivré le 3 novembre 2006 saisi le juge des référés du Tribunal de Commerce de Carcassonne d'une demande tendant, d'une part, à obtenir sous astreinte la communication forcée du barème de prix de ladite association et de ses conditions générales de vente ainsi que ses modalités de vente, de facturation et de règlement et, d'autre part, à ce qu'il soit ordonné à ladite association, également sous astreinte, d'honorer directement ses commandes selon les modalités et les tarifs conformes aux conditions générales de vente ainsi qu'à son barème de prix c'est à dire selon un traitement identique à celui réservé à ses autres partenaires économiques se trouvant dans une situation similaire.
L'association Belisane ayant conclu à l'incompétence de la juridiction commerciale, eu égard au caractère non lucratif et non commercial de l'association et, subsidiairement à l'existence d'une contestation sérieuse, le juge des référés précité, par une ordonnance rendue le 12 mars 2007, s'est déclaré incompétent pour connaître de ce litige, a renvoyé la partie demanderesse à se pourvoir autrement et a condamné la SARL Atelier Empreinte aux entiers dépens.
Par déclaration reçue au greffe de cette Cour le 16 mars 2007 la SARL Atelier Empreinte a relevé appel de cette décision.
Cette appelante soutient essentiellement, sur la décision d'incompétence, en premier lieu, que la décision a fait droit à une exception manifestement irrecevable, l'association s'étant bornée, en méconnaissance des dispositions de l'article 75 du NCPC faisant obligation de faire connaître la juridiction que le demandeur à l'exception estime compétente, à solliciter du juge que la demanderesse soit invitée à mieux se pourvoir, en deuxième lieu, que la décision est irrégulière au regard des dispositions de l'article 96 du même code le juge n'ayant pas désigné la juridiction qu'il estimait compétente et, en dernier lieu, que cette décision est totalement injustifiée le premier juge ayant fait une application injustifiée de l' article L 721-3 du Code de commerce dès lors que, par-delà sa forme juridique, l'association exerce à titre habituel et professionnel une activité commerçante et que, à titre surabondant, la contestation porte sur des achats pour revendre c'est-à-dire des actes de commerce.
Sur le fond elle soutient, les dispositions de l' article L 441-6 du Code de commerce faisant obligation à tout producteur, prestataire de service, grossiste ou importateur de communiquer à tout acheteur qui en fait la demande son barème de prix et ses conditions de vente comprenant notamment les conditions de règlement et le cas échéant les rabais et ristournes, et l'association Belisane, éditeur, qui exerce une activité de production de livres mais également de grossiste puisqu'il est acquis aux débats qu'elle revend ses ouvrages à des libraires (en appliquant d'ailleurs une remise spéciale ) étant soumise à ces dispositions, que sa demande, à laquelle l'association n'a pas satisfait nonobstant mises en demeure, est légitime est fondée de sorte que, en application de l'article 873 alinéa 2 et, surabondamment, de l'article 873 alinéa 1 du NCPC il doit être fait droit à sa demande de communication sous astreinte.
Elle soutient encore, les pratiques discriminatoires étant prohibées par l'article L 442-6 I.1° du Code de commerce, l'argument tiré de l'application de la loi Galland de 1996 procédant manifestement d'une erreur de droit au regard des dispositions précitées mises en place cinq ans plus tard et les agissements de l'association étant avérés, que le trouble qui lui est causé par le traitement discriminatoire et même le refus de vente pur et simple dont se rend coupable l'association à son détriment est manifestement illicite au sens de ce texte doit cesser et que, en application de l'article 873 alinéa 1 du NCPC elle est bien fondée à solliciter de la Cour qu'elle ordonne à l'association Belisane d'honorer directement ses commandes.
La SARL Atelier Empreinte demande en conséquence à la Cour de :
Infirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
Dire et juger que la juridiction commerciale est compétente pour juger le présent litige ;
Dire et juger qu'il y a lieu à référé ;
Dire et juger que l'association Belisane est tenue d'une obligation légale et non contestable de lui communiquer, alors qu'elle en a légitimement formulé la demande, son barème tarifaire et ses conditions générales de vente comprenant notamment ses rabais et ristournes ainsi que ses modalités de vente, de facturation et de règlement ;
Dire et juger que cette association lui cause un trouble manifestement illicite en lui appliquant un traitement discriminatoire au regard des modalités de vente et des tarifs pratiqués auprès de ses autres partenaires économiques ainsi qu'en refusant purement et simplement d'honorer ses commandes ;
Ordonner à l'association Belisane de lui communiquer son barème de prix et ses conditions générales de vente comprenant notamment ses rabais et ristournes ainsi que ses modalités de vente, de facturation et de règlement et ce sous astreinte de 300 euros par jour de retard à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir ;
Ordonner à l'association Belisane d'honorer directement ses commandes selon des modalités et des tarifs conformes à ses conditions générales de vente ainsi qu'à son barème de prix c'est-à-dire selon un traitement identique à celui réservé à ses autres partenaires économiques se trouvant dans une situation similaire et ce sous astreinte de 2 000 euros par infraction constatée à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir ;
Condamner l'association Belisane à lui verser la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du NCPC ;
La condamner aux entiers dépens dont distraction.
L'association Belisane soutient pour sa part que le jugement rendu par le premier juge est parfaitement régulier la juridiction compétente ne pouvant être que la juridiction civile et que le Tribunal de commerce est incompétent dès lors que, d'une part, elle est une association à but non lucratif dont la gestion est entièrement bénévole, et que, d'autre part, elle ne réalise pas d'actes de commerce.
Elle prétend en outre qu'il n'existe aucune relation contractuelle formalisée entre elle et la SARL Atelier Empreinte qui a racheté le fonds de commerce existant de librairie à Rennes-Le-Chateau depuis deux ans, qu'elle n'est pas tenue de lui fournir ses conditions de vente et ses tarifs, que le délit de refus de vente ne saurait lui être opposé, que la loi Galand de 1996 sur la loyauté et l'équilibre des relations commerciales a profondément modifié le régime du refus de vente entre professionnels, que le refus de vente peut être librement exercé ce qui signifie que même si elle devait être considérée comme un professionnel, ce qui n'est pas applicable au cas d'espèce, elle serait libre de vendre ou de ne pas vendre à un autre professionnel, qu'elle serait fondée à ne plus se plier aux avantages qui étaient consentis à l'ex SARL Atelier Empreinte qui a été rachetée par la demanderesse qui fait preuve de procédés commerciaux pour le moins inhabituels puisque, dépositaires d'ouvrages de l'association elle met tout en œuvre pour ne pas respecter ses engagements oraux, n'acquitte jamais spontanément les produits de la vente ou encore se contente de déclarer sur son site que les ouvrages qu'elle a pourtant en boutique sont indisponibles chez l'éditeur et qu'au demeurant il ressort des termes mêmes de l'assignation qu'elle n'a jamais refusé de vendre à la demanderesse mais qu'elle souhaite désormais que cela s'opère par l'intermédiaire de son diffuseur auprès duquel la société peut s'approvisionner sans problème de sorte, dans ces conditions il ne saurait être fait droit aux demandes formulées en référé en raison de ces contestations sérieuses.
Formant appel incident l'association Belisane demande à la Cour, par ses dernières écritures, signifiées le 18 septembre 2007, de :
Débouter la SARL Atelier Empreinte de toutes ses demandes, fins et prétentions ;
Confirmer la décision dont appel ;
Condamner ladite SARL à lui payer la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour appel purement abusif ;
La condamner à lui payer la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du NCPC ;
La condamner aux entiers dépens dont distraction.
SUR CE :
Attendu que l'appel, interjeté dans les formes et le délai de la loi, est recevable ;
Attendu que bien qu'une association de la loi de 1901 relève en principe des tribunaux civils la juridiction commerciale peut être compétente lorsque les actes de commerce qu'elle accomplit deviennent habituels ; Que tel est le cas en l'occurrence de l'association Belisane puisque, d'une part, selon les informations qu'elle fait elle-même figurer sur son site INTERNET, informations dont la société appelante se prévaut, elle " a pour vocation l'édition et la vente de livres anciens sur les religions, l'ésotérisme (franc-maçonnerie, alchimie, templiers), l'occultisme et le trésor de Rennes le Château ", son objet ne se limitant pas, comme indiqué dans son statut à la promotion ou à la défense de l'édition artisanale et que, d'autre part, l'activité qu'elle décrit dans ses propres écritures, à savoir l'édition d'ouvrages et leur dépôt " auprès de différents dépositaires essentiellement locaux qui lui reversent le produit des ventes effectuées après remise pratiquées par l'association en fonction de la fidélité de ses différents dépositaires, de la régularité et du nombre d'ouvrages vendus " est une activité d'édition et de vente d'ouvrages, dont elle retire d'ailleurs un bénéfice, même s'il est réinvesti dans l'association, commerciale au regard de l' article L 121-1 du Code de commerce , qu'elle pratique habituellement ; Que la contestation de la SARL appelante porte sur des actes, à savoir des achats pour revendre après transformation, que l' article L.110-1 du Code de commerce répute actes de commerce ; Que, partant, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens par lesquels la décision d'incompétence est critiquée, il y a lieu d'infirmer la décision par laquelle le premier juge s'est déclaré incompétent ; Qu'il convient d'ailleurs d'observer que cette question n'offre plus grand intérêt dès lors que, les parties ayant l'une et l'autre conclu " au fond " sur le mérite de la demande, la Cour est juge d'appel tant de la juridiction commerciale qui a dénié sa compétence que de la juridiction civile, à savoir le Tribunal de Grande Instance de Carcassonne, qui aurait dû être désignée en application de l'article 96 du NCPC ;
Attendu que, aux termes des dispositions invoquées de l' article L.441-6 du Code de commerce , tout producteur, prestataire de services, grossiste ou importateur est tenu de communiquer à tout acheteur de produit ou demandeur de prestations de services, pour une activité professionnelle, qui en fait la demande, ses conditions générales de vente ; Que, selon ce même texte, celles-ci, qui constituent le socle de la négociation commerciale, comprennent : les conditions de vente, le barème des prix unitaires, les réductions de prix et les conditions de règlement ; Que l'association intimée, qui produit des ouvrages et les revend à des libraires, est soumise à ces dispositions, la SARL Atelier Empreinte exerçant une activité de libraire ;
Attendu que par lettre recommandée avec avis de réception en date du 21 juillet, doublée d'une télécopie et d'un mail, la SARL Atelier Empreinte a sollicité de l'association Belisane la communication de ses conditions générales de vente aux libraires ; Qu'elle a renouvelé cette demande par lettre recommandée et télécopie de son conseil le 11 août 2006 ; Qu'il n'a pas été satisfait à ces demandes ; Que cette carence ou ce refus, contraires aux dispositions légales précitées, est constitutif d'un trouble manifestement illicite qu'il appartient au juge des référés, en application de l'article 873-1 alinéa 2 du NCPC, de faire cesser, l'obligation de communiquer les tarifs faite à l'association précitée devant être assortie, dans les formes et conditions spécifiées au dispositif de l'arrêt, d'une astreinte afin de vaincre l'opposition ou les réticences de ladite association ;
Attendu que si, en application de l' article L.442-6 IV du Code de commerce , le juge des référés peut ordonner la cessation des pratiques discriminatoires ou abusives au regard des pratiques considérées comme telles par l'article L.442-6 I 1°, que l'appelante invoque, comme celles énumérées par les 2° à 8° de ce même texte, ou encore ordonner toute autre mesure provisoire, il apparaît que la demande de la SARL Atelier Empreinte, qui sollicite de la Cour " qu'elle ordonne à l'association Belisane, à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, d'honorer directement les commandes de la société Atelier Empreinte selon les modalités et les tarifs conformes à ses conditions générales de vente ainsi qu'à son barème de prix c'est à-dire selon un traitement identique aux autres partenaires économiques se trouvant dans une situation similaire " n'entre pas dans les prévisions de ce texte, la mesure ainsi sollicitée, tendant à ce qu'il soit fait obligation générale, sous astreinte, de contracter dans l'avenir, sans que soit constatée au préalable une mesure discriminatoire, n'étant pas une mesure provisoire ;
Attendu que l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du NCPC au profit de l'appelante ;
Que l'intimée qui succombe principalement sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel ; Que, par suite, elle ne peut prétendre au bénéfice de ces dernières dispositions ;
Par ces motifs : Infirme la décision déférée. Statuant à nouveau et y ajoutant, Ordonne à l'association Belisane de communiquer à la société Atelier Empreinte son barème de prix et ses conditions générales de vente comprenant ses rabais et ristournes ainsi que ses modalités de vente, de facturation et de règlement dans les 15 jours de la signification du présent arrêt et ce sous astreinte provisoire de 50 EUROS par jour de retard passé ce délai ladite astreinte courant pendant un délai de deux mois à l'expiration duquel il sera à nouveau statué, le cas échéant, par le juge de l'exécution compétent. Condamne ladite association aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction pour ces derniers, dans les conditions de l'article 699 du NCPC, au profit des avoués de la cause qui en ont fait la demande. Déboute les parties de leurs demandes, fins et conclusions, autres, plus amples ou contraires.