CA Paris, Pôle 4 ch. 9, 27 juin 2013, n° 10-15686
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Institut supérieur de formation au journalisme
Défendeur :
Maillard Salin
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Sadot
Conseillers :
Mmes Lefevre, Cléroy
Avocats :
Mes Olivier, Kong Thong, Roth
Mlle Maillard-Salin Claire s'est inscrite pour la période de septembre 2007 à juin 2009 à une formation de deux ans auprès de l'institut supérieur de formation au journalisme (l'ISFJ), association régie par les dispositions de la loi de 1901, exploitant une école de formation pour élèves journalistes suivant un cycle de deux années d'études sanctionné par un " certificat de fin d'études de journalisme ". Elle s'est réinscrite en septembre 2008 en deuxième année, au terme de sa première année de formation effectuée, et a réglé des frais d'inscription à hauteur de 800 euro et des frais de scolarité de 4 224 euro.
Par courrier recommandé en date du 2 décembre 2008 l'ISFJ, se référant à son précédent passage en conseil de discipline intervenu le 23 octobre 2008, l'excluait de l'école.
Par courrier du 4 décembre 2008 Mlle Maillard-Salin contestait les motifs de son renvoi et demandait par lettre du 9 décembre 2008 le remboursement de la somme de 5 000 euro versée en septembre.
Elle saisissait ultérieurement le 22 décembre 2009 le Tribunal d'instance de Paris 15e arrondissement.
Par jugement rendu le 3 juin 2010 ce tribunal d'instance a :
- dit que l'exclusion de Mlle Maillard-Salin de l'ISFJ est fondée,
- débouté Maillard-Salin de sa demande de remboursement de ses frais d'inscription,
- dit que l'article 2 du règlement intérieur de l'ISFJ constitue une clause abusive, comme telle réputée non écrite,
- dit que l'article 19 du règlement intérieur constitue non pas une clause abusive mais une clause pénale et réduit à 2 224 euro le montant de cette clause, ordonnant à l'ISFJ de rembourser à Mlle Maillard-Salin la somme de 2 000 euro.
Par déclaration au greffe de la cour du 26 juillet 2010 l'ISFJ interjetait appel de cette décision.
Dans ses dernières écritures du 17 décembre 2010 l'ISFJ conclut à l'infirmation du jugement, en ce que la clause de l'article 19 du règlement intérieur stipulant que " toute année commencée est due " qualifiée de clause pénale par le premier juge a été réduite en son montant, faisant valoir que la décision n'indique aucunement en quoi le montant de cette clause pénale serait excessif et soutenant que le recrutement des élèves au sein de l'établissement s'effectue sur un rythme annuel et non trimestriel et que dès lors, son préjudice est constitué par le montant des 3 trimestres de scolarité compte tenu de l'impossibilité de compenser en cours d'année le départ d'un élève par l'arrivée d'un autre.
Aux termes de ses écritures il sollicite néanmoins exclusivement la condamnation de l'intimée à lui payer la somme de 1 500 euro pour procédure abusive, celle de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, demandant pour le surplus à la cour de dire " que son préjudice correspond au montant de la scolarité pour l'année entière ", et " que la clause pénale doit être de 2 224 euro ".
Aux termes de ses dernières écritures Mlle Maillard-Salin, se fondant notamment sur l'article L. 132-1 du Code de la consommation et les recommandations de la commission des clauses abusives n° 91-01 du 7 juillet 1989, demande à titre principal que la cour constate que l'article 19 du règlement intérieur constitue une clause abusive, procède à son annulation et condamne l'ISFJ à lui rembourser la somme de 3 380 euro correspondant à 8 mois de scolarité non effectués, et à titre subsidiaire dans l'hypothèse d'une confirmation de la qualification de clause pénale, de fixer la pénalité à la somme de 844 euro et de condamner l'appelant à lui rembourser la somme de 3 380 euro.
Formant appel incident elle demande par ailleurs :
- à titre principal, d'annuler son exclusion pour défaut de mise en œuvre de la procédure prévue à l'article 13 du règlement intérieur, et subsidiairement, de déclarer sans fondement le renvoi définitif opéré par lettre du 2 décembre 2008,
- de dire que l'article 20 du règlement intérieur de l'ISFJ est une clause abusive et de procéder à son annulation,
- de condamner l'appelant à lui rembourser la somme de 400 euro au titre des frais d'inscription 2008/2009, ainsi que celle de 5 000 euro à titre de dommages et intérêts, outre la somme de 1 500 euro en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sur l'aide juridictionnelle.
Au soutien de ses écritures, indépendamment des clauses dont elle demande de considérer le caractère abusif, elle fait valoir qu'elle n'a pu exercer le recours prévu par l'article 13 du règlement intérieur à l'encontre de la sanction de son exclusion, dont elle conteste les motifs, indiquant qu'elle a subi des pressions et des vexations entre le 24 octobre 2008 jusqu'à son renvoi intervenu le 2 décembre et qu'elle a subi un préjudice moral, ainsi qu'un préjudice scolaire important du fait de l'interruption de sa scolarité de façon brutale en cours de deuxième année.
MOTIFS DE LA DECISION
Considérant que l'article L. 132-1 du Code de la consommation dispose que " dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat... sans préjudice des règles d'interprétation prévues aux articles 1156 à 1161, 1163 et 1164 du Code civil, le caractère abusif d'une clause s'apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat... les clauses abusives sont réputées non écrites " ;
Considérant que l'article 19 du règlement intérieur de l'ISFJ stipule : " Toute année commencée est due. " et que l'article 20 de ce règlement énonce : " si la totalité des droits n'est pas réglée dans les temps, l'accès à l'ISFJ peut être refusé à l'étudiant par décision de la direction " ;
Que l'article 20 (dont la rédaction n'exclut pas des modalités de paiement fractionnées) impose une obligation d'exécution par l'étudiant de son obligation de paiement en contrepartie de l'engagement pris par l'établissement d'enseignement d'exécuter son obligation de formation et ne présente pas en conséquence le caractère d'une clause abusive ;
Qu'à contrario, l'article 19 du règlement intérieur de l'ISFJ ayant valeur de disposition contractuelle soumise à l'acceptation préalable de l'étudiant lors de son inscription est abusive au sens de l' article L. 132-1 du Code de la consommation , en ce qu'elle crée, au détriment de ce dernier, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, faisant du prix de la scolarité un forfait intégralement acquis à l'école dès la signature du contrat, sans réserver le cas d'une résiliation pour un motif légitime et impérieux ; qu'en l'espèce, cette clause n'envisage pas la possibilité d'une résiliation du contrat par l'élève en présence d'un motif légitime et impérieux, ni même la possibilité d'une telle résiliation en présence d'un cas de force majeure, alors même qu'au terme de l'article 55 du règlement le professionnel se réserve en cas d'impossibilité majeure de ne pas reprogrammer les cours annulés ; que cette clause prévue au profit exclusif du professionnel n'a pas d'équivalent dans le contrat, au profit du consommateur et que la nécessité d'éviter des départs anticipés ne peut conduire le professionnel à pénaliser sans distinction les consommateurs inconséquents et ceux qui justifieraient d'un motif sérieux et légitime ; qu'elle est donc abusive au sens de l'article L. 132-1 du Code de la consommation et qu'elle contrevient également à la recommandation de la Commission des clauses abusives n° 91-01 du 7/07/1989, qui stigmatise les clauses prévoyant que le prix est dû, même si l'élève ne peut pas suivre l'enseignement pour quelque cause que ce soit ;
Que la clause précitée de l'article 19 doit donc être réputée non écrite, et que dès lors, le jugement doit donc être infirmé sur point ;
Considérant qu'il ressort de la lettre adressée par Mlle Maillard-Salin dès le 4 décembre 2008 qu'elle contestait précisément son renvoi et la réalité des faits le motivant, et de l'analyse des articles 12 et 13 du règlement que les dispositions relatives aux sanctions disciplinaires n'ont pas été respectées par l'appelant en l'état d'une mesure d'exclusion définitive immédiate relevant d'une décision du seul conseil de discipline et d'une procédure d'appel dont Mlle Maillard-Salin n'a pas été mise en mesure de bénéficier ; que néanmoins, aucune disposition du règlement ne fondant la demande d'annulation de l'exclusion sur les irrégularités de procédure relevées, l'intimée sera déboutée de ce chef de demande ;
Considérant que le motif de la cessation de la convention liant les parties doit être analysé au vu des clauses subsistantes, hors clauses abusives, et des dispositions de droit commun applicables fixant comme causes admissibles de résiliation du contrat le cas de force majeure ou en l'espèce le manquement fautif de l'étudiant à ses obligations contractuelles justifiant la mesure d'exclusion en l'état des articles 13 et 14 du règlement intérieur stipulant respectivement que " dans le cas où un étudiant se rendrait coupable d'un incident envers les autres étudiants ou envers lui-même ( alcool, drogues, violences, insultes, armes, objets dangereux ...) ou mettant en cause la sécurité ou l'image, de l'école, de l'équipe pédagogique, la direction pourra décider d'un renvoi immédiat définitif' " et " que l'exclusion d'un étudiant pour quelque motif que ce soit dégagé l'ISFJ de toute responsabilité à son égard " ;
Considérant que la décision d'exclusion immédiate notifiée le 2 décembre 2008 par l'appelant se fonde :
sur des propos insultants à l'égard de l'école et menaçants à l'encontre de Monsieur CROS directeur de l'école, tenus lors d'une réunion de classe du 17 octobre 2008, faits ayant donné lieu à son passage en conseil de discipline suivi d'un maintien dans l'établissement "en période d'essai" avec obligation de rédiger une lettre d'excuses (lettre devant être affichée dans l'école et lue à haute voix par Mlle Maillard-Salin devant sa classe et la direction de l'école)
sur de nouvelles menaces proférées à l'encontre de la directrice et de l'ISFJ le 2 décembre 2008, avec appel aux élèves à se révolter contre l'école ;
Considérant que sur les faits du 2 décembre 2008 le jugement a retenu, sur la base des pièces communiquées par l'appelante en première instance, que les propos de l'étudiante ayant appelé certains élèves à se révolter contre l'école en quittant le bureau de Madame Barbier étaient attestés par celle-ci ainsi que par Madame Bellange ;
Qu'aux termes de la première lettre d'excuses rédigée par Mlle Maillard-Salin présentant un caractère probant et plus authentique, que les versions ultérieures refaites à la demande de la direction de l'école sollicitant des corrections et des rajouts, elle reconnaît qu'elle était " sortie de ses gonds .. " et avoir été incorrecte en public devant les autres élèves de sa classe envers Monsieur Cros, confirmant également qu'elle avait alors dit qu'elle n'allait pas faire une bonne réputation à l'école, (par ailleurs traitée à cette occasion d'école " de merde " ainsi qu'indiqué dans ses écritures), ce qui constitue bien une mise en cause publique devant les autres étudiants de l'image de l'école sanctionnée d'un renvoi immédiat définitif par l'article 13 du règlement intérieur ;
Considérant que le motif sérieux et légitime de l'exclusion de Mlle Maillard-Salin étant en conséquence établi, ainsi que de ce fait l'absence de rupture de contrat abusive imputable à l'appelant, elle sera dès lors déboutée de sa demande de dommages et intérêts ; que l'ISFJ doit néanmoins être condamné à lui rembourser la somme de la somme de 3 379,20 euro correspondant aux 8 mois de scolarité non effectués (soit 4 224 : 10 X 8) ;
Considérant qu'en l'absence de caractère abusif de la procédure initiée par Mlle Maillard-Salin, l'ISFJ sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts non fondée émise de ce chef ;
Considérant que l'ISFJ, partie succombante en son recours, sera condamnée aux dépens de la procédure d'appel ;
Que l'équité commande par ailleurs de condamner l'ISFJ, en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sur l'aide juridictionnelle, au paiement de la somme de 1 500 euro à Maître Roth Isabelle, conseil de l'intimée bénéficiaire de l'aide juridictionnelle ;
Par ces motifs, Infirme le jugement rendu le 3 juin 2010 par le Tribunal d'instance de Paris 15e arrondissement, en ce qu'il a dit que l'article 19 du règlement intérieur ne constituait pas une clause abusive et débouté Mlle Maillard-Salin Claire de sa demande de remboursement de ses frais d'inscription ; Statuant de nouveau de ces chefs ; Déclare que l'article 19 du règlement intérieur de l'ISFJ constitue une clause abusive réputée non écrite ; Condamne l'Institut supérieur de formation au journalisme à payer à Mlle Maillard-Salin Claire la somme de 3 379,20 euro au titre de la période de scolarité acquittée non effectuée au cours de l'année 2008/2009 ; Confirme le jugement pour le surplus ; Y ajoutant ; Condamne l'Institut supérieur de formation au journalisme à payer la somme de 1 500 euro à Maître Roth Isabelle, conseil de l'intimée bénéficiaire de l'aide juridictionnelle en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sur l'aide juridictionnelle, celui-ci s'engageant à renoncer au bénéfice de l'aide juridictionnelle dans les conditions prévues à l' article 108 du décret du 19 septembre 1991 s'il parvient à recouvrer auprès de l'Institut supérieur de formation au journalisme ; Déboute les parties de leurs autres demandes ; Condamne l'Institut supérieur de formation au journalisme aux dépens de la procédure d'appel.